La majorité de la population, toutefois, reste à l’écart des villes. En quoi consiste, à l’époque, la paysannerie ? Voici ce que nous en dit Friedrich Engels :

« Au-dessous de toutes ces classes, à l’exception de la dernière, se trouvait la grande masse exploitée de la nation : les paysans.

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C’est sur eux que pesait toute la structure des couches sociales: princes, fonctionnaires, nobles, curés, patriciens et bourgeois.

Qu’il appartint à un prince, à un baron d’Empire, à un évêque, à un monastère ou à une ville, le paysan était partout traité comme une chose, comme une bête de somme, et même souvent pis.

Serf, son maître pouvait disposer de lui à sa guise. Corvéable, les prestations légales contractuelles suffisaient déjà à l’écraser, mais ces prestations elles-mêmes s’accroissaient de jour en jour.

La plus grande partie de son temps, il devait l’employer à travailler sur les terres de son maître.

Sur ce qu’il gagnait dans ses rares heures disponibles, il devait payer cens, dîmes, redevances, taille, viatique (impôt militaire), impôts d’État et taxes d’Empire.

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Il ne pouvait ni se marier, ni même mourir sans payer un droit à son maître.

Outre les corvées féodales ordinaires, il devait pour son maître récolter la paille, les fraises, les myrtilles, ramasser des escargots, rabattre le gibier à la chasse, fendre du bois, etc.

Le droit de pêche et de chasse appartenait au maître, et le paysan devait regarder tranquillement le gibier détruire sa récolte.

Les pâturages et les bois communaux des paysans leur avaient été presque partout enlevés de force par les seigneurs. Et de même qu’il disposait de la propriété, le seigneur disposait à son gré de la personne du paysan, de celle de sa femme et de ses filles. Il avait le droit de cuissage.

Il pouvait, quand il voulait, faire jeter le paysan en prison, où la torture l’attendait aussi sûrement qu’aujourd’hui le juge d’instruction. Il le faisait assommer ou décapiter, selon son bon plaisir.

De ces édifiants chapitres de la Carolina qui traitaient de la façon de « couper les oreilles », de « couper le nez », « crever les yeux », de « trancher les doigts et les mains », de « décapiter », de « rouer », de « brûler», de « pincer avec des tenailles brûlantes », d’ « écarteler », etc., il n’en est pas un seul que les nobles seigneurs et protecteurs n’aient employé à leur gré contre les paysans.

Qui les aurait défendus ? Dans les tribunaux siégeaient des barons, des prêtres, des patriciens ou des juristes, qui savaient parfaitement pour quel travail ils étaient payés. Car tous les ordres officiels de l’Empire vivaient de l’exploitation des paysans.

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Cependant, quoique grinçant des dents sous le joug qui les accablait, les paysans étaient très difficiles à soulever. Leur dispersion leur rendait extrêmement difficile tout entente commune.

La longue accoutumance de générations successives à la soumission, la perte de l’habitude de l’usage des armes dans beaucoup de régions, la dureté de l’exploitation, tantôt atténuant, tantôt s’aggravant, selon la personne des seigneurs, contribuaient à maintenir les paysans dans le calme.

C’est pourquoi on trouve au moyen âge quantité de révoltes paysannes locales, mais, en Allemagne tout au moins, on ne trouve pas avant la Guerre des paysans une seule insurrection générale nationale de la paysannerie.

Il faut ajouter à cela que les paysans n’étaient pas capables à eux seuls de faire une révolution tant qu’ils trouvaient en face d’eux le bloc de la puissance organisée des princes, de la noblesse et des villes, unis en une alliance solide.

Seule une alliance avec d’autres ordres pouvait leur donner une chance de vaincre, mais comment s’allier avec d’autres, quand tous les exploitaient également ? »

C’est en ce sens que l’initiative de Thomas Müntzer avait une portée historique. Elle permettait une initiative paysanne allant dans le sens de l’unification de ses propres forces, avec une claire orientation, ainsi que la quête d’alliés dans les villes.

C’était là l’embryon d’une véritable révolte démocratique. Cependant, les forces étaient jeunes et faibles, inexpérimentées encore.


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