Mao Zedong
Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine1
Décembre 1936

CHAPITRE PREMIER

COMMENT ÉTUDIER LA GUERRE

SECTION 1. LES LOIS DE LA GUERRE SONT ÉVOLUTIVES

Les lois de la guerre sont un problème que doit étudier et résoudre quiconque dirige une guerre.

Les lois de la guerre révolutionnaire sont un problème que doit étudier et résoudre quiconque dirige une guerre révolutionnaire.

Les lois de la guerre révolutionnaire en Chine sont un problème que doit étudier et résoudre quiconque dirige une guerre révolutionnaire en Chine.

Nous faisons actuellement la guerre ; notre guerre est une guerre révolutionnaire et celle-ci est menée en Chine, c’est-à-dire dans un pays semi-colonial et semi-féodal. C’est pourquoi nous devons étudier non seulement les lois de la guerre en général, mais également les lois spécifiques de la guerre révolutionnaire et les lois spécifiques particulières de la guerre révolutionnaire en Chine.

Personne n’ignore que, quelle que soit la chose qu’on fait, on ne peut connaître les lois qui la régissent, on ne sait comment l’entreprendre et on n’arrive à bien la faire que si l’on en comprend les conditions, le caractère et les rapports avec les autres choses.

La guerre qui a commencé avec l’apparition de la propriété privée et des classes est la forme suprême de lutte pour résoudre, à une étape déterminée de leur développement, les contradictions entre classes, entre nations, entre États ou blocs politiques. Si l’on ne comprend pas les conditions de la guerre, son caractère, ses rapports avec les autres phénomènes, on ignore les lois de la guerre, on ne sait comment la conduire, on est incapable de vaincre.

La guerre révolutionnaire, qu’elle soit une guerre révolutionnaire de classe ou une guerre révolutionnaire nationale, outre les conditions et le caractère propres à la guerre en général, a ses conditions et son caractère particuliers, et c’est pourquoi elle est soumise non seulement aux lois de la guerre en général, mais également à des lois spécifiques. Si l’on ne comprend pas les conditions et le caractère particuliers de cette guerre, si l’on en ignore les lois spécifiques, on ne peut diriger une guerre révolutionnaire, on ne peut y remporter la victoire.

La guerre révolutionnaire en Chine, qu’il s’agisse d’une guerre civile ou d’une guerre nationale, se déroule dans les conditions propres à la Chine et se distingue de la guerre en général ou de la guerre révolutionnaire en général, par ses conditions et son caractère particuliers. C’est pourquoi elle a, outre les lois de la guerre en général et les lois de la guerre révolutionnaire en général, des lois qui lui sont propres. Si l’on ne connaît pas toutes ces lois, on ne peut remporter la victoire dans une guerre révolutionnaire en Chine.

C’est pourquoi nous devons étudier les lois de la guerre en général, les lois de la guerre révolutionnaire et, enfin, les lois de la guerre révolutionnaire en Chine.

Certains ont un point de vue erroné, que nous avons d’ailleurs réfuté depuis longtemps ; ils disent qu’il nous suffit d’étudier les lois de la guerre en général, c’est-à-dire, pour parler d’une manière plus concrète, de suivre les manuels militaires publiés en Chine par le gouvernement réactionnaire ou les établissements d’enseignement militaire réactionnaires. Ils ne voient pas que ces manuels exposent seulement les lois de la guerre en général et sont, d’ailleurs, entièrement copiés de l’étranger, que les utiliser tels quels, sans en modifier ni le fond ni la forme, reviendra à “se rogner le pied pour l’adapter à la chaussure” et nous conduira à la défaite. Pour justifier leur point de vue, ils argumentent ainsi : Pourquoi devrions-nous renoncer à ce qui a été acquis dans le passé au prix du sang ? Ils ne comprennent pas que si nous devons, bien entendu, apprécier à sa juste valeur l’expérience acquise au prix du sang dans le passé, nous devons également apprécier l’expérience que nous avons payée de notre propre sang.

D’autres ont un point de vue également erroné, et que nous avons également réfuté depuis longtemps ; ils disent qu’il ne faut étudier que l’expérience de la guerre révolutionnaire en Russie, c’est-à-dire, pour parler d’une manière plus concrète, qu’il suffit d’agir conformément aux lois qui ont présidé à la conduite de la guerre civile en Union soviétique et de suivre les manuels militaires publiés par les institutions militaires de ce pays. Ils ne comprennent pas que ces lois et ces manuels reflètent le caractère spécifique de la guerre civile en Union soviétique et de l’Armée rouge de l’Union soviétique et que les appliquer tels quels, sans y apporter aucune modification, reviendra une fois de plus à “se rogner le pied pour l’adapter à la chaussure”, et nous conduira aussi à la défaite. Ils disent, pour justifier leur point de vue : L’Union soviétique a mené une guerre révolutionnaire, et nous aussi nous menons une guerre révolutionnaire ; or, l’Union soviétique a remporté la victoire, quelle autre option pourrait-il y avoir que de suivre son exemple ? Ils ne comprennent pas que si nous devons, bien entendu, attacher un prix particulier à l’expérience militaire de l’Union soviétique, puisqu’elle est une expérience de la guerre révolutionnaire de l’époque contemporaine, une expérience acquise sous la direction de Lénine et de Staline, nous devons également apprécier à sa juste valeur l’expérience de la guerre révolutionnaire en Chine, car bien des conditions sont particulières à la révolution en Chine et à l’Armée rouge chinoise.

D’autres enfin ont un point de vue tout aussi erroné, et que nous avons également réfuté depuis longtemps ; ils disent que l’expérience la plus précieuse est celle de l’Expédition du Nord de 1926-1927, et que nous devons nous en inspirer, c’est-à-dire, pour parler d’une manière plus concrète, que nous devons imiter l’Expédition du Nord dans sa pénétration en profondeur et sa conquête des grandes villes. Ils ne comprennent pas que, s’il faut étudier l’expérience de l’Expédition du Nord, il ne faut pas la copier mécaniquement, car la guerre se poursuit aujourd’hui dans des conditions différentes. Nous ne devons prendre de cette expérience que ce qui est encore applicable aujourd’hui et nous devons, conformément à la situation présente, élaborer quelque chose qui soit du nôtre.

Ainsi donc, les lois de la conduite de la guerre varient en fonction des conditions de la guerre, selon le temps, le lieu et le caractère de la guerre. Si l’on parle du facteur temps, on voit qu’avec le temps évoluent et la guerre et les lois de la conduite d’une guerre ; chaque étape historique présente ses particularités, il s’ensuit que les lois de la guerre ont leurs particularités à chaque étape, et qu’il ne faut pas transposer ces lois mécaniquement d’une étape à l’autre. Si l’on considère la guerre dans son caractère, la guerre révolutionnaire aussi bien que la guerre contre-révolutionnaire ont leurs particularités ; et les lois qui les régissent ont leurs particularités propres et ne peuvent être transposées mécaniquement d’une guerre à l’autre. Si l’on envisage le lieu où se déroule une guerre, chaque pays, chaque nation, et, en particulier, un grand pays, une grande nation a ses particularités, par conséquent les lois de la guerre dans chaque pays ou dans chaque nation ont aussi leurs particularités et ne peuvent être transposées mécaniquement d’un pays dans un autre. En étudiant les lois selon lesquelles ont été conduites, à différentes étapes historiques, des guerres présentant un caractère différent et menées dans des lieux différents par des nations différentes, nous devons porter notre attention sur leurs particularités et leur évolution, et lutter contre toute conception mécaniste dans la question de la guerre.

Ce n’est pas tout. Chez un officier commandant, passer de la capacité de commander d’abord seulement une petite unité à celle d’en commander ensuite une grande est signe de progrès et de développement. Commander dans un seul et même endroit, c’est une chose ; commander dans plusieurs endroits différents, c’en est une autre. Chez l’officier commandant, passer de la capacité d’opérer dans un lieu qui lui est familier à celle de diriger des opérations dans bien des endroits différents est également signe de progrès et de développement. En raison de l’évolution de la technique, de la tactique et de la stratégie, tant chez l’adversaire que chez nous, les conditions propres à une guerre varient d’un stade à l’autre. Si un officier capable d’exercer un commandement à un stade élémentaire de la guerre se montre également de taille à commander à un stade supérieur, c’est le signe chez lui d’un progrès et d’un développement encore plus marqués. Rester seulement capable de commander une certaine unité dans un certain endroit et à un certain stade de développement d’une guerre signifie ne faire aucun progrès, ne marquer aucun développement. Il y a des gens qui, satisfaits de leur capacité dans un domaine et se contentant de leur vue bornée, ne font plus de progrès ; ils peuvent jouer un certain rôle dans la révolution, en un lieu et à un moment donné, mais ils ne peuvent jouer un grand rôle. Nous avons besoin de chefs capables de jouer de grands rôles dans la conduite de la guerre. Toutes les lois de la conduite d’une guerre évoluent suivant le cours de l’histoire et de la guerre elle-même. Rien n’est immuable dans le monde.

SECTION 2. LE BUT DE LA GUERRE EST DE SUPPRIMER LA GUERRE

La guerre, ce monstre qui fait s’entre-tuer les hommes, finira par être éliminée par le développement de la société humaine, et le sera même dans un avenir qui n’est pas lointain. Mais pour supprimer la guerre, il n’y a qu’un seul moyen : opposer la guerre à la guerre, opposer la guerre révolutionnaire à la guerre contre-révolutionnaire, opposer la guerre nationale révolutionnaire à la guerre nationale contre-révolutionnaire, opposer la guerre révolutionnaire de classe à la guerre contre-révolutionnaire de classe. L’histoire n’a connu que deux sortes de guerres : les guerres justes et les guerres injustes. Nous sommes pour les guerres justes et contre les guerres injustes. Toutes les guerres contre-révolutionnaires sont injustes, toutes les guerres révolutionnaires sont justes. C’est nous-mêmes qui, de nos propres mains, mettrons fin à l’époque des guerres dans l’histoire de l’humanité, et sans aucun doute la guerre que nous faisons est une partie de la dernière des guerres. Mais sans aucun doute aussi la guerre à laquelle nous ferons face sera une partie de la plus grande et de la plus cruelle de toutes les guerres. La plus grande et la plus cruelle des injustes guerres contre-révolutionnaires nous menace, et la plus grande partie de l’humanité connaîtra les pires souffrances si nous ne brandissons pas l’étendard de la guerre juste. L’étendard de la guerre juste de l’humanité, c’est l’étendard du salut de l’humanité ; l’étendard de la guerre juste en Chine, c’est l’étendard du salut de la Chine. Une guerre menée par l’immense majorité de l’humanité et l’immense majorité du peuple chinois est incontestablement une guerre juste, c’est l’entreprise la plus noble et la plus glorieuse, l’entreprise qui sauvera l’humanité et la Chine, un pont qui mène à une ère nouvelle dans l’histoire du monde. Lorsque la société humaine en arrivera à la suppression des classes, à la suppression de l’État, il n’y aura plus de guerres — ni contre-révolutionnaires, ni révolutionnaires, ni injustes, ni justes. Ce sera l’ère de la paix perpétuelle pour l’humanité. En étudiant les lois de la guerre révolutionnaire, nous partons de l’aspiration à supprimer toutes les guerres ; c’est en cela que réside la différence entre nous, les communistes, et les représentants de toutes les classes exploiteuses.

SECTION 3. LA STRATÉGIE ÉTUDIE LES LOIS DE LA SITUATION D’ENSEMBLE DE LA GUERRE

Partout où il y a une guerre, il y a une situation militaire d’ensemble. Peuvent constituer une situation militaire d’ensemble soit le monde entier, soit un pays entier, soit encore une région indépendante de partisans ou un large front opérationnel indépendant. Chaque fois que nous avons à tenir compte de tous les aspects et de toutes les phases d’une situation militaire, nous sommes en présence d’une situation militaire d’ensemble.

L’étude des lois de la conduite des opérations pouvant influer sur l’ensemble d’une situation militaire relève des tâches de la stratégie. L’étude des lois de la conduite des opérations n’influant que sur une situation militaire partielle relève des tâches de la science des campagnes militaires2et de la tactique.

Pourquoi est-il nécessaire que le commandant d’une campagne ou d’opérations tactiques connaisse, dans une certaine mesure, les lois de la stratégie ? C’est parce que la compréhension de l’ensemble permet de mieux agir dans la partie, parce que la partie est soumise à l’ensemble. La conception selon laquelle une victoire stratégique est déterminée par des succès tactiques est erronée, car elle méconnaît le fait que l’issue de la guerre dépend d’abord et avant tout de la façon dont on tient compte de la situation d’ensemble et de toutes les phases de cette guerre. Si dans ce domaine, on commet de graves erreurs ou des fautes, la guerre sera inéluctablement perdue. Lorsqu’on dit : “Un coup imprudent peut faire perdre toute la partie”, il s’agit d’un coup qui, par son caractère, se rapporte au tout, qui est d’une importance décisive pour ce tout, et non d’un coup qui n’a qu’un caractère partiel, sans importance décisive pour l’ensemble. Ce qui est vrai des échecs l’est également de la guerre.

Cependant, le tout ne peut exister indépendamment, isolément de ses parties ; il se compose de toutes ses parties. La destruction ou la défaite d’une partie peut parfois être sans conséquence sérieuse pour l’ensemble, parce que cette partie n’avait pas une importance décisive. Et s’il arrive que des défaites ou des insuccès dans les opérations tactiques ou les campagnes n’entraînent aucune détérioration pour l’ensemble de la situation militaire, c’est que ces défaites n’étaient pas d’importance décisive. Toutefois, l’échec de la plupart des campagnes qui constituent la situation militaire dans son ensemble ou l’échec d’une ou deux campagnes décisives change immédiatement toute la situation de la guerre. Ici, “la plupart des campagnes” et “une ou deux campagnes” étaient d’importance décisive. Il est arrivé dans l’histoire des guerres qu’après toute une série de victoires, une seule défaite ait réduit à néant les succès antérieurs ; il est également arrivé qu’après toute une série de défaites, une seule victoire ait modifié du tout au tout la situation. Cela signifie que cette “série de victoires” ou cette “série de défaites” n’avaient qu’un caractère partiel et ne jouaient aucun rôle décisif en ce qui concerne l’ensemble, alors que cette “seule défaite” ou cette “seule victoire” était un facteur décisif. Tout cela témoigne de l’importance qu’il y a à tenir compte de l’ensemble de la situation. Pour celui qui assume le commandement de l’ensemble des opérations militaires, le plus important est de concentrer son attention sur l’ensemble de la situation. L’essentiel pour lui est d’envisager selon la situation tous les problèmes concernant la disposition de ses unités et formations militaires, la connexion entre les différentes campagnes, la connexion entre les différentes phases des opérations, la connexion entre l’ensemble de l’activité de son propre camp et l’ensemble de l’activité de l’adversaire— tout cela exige de sa part les plus grands efforts ; s’il néglige ces problèmes et se perd dans des considérations secondaires, il lui sera difficile d’éviter des revers.

Cette relation entre le tout et la partie ne vaut pas seulement pour le rapport entre la stratégie et la science des campagnes, mais également pour le rapport entre celle-ci et la tactique. La relation entre les opérations d’une division et celles de ses régiments et bataillons, ou entre les opérations d’une compagnie et celles de ses sections et escouades en fournit des exemples pratiques. Tout officier commandant, à quelque échelon que ce soit, doit porter principalement son attention sur le problème ou sur l’action qui joue le rôle le plus important, le plus décisif, dans l’ensemble de la situation qu’il assume, et non sur d’autres problèmes ou actions.

Pour déterminer ce qui est important, ce qui est décisif, il ne faut pas partir de la situation générale ou d’une situation abstraite, mais d’une situation concrète. Au cours des opérations militaires, il faut choisir la direction et le point d’un assaut en partant de la situation de l’ennemi, de la nature du terrain et de l’état de nos propres forces à ce moment-là. Dans les régions où le ravitaillement est abondant, il faut veiller à ce que les hommes ne mangent pas trop ; mais dans les régions où le ravitaillement est insuffisant, il faut veiller à ce qu’ils ne souffrent pas de la faim. Dans les régions blanches, la moindre fuite de renseignements peut entraîner la défaite dans les engagements ultérieurs, alors que dans les régions rouges, ce n’est pas, le plus souvent, le problème le plus grave. Dans certaines campagnes, la participation personnelle des commandants supérieurs est nécessaire, dans d’autres, non. Pour une école militaire, les problèmes les plus importants sont le choix du directeur et des professeurs et l’établissement des principes d’enseignement. Pour un meeting de masse, il importe surtout de faire venir une assistance nombreuse et de formuler des mots d’ordre justes. On peut citer bien d’autres exemples encore. Bref, le principe général, c’est qu’il faut concentrer son attention sur les facteurs importants dont dépend l’ensemble.

On ne peut étudier les lois de la conduite d’une guerre dans son ensemble sans y réfléchir profondément. Car ce qui se rapporte à l’ensemble d’une situation n’apparaît pas à première vue et ne peut être compris que par la réflexion la plus sérieuse ; on n’y arrive pas autrement. Mais le tout est formé de parties et celui qui a l’expérience des parties, l’expérience des campagnes et de la tactique, est capable de comprendre des questions d’un ordre plus élevé s’il veut bien y réfléchir sérieusement. On ne peut saisir à première vue aucun des problèmes stratégiques tels que ceux-ci :

Tenir compte du rapport entre l’ennemi et nous ;
Tenir compte de la relation entre les diverses campagnes ou entre les diverses phases opérationnelles ;
Tenir compte de certains éléments qui sont importants (qui ont une valeur décisive) pour l’ensemble ;
Tenir compte des particularités de la situation d’ensemble ;
Tenir compte de la relation entre le front et l’arrière ;
Tenir compte de la distinction aussi bien que du lien entre les pertes ou l’usure et leur réparation, entre le combat et le repos, la concentration et la dispersion des forces, l’attaque et la défense, l’avance et le repli, les positions couvertes et les positions exposées, l’attaque principale et l’attaque de soutien, l’assaut et la fixation, la centralisation et la décentralisation du commandement, la guerre prolongée et la guerre de décision rapide, la guerre de position et la guerre de mouvement, nos propres forces et les forces amies, telle arme et telle autre, les supérieurs et les inférieurs, les cadres et les hommes de troupe, les vétérans et les nouvelles recrues, les cadres supérieurs et les cadres inférieurs, les cadres anciens et les cadres nouveaux, les régions rouges et les régions blanches, les anciennes régions rouges et les nouvelles régions rouges, les régions centrales et les régions périphériques, les temps chauds et les temps froids, la victoire et la défaite, les grandes unités et les petites unités, l’armée régulière et les forces de partisans, l’anéantissement de l’ennemi et la conquête des masses, l’élargissement des rangs de l’Armée rouge et sa consolidation, le travail militaire et le travail politique, les tâches anciennes et les tâches présentes, les tâches présentes et les tâches de l’avenir, les tâches dans telles conditions et les tâches dans telles autres, le front fixe et le front mobile, la guerre civile et la guerre nationale, telle étape historique et telle autre, etc.

Néanmoins, si l’on réfléchit avec soin, on peut comprendre, saisir, maîtriser tout cela, c’est-à-dire savoir résoudre tous les problèmes importants de la guerre ou des opérations militaires sur le plan supérieur des principes. Notre tâche, dans l’étude des problèmes stratégiques, est d’atteindre cet objectif.

SECTION 4. L’IMPORTANT EST DE SAVOIR APPRENDRE

Pourquoi l’Armée rouge a-t-elle été créée ? Afin d’être utilisée pour vaincre l’ennemi. Pourquoi faut-il étudier les lois de la guerre ? Pour les utiliser au cours de la guerre.

Il n’est pas facile d’apprendre et il est encore plus difficile d’utiliser dans la pratique ce qu’on a appris. Quand ils traitent de science militaire dans un amphithéâtre ou dans des livres, beaucoup de gens donnent l’impression d’être compétents, mais une guerre vient-elle à éclater, voilà que les uns remportent des victoires et que les autres essuient des défaites. L’histoire des guerres et notre propre expérience de la guerre confirment cela.

Où se trouve alors la clé du problème ?

Dans la pratique, nous ne pouvons exiger que les capitaines soient toujours victorieux ; de tels capitaines, l’histoire n’en connaît que fort peu. Nous avons besoin de chefs militaires intrépides, clairvoyants, qui se soient montrés en général victorieux au cours d’une guerre, de chefs doués de sagacité et de courage. Afin de devenir un tel chef militaire, il faut s’assimiler une méthode. Cette méthode est indispensable dans l’étude comme dans l’activité pratique.

Qu’est-ce que cette méthode ? Elle consiste à connaître à fond et sous tous leurs aspects aussi bien la situation de l’adversaire que la nôtre, à découvrir les lois régissant les actions des deux parties et à les appliquer à nos propres actions.

Dans les manuels militaires de nombreux pays, on trouve des recommandations sur la nécessité d’“appliquer les principes avec souplesse suivant la situation”, ainsi que des indications sur les mesures à prendre en cas de défaite. Les premières mettent en garde l’officier commandant contre les fautes de caractère subjectif qui peuvent naître d’une obéissance aveugle aux principes. Les secondes disent comment un officier commandant doit agir lorsqu’il a commis une faute subjective ou lorsque des changements imprévus et inéluctables sont intervenus dans la situation objective.

Pourquoi des erreurs subjectives se produisent-elles ? Parce que la façon dont les forces ont été disposées et dirigées dans une guerre ou un combat n’a pas correspondu aux conditions du moment et du lieu ; parce qu’il n’y a pas eu harmonie, accord, entre la direction subjective et les conditions telles qu’elles existaient dans la réalité objective ou, en d’autres termes, parce que la contradiction entre le subjectif et l’objectif n’a pas été résolue. Dans quelque activité que ce soit, il est difficile d’éviter de telles situations, mais il y a des gens qui font preuve de plus de compétence que d’autres. Quelle que soit la tâche, il faut que ceux qui l’accomplissent soient relativement plus compétents que d’autres ; dans le domaine militaire, il faut avoir remporté relativement plus de victoires ou subi moins de défaites. L’essentiel, ici, c’est de faire correspondre comme il convient le subjectif et l’objectif.

Nous prendrons un exemple dans le domaine de la tactique. Supposons que nous ayons choisi un point d’attaque sur l’un des flancs de l’adversaire, que le point faible de l’adversaire se soit justement trouvé là et qu’en conséquence, notre assaut ait réussi. Voilà précisément un cas où le subjectif correspondait à l’objectif, c’est-à-dire où les informations dont disposait le commandant, son jugement et sa décision correspondaient à la situation réelle de l’adversaire et à son dispositif de combat. Si, par contre, on a choisi de porter l’attaque sur l’autre flanc ou au centre, et qu’en conséquence on soit tombé sur un bec et qu’on n’ait pu avancer, c’est qu’il n’y avait pas correspondance entre le subjectif et l’objectif. Si le moment de l’attaque a été heureusement choisi, si les réserves ont été amenées en temps utile, et que toutes les dispositions prises au cours du combat et toutes les actions engagées aient été favorables à nous et non à l’ennemi, c’est qu’au cours de tout le combat la direction subjective correspondait entièrement à la situation objective. De tels exemples de pleine correspondance, au cours d’une guerre ou d’un combat, sont des plus rares, parce que les belligérants y sont des collectivités d’êtres vivants armés dont chacune opère en dissimulant ses secrets à l’autre. Ce n’est pas du tout comme lorsqu’on a affaire à des objets inanimés ou à des actes de la vie quotidienne. Mais si la directive donnée par le commandant correspond dans les grandes lignes à la situation réelle, c’est-à-dire si les éléments qui y sont d’une importance décisive correspondent à la situation réelle, alors les conditions de la victoire sont réalisées.

La juste disposition des troupes découle de la juste décision du commandant ; cette juste décision découle de la juste appréciation de la situation, appréciation fondée elle-même sur une reconnaissance minutieuse et indispensable, dont les renseignements ont été passés au crible d’une réflexion systématique. Le commandant utilise tous les moyens d’information possibles et nécessaires ; il pèse les informations recueillies, rejetant la balle pour conserver le grain, écartant ce qui est fallacieux pour ne garder que le vrai, procédant d’une chose à une autre, de l’externe à l’interne ; puis, tenant compte de ses propres conditions, il fait une étude comparée de la situation des deux parties et de leurs relations mutuelles ; alors il forme son jugement, prend sa décision et établit ses plans. Tel est le processus complet de la connaissance d’une situation par lequel un chef militaire doit passer avant d’élaborer son plan stratégique, son plan de campagne ou de combat. Mais un chef peu consciencieux ne procède pas ainsi. Il échafaude ses plans en se basant sur ce qu’il souhaite ; aussi de tels plans s’avèrent-ils illusoires ; ils ne correspondent pas à la réalité. Un chef impulsif qui s’en remet à son seul enthousiasme tombe inévitablement dans les pièges tendus par l’adversaire ; il se laisse abuser par les renseignements superficiels et fragmentaires qu’il recueille sur ce dernier, il se laisse entraîner par les suggestions irresponsables, à courte vue et non fondées de ses subordonnés ; il se casse alors inévitablement le cou, justement parce qu’il ne sait pas ou ne veut pas savoir que tout plan militaire doit être fondé sur d’indispensables renseignements et sur l’étude minutieuse de sa propre situation et de celle de l’adversaire ainsi que de leurs relations mutuelles.

Ce processus de connaissance de la situation n’intervient pas seulement avant l’élaboration du plan militaire, mais également après. Au cours de l’exécution du plan, depuis le moment de sa mise en œuvre jusqu’à la fin des opérations, se déroule un nouveau processus de connaissance de la situation : le processus de l’application du plan à la réalité. Il est alors nécessaire de vérifier de nouveau si le plan élaboré au cours du processus précédent correspond à la situation réelle. S’il ne correspond pas ou ne correspond qu’incomplètement à la réalité, il faut, sur la base des nouvelles données, porter un nouveau jugement sur la situation, prendre une nouvelle décision et remanier le plan initial afin qu’il corresponde à la nouvelle situation. Une modification partielle du plan intervient presque dans chaque opération militaire ; il peut même arriver que le plan se trouve complètement modifié. Un impulsif, qui ne sait pas ou ne veut pas changer son plan, mais agit à l’aveuglette, se brisera inévitablement la tête contre un mur.

Ce dont nous venons de parler s’applique à une opération stratégique, à une campagne ou à un combat. A condition d’être modeste et toujours prêt à apprendre, un chef expérimenté sera à même de connaître parfaitement ses propres forces (les commandants, les combattants, l’armement, le ravitaillement, etc., ainsi que la résultante de tous ces facteurs), celles de l’ennemi (là encore les commandants, les combattants, l’armement, le ravitaillement, etc., ainsi que la résultante de tous ces facteurs), et toutes les autres conditions en relation avec la guerre: conditions politiques, économiques, géographiques, climatiques, etc. ; un tel chef sera plus sûr de lui quand il dirigera une guerre ou des opérations, et il aura accru ses chances de succès. Il aura acquis ces avantages parce qu’à la longue, il aura fini par connaître la situation dans son propre camp et dans celui de l’adversaire, par dégager les lois de l’action et par résoudre les contradictions entre le subjectif et l’objectif. Ce processus de connaissance est extrêmement important ; sans cette expérience acquise à la longue, il est difficile de comprendre les lois qui gouvernent une guerre dans son ensemble et de les posséder. On ne peut devenir réellement un bon commandant supérieur tant qu’on reste un novice ou qu’on ne connaît la guerre que sur le papier ; aussi est-il nécessaire d’apprendre dans le cours même de la guerre.

Toutes les lois de la guerre ou théories militaires revêtant un caractère de principe sont le bilan de l’expérience des guerres fait par nos prédécesseurs ou nos contemporains. Il faut étudier soigneusement ces leçons, payées au prix du sang, que nous ont léguées les guerres passées. Ceci, c’est une de nos tâches. Mais ce n’est pas tout, il en est une autre : vérifier ces conclusions à l’aide de notre propre expérience, assimiler ce qu’elles offrent d’utile, rejeter ce qu’on y trouve d’inutile et ajouter ce qui n’est propre qu’à nous-mêmes. Cette seconde tâche est d’une grosse importance ; si nous n’agissons pas de la sorte, nous ne pourrons diriger une guerre.

Étudier dans les livres, c’est une façon d’apprendre ; appliquer ce qu’on a appris, c’en est une autre, plus importante encore. Notre méthode principale, c’est d’apprendre à faire la guerre en la faisant. Ceux qui n’ont pas la possibilité d’entrer dans une école peuvent également apprendre à faire la guerre, et cela en combattant. La guerre révolutionnaire est l’affaire du peuple ; dans cette guerre, le plus souvent, on ne se bat pas seulement après avoir appris à combattre, on commence par combattre et ensuite on apprend ; car combattre, c’est apprendre. Entre le civil et le militaire, il existe une certaine distance, mais il n’y a pas entre eux de Grande Muraille, et cette distance peut être rapidement franchie. Faire la révolution, faire la guerre, voilà le moyen qui permet de la franchir. Lorsque nous disons qu’il n’est pas facile d’apprendre et d’appliquer ce qu’on a appris, nous entendons par là qu’il n’est pas facile d’étudier quelque chose à fond et de l’appliquer avec une science consommée. Lorsque nous disons que le civil peut rapidement se transformer en militaire, nous voulons dire qu’il n’est pas du tout difficile de s’initier à l’art militaire. Pour concilier ces deux affirmations, il convient de se rappeler le vieux proverbe chinois : “Il n’est rien de difficile au monde à qui veut s’appliquer à bien faire”. S’initier à l’art militaire n’est pas difficile et se perfectionner est aussi possible pour peu qu’on s’applique et qu’on sache apprendre.

Les lois de la guerre, comme les lois de tous les autres phénomènes, sont le reflet dans notre esprit de la réalité objective. Tout ce qui est en dehors de notre esprit est réalité objective. En conséquence, notre intention d’apprendre et de connaître porte à la fois sur l’ennemi et sur nous ; ce sont ces deux aspects qui doivent être considérés comme l’objet de notre étude, et le sujet qui étudie, c’est uniquement notre esprit (notre faculté de penser). Il est des gens capables de bien se connaître eux-mêmes, mais non de connaître l’adversaire ; d’autres, de bien connaître l’adversaire, mais non de se connaître eux-mêmes. Ni les uns ni les autres ne sont en état de venir à bout de l’étude et de l’application pratique des lois de la guerre. Le précepte contenu dans l’ouvrage du grand théoricien militaire de la Chine antique, Souentse : “Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles”3 se rapporte aux deux étapes : celle de l’étude et celle de l’application pratique des connaissances ; il concerne tant la connaissance des lois du développement de la réalité objective que la détermination, sur la base de ces lois, de notre propre action en vue de vaincre notre adversaire. Nous ne devons pas sous-estimer la valeur de ce précepte.

La guerre est la forme suprême de la lutte entre nations, entre États, entre classes ou entre blocs politiques ; les nations, les États, les classes ou les blocs politiques engagés dans une guerre utilisent toutes les lois de la guerre afin de remporter la victoire. Il est certain que l’issue de la guerre est principalement déterminée par les conditions militaires, politiques, économiques et naturelles dans lesquelles se trouvent les deux parties en conflit. Néanmoins, ce n’est pas tout ; l’issue de la guerre est également déterminée par la capacité subjective des deux parties dans la conduite de la guerre. Un chef militaire ne peut s’attendre à remporter la victoire au-delà des limites imposées par les conditions matérielles, mais il peut et il doit lutter pour la victoire dans les limites mêmes de ces conditions. La scène où se déroulent ses activités est bâtie sur les conditions matérielles objectives, mais il peut, sur cette scène, conduire des actions magnifiques, d’une grandeur épique. C’est pourquoi, sur une base matérielle objective donnée, c’est-à-dire dans des conditions militaires, politiques, économiques et naturelles données, les chefs de notre Armée rouge doivent montrer de quoi ils sont capables et mettre en œuvre toutes les forces dont ils disposent pour écraser les ennemis de la nation et nos ennemis de classe, et transformer ce monde de corruption. C’est ici que peut et doit s’exercer notre capacité subjective de diriger la guerre. Nous ne permettrons à aucun officier commandant de l’Armée rouge de devenir une tête brûlée frappant à tort et à travers ; nous devons encourager chaque officier commandant de l’Armée rouge à devenir un héros, brave et clairvoyant, ayant non seulement le courage de surmonter tous les obstacles, mais encore la capacité de dominer tout le cours de la guerre, dans toutes ses vicissitudes et tous ses développements. Le chef militaire, nageant dans l’immense océan de la guerre, doit non seulement se garder de se noyer, mais encore savoir atteindre sûrement le rivage opposé à brasses mesurées. Les lois régissant la conduite d’une guerre constituent l’art de savoir nager dans l’océan de la guerre.

Voilà en quoi consiste notre méthode.

CHAPITRE II

LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS ET LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE EN CHINE

Commencée en 1924, la guerre révolutionnaire en Chine est déjà passée par deux étapes : 1924-1927 et 1927-1936 ; maintenant s’ouvre une nouvelle étape, celle de la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon. Au cours de ces trois étapes, la guerre révolutionnaire s’est déroulée et se déroule sous la direction du prolétariat chinois et de son parti, le Parti communiste chinois. Nos ennemis principaux, dans la guerre révolutionnaire en Chine, ce sont l’impérialisme et les forces féodales. La bourgeoisie chinoise peut, à des moments historiques déterminés, participer à la guerre révolutionnaire ; toutefois, en raison de son égoïsme et de son manque d’indépendance politique et économique, elle ne veut ni ne peut conduire la guerre révolutionnaire en Chine jusqu’à la victoire complète. En Chine, les masses de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine veulent participer activement à la guerre révolutionnaire et l’amener à la victoire complète. Elles constituent les forces principales de la guerre révolutionnaire ; toutefois, du fait qu’elles sont de petits producteurs, elles ont une vue politique bornée (et parmi les sans-travail, certains nourrissent des idées anarchistes), elles ne peuvent donc diriger correctement la guerre. Par conséquent, à une époque où le prolétariat a déjà fait son entrée dans l’arène politique, la responsabilité de la direction de la guerre révolutionnaire en Chine ne peut pas ne pas reposer sur les épaules du Parti communiste chinois. Dans une telle époque, toute guerre révolutionnaire qui n’est pas dirigée par le prolétariat et le Parti communiste, ou qui échappe à leur direction, est vouée à la défaite. Voici pourquoi: De toutes les couches sociales de la Chine semi-coloniale, de tous ses groupes politiques, seuls le prolétariat et le Parti communiste ignorent l’étroitesse d’esprit et l’égoïsme, ce sont eux qui ont les vues politiques les plus larges et le degré d’organisation le plus élevé, et sont en outre capables d’accepter avec le maximum de sincérité les enseignements de l’expérience acquise par le prolétariat d’avant-garde du monde entier et ses partis politiques et de s’en servir pour leur cause. Pour toutes ces raisons, seuls le prolétariat et le Parti communiste sont capables de guider la paysannerie, la petite bourgeoisie urbaine et la bourgeoisie, de surmonter l’étroitesse d’esprit de la paysannerie et de la petite bourgeoisie, le penchant à la destruction chez les gens privés de travail, de même que les oscillations et l’inconséquence de la bourgeoisie (à condition, bien entendu, que le Parti communiste ne commette pas d’erreurs dans sa politique) et de conduire sur la voie de la victoire la révolution et la guerre.

La guerre révolutionnaire de 1924-1927 s’est déroulée, on peut le dire, dans des conditions où le prolétariat international et le prolétariat chinois exerçaient avec leurs partis une influence politique sur la bourgeoisie nationale chinoise et son parti et établissaient avec ces derniers une coopération politique. Mais à un moment critique de la révolution et de la guerre, au premier chef en raison de la trahison de la grande bourgeoisie, et aussi du fait que les opportunistes, dans les rangs révolutionnaires, ont d’eux-mêmes renoncé à la direction de la révolution, cette guerre révolutionnaire s’est soldée par une défaite.

La Guerre révolutionnaire agraire, qui a commencé en 1927 et qui se poursuit encore actuellement, se déroule dans de nouvelles conditions. L’ennemi, dans cette guerre, n’est pas seulement l’impérialisme, mais aussi le bloc formé par la grande bourgeoisie et les grands propriétaires fonciers. La bourgeoisie nationale s’est mise à la remorque de la grande bourgeoisie. C’est le Parti communiste seul qui dirige cette guerre, où il a déjà assuré son hégémonie absolue. Cette hégémonie sans partage du Parti communiste constitue la condition essentielle de la poursuite ferme et conséquente de la guerre révolutionnaire. Si le Parti communiste n’exerçait pas cette hégémonie, il serait inconcevable que la guerre révolutionnaire puisse avoir ce caractère opiniâtre.

Le Parti communiste chinois s’est mis avec fermeté et courage à la tête de la guerre révolutionnaire en Chine. Pendant quinze longues années4, il a montré au peuple tout entier qu’il était son ami et, combattant toujours au premier rang dans la guerre révolutionnaire, défendait ses intérêts et luttait pour sa liberté et son émancipation.

Dans la lutte difficile, payée du sang et de la vie de centaines de milliers de ses membres et de dizaines de milliers de ses cadres, tous animés du même courage, le Parti communiste chinois a joué un grand rôle en tant qu’éducateur des centaines de millions d’hommes qui composent la nation. Les grands succès historiques qu’il a remportés au cours de la lutte révolutionnaire ont abouti au résultat suivant : aujourd’hui, au moment critique où l’ennemi de notre nation a envahi notre pays, la Chine voit son salut assuré contre le danger d’asservissement ; la garantie de ce salut, c’est l’existence d’un guide politique jouissant de la confiance de l’immense majorité du peuple qui l’a choisi pour l’avoir éprouvé pendant une longue période. Aujourd’hui, le peuple prête l’oreille au Parti communiste plus qu’à tout autre parti politique. Sans cette lutte difficile menée par le Parti communiste chinois au cours des quinze dernières années, il serait impossible de sauver la nation du nouveau danger d’asservissement qui la menace.

Au cours de la guerre révolutionnaire, le Parti communiste chinois, outre les deux erreurs de l’opportunisme de droite de Tchen Tou-sieou5 et de l’opportunisme “de gauche” de Li Li-san6, en a encore commis deux autres. La première de celles-ci, l’opportunisme “de gauche” des années 1931-19347, a fait subir des pertes extrêmement lourdes à la Guerre révolutionnaire agraire : non seulement nous ne réussîmes pas à vaincre l’ennemi lors de sa cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, mais encore nous souffrîmes de la perte de nos bases d’appui et de l’affaiblissement de l’Armée rouge. Cet opportunisme “de gauche” fut corrigé à la réunion de Tsouenyi, réunion élargie du Bureau politique du Comité central tenue en janvier 1935. La seconde fut l’opportunisme de droite de Tchang Kouo-tao8 en 1935-1936. Elle prit une telle ampleur qu’elle sapa la discipline du Parti et de l’Armée rouge, ce qui entraîna de lourdes pertes pour une partie des forces principales de l’Armée rouge. Néanmoins, grâce à la juste direction du Comité central, à la conscience politique des membres du Parti, des commandants et des combattants de l’Armée rouge, cette faute fut en fin de compte également corrigée. Toutes ces erreurs ont, bien entendu, nui à notre Parti, à notre révolution et à la guerre ; néanmoins, nous avons pu finalement les éliminer : ce faisant, notre Parti et notre Armée rouge se sont trempés encore mieux et sont devenus plus forts.

Le Parti communiste chinois a dirigé et dirige toujours la grandiose guerre révolutionnaire, guerre glorieuse et victorieuse, qui non seulement représente l’étendard de la libération de la Chine, mais revêt de surcroît une importance révolutionnaire internationale. Les regards des peuples révolutionnaires du monde entier sont fixés sur nous. Dans la nouvelle étape de la guerre révolutionnaire nationale contre le Japon, nous conduirons la révolution chinoise à son achèvement et nous exercerons une influence profonde sur le mouvement révolutionnaire en Orient et dans le monde entier. Notre guerre révolutionnaire a montré que nous avons besoin non seulement d’une juste ligne politique marxiste, mais également d’une juste ligne militaire marxiste. En quinze années, la révolution et la guerre ont déjà forgé chez nous cette ligne politique et militaire. Nous croyons que désormais, avec la nouvelle phase de la guerre qui commence, cette ligne connaîtra un nouveau développement, complétera son contenu, s’enrichira dans les circonstances nouvelles et nous conduira à notre objectif : la victoire sur l’ennemi de notre nation. L’histoire nous enseigne qu’une ligne politique et militaire juste ne naît ni ne se développe d’elle-même, paisiblement ; elle naît et se développe dans le combat contre l’opportunisme “de gauche” d’une part, et contre l’opportunisme de droite d’autre part. Si l’on ne lutte pas contre ces déviations nuisibles qui sapent la révolution et la guerre révolutionnaire, si l’on n’en vient pas complètement à bout, il est impossible d’élaborer une ligne correcte, il est impossible de vaincre dans la guerre révolutionnaire. C’est justement pour cette raison que j’évoquerai souvent dans cette brochure ces conceptions erronées.

CHAPITRE III

LES PARTICULARITÉS DE LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE EN CHINE

SECTION 1. IMPORTANCE DE LA QUESTION

Les gens qui ne reconnaissent pas, ne savent pas ou ne tiennent pas à savoir que la guerre révolutionnaire en Chine a ses particularités considèrent que les opérations de l’Armée rouge contre les troupes du Kuomintang sont de même nature que celles d’une guerre ordinaire ou de la guerre civile en Union soviétique. L’expérience de cette guerre civile, qui fut dirigée par Lénine et Staline, est d’une portée mondiale. Cette expérience et la synthèse théorique qu’en ont faite Lénine et Staline servent de boussole à tous les partis communistes, y compris le Parti communiste chinois. Néanmoins, cela ne signifie pas que nous devions, dans nos conditions propres, appliquer cette expérience mécaniquement. La guerre révolutionnaire chinoise, à bien des égards, a ses traits particuliers qui la distinguent de la guerre civile en Union soviétique. Ne pas tenir compte de ces particularités ou bien en nier l’existence, ce serait, bien entendu, une erreur. Ce point a été parfaitement démontré au cours des dix années de notre guerre.

Notre adversaire a également commis des fautes semblables. Il n’a pas voulu reconnaître que, dans la guerre contre l’Armée rouge, il était nécessaire d’avoir recours à une autre stratégie, à une autre tactique que celles employées pour combattre toute autre armée. Se fondant sur sa supériorité dans les divers domaines, il nous a sous-estimés et il s’est accroché avec obstination à ses vieilles méthodes de conduite de la guerre. Telle était la situation avant et pendant la quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” en 1933. Le résultat fut que notre ennemi subit toute une série de défaites. Le premier, dans l’armée du Kuomintang, qui avança un nouveau point de vue sur ce sujet, fut le général réactionnaire Lieou Wei-yuan ; il fut suivi par Tai Yué. Finalement, Tchiang Kaï-chek adopta leur point de vue. C’est ainsi que naquit le Corps d’Instruction des Officiers créé à Louchan9 par Tchiang Kaï-chek et que furent élaborés les nouveaux principes militaires10 réactionnaires appliqués au cours de la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”.

Au moment où l’adversaire modifiait ainsi ses principes militaires pour les adapter aux conditions des opérations menées contre l’Armée rouge, il ne s’en est pas moins trouvé dans nos rangs des gens qui voulaient retourner au “bon vieux système”. Ils insistaient pour qu’on revînt à des méthodes adaptées à des conditions générales, se refusaient à comprendre les particularités de la situation, quelles qu’elles fussent, repoussaient l’expérience acquise au cours des batailles sanglantes de l’Armée rouge, sous-estimaient les forces de l’impérialisme et du Kuomintang, sous-estimaient les forces de l’armée du Kuomintang et ignoraient délibérément les nouveaux principes réactionnaires de l’adversaire. Il en résulta que toutes les bases révolutionnaires furent perdues, à l’exception de la région frontière du Chensi-Kansou, que les effectifs de l’Armée rouge tombèrent de 300.000 à quelques dizaines de mille, que le nombre des membres du Parti communiste tomba de 300.000 à quelques dizaines de mille ; quant aux organisations du Parti dans les régions contrôlées par le Kuomintang, elles furent presque complètement anéanties. Bref, nous subîmes un terrible châtiment historique. Ces gens se disaient des marxistes-léninistes, mais en réalité, ils n’avaient rien appris du marxisme-léninisme. Lénine a dit que “la substance même, l’âme vivante du marxisme” réside dans “l’analyse concrète d’une situation concrète”11. Et c’est justement cela qu’avaient oublié nos camarades. D’où il s’ensuit que si l’on ne comprend pas les particularités de la guerre révolutionnaire en Chine, il est impossible de diriger cette guerre, de la conduire à la victoire.

SECTION 2. QUELLES SONT LES PARTICULARITÉS DE LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE EN CHINE ?

Quelles sont donc les particularités de la guerre révolutionnaire en Chine ?

Je crois qu’il y en a quatre principales.

La première, c’est que la Chine constitue un immense pays semi-colonial qui se développe inégalement sur les plans politique et économique, et qui a connu la révolution de 1924-1927.

Cette particularité indique qu’en Chine la guerre révolutionnaire peut se développer et triompher. Nous avons déjà signalé cette possibilité (à la Première Conférence de l’Organisation du Parti de la Région frontière du Hounan-Kiangsi)12 quand, au cours de l’hiver 1927 et du printemps 1928, peu de temps après le début de la guerre de partisans en Chine, certains camarades des monts Tsingkang, dans la région frontière du Hounan et du Kiangsi, ont posé la question suivante : “Réussirons-nous à maintenir encore longtemps notre drapeau rouge ?” Car c’était là une question fondamentale. Si nous n’avions pas répondu à la question de savoir si les bases révolutionnaires chinoises et l’Armée rouge chinoise pouvaient exister et se développer, nous n’aurions pas pu avancer d’un seul pas. Le VIe Congrès du Parti communiste chinois, en 1928, y répondit une nouvelle fois. Dès lors, le mouvement révolutionnaire chinois avait reçu une base théorique juste.

Examinons plus en détail cette question.

La Chine se développe inégalement sur les plans politique et économique — On y voit coexister une économie capitaliste faiblement développée et une économie semi-féodale prépondérante; un petit nombre de centres industriels et commerciaux modernes et une vaste campagne figée dans son développement; des millions d’ouvriers de l’industrie et des centaines de millions de paysans et d’artisans, vivant sous le joug d’un ordre archaïque; les grands seigneurs de guerre tenant en main le gouvernement central, et les petits seigneurs de guerre les différentes provinces; deux catégories de troupes réactionnaires : l’“Armée centrale”13 soumise à Tchiang Kaï-chek et les “troupes disparates” soumises aux seigneurs de guerre des diverses provinces; un petit nombre de voies ferrées, de voies fluviales et de routes carrossables, et une multitude de pistes à brouettes et de sentiers où l’on ne peut circuler qu’à pied, voire de sentiers où il est même difficile de circuler à pied.

La Chine est un pays semi-colonial — la division entre les puissances impérialistes entraîne la division entre les diverses cliques dirigeantes en Chine. Un pays semi-colonial dominé par plusieurs États est différent d’une colonie dominée par un seul.

La Chine est un vaste pays — “Quand la nuit tombe à l’Est, il fait encore jour à l’Ouest ; quand l’ombre gagne le Midi, le Nord reste clair.” On n’a donc pas lieu de craindre qu’il n’y ait pas assez d’espace pour manœuvrer.

La Chine a connu une grande révolution — ce qui a préparé le terrain pour la création de l’Armée rouge, préparé l’élément dirigeant de l’Armée rouge : le Parti communiste, et préparé les masses populaires en leur donnant l’expérience de la participation à la révolution.

Voilà pourquoi nous disons que la Chine est un vaste pays semi-colonial qui se développe inégalement sur les plans politique et économique et qui a connu la révolution. C’est en cela que réside la première particularité de la guerre révolutionnaire en Chine. Cette particularité détermine pour l’essentiel notre stratégie et notre tactique non seulement sur le plan politique, mais également dans le domaine militaire.

La deuxième particularité de la guerre révolutionnaire en Chine, c’est que notre ennemi est fort.

Dans quelle situation se trouve le Kuomintang, l’adversaire de l’Armée rouge ? Le Kuomintang est un parti qui s’est emparé du pouvoir politique et qui, dans une certaine mesure, a consolidé son pouvoir. Il bénéficie de l’aide de tous les principaux pays impérialistes. Il a procédé à une refonte de son armée, de telle sorte que celle-ci se distingue de toutes les armées ayant jamais existé en Chine et ressemble, dans ses traits essentiels, aux armées des États modernes. Par son armement et son équipement, cette armée dépasse de beaucoup l’Armée rouge ; par ses effectifs, elle dépasse toute autre armée connue dans l’histoire de la Chine, de même que les armées permanentes de n’importe quel État du monde ; elle est absolument sans commune mesure avec l’Armée rouge. Le Kuomintang s’est emparé de tous les leviers de commande et de toutes les positions-clés dans les domaines politique et économique, dans le domaine des voies de communication comme dans le domaine culturel de la Chine, et son pouvoir s’étend à l’ensemble de la nation.

Voilà l’ennemi puissant qu’a devant elle l’Armée rouge chinoise. C’est en cela que réside la deuxième particularité de la guerre révolutionnaire en Chine. Il en découle que les opérations de l’Armée rouge se distinguent nécessairement, à bien des égards, des guerres en général, de la guerre civile en U.R.S.S. et de l’Expédition du Nord.

La troisième particularité de la guerre révolutionnaire en Chine, c’est que l’Armée rouge est faible.

L’Armée rouge chinoise est née des détachements de partisans formés après l’échec de la Première grande révolution. Ceci s’est produit non seulement dans une période de réaction en Chine, mais également dans une période de stabilisation politique et économique relative des États capitalistes réactionnaires du monde.

Notre pouvoir politique se trouve dispersé, isolé, dans des régions montagneuses ou reculées et ne reçoit aucune aide extérieure. Au point de vue des conditions économiques et culturelles, les bases révolutionnaires retardent sur les régions du Kuomintang. Elles ne comptent que des villages et des petites villes. A l’origine, elles étaient, territorialement, extrêmement réduites, et elles ne se sont guère agrandies par la suite. De plus, elles ne sont pas stables ; l’Armée rouge ne dispose pas de bases véritablement solides.

L’Armée rouge a de faibles effectifs ; ses hommes sont mal armés et son ravitaillement en vivres, couvertures, vêtements, etc. se fait dans des conditions extrêmement difficiles.

Cette particularité présente un contraste frappant avec la précédente. La stratégie et la tactique de l’Armée rouge se sont établies sur la base de ce contraste.

La quatrième particularité de la guerre révolutionnaire en Chine, c’est que le Parti communiste en assume la direction et c’est la révolution agraire.

Cette particularité découle nécessairement de la première. Elle conditionne la situation sous deux aspects. D’une part, bien que la Chine, tout comme le monde capitaliste, traverse une période de réaction, la guerre révolutionnaire en Chine peut aboutir à la victoire, car elle est menée sous la direction du Parti communiste chinois et elle jouit de l’appui de la paysannerie. Grâce à cet appui, nos bases, bien que de faible étendue, constituent une grande force politique et s’opposent fermement au pouvoir du Kuomintang, qui s’étend sur de vastes régions, et elles créent, sur le plan militaire, de grosses difficultés à l’avance des troupes du Kuomintang. L’Armée rouge, malgré ses faibles effectifs, se distingue par une grande capacité combative, car ses hommes, dirigés par le Parti communiste, sont venus à nous au cours de la révolution agraire et luttent pour leurs propres intérêts ; en outre, commandants et combattants y sont politiquement unis.

D’autre part, le Kuomintang se trouve dans une situation qui forme un contraste frappant avec la nôtre. Il est contre la révolution agraire et, pour cette raison, ne bénéficie pas de l’appui de la paysannerie. Bien que son armée ait des effectifs élevés, il ne peut obtenir de la masse des soldats et des nombreux officiers subalternes issus du milieu des petits producteurs qu’ils donnent volontiers leur vie pour lui. Les officiers et les soldats sont désunis du point de vue politique, ce qui affaiblit la capacité combative de l’armée du Kuomintang.

SECTION 3. DE CES PARTICULARITÉS DÉCOULENT NOTRE STRATÉGIE ET NOTRE TACTIQUE

Un grand pays semi-colonial qui a connu une grande révolution et qui se développe inégalement sur les plans politique et économique, un ennemi puissant, une Armée rouge faible, la révolution agraire, telles sont les quatre principales particularités de la guerre révolutionnaire en Chine. Ces particularités déterminent la ligne directrice et les nombreux principes stratégiques et tactiques qui président à la poursuite de la guerre révolutionnaire en Chine. La première et la quatrième de ces particularités donnent à l’Armée rouge chinoise la possibilité de se développer et de vaincre ses ennemis. La deuxième et la troisième expliquent l’impossibilité où se trouve l’Armée rouge chinoise de se développer rapidement comme de vaincre rapidement ses ennemis ; en d’autres termes, elles déterminent le caractère prolongé de cette guerre, et la possibilité que celle-ci aboutisse à la défaite, si elle n’est pas menée correctement.

Tels sont les deux aspects de la guerre révolutionnaire en Chine. Ces deux aspects coexistent, c’est-à-dire qu’à côté de conditions favorables, il existe aussi des difficultés. Telle est la loi fondamentale de la guerre révolutionnaire en Chine, dont découlent nombre d’autres lois. L’histoire des dix années de guerre a démontré la validité de cette loi. Celui qui ne veut pas tenir compte de cette loi fondamentale ne sera pas capable de diriger la guerre révolutionnaire en Chine ni de mener l’Armée rouge à la victoire.

Il est clair que nous devons apporter une solution juste aux questions de principe suivantes :

Déterminer correctement notre orientation stratégique, lutter contre l’aventurisme dans l’offensive, contre le conservatisme dans la défensive, contre l’esprit des paniquards pendant les déplacements ;
Lutter contre l’esprit de partisan dans l’Armée rouge, tout en reconnaissant à celle-ci son caractère d’armée de partisans ;
Nous opposer à des campagnes de longue durée et à une stratégie de décision rapide et nous prononcer pour une stratégie de guerre prolongée et des campagnes de décision rapide ;
Lutter contre les lignes d’opérations fixes et la guerre de position et nous prononcer pour les lignes d’opérations mobiles et la guerre de mouvement ;
Lutter contre les opérations visant seulement à mettre l’ennemi en déroute, et nous prononcer pour celles qui visent à son anéantissement ;
Lutter contre la stratégie visant à frapper des deux poings dans deux directions à la fois et nous prononcer pour celle visant à frapper d’un seul poing dans une seule direction à un moment donné14 ;
Lutter contre le maintien d’un service de l’arrière encombrant, et nous prononcer pour la création d’un service de l’arrière léger ;
Lutter contre la centralisation absolue du commandement et nous prononcer pour une centralisation relative du commandement ;
Lutter contre le point de vue purement militaire et la mentalité de “hors-la-loi”15
et reconnaître que l’Armée rouge joue le rôle de propagandiste et d’organisateur de la révolution chinoise ;
Lutter contre le banditisme16, et nous prononcer pour une stricte discipline politique ;
Lutter contre les tendances militaristes et nous prononcer à la fois pour la démocratie, dans certaines limites, au sein de l’armée et pour une discipline militaire fondée sur l’autorité ;
Lutter contre une politique incorrecte, sectaire, en ce qui concerne le problème des cadres et nous prononcer pour une politique juste dans ce domaine ;
Lutter contre la politique d’auto-isolement et reconnaître la nécessité de gagner à nous tous les alliés possibles ;
Lutter contre ceux qui voudraient que l’Armée rouge en reste à son ancien stade de développement et lutter pour qu’elle passe à un nouveau stade.

En abordant ici les problèmes de la stratégie, nous nous proposons d’exposer en détail toutes ces questions à la lumière de l’expérience acquise au cours des dix années de guerre révolutionnaire sanglante en Chine.

CHAPITRE IV

LES CAMPAGNES “D’ENCERCLEMENT ET D’ANÉANTISSEMENT” ET LES CONTRE-CAMPAGNES — FORME ESSENTIELLE DE LA GUERRE CIVILE EN CHINE

Au cours des dix dernières années et dès le premier jour de la guerre de partisans, chaque détachement de partisans rouge qui agissait indépendamment, chaque unité de l’Armée rouge et chaque base révolutionnaire a dû constamment faire face à des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” lancées par l’ennemi. Celui-ci considère l’Armée rouge comme un monstre et cherche à le capturer aussitôt qu’il apparaît. Il talonne toujours l’Armée rouge et tente constamment de l’encercler. Cette forme d’opérations n’a pas varié pendant les dix dernières années, et à moins qu’une guerre nationale ne vienne remplacer la guerre civile, elle restera inchangée jusqu’au jour où l’adversaire deviendra la partie faible, et l’Armée rouge la partie forte.

Les opérations de l’Armée rouge se traduisent par des contre-campagnes. Pour nous, la victoire, c’est essentiellement la victoire dans chaque contre-campagne, c’est-à-dire une victoire sur le plan stratégique et opérationnel. Les opérations menées contre chacune des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire constituent une campagne, qui se traduit le plus souvent par toute une série— parfois jusqu’à plusieurs dizaines — de grands et de petits engagements. Aussi longtemps qu’une campagne “d’encerclement et d’anéantissement” n’était pas pratiquement brisée, les victoires remportées dans nos différents engagements ne pouvaient être considérées comme une victoire stratégique ou une victoire portant sur l’ensemble de la campagne. L’histoire des dix années de guerre de l’Armée rouge est l’histoire de la lutte menée contre les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi.

L’ennemi, au cours de ses campagnes “d’encerclement et d’anéantissement”, et l’Armée rouge, au cours de ses contre-campagnes, recourent aux deux formes de combat: l’offensive et la défensive. Aucune différence, à cet égard, avec les autres guerres, modernes ou anciennes, en Chine ou dans le reste du monde. Toutefois, une particularité de la guerre civile en Chine, c’est l’alternance répétée de ces deux formes d’opérations au cours d’une période prolongée. Dans chaque campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, l’adversaire oppose son offensive à la défensive de l’Armée rouge, et celle-ci oppose sa défensive à l’offensive de l’adversaire; c’est la première étape d’une contre-campagne. Puis, l’adversaire oppose à l’offensive de l’Armée rouge sa défensive et l’Armée rouge oppose son offensive à la défensive de l’adversaire; c’est la seconde étape de la contre-campagne. Chaque campagne “d’encerclement et d’anéantissement” comprend ces deux étapes qui alternent au cours d’une période prolongée.

Par alternance répétée sur une longue période, nous entendons la répétition de ce type de guerre et de ces deux formes d’opérations. Elle constitue un fait dont chacun peut se convaincre du premier coup d’œil. Une campagne “d’encerclement et d’anéantissement” à laquelle s’oppose une contre-campagne — tel est le type de guerre qui se répète. Dans la première étape, l’adversaire recourt à l’offensive contre notre défensive et nous opposons notre défensive à son offensive, et dans la seconde étape, l’adversaire recourt à la défensive contre notre offensive et nous opposons l’offensive à sa défensive — telles sont les formes d’opérations qui alternent dans chaque campagne.

Quant au contenu de la guerre et des combats, il ne se répète pas purement et simplement, il est chaque fois différent. C’est là également un fait dont chacun peut se convaincre du premier coup d’œil. On observe ici la loi suivante : à chaque nouvelle campagne et contre-campagne, les opérations gagnent en ampleur, la situation devient plus complexe et les combats se font plus acharnés.

Cela ne veut pas dire, toutefois, qu’il n’y ait pas eu des hauts et des bas. Après la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi, comme l’Armée rouge était extrêmement affaiblie, que ses bases méridionales étaient complètement perdues, et qu’ayant gagné le Nord-Ouest elle n’occupait plus, comme dans le sud du pays, une position vitale menaçant gravement l’ennemi intérieur, les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” ont eu un peu moins d’ampleur, la situation s’est quelque peu simplifiée et les combats ont revêtu un caractère moins acharné.

Qu’est-ce que la défaite pour l’Armée rouge ? Si l’on se place sur le terrain stratégique, on ne peut qualifier de défaite que l’échec total d’une contre-campagne ; encore cette défaite n’est-elle que partielle et temporaire. La raison en est que seul l’anéantissement complet de l’Armée rouge constituerait une défaite totale dans la guerre civile ; or, cela ne s’est jamais produit. La perte d’un nombre important de bases d’appui et le déplacement de l’Armée rouge dans une autre région ont constitué une défaite partielle, temporaire, mais non une défaite totale et définitive, bien que cette défaite partielle ait entraîné une réduction de 90 pour cent tant des effectifs du Parti et de l’Armée rouge que des bases d’appui. Nous considérons cela comme la continuation de notre défensive, et la poursuite menée par l’adversaire comme la continuation de son offensive. En d’autres termes, dans la lutte qui oppose la campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi et notre contre-campagne, nous n’avons pu passer de la défensive à l’offensive ; au contraire, notre défensive ayant été percée par l’adversaire, nous avons dû nous replier, et l’offensive de l’adversaire s’est transformée en poursuite. Néanmoins, lorsque l’Armée rouge est arrivée dans une nouvelle région, par exemple lorsque nous sommes passés du Kiangsi et d’autres régions dans le Chensi, l’alternance de la campagne “d’encerclement et d’anéantissement” et de la contre-campagne a repris. C’est pourquoi nous disons que la retraite stratégique de l’Armée rouge (la Longue Marche)17 a été la continuation de sa défensive stratégique, et la poursuite stratégique par l’adversaire, la continuation de son offensive stratégique.

La guerre civile en Chine, comme n’importe quelle autre guerre dans les temps anciens ou dans la période moderne, en Chine ou dans les autres pays, ne connaît que deux formes fondamentales de combat : l’offensive et la défensive. La particularité de la guerre civile en Chine réside dans l’alternance prolongée aussi bien des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et des contre-campagnes que des deux formes de combat, l’offensive et la défensive ; et dans cette alternance, nous avons le déplacement stratégique grandiose effectué sur une distance de plus de dix mille kilomètres, la Longue Marche.

Il en va de même en ce qui concerne la défaite de l’adversaire. Sa défaite stratégique réside dans le fait que nous avons brisé sa campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, que notre défensive s’est transformée en offensive, que l’adversaire, à son tour, est passé à la défensive et s’est vu contraint de regrouper ses forces avant de déclencher une nouvelle campagne. L’adversaire n’a pas eu à recourir à un déplacement stratégique de plus de dix mille kilomètres comme cela a été le cas pour nous, car il gouverne tout le pays et il est bien plus fort que nous. Néanmoins, il y a eu des déplacements partiels de ses forces. Il s’est produit des cas où l’adversaire, dans les points d’appui blancs encerclés par l’Armée rouge à l’intérieur de certaines bases révolutionnaires, a dû effectuer une percée et se replier dans les régions blanches pour organiser de nouvelles offensives. Si la guerre civile se prolonge et si les victoires de l’Armée rouge prennent plus d’ampleur, de tels faits se multiplieront. Cependant, l’adversaire ne peut obtenir les mêmes résultats que l’Armée rouge, car il ne bénéficie pas du soutien du peuple et l’unité fait défaut entre ses officiers et ses soldats. S’il suivait l’exemple de l’Armée rouge en se déplaçant sur de grandes distances, il se verrait à coup sûr anéanti.

En 1930, au moment où sa ligne prédominait, le camarade Li Li-san ne comprit pas le caractère prolongé de la guerre civile en Chine et, par suite, ne remarqua pas qu’elle se développait selon la loi de l’alternance prolongée des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et des contre-campagnes qui les faisaient échouer. (A cette époque, il y avait déjà eu trois campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” dans la région frontière du Hounan-Kiangsi et deux dans le Foukien.) C’est pourquoi il donna l’ordre à l’Armée rouge, alors toute jeune encore, de marcher sur Wouhan et ordonna un soulèvement armé dans tout le pays, dans l’intention de faire triompher rapidement la révolution. C’était verser dans l’opportunisme “de gauche”.

Les opportunistes “de gauche” des années 1931-1934 ne croyaient pas non plus à la loi de l’alternance des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et des contre-campagnes. On vit naître, dans la base révolutionnaire de la région frontière du Houpei-Honan-Anhouei, la théorie dite des “forces auxiliaires”; des camarades dirigeants de cette région estimaient que les forces du Kuomintang, après leur échec dans la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, ne constituaient plus que des “forces auxiliaires” et qu’une nouvelle offensive contre l’Armée rouge n’était possible que si les impérialistes y intervenaient eux-mêmes en tant que force principale. La stratégie fondée sur de telles considérations consistait à lancer l’Armée rouge à l’assaut de Wouhan. En principe, cela correspondait aux vues de certains camarades du Kiangsi qui réclamaient l’attaque de Nantchang par l’Armée rouge, s’élevaient contre les efforts visant à faire des bases révolutionnaires une région d’un seul tenant et contre la tactique tendant à attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de nos bases d’appui, estimaient que la prise du chef-lieu et des principales villes d’une province assurerait la victoire dans toute la province et considéraient que “la lutte contre la cinquième campagne ‘d’encerclement et d’anéantissement’ représentait une bataille décisive entre la voie révolutionnaire et la voie coloniale”, etc. Cet opportunisme “de gauche” était à l’origine de la ligne erronée appliquée lors de la lutte contre la quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” dans la région frontière du Houpei-Honan-Anhouei, et contre la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” dans la Base centrale du Kiangsi. Il a rendu l’Armée rouge impuissante face aux furieuses campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” lancées par l’adversaire et a causé d’énormes pertes à la révolution chinoise.

Directement lié à l’opportunisme “de gauche” qui nie l’alternance des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi et de nos contre-campagnes, il est un autre point de vue tout à fait erroné selon lequel, en aucun cas, l’Armée rouge ne doit recourir à la défensive.

Les révolutions et les guerres révolutionnaires sont offensives— cette affirmation est certes juste en un sens. Quand les révolutions et les guerres révolutionnaires surgissent et se développent, elles vont du petit au grand, de l’absence de pouvoir à la prise du pouvoir, de l’absence d’Armée rouge à la création de l’Armée rouge, de l’absence de bases révolutionnaires à la création de bases révolutionnaires ; elles sont donc nécessairement offensives, elles ne doivent pas piétiner sur place, et il faut lutter contre la tendance au conservatisme.

Les révolutions et les guerres révolutionnaires sont offensives, mais elles connaissent également la défensive et la retraite. Telle est la seule affirmation entièrement juste. Se défendre afin d’attaquer, se retirer afin d’avancer, mener une attaque de flanc afin de réaliser une attaque de front, et faire des détours afin de prendre le chemin direct — tout cela est inévitable dans le processus de développement de nombreux phénomènes et à plus forte raison dans les opérations militaires.

La première des deux affirmations précédentes, qui pourrait être juste dans le domaine politique, devient fausse si on la transpose dans le domaine militaire. Et même dans le domaine politique, elle n’est juste que dans des conditions déterminées (quand la révolution progresse), mais si on l’applique à d’autres conditions (quand la révolution est en période de recul : recul général comme en Russie en 190618 et en Chine en 1927, recul partiel comme en Russie lors de la conclusion du Traité de Brest-Litovsk19 en 1918), elle devient également fausse. Seule la seconde affirmation s’avère entièrement juste. Le point de vue des opportunistes “de gauche” dans les années 1931-1934, qui s’opposait mécaniquement au recours à la défensive dans la guerre, n’était rien d’autre que puérile naïveté.

Mais quand prendra fin cette alternance des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et des contre-campagnes ? A mon avis, si la guerre civile se prolonge, cette alternance cessera lorsque se produira un changement radical dans le rapport des forces. Elle cessera dès l’instant où l’Armée rouge deviendra plus forte que l’adversaire. Alors, c’est nous qui organiserons des campagnes pour encercler et anéantir l’adversaire, et c’est lui qui s’efforcera d’organiser des contre-campagnes. Toutefois, ni les conditions politiques, ni les conditions militaires ne lui offriront une position semblable à celle de l’Armée rouge dans ses contre-campagnes. Il est permis d’affirmer qu’on en aura alors terminé avec l’alternance des campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et des contre-campagnes, sinon entièrement, du moins pour l’essentiel.

CHAPITRE V

LA DÉFENSIVE STRATÉGIQUE

Sous ce titre, je veux m’arrêter aux problèmes suivants : 1) la défense active et la défense passive ; 2) la préparation d’une contre-campagne ; 3) la retraite stratégique ; 4) la contre-offensive stratégique ;5) le début de la contre-offensive ; 6) la concentration des forces ; 7) la guerre de mouvement ; 8) la guerre de décision rapide ; 9) la guerre d’anéantissement.

SECTION 1. LA DÉFENSE ACTIVE ET LA DÉFENSE PASSIVE

Pourquoi commençons-nous par la défensive ? Après la défaite du premier front uni national de 1924-1927, la révolution prit en Chine le caractère d’une guerre de classe des plus intenses et des plus acharnées. Notre adversaire détenait le pouvoir dans tout le pays ; quant à nous, nous n’avions que des forces armées réduites ; c’est pourquoi nous dûmes, dès le début, lutter contre les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire. Nos possibilités d’offensive étaient étroitement liées à l’écrasement de ces campagnes et notre développement ultérieur dépendait entièrement de notre capacité à les faire échouer. La marche des opérations pour briser une campagne “d’encerclement et d’anéantissement” suit souvent une voie sinueuse, elle ne s’effectue pas d’une manière régulière, selon notre désir. Le premier problème et le plus grave qui se présente à nous est de préserver nos forces et d’attendre le moment propice pour écraser l’adversaire. Aussi la défensive stratégique est-elle le problème le plus complexe et le plus important qui se pose à l’Armée rouge au cours de ses opérations.

Au cours de ces dix années de guerre, deux déviations se sont souvent produites dans les problèmes de défensive stratégique : la première consistait à sous-estimer l’adversaire, la seconde à être terrifié par lui.

C’est pour avoir sous-estimé l’adversaire que nombre de détachements de partisans ont essuyé des défaites et qu’à plusieurs reprises l’Armée rouge n’a pas été capable de briser une campagne “d’encerclement et d’anéantissement”.

Lorsque les détachements révolutionnaires de partisans en étaient encore à leur début, leurs chefs se trompaient souvent dans l’appréciation de la situation, tant de l’ennemi que de leur propre camp ; ils ne voyaient que les circonstances momentanément favorables — succès dans l’organisation d’un brusque soulèvement armé en un endroit donné ou d’une révolte au sein de l’armée blanche — ; ou encore ils ne tenaient pas compte de graves circonstances auxquelles ils devaient faire face et, pour cette raison, ils sous-estimaient fréquemment les forces de l’adversaire. En outre, ils ne comprenaient pas leurs propres points faibles (manque d’expérience et petits effectifs). Que l’ennemi fût fort et que nous fussions faibles, c’était bien là une réalité objective, mais certains se refusaient à y penser, ne parlaient que d’offensive et jamais de défensive et de repli ; ils se privaient ainsi moralement de cette arme que constitue la défensive et commettaient par conséquent des erreurs dans la direction des opérations. C’est ce qui a amené la défaite de nombreux détachements de partisans.

Des exemples de l’incapacité où l’Armée rouge s’est trouvée, pour les mêmes raisons, de briser les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire sont fournis par l’échec qu’elle a subi en 1928 dans la région de Haifeng-Loufeng20, province du Kouangtong, et par le fait qu’elle a perdu, en 1932, sa liberté d’action dans la région frontière du Houpei-Honan-Anhouei, au cours de la lutte qu’elle soutenait contre la quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” en s’inspirant de la théorie selon laquelle les forces du Kuomintang ne constituaient plus que des “forces auxiliaires”.

Il y a également un grand nombre d’exemples d’insuccès dus à la terreur inspirée par l’adversaire.

A l’inverse de ceux qui sous-estimaient l’adversaire, certains le surestimaient et sous-estimaient leurs propres forces. Finalement, ils s’orientaient vers le repli, alors qu’ils auraient pu l’éviter, se privant aussi moralement de cette arme que constitue la défensive. Cela a entraîné soit la défaite de détachements de partisans, soit la défaite de l’Armée rouge dans certaines campagnes, soit enfin la perte de bases d’appui.

L’exemple le plus frappant de la perte d’une base d’appui a été la perte de notre Base centrale du Kiangsi au cours de la cinquième contre-campagne. Cette fois, nos erreurs étaient dues à des conceptions droitistes. Les dirigeants étaient terrorisés par l’adversaire comme par un tigre, ils établissaient partout des défenses et lui résistaient pied à pied ; ils n’osaient lancer une offensive frappant les arrières de l’ennemi, qui nous aurait été profitable, et n’osaient pas non plus attirer les forces adverses loin dans l’intérieur de nos bases afin de les anéantir. Finalement, toute la base fut perdue, et l’Armée rouge fut obligée d’effectuer la Longue Marche de plus de 12.000 kilomètres. Néanmoins, de telles erreurs étaient le plus souvent précédées d’une sous-estimation gauchiste de l’adversaire. L’aventurisme, sur le plan militaire, qui s’était manifesté en 1932 par l’offensive contre les villes clés, fut à l’origine de cette ligne de défense passive appliquée par la suite dans la lutte contre la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi.

La tendance au repli de la “ligne de Tchang Kouo-tao” est un exemple parfaitement typique de la terreur paralysante inspirée par l’ennemi. La défaite subie à l’ouest du fleuve Jaune par la Colonne Ouest de l’Armée rouge du IVe Front21 a sanctionné la faillite définitive de cette ligne.

On appelle aussi la défense active, défense offensive ou défense par combats décisifs. On peut aussi qualifier la défense passive de défense purement défensive ou de défense pure. En fait, la défense passive n’est qu’une pseudo-défense. Seule la défense active est la véritable défense, elle seule prépare le passage à la contre-offensive et à l’offensive. Autant que je sache, aucun livre militaire valable, aucun chef militaire tant soit peu avisé, dans les temps anciens comme de nos jours, en Chine comme dans les autres pays, n’a jamais parlé en faveur de la défense passive, qu’il s’agisse de stratégie ou de tactique. Seul un imbécile invétéré ou un homme complètement fou peut croire que la défense passive est un talisman qui assure le succès. Et pourtant, il se trouve des gens qui y ont recours. C’est une erreur dans la poursuite de la guerre, c’est la manifestation, dans le domaine militaire, d’un conservatisme que nous devons résolument combattre.

Des spécialistes des problèmes militaires dans les pays impérialistes arrivés relativement tard dans l’arène mondiale et se développant rapidement, c’est-à-dire l’Allemagne et le Japon, ont fait une bruyante propagande en faveur de l’offensive stratégique et contre la défensive stratégique. Cette conception ne convient pas du tout à la guerre révolutionnaire en Chine. Ces spécialistes militaires soulignent que la défensive comporte un grave inconvénient : au lieu de galvaniser la population du pays, elle la démoralise. Ceci s’applique aux pays où les contradictions de classes sont aiguës, où la guerre profite aux seules couches réactionnaires dominantes, voire uniquement aux groupes politiques réactionnaires au pouvoir. Chez nous, la situation est tout autre. Sous les mots d’ordre de défense des bases révolutionnaires, de défense de la Chine, nous pouvons rallier l’immense majorité du peuple et marcher unanimes au combat, parce que nous sommes victimes de l’oppression et de l’agression. L’Armée rouge de l’Union soviétique, elle aussi, a eu recours à la défensive pendant la guerre civile, et elle a vaincu ses ennemis. Lorsque les États impérialistes organisaient l’offensive des Gardes blancs, elle a combattu sous le mot d’ordre de défense des Soviets, et même dans la période de préparation de l’Insurrection d’Octobre, la mobilisation des forces militaires s’est faite sous le mot d’ordre de défense de la capitale. Dans toute guerre juste, la défensive a pour effet de paralyser l’activité des éléments politiquement étrangers, et elle est également susceptible de mobiliser les couches arriérées du peuple pour les faire participer à la guerre.

Lorsque Marx disait que, dès l’instant où un soulèvement armé était déclenché, on ne devait plus arrêter, fût-ce une minute, l’offensive22, il entendait par là que les masses, ayant pris l’adversaire à l’improviste par leur insurrection, ne doivent laisser aux forces réactionnaires dominantes aucune possibilité de conserver le pouvoir ou de le reprendre, qu’elles doivent, au contraire, profiter de ce moment propice pour les écraser sans leur laisser le temps de se ressaisir, et qu’elles ne doivent pas se contenter des victoires déjà remportées, sous-estimer l’adversaire, relâcher le rythme de l’offensive ou bien hésiter à se porter en avant et laisser passer l’occasion d’anéantir l’adversaire, ce qui conduirait la révolution à la défaite. Tout cela est juste, certes, mais ne signifie pas que les révolutionnaires ne doivent prendre aucune mesure défensive lorsque les deux parties sont déjà entrées en conflit armé et que l’adversaire jouit de la supériorité et exerce une forte pression. Seul un parfait imbécile pourrait raisonner ainsi.

Jusqu’à présent, notre guerre a été, dans son ensemble, une offensive contre le Kuomintang, mais nos opérations ont néanmoins pris la forme de contre-campagnes pour briser les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement”.

Dans nos opérations militaires, nous avons fait alterner la défensive et l’offensive. On peut dire tout aussi bien que, pour nous, l’offensive succède à la défensive ou qu’elle la précède, puisque l’essentiel est de faire échouer la campagne “d’encerclement et d’anéantissement”. Avant que la campagne “d’encerclement et d’anéantissement” soit brisée, c’est la défensive ; dès l’instant où elle est brisée, l’offensive commence. Ce ne sont que deux phases d’une seule et même opération ; et les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire se succèdent de près. De ces deux phases, celle de la défensive est la plus complexe et la plus importante. Elle implique de nombreux problèmes relatifs à la manière de faire échouer la campagne “d’encerclement et d’anéantissement”. Le principe fondamental au cours de cette phase, c’est d’adopter la défense active et de rejeter la défense passive.

Dans la guerre civile, lorsque les forces de l’Armée rouge se seront assuré la supériorité sur celles de l’adversaire, nous n’aurons plus, d’une manière générale, à recourir à la défensive stratégique. Alors notre principe sera celui de l’offensive stratégique seule. Ce changement dépendra de l’ensemble des modifications survenues dans le rapport des forces entre l’ennemi et nous. A ce moment, la défensive n’interviendra plus que partiellement.

SECTION 2. LA PRÉPARATION D’UNE CONTRE-CAMPAGNE

Si nous ne faisons pas les préparatifs nécessaires et suffisants pour repousser la campagne “d’encerclement et d’anéantissement” préparée méthodiquement par l’adversaire, nous serons à coup sûr réduits à une position passive ; lorsqu’on doit accepter le combat à la hâte, la victoire n’est nullement assurée. C’est pourquoi il est absolument indispensable qu’au moment même où l’adversaire prépare sa campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, nous préparions une contre-campagne. Les objections jadis soulevées dans nos rangs contre ces préparatifs sont à la fois naïves et ridicules.

Ici se pose un problème difficile qui est matière à controverse : Quand devons-nous conclure l’offensive et passer à la phase préparatoire de notre contre-campagne ? Au moment même où nous menons victorieusement notre offensive, l’adversaire, qui est sur la défensive, n’en poursuit pas moins en secret les préparatifs de sa prochaine campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, si bien qu’il nous est difficile de déterminer à quel moment il déclenchera son offensive. Si nous commençons prématurément la préparation de notre contre-campagne, nous risquons de perdre une partie des avantages que nous a valus l’offensive, et cela peut parfois exercer une influence fâcheuse sur l’Armée rouge et sur la population civile. En effet, dans la phase préparatoire de la contre-campagne, les mesures principales à prendre sont les préparatifs militaires en vue du repli et la mobilisation politique qu’ils exigent. Si les préparatifs commencent prématurément, cela peut parfois tourner à l’attente de l’adversaire ; si nous avons dû l’attendre longtemps sans qu’il se montre, nous serons alors obligés de déclencher une nouvelle offensive. Et il peut arriver que le début de celle-ci coïncide avec le déclenchement de l’offensive de l’adversaire, ce qui nous met dans une situation difficile. C’est pourquoi le choix du moment où il faut commencer les préparatifs revêt une grande importance. Afin de déterminer avec justesse ce moment, nous devons tenir compte de notre propre situation, de celle de l’adversaire et de leurs rapports. Afin de comprendre quelle est la situation chez l’adversaire, nous devons recueillir des renseignements sur sa situation politique, militaire, financière et sur l’opinion publique dans les régions qu’il contrôle. En procédant à l’analyse de ces données, il importe de tenir pleinement compte des forces de l’adversaire dans leur totalité, sans exagérer l’importance de ses défaites antérieures ; mais d’autre part il est indispensable de prendre en considération les contradictions existant dans le camp de l’adversaire, ses difficultés financières, les répercussions des défaites qu’il a subies, etc. En ce qui nous concerne, nous ne devons pas exagérer l’ampleur de nos victoires antérieures, tout en n’omettant jamais de tenir pleinement compte de leurs répercussions.

En ce qui concerne le choix du moment où doivent commencer les préparatifs, on peut toutefois dire, d’une manière générale, qu’il est moins mauvais de s’y mettre trop tôt que trop tard, car, dans le premier cas, les pertes sont moins grandes que dans le second et nous avons au moins l’avantage de nous prémunir contre tout danger et de nous mettre dans une position pratiquement invincible.

Les principaux problèmes qui se posent au cours de la phase préparatoire sont : les préparatifs de repli de l’Armée rouge, la mobilisation politique, le recrutement des troupes, les mesures préparatoires dans le domaine des finances et du ravitaillement, les mesures à prendre à l’égard des éléments politiquement étrangers, etc.

Préparer le repli de l’Armée rouge, cela signifie que celle-ci ne doit pas s’engager dans une direction qui compromettrait son repli ultérieur, qu’elle ne doit pas se laisser emporter trop loin par l’offensive, qu’elle ne doit pas être surmenée. Telles sont les dispositions à prendre par l’Armée rouge à la veille d’une grande offensive de l’adversaire. Elle doit, dans cette période, porter son attention principalement sur le choix et la préparation des secteurs d’opérations, l’accumulation de ses moyens matériels, l’accroissement et l’instruction de ses effectifs.

Dans la lutte contre les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire, la mobilisation politique revêt une importance primordiale. Cela signifie qu’il faut dire aux combattants de l’Armée rouge et à la population des bases d’appui, clairement, résolument, sans rien cacher, que l’offensive de l’adversaire est inévitable et imminente, qu’elle portera un coup sérieux au peuple, mais il faut, en même temps, leur parler des points faibles de l’adversaire, des avantages de l’Armée rouge, de notre volonté de vaincre à tout prix, de la direction que doit prendre notre travail, etc. Il faut appeler l’Armée rouge et toute la population à la lutte contre la campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire, pour la défense des bases d’appui. Quand il n’y a pas secret militaire, la mobilisation politique doit se poursuivre ouvertement et englober tous ceux qui sont susceptibles de défendre les intérêts de la révolution. L’important ici, c’est de convaincre nos cadres.

Pour le recrutement des troupes, nous devons avoir en vue deux éléments : d’une part, tenir compte du niveau de conscience politique de la population et de son importance numérique, d’autre part, tenir compte de l’état de l’Armée rouge au moment donné et des pertes qu’elle pourra subir pendant toute la durée de la contre-campagne.

Il va sans dire que les problèmes financiers et les questions de ravitaillement ont une grande importance pour une contre-campagne. On doit tenir compte du fait que l’ennemi peut prolonger la durée de sa campagne. Il faut calculer le minimum indispensable pour satisfaire les besoins matériels, tout d’abord de l’Armée rouge, puis de toute la population de la base révolutionnaire pendant toute la durée de la contre-campagne.

A l’égard des éléments politiquement étrangers, il faut se montrer vigilant, mais éviter de prendre des mesures de précaution exagérées par crainte excessive de leur trahison. Il faut agir d’une manière différente selon qu’il s’agit de propriétaires fonciers, de commerçants ou de paysans riches. L’essentiel, c’est de leur expliquer notre politique, d’obtenir leur neutralité et d’organiser les masses pour qu’elles les surveillent. C’est seulement à l’égard du nombre infime d’éléments les plus dangereux qu’il faut recourir à des méthodes rigoureuses telles que les arrestations.

L’importance du succès d’une contre-campagne dépend directement du degré d’achèvement de sa préparation. Le relâchement dans nos préparatifs, motivé par la sous-estimation de l’adversaire, tout comme la panique suscitée par la crainte de son offensive, sont des tendances nuisibles qu’on doit combattre résolument. Ce qu’il nous faut, c’est un état d’esprit enthousiaste mais calme, et une activité intense mais bien ordonnée.

SECTION 3. LA RETRAITE STRATÉGIQUE

La retraite stratégique est une mesure stratégique exécutée selon un plan et prise par une armée qui doit faire face à un adversaire de force supérieure dont elle ne s’estime pas capable de briser l’offensive dans l’immédiat, afin de préserver ses propres forces et d’attendre le moment propice pour battre l’ennemi. Néanmoins, les tenants de l’aventurisme militaire se prononcent résolument contre le recours à cette mesure et recommandent d’“arrêter l’ennemi de l’autre côté de la frontière”.

Il est bien connu pourtant que dans un combat de boxe, le plus avisé recule souvent d’un pas, alors que son stupide adversaire fonce en avant et dès le début prodigue ses forces, si bien que, finalement, c’est souvent celui qui a reculé qui l’emporte.

Dans le roman Chouei hou tchouan, le maître de boxe Hong, qui vit dans la maison de Tchai Tsin, lance à Lin Tchong des “Viens-y donc !” de défi ; ce dernier commence par reculer, puis, à la première faute de Hong, il l’étend au sol d’un coup de pied23.

A l’époque de Tchouentsieou, une guerre éclata entre les principautés de Lou et de Tsi24. Le duc Tchouang, qui régnait sur la principauté de Lou, voulut livrer bataille sans attendre que l’armée de Tsi fût épuisée, mais Tsao Kouei le retint ; le duc appliqua alors le principe : “L’ennemi s’épuise, nous le frappons” et écrasa l’armée de Tsi. Cet exemple est devenu dans l’histoire militaire de la Chine un modèle classique de victoire remportée par une armée faible sur une armée forte. Voici la description qu’en fait l’historien Tsouokieou Ming25 :

Au printemps, l’armée de Tsi partit en guerre contre nous. Le duc allait livrer bataille quand Tsao Kouei lui demanda audience. Les voisins de Tsao lui dirent : “La guerre est l’affaire des dignitaires, pourquoi t’en mêles-tu ?” Tsao Kouei leur répondit : “Les dignitaires sont gens médiocres ; ils ne voient pas loin.” Aussi se présenta-t-il au duc et lui demanda : “Sur quoi t’appuies-tu pour combattre, ô prince ?” Celui-ci lui répondit : “Jamais je n’ai joui seul des vêtements et des aliments, je les ai toujours partagés avec les autres.” Tsao lui répliqua : “Tu n’as pas comblé tout le monde de ces petites faveurs, le peuple ne te suivra pas, ô prince !” Et celui-ci lui dit : “J’ai toujours apporté en offrande aux dieux autant d’animaux, de jade et de soie que je l’avais promis ; j’ai toujours agi avec honnêteté.” Tsao Kouei lui répliqua : “Cette piété n’est pas universelle, les dieux ne te béniront pas.” Et le duc lui dit : “Bien qu’il soit au-delà de ma portée de m’occuper personnellement des détails de tous les procès, grands et petits, je juge toujours selon l’équité.” Alors Tsao Kouei lui répondit : “Ceci témoigne de ton dévouement au peuple et maintenant tu peux aller livrer bataille ! Lorsque tu partiras, ô prince, permets-moi de t’accompagner !” Le duc l’emmena avec lui sur son char et livra la bataille à Tchangchao. Le duc allait battre le tambour pour lancer l’attaque quand Tsao Kouei lui dit : “Pas encore !” A trois reprises, les tambours de Tsi retentirent. Alors Tsao Kouei déclara : “Le moment est venu !” Les troupes de Tsi cédèrent et le duc s’apprêta à les poursuivre. Mais Tsao Kouei lui dit : “Pas encore !” Il descendit de son char, examina le straces des chars ennemis, puis remontant sur l’accoudoir, il regarda au loin et dit : “Le moment est venu !” Alors commença la poursuite des troupes de Tsi. Après la victoire, le duc interrogea Tsao Kouei sur les raisons de ses actes, et celui-ci lui répondit : “La guerre est affaire de courage. Le premier roulement du tambour élève le moral ; au second, il baisse ; avec le troisième, il s’écroule. L’ennemi n’avait plus de courage, et nous, nous en étions remplis ; c’est pourquoi nous avons vaincu. Cependant, lorsqu’on se bat contre une grande principauté, il est difficile d’en connaître les forces. J’ai redouté une embuscade. Aussi ai-je regardé les traces des chars de nos ennemis, elles se mêlaient confusément ; j’ai regardé leurs étendards, ils étaient abaissés, nous pouvions entamer la poursuite.”

Ce fut un cas où un État faible résista à un État fort. On parle dans le récit de la préparation politique à la guerre — s’assurer la confiance du peuple ; du terrain propice au passage à la contre-offensive — Tchangchao ; du moment favorable au déclenchement de la contre-offensive — quand l’ennemi n’avait plus de courage alors que nous, nous en étions remplis ; du moment où fut déclenchée la poursuite — quand les traces des chars se mêlaient confusément et que les étendards étaient abaissés. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une grande bataille, on voit exposés dans ce récit les principes de la défensive stratégique. L’histoire militaire de la Chine abonde en exemples de victoires obtenues grâce à l’application de ces principes : la bataille de Tchengkao entre les Tchou et les Han26, la bataille de Kouenyang entre les Sin et les Han27, la bataille de Kouantou opposant Yuan Chao et Tsao Tsao28, la bataille de Tchepi entre les Wou et les Wei29, la bataille de Yiling entre les Wou et les Chou30, la bataille de Feichouei entre les Ts’in et les Tsin31, etc. Dans toutes ces batailles célèbres mettant aux prises deux armées de force inégale, on voit la plus faible commencer par reculer puis frapper une fois que la plus forte a frappé et ainsi la vaincre.

Notre guerre a commencé en automne 1927. A cette époque, nous n’avions aucune expérience. L’Insurrection de Nantchang32 et l’Insurrection de Canton33 s’étaient soldées par des défaites. L’Armée rouge qui avait opéré dans la région frontière du Hounan-Houpei-Kiangsi, au moment de l’Insurrection de la Moisson d’Automne, avait également subi plusieurs défaites et était passée dans les monts Tsingkang, à la limite du Hounan et du Kiangsi. Au mois d’avril suivant, les unités qui avaient survécu à l’échec de l’Insurrection de Nantchang, après avoir passé par le Hounan du Sud, arrivèrent également dans les monts Tsingkang. Dès mai 1928, toutefois, les principes fondamentaux de la guerre de partisans, principes rudimentaires mais correspondant à la situation de l’époque, étaient déjà élaborés. Ils s’exprimaient dans cette formule en seize caractères : “L’ennemi avance, nous reculons ; l’ennemi s’immobilise, nous le harcelons ; l’ennemi s’épuise, nous le frappons ; l’ennemi recule, nous le pourchassons.” Ces principes militaires furent approuvés par le Comité central d’avant l’apparition de la ligne de Li Li-san. Par la suite, nos principes pour la conduite des opérations reçurent un développement nouveau. Lors de notre première contre-campagne dans notre base du Kiangsi, le principe : “Attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire” fut avancé et appliqué avec succès. Quand la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi fut brisée, l’Armée rouge avait déjà achevé d’élaborer les principes régissant nos opérations. C’était une nouvelle étape dans l’évolution de nos principes militaires ; ils se trouvaient considérablement enrichis quant à leur contenu et notablement modifiés dans leur forme ; trait essentiel : ils avaient brisé les cadres de leur formulation antérieure, qui revêtait un caractère rudimentaire. Néanmoins, les principes fondamentaux restaient les mêmes, tels qu’ils étaient exprimés dans la formule qui vient d’être donnée. Celle-ci englobait les principes fondamentaux des contre-campagnes et les deux phases — la défensive stratégique et l’offensive stratégique. Dans la défensive, elle indiquait également les deux étapes : la retraite stratégique et la contre-offensive stratégique. Ce qui suivit ne fut que le développement de ces principes.

Néanmoins, à partir de janvier 1932, lorsque fut publiée, après l’écrasement de la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, la “Résolution pour la victoire de la révolution tout d’abord dans une ou plusieurs provinces”, résolution contenant de graves erreurs de principe, les opportunistes “de gauche” entreprirent la lutte contre les principes justes, qui furent rejetés et remplacés finalement par toute une série de principes contraires, qu’ils appelaient “nouveaux principes” ou “principes réguliers”. Dès lors, on cessa de considérer les anciens principes comme “réguliers”: c’était là l’expression de “l’esprit de partisan” qu’il fallait rejeter. Pendant trois années entières régna une atmosphère de lutte contre “l’esprit de partisan”. La première phase de cette lutte fut placée sous le signe de l’aventurisme militaire ; dans la deuxième, on s’orienta vers le conservatisme militaire ; finalement, dans la troisième, on en vint au “sauve-qui-peut”. C’est seulement à la réunion élargie du Bureau politique du Comité central du Parti, qui se tint en janvier 1935, à Tsouenyi, dans le Koueitcheou, qu’on proclama la faillite de cette ligne erronée et qu’on reconnut à nouveau la justesse de la ligne antérieure. Mais comme cela nous avait coûté cher !

L’argumentation des camarades qui s’étaient acharnés contre “l’esprit de partisan” était la suivante : C’est une erreur d’attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de nos bases, car nous abandonnons ainsi un vaste territoire. Il est vrai que nous avons autrefois remporté des victoires en appliquant cette méthode, mais la situation n’est-elle pas différente aujourd’hui ? Et ne vaut-il pas mieux vaincre l’ennemi sans lui abandonner de territoire ? Ne vaut-il pas mieux le vaincre chez lui ou dans les régions limitrophes de notre territoire et du sien ? Les vieux principes n’avaient rien de “régulier”. C’étaient des méthodes d’action pour détachements de partisans. Or, nous avons créé maintenant notre propre État, notre Armée rouge est devenue une armée régulière. La guerre qui nous oppose à Tchiang Kaï-chek est une guerre entre deux États, entre deux grandes armées. L’histoire ne doit pas se répéter, il faut rejeter complètement “l’esprit de partisan”. Les nouveaux principes sont “absolument marxistes”, tandis que les anciens sont nés au sein des détachements de partisans dans les montagnes, et dans les montagnes il n’y a pas de marxisme. Les nouveaux principes étaient donc l’opposé des anciens ; les voici : “A un contre dix, à dix contre cent, agir avec hardiesse et résolution, exploiter la victoire en poursuivant l’ennemi jusqu’au bout”, “Attaquer sur tout le front”, “S’emparer des villes-clés”, “Frapper des deux poings dans deux directions à la fois”. Quand l’ennemi attaquait, les méthodes utilisées contre lui étaient les suivantes : “Arrêter l’ennemi de l’autre côté de la frontière”, “Vaincre l’ennemi en frappant les premiers”, “Ne pas permettre qu’on vienne casser la vaisselle chez nous”, “Ne pas perdre un pouce de terrain”, “Diviser nos forces en six colonnes”. La guerre devenait une “bataille décisive entre la voie révolutionnaire et la voie coloniale”, une guerre faite d’attaques brèves et soudaines, une guerre de blockhaus, une guerre d’usure, “une guerre prolongée”, à cela s’ajoutait la conception d’un service de l’arrière encombrant et une centralisation absolue du commandement — le tout se termina, comme on le sait, par un vaste “déménagement”. Et celui qui ne reconnaissait pas ces nouveaux principes était rappelé à l’ordre, traité d’“opportuniste”, etc.

Il est certain que toutes ces théories et pratiques étaient erronées. C’était du subjectivisme. Dans les circonstances favorables, ce subjectivisme se manifestait sous la forme du fanatisme et de l’impétuosité révolutionnaires petits-bourgeois ; mais dans les circonstances difficiles, à mesure que la situation empirait, il passait successivement à l’attitude du risque-tout, puis au conservatisme et au “sauve-qui-peut”. Tout cela, c’est la théorie et la pratique des têtes brûlées, des ignorants ; elles ne respirent en rien le marxisme, elles sont, en fait, antimarxistes.

Parlons seulement ici de la retraite stratégique. Cela s’appelait dans le Kiangsi: “attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire”, et dans le Setchouan: “raccourcir la ligne de front”. Tous les théoriciens et praticiens militaires du passé ont également admis que c’est là un principe que doit appliquer dans la phase initiale des opérations militaires une armée faible contre un adversaire puissant. Un spécialiste militaire étranger a dit : “Lorsqu’on passe à la défensive stratégique, on commence, en règle générale, par éviter la décision dans des conditions défavorables et on ne la recherche que lorsque la situation est devenue favorable.” C’est parfaitement juste et nous n’avons rien à y ajouter.

Le but de la retraite stratégique, c’est de conserver les forces de l’armée et de préparer la contre-offensive. La retraite est nécessaire, car, devant l’offensive d’un adversaire puissant, si on ne recule pas, on met immanquablement en péril ses propres forces. Et pourtant nombre de nos camarades étaient autrefois obstinément opposés à la retraite qu’ils considéraient comme une “ligne opportuniste purement défensive”. Or, notre histoire a montré que leurs objections étaient entièrement erronées.

Au cours de la préparation de la contre-offensive, il est indispensable de choisir et de créer des conditions qui soient favorables à nous et désavantageuses pour l’adversaire, afin d’obtenir une modification du rapport des forces ; ceci fait, on peut passer à la contre-offensive.

Comme le montre notre expérience antérieure, nous devons, en général, nous assurer, au cours de l’étape de la retraite, au moins deux des conditions ci-dessous pour pouvoir considérer comme acquis notre avantage sur l’ennemi et passer à la contre-offensive :

1) la population civile apporte son aide active à l’Armée rouge ;
2) le terrain est favorable pour la conduite des opérations ;
3) toutes les forces principales de l’Armée rouge ont été concentrées ;
4) les points faibles de l’adversaire ont été découverts ;
5) l’ennemi a été réduit à un état d’épuisement moral et physique ;
6) l’ennemi a été induit en erreur.

La première condition est pour l’Armée rouge la plus importante de toutes. Or, une base d’appui présente justement cette condition. Celle-ci étant remplie, il est facile de créer ou de découvrir ce qui constitue les quatrième, cinquième et sixième condition. Voilà pourquoi, lorsque l’adversaire déclenche une grande offensive contre l’Armée rouge, celle-ci évacue généralement les régions blanches pour revenir sur le territoire des bases où la population civile s’emploie le plus activement à l’aider à combattre l’armée blanche. A l’intérieur même des bases, il existe une différence entre régions périphériques et régions centrales ; pour empêcher les informations de filtrer jusqu’à l’ennemi, comme pour les missions de reconnaissance, les transports et la participation au combat, la population des régions centrales convient mieux que celle des régions périphériques. C’est pourquoi lorsqu’il nous a fallu déterminer le “terme de la retraite” dans le Kiangsi, lors des trois premières campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi, nous avons toujours choisi des régions où, du point de vue de la première condition, la situation était la meilleure ou relativement bonne. Par suite de cette particularité de posséder des bases d’appui, l’Armée rouge opère selon des méthodes qui diffèrent considérablement des méthodes habituelles. C’est d’ailleurs la raison essentielle pour laquelle l’ennemi a dû recourir, par la suite, à la guerre de blockhaus.

L’armée en retraite peut choisir des positions favorables et imposer sa volonté à l’attaquant ; là réside l’un des avantages des opérations menées à l’intérieur des lignes. Pour vaincre un ennemi puissant, une armée faible ne peut se désintéresser du choix des positions. Mais cette condition seule est insuffisante ; elle doit être accompagnée d’autres conditions. La plus importante est celle de l’appui de la population. Il convient en outre de déterminer le détachement ennemi le plus aisé à frapper, par exemple un détachement qui soit épuisé, ou qui ait commis une faute, ou bien un détachement qui, progressant dans une direction donnée, ait une combativité relativement faible. Si ces conditions font défaut, il vaut mieux abandonner des positions même avantageuses et continuer de se replier afin de s’assurer les conditions désirées. Dans les régions blanches également, on peut trouver des positions avantageuses, mais la condition favorable de l’appui de la population fait défaut. Si d’autres conditions ne sont pas remplies, l’Armée rouge doit se retirer dans les bases d’appui. Les mêmes remarques sont valables, en général, pour la différence à faire entre les régions périphériques et les régions centrales des bases d’appui.

En principe, toutes nos forces de choc doivent être concentrées, à l’exception des détachements locaux et des forces destinées à retenir l’ennemi. Toutefois, lorsque l’Armée rouge attaque un adversaire qui a dû passer à la défensive sur le plan stratégique, elle opère habituellement en ordre dispersé. Par contre, en cas de grande offensive adverse, l’Armée rouge exécute un “repli convergent”. Le terme de ce repli est généralement choisi au centre de la base d’appui, mais parfois aussi dans ses positions avancées ou encore sur ses arrières, tout cela en fonction de la situation. Ces replis convergents permettent à toutes les forces principales de l’Armée rouge de se regrouper entièrement.

Une autre condition indispensable que doit observer une armée faible en lutte contre un ennemi puissant, c’est qu’elle doit frapper là où l’adversaire est vulnérable. Cependant, au moment où celui-ci lance son offensive, il arrive fréquemment que parmi ses colonnes progressant dans diverses directions nous ignorions laquelle est la plus forte, laquelle l’est un peu moins, laquelle est la plus faible et laquelle l’est juste un peu moins. Pour le savoir, il faut effectuer des reconnaissances qui demandent souvent beaucoup de temps. C’est là une raison de plus en faveur de la nécessité de la retraite stratégique.

Si l’adversaire qui attaque nous est de beaucoup supérieur, tant en effectif qu’en puissance, il n’existe qu’un moyen pour modifier le rapport des forces : attendre le moment où il se sera enfoncé profondément dans nos bases d’appui et étouffera sous le fardeau de toutes les difficultés qui l’attendent dans ces régions. Ainsi, le chef d’état-major d’une des brigades de Tchiang Kaï-chek a pu déclarer, lors de la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” : “Les gros, ils en ont fait des maigres, les maigres, ils en ont fait des cadavres.” Et le commandant en chef de l’Armée “d’encerclement et d’anéantissement” du Kuomintang dans le secteur ouest, Tchen Ming-chou, a dit : “L’Armée nationale tâtonne partout dans le noir, alors que l’Armée rouge marche toujours en pleine lumière.” Dans de telles conditions, même si l’adversaire est puissant, on voit ses forces s’affaiblir considérablement ; ses troupes s’épuisent, son moral baisse, et nombre de ses points faibles apparaissent alors en toute clarté. L’Armée rouge, en revanche, bien qu’elle soit faible, accumule des forces, prête à faire face à un ennemi épuisé. A ce moment-là, on arrive en général à établir un certain équilibre ou à réduire la supériorité absolue de l’adversaire à une supériorité relative, tandis que notre faiblesse absolue n’est plus qu’une faiblesse relative ; il peut même se produire que l’adversaire devienne plus faible que nous et que nous l’emportions sur lui. Au cours de la lutte contre la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” dans le Kiangsi, l’Armée rouge a reculé au maximum (elle se regroupa aux confins des arrières de la base). Mais c’est seulement ainsi qu’elle a pu vaincre un adversaire qui avait jeté dans cette campagne des effectifs un peu plus de dix fois supérieurs aux nôtres. Souentse a dit : “Evite le combat lorsque l’ennemi est plein d’allant ; frappe-le quand, affaibli, il se replie.” Il entendait par là qu’il faut épuiser moralement et physiquement l’adversaire pour le priver de sa supériorité.

Le dernier objectif de la retraite, c’est de découvrir les bévues de l’adversaire ou de l’inciter à en commettre. Sachons que si habile que soit un commandant ennemi, il lui est impossible de ne pas commettre de fautes au cours d’une longue période ; nous avons donc toujours la possibilité d’utiliser les bévues de l’adversaire. Ce dernier peut commettre une faute, tout comme nous pouvons parfois nous tromper et lui donner l’occasion d’en profiter. De plus, nous pouvons agir intentionnellement de façon à susciter des fautes chez l’adversaire, par exemple en faisant ce que Souentse appelait “créer des apparences” (donner l’apparence de vouloir frapper à l’est et porter l’attaque à l’ouest, autrement dit faire des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre). Pour cette raison, le terme de notre retraite ne doit pas se limiter à une région déterminée. Il arrive que, nous étant repliés sur la région que nous avions choisie, nous n’ayons pas encore trouvé l’occasion de profiter des bévues de l’adversaire et que nous soyons donc obligés de nous replier encore un peu plus en attendant qu’il en commette.

Telles sont, dans leurs traits généraux, les conditions favorables que peut créer notre repli. Cela ne signifie pas, néanmoins, que nous devions attendre que toutes ces conditions se présentent pour passer à la contre-offensive. Il n’est ni possible ni nécessaire de réunir toutes ces conditions en même temps. Mais une armée inférieure en force et menant des opérations à l’intérieur des lignes contre un adversaire puissant doit chercher à s’assurer certaines conditions indispensables, selon l’état même des forces adverses au moment donné. Sur ce point, toute vue contraire serait erronée.

Lorsqu’on veut déterminer le terme de la retraite, il importe de partir de la situation dans son ensemble. Ce serait une erreur de fixer notre choix sur un point qui, favorable à notre passage à la contre-offensive sous l’angle d’une situation particulière, ne le serait pas en même temps sous le rapport de la situation générale. Car, au début de la contre-offensive, il faut tenir compte des changements qui pourront intervenir ultérieurement dans la situation ; d’ailleurs, nous commençons toujours par des contre-offensives partielles. Parfois, il convient de choisir comme terme de la retraite les positions avancées de notre base d’appui — ce fut le cas, par exemple, au cours des deuxième et quatrième contre-campagnes dans le Kiangsi et de la troisième contre-campagne dans la région frontière du Chensi-Kansou ; parfois, il vaut mieux choisir le centre — ce qui fut le cas lors de la première contre-campagne dans le Kiangsi ; parfois, enfin, il faut fixer ce terme tout à l’arrière de la base d’appui, ce qui fut fait lors de la troisième contre-campagne dans le Kiangsi. Tout cela dépend du rapport entre la situation particulière et la situation générale. Au cours de la cinquième contre-campagne dans le Kiangsi, notre armée s’est catégoriquement refusée à la retraite, ne voulant tenir compte ni de la situation particulière, ni de la situation générale ; ce fut là pure inconsidération. Une situation est constituée par toute une série de facteurs, aussi convient-il de s’assurer, lorsqu’on examine les liens entre la situation particulière et la situation générale, si les facteurs qui conditionnent dans le moment donné la situation de l’ennemi et la nôtre, tant particulière que générale, favorisent dans une certaine mesure notre passage à la contre-offensive.

D’une manière générale, le terme de notre retraite à l’intérieur de notre base d’appui peut être situé dans trois secteurs : à l’avant, au centre ou à l’arrière. Cela signifie-t-il, toutefois, que nous ayons complètement renoncé aux opérations dans les régions blanches ? Non. Nous y renonçons seulement lorsque nous avons à faire face aux vastes campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’adversaire. Dans ce cas, il existe une grande disproportion de forces entre nous et l’ennemi, et c’est dans le but de préserver nos forces et d’attendre le moment propice pour battre l’adversaire que nous nous prononçons pour le repli vers nos bases d’appui, pour les opérations visant à attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire. C’est seulement ainsi, en effet, que nous pourrons découvrir ou créer les conditions qui favoriseront notre contre-offensive. Si la situation n’est pas aussi grave ou si, au contraire, elle est telle qu’elle interdise à l’Armée rouge de passer à la contre-offensive sur son propre territoire ou encore si la contre-offensive aboutit à un échec et qu’il soit nécessaire de poursuivre la retraite pour obtenir un changement radical de la situation, alors on peut admettre, du moins en théorie, que le terme de la retraite soit fixé dans les régions blanches, bien que nous n’ayons encore jusqu’ici que très peu d’expérience à ce sujet.

En ce qui concerne la localisation du terme de notre retraite dans les régions blanches, il peut également se présenter, en principe, trois cas : devant notre base d’appui, sur ses flancs ou derrière elle. Il aurait été possible de fixer le terme de notre retraite devant notre base d’appui, par exemple, lors de notre première contre-campagne dans le Kiangsi. Si, à l’époque, l’Armée rouge n’avait pas connu la division en son sein, et les organisations locales du Parti la scission, si, en d’autres termes, nous n’avions pas eu à régler deux problèmes difficiles : la ligne de Li Li-san et le groupe A-B34, il est permis de penser que, concentrées dans le triangle formé par Kian, Nanfeng et Tchangchou, nos forces eussent pu déclencher la contre-offensive. En effet, le groupement adverse qui avançait alors entre les rivières Kankiang et Fouchouei n’était pas tellement plus fort que l’Armée rouge (100.000 hommes contre 40.000). Bien que du point de vue de l’appui de la population civile, les conditions ne fussent pas aussi bonnes que dans nos bases d’appui, nous avions quand même des positions avantageuses. Nous aurions pu, en outre, profiter de l’avance de l’ennemi par colonnes isolées pour écraser celles-ci l’une après l’autre. Fixer le terme de notre retraite sur un des flancs de notre base d’appui aurait été possible, par exemple, lors de notre troisième contre-campagne dans le Kiangsi, dans les conditions que voici: Si l’offensive de l’adversaire n’avait pas eu alors une ampleur aussi considérable, si l’une des colonnes ennemies était partie de la région de Kienning-Litchouan-Taining, à la limite du Kiangsi et du Foukien, et si son importance avait permis à notre armée de lui porter un coup, l’Armée rouge aurait pu concentrer ses forces dans la région blanche de l’ouest du Foukien et écraser d’abord cette colonne, sans avoir à faire un grand détour de 1.000 lis pour gagner Joueikin, puis Hsingkouo. Prenons enfin un exemple du troisième cas, dans lequel le terme de la retraite est fixé à l’arrière de notre base d’appui. Si, lors de notre troisième contre-campagne dans le Kiangsi, les forces principales de l’adversaire avaient marché, non vers l’ouest, mais vers le sud, nous aurions pu être contraints de reculer jusqu’à la région de Houeitchang-Siunwou-Anyuan (en territoire blanc), afin d’attirer l’adversaire plus loin vers le sud, et l’Armée rouge aurait ensuite frappé du sud vers le nord, dans la profondeur de notre base d’appui, dans le nord de laquelle les forces de l’adversaire n’auraient pas été, à ce moment-là, très nombreuses. Toutefois, les exemples qui viennent d’être donnés constituent uniquement des hypothèses, ils ne sont pas fondés sur l’expérience ; nous pouvons les considérer comme des cas exceptionnels et non comme des principes généraux. Lorsque l’adversaire lance contre nous une vaste campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, la règle générale, pour nous, doit être de l’attirer loin dans l’intérieur de notre base d’appui, de nous replier sur notre territoire pour y poursuivre les opérations militaires, car c’est cette méthode qui nous donne les meilleures garanties pour briser l’offensive de l’adversaire. Ceux qui prétendaient qu’il fallait “arrêter l’ennemi de l’autre côté de la frontière” s’élevaient contre le repli stratégique. Ils justifiaient leur opposition par le fait que notre repli entraînerait une perte de territoire, causerait des dommages à la population (ce qu’on appelle : laisser l’ennemi venir “casser la vaisselle” chez nous) et aurait des répercussions défavorables à l’extérieur. Au cours de notre cinquième contre-campagne, ils se mirent à affirmer qu’à chaque pas en arrière que nous faisions la ligne de fortifications ennemie avançait d’autant, que le territoire de notre base d’appui diminuait de jour en jour et qu’il nous serait impossible de reconquérir le terrain perdu. Si autrefois, disaient-ils, nous avions eu avantage à attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre territoire, cette tactique devenait inutile au cours de la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, où l’adversaire se livrait à une guerre de blockhaus. Ils ajoutaient qu’on ne pouvait lutter contre cette campagne qu’au moyen d’une défense avec des forces dispersées et d’attaques brèves et soudaines.

Il est facile de répondre à toutes ces assertions ; d’ailleurs notre histoire y a déjà répondu. Au sujet de la perte de terrain, il arrive souvent ceci : on ne peut se préserver de pertes qu’en faisant une perte ; c’est le principe : “Pour prendre, il faut d’abord donner”. Si nous abandonnons du terrain, mais remportons ensuite la victoire, récupérons ce que nous avons perdu et agrandissons de plus notre territoire, l’affaire est de celles qui rapportent. Dans les opérations commerciales, l’acheteur ne peut acquérir une marchandise sans céder de l’argent ; inversement, le vendeur ne peut gagner de l’argent sans céder sa marchandise. Dans la révolution, ce qui est cédé est constitué par les destructions et ce qui est gagné, par la construction dans le sens du progrès. On perd du temps à dormir et à se reposer, mais on récupère de l’énergie pour le travail du lendemain. Si un imbécile, ne comprenant pas cela, refusait de dormir, il se sentirait fatigué le jour suivant. Ce serait une opération singulièrement déficitaire. Or, c’est justement ce qui a fait notre déficit lors de la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi. Parce que nous n’avions pas voulu céder une portion de notre territoire, nous l’avons perdu en entier. L’Abyssinie, elle aussi, a perdu tout son territoire parce qu’elle s’est jetée dans la guerre la tête baissée, quoique, bien entendu, ce soit loin d’être la seule raison de sa défaite.

Il en va de même en ce qui concerne les dommages infligés à la population civile. Ne pas accepter qu’on vienne casser la vaisselle, durant peu de temps, dans une partie de nos foyers, c’est accepter qu’on vienne casser la vaisselle de toute la population pendant une longue période. Par crainte de produire des répercussions politiques défavorables pendant un temps limité, on se condamne à en provoquer pendant un temps prolongé. Si, après la Révolution d’Octobre, les bolchéviks russes s’étaient ralliés au point de vue des “communistes de gauche” et avaient repoussé le traité de paix avec l’Allemagne, le pouvoir des Soviets, qui venait tout juste de naître, aurait pu périr35.

Ces conceptions gauchistes, apparemment révolutionnaires, découlent de l’impétuosité révolutionnaire propre aux intellectuels petits-bourgeois et du conservatisme étroit des paysans en tant que petits producteurs. Lorsqu’ils envisagent une question, ils n’en voient qu’une partie et sont incapables de l’appréhender dans son ensemble ; ils ne veulent pas lier les intérêts d’aujourd’hui à ceux de demain, les intérêts particuliers à ceux de l’ensemble. Se cramponnant à ce qui est partiel, temporaire, ils ne veulent le lâcher à aucun prix. Certes, il ne faut pas abandonner des éléments partiels, temporaires, qui, dans les circonstances concrètes du moment, apparaissent comme avantageux, en particulier ceux qui semblent revêtir une importance décisive, pour l’ensemble et pour toute la période donnée ; sinon, nous deviendrions des partisans du laisser-aller ou du laisser-faire. Voilà pourquoi la retraite doit avoir un terme. Toutefois, nous ne devons, en aucun cas, nous laisser conduire par les conceptions à courte vue des petits producteurs, nous devons acquérir la sagesse bolchévique. Quand la vue de nos yeux seuls s’avère insuffisante, il faut recourir à la jumelle et au microscope. La méthode marxiste, c’est à la fois une jumelle et un microscope en politique et dans le domaine militaire.

Bien entendu, le repli stratégique présente des difficultés. Le choix du moment initial, de son terme, le travail d’explication politique parmi les cadres et la population civile afin de les convaincre de la nécessité de ce repli, ce sont là des tâches difficiles qu’il est pourtant nécessaire de mener à bien.

La question du moment où doit commencer le repli est très importante. Si, au cours de notre première contre-campagne dans le Kiangsi, le début du repli n’avait pas été fixé au bon moment, c’est-à-dire si le repli avait commencé plus tard, cela aurait eu des répercussions, au moins sur l’ampleur de notre victoire. Il va de soi qu’il est nuisible de commencer le repli ou trop tôt ou trop tard. Toutefois, d’une manière générale, un repli tardif entraîne plus d’inconvénients qu’un repli prématuré. Un repli exécuté au moment opportun permet de se saisir entièrement de l’initiative, ce qui facilite ensuite considérablement le passage à la contre-offensive, lorsque, le terme du repli atteint, on a regroupé ses forces et qu’on peut attendre à son aise que l’adversaire se soit bien épuisé. Au cours des opérations qui nous ont permis de briser les première, deuxième et quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi dans le Kiangsi, nous avons pu choisir tranquillement le moment d’affronter l’adversaire. C’est seulement au cours de la troisième campagne que l’Armée rouge fut obligée de se regrouper hâtivement en faisant des détours et que ses combattants se retrouvèrent épuisés ; c’est que nous ne nous attendions nullement à ce que l’adversaire, après sa lourde défaite dans la deuxième campagne, réussît à en organiser si vite une nouvelle (nous avions terminé la deuxième contre-campagne le 29 mai 1931, et dès le 1er juillet Tchiang Kaï-chek déclencha sa troisième campagne). Le choix du moment du repli est déterminé de la même manière que le choix du début de la phase préparatoire d’une contre-campagne dont nous avons parlé précédemment, c’est-à-dire entièrement sur la base des informations indispensables que nous avons pu recueillir et de l’appréciation de la situation générale chez nous et chez l’adversaire.

Convaincre nos cadres et la population civile de la nécessité du repli stratégique est une tâche des plus ardues, quand ils n’ont pas l’expérience de ce repli et que la direction militaire n’a pas atteint un degré d’autorité tel qu’elle puisse confier la décision du repli stratégique à un très petit nombre de personnes, voire à une seule, et jouir en même temps de la confiance des cadres. C’est parce que nos cadres manquaient d’expérience et ne croyaient pas au repli stratégique que nous avons rencontré, à ce sujet, d’énormes difficultés au début des première et quatrième contre-campagnes et tout au long de la cinquième. Au cours de notre première contre-campagne, sous l’influence de la ligne de Li Li-san, certains de nos cadres étaient non pour le recul mais pour l’attaque, jusqu’au moment où, finalement, nous avons pu les convaincre du contraire. Au cours de notre quatrième contre-campagne, sous l’influence de l’aventurisme militaire, certains de nos cadres se sont élevés contre la préparation du repli stratégique. Pendant notre cinquième contre-campagne, certains de nos cadres sont encore restés, au début, fidèles aux conceptions de l’aventurisme militaire ; ils se sont élevés contre les tentatives d’attirer l’adversaire loin dans l’intérieur de notre base d’appui et sont devenus, par la suite, des partisans du conservatisme militaire. Les partisans de la ligne de Tchang Kouo-tao ne reconnaissaient pas l’impossibilité de créer des bases d’appui dans les régions peuplées de Tibétains et de Houeis36. Ils se sont rendus à l’évidence seulement lorsqu’ils se sont eux-mêmes cogné la tête contre le mur. C’est là aussi un exemple concret. L’expérience est indispensable aux cadres ; la défaite est vraiment la mère du succès. Mais il est non moins nécessaire d’apprendre avec modestie et de s’instruire par l’expérience des autres. Si, en toute occasion, on ne veut se convaincre qu’en se fondant sur sa propre expérience, si l’on se bute et si l’on se refuse à accepter l’expérience d’autrui, on aboutit à la forme la plus pure de cet “empirisme étroit” qui nous a fait tant de tort au cours de la guerre.

Jamais la population civile n’a été, à cause de son inexpérience, aussi peu convaincue de la nécessité d’un repli stratégique que lors de notre première contre-campagne dans le Kiangsi. Les organisations locales du Parti et les masses populaires dans les districts de Kian, de Hsingkouo et de Yongfeng protestèrent alors unanimement contre le repli de l’Armée rouge. Mais quand elles eurent acquis l’expérience nécessaire lors de la première contre-campagne, ce problème ne se présenta plus au cours des contre-campagnes suivantes. Tout le monde comprit que les pertes de territoire et les souffrances du peuple n’étaient que temporaires et était convaincu que l’Armée rouge pouvait briser les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement”. Néanmoins, la confiance du peuple se trouve étroitement liée à celle que ressentent nos cadres ; c’est pourquoi notre tâche principale, primordiale, c’est de convaincre nos cadres.

Le repli stratégique est entièrement orienté vers le passage à la contre-offensive; le repli stratégique, ce n’est que la première étape de la défensive stratégique. Le problème décisif de toute la stratégie, c’est de savoir si la victoire pourra être remportée au cours de l’étape suivante, celle de la contre-offensive.

SECTION 4. LA CONTRE-OFFENSIVE STRATÉGIQUE

Comme cela a déjà été dit précédemment, il n’est possible de briser l’offensive d’un adversaire possédant une supériorité absolue que si la situation, qui se crée au cours du repli stratégique, devient favorable pour nous et défavorable pour l’adversaire, et est différente de celle qui existait au début de l’offensive adverse; cette situation résulte d’ailleurs de divers facteurs.

Toutefois, l’existence de conditions et d’une situation qui soient favorables à nous et défavorables à l’adversaire ne suffit pas pour infliger une défaite à celui-ci. Ces conditions et cette situation rendent possibles notre victoire et la défaite de l’ennemi, mais ne les constituent pas à elles seules; elles n’ont encore donné à aucune des armées en présence la victoire ou la défaite réelles. Pour transformer en réalité cette possibilité de victoire ou de défaite, il faut une bataille décisive qui, seule, permettra de dire quelle armée est victorieuse. Voilà en quoi consiste toute la tâche dévolue à la contre-offensive stratégique. La contre-offensive représente un long processus, elle constitue la phase la plus exaltante, la plus dynamique de la défensive, et elle en est, en même temps, la phase ultime. Par défense active on entend principalement une contre-offensive stratégique de caractère décisif.

Ces conditions et cette situation ne se forment pas uniquement au cours de la phase du repli stratégique, elles continuent à se constituer lors de la contre-offensive. Au cours de celle-ci, elles ne restent absolument identiques ni par leur forme ni par leur caractère à ce qu’elles étaient au cours de la phase antérieure.

Ce qui, par sa forme et son caractère, peut rester identique dans la seconde phase, comme par exemple l’épuisement grandissant de l’adversaire et ses pertes accrues en forces vives, n’est que la suite de ce qui s’est passé au cours de la première phase.

Néanmoins, des conditions et une situation toutes nouvelles naissent inévitablement. Ainsi, par exemple, lorsque l’armée adverse a subi une ou plusieurs défaites, les conditions qui nous sont favorables et qui sont défavorables à l’adversaire ne se limitent plus à l’épuisement de l’adversaire, etc., puisqu’un nouveau facteur s’y est ajouté, à savoir qu’il a subi des défaites. La situation, elle aussi, connaît de nouveaux changements: Quand l’armée ennemie se déplace en désordre et fait de fausses manœuvres, la puissance relative des deux armées en lutte se trouve naturellement modifiée.

Admettons que ce soit notre armée et non celle de l’adversaire qui ait subi une ou plusieurs défaites ; les conditions et la situation changent alors dans l’autre sens. C’est-à-dire qu’il y a moins de conditions défavorables pour l’adversaire ; par contre, les conditions qui nous sont défavorables commencent à apparaître et même s’aggravent. C’est là encore un phénomène tout à fait nouveau, différent de celui que nous avons connu précédemment.

La défaite de l’une des parties conduit directement et rapidement le camp vaincu à faire de nouveaux efforts pour essayer de sortir du péril, de se débarrasser de la nouvelle situation et des nouvelles conditions qui lui sont défavorables, mais favorables à l’adversaire, et de recréer une situation et des conditions qui lui soient favorables et qui soient défavorables à l’adversaire, afin de pouvoir exercer une pression sur ce dernier.

Au contraire, les efforts déployés par le camp vainqueur viseront à exploiter au maximum sa victoire, à infliger à l’adversaire des pertes encore plus importantes, à développer des conditions et une situation qui lui sont favorables, tout en empêchant l’adversaire de se débarrasser de ses conditions défavorables et de sortir de la situation périlleuse. Ainsi donc, et quel que soit le camp considéré, c’est dans la phase de la bataille décisive que la lutte est la plus acharnée, la plus complexe, la plus riche en vicissitudes, et en même temps la plus difficile et la plus ardue de toute la guerre ou de toute la campagne, et, au point de vue du commandement, c’est le moment le plus délicat.

Un grand nombre de problèmes se posent au cours de la contre-offensive. Les principaux sont les suivants : le début de la contre-offensive, la concentration des forces, la guerre de mouvement, la guerre de décision rapide et la guerre d’anéantissement.

Pour résoudre ces problèmes, on applique, pour l’essentiel, les mêmes principes que pour l’offensive. Dans ce sens, on peut dire que la contre-offensive, c’est l’offensive.

Pourtant, il ne s’agit pas tout à fait de la même chose. Les principes de la contre-offensive sont appliqués lorsque l’adversaire attaque, ceux de l’offensive lorsqu’il se défend. En ce sens, il existe certaines différences entre la contre-offensive et l’offensive.

Bien que j’examine ici divers problèmes relatifs à la conduite des opérations militaires en étudiant la contre-offensive, dans le présent chapitre de la défensive stratégique, et que, pour éviter les répétitions, je ne traite, dans le chapitre de l’offensive stratégique, que quelques autres problèmes, on ne doit perdre de vue, dans le recours pratique à la contre-offensive et à l’offensive, ni leurs similitudes ni leurs différences.

SECTION 5. LE DÉBUT DE LA CONTRE-OFFENSIVE

Le problème du début de la contre-offensive, c’est celui des “premières batailles”, des “batailles préliminaires”.

Nombre de spécialistes militaires bourgeois considèrent qu’il faut aller avec prudence vers “la première bataille”, aussi bien en ce qui concerne la défensive stratégique que l’offensive stratégique. Cela se rapporte en particulier à la défensive. Nous avons aussi posé sérieusement ce problème dans le passé. Les opérations menées contre les cinq campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi dans le Kiangsi nous ont donné une riche expérience, qu’il n’est pas inutile d’examiner.

Au cours de sa première campagne, l’adversaire, fort d’environ100.000 hommes, avançait en huit colonnes à partir de la ligne Kian-Kienning, vers le sud, en direction de la base d’appui de l’Armée rouge. Celle-ci, d’environ 40.000 hommes, était concentrée dans la région de Houangpi-Siaopou, district de Ningtou, dans le Kiangsi.

La situation était la suivante :

1) L’armée ennemie n’avait que 100.000 hommes, qui de plus n’appartenaient pas aux propres troupes de Tchiang Kaï-chek ; de ce fait, la situation générale n’était pas particulièrement grave.
2) La division ennemie commandée par Louo Lin était la seule à défendre Kian sur la rive opposée, à l’ouest du Kankiang.
3) Trois divisions ennemies — celles de Kong Ping-fan, de Tchang Houei-tsan et de Tan Tao-yuan — s’installaient dans la région de Foutien-Tongkou-Longkang-Yuanteou, au sud-est de Kian et au nord-ouest de Ningtou. Les forces principales de Tchang Houei-tsan se trouvaient à Longkang, et celles de Tan Tao-yuan, à Yuanteou. Comme, à un moment donné, la population de Foutien et de Tongkou, trompée par le groupe A-B, manquait de confiance dans l’Armée rouge et même se montrait hostile à son égard, il n’était pas recommandable de choisir ces deux districts comme théâtre d’opérations.
4) La division ennemie de Lieou Ho-ting se trouvait au loin, à Kienning, sur le territoire blanc du Foukien, et il était peu probable qu’elle entrerait dans le Kiangsi.
5) Deux autres divisions ennemies — celles de Mao Ping-wen et de Hsiu Keh-siang — avançaient dans la région de Teoupi-Louokeou-Tongchao, c’est-à-dire entre Kouangtchang et Ningtou. Teoupi se trouvait en territoire blanc, et Louokeou, dans une région de partisans ; à Tongchao opérait le groupe A-B et il était difficile d’y garder le secret sur nos opérations. Lancer nos forces contre les divisions de Mao Ping-wen et de Hsiu Keh-siang, pour pousser ensuite vers l’ouest, aurait été dangereux, car les trois divisions installées à l’ouest (celles de Tchang Houei-tsan, de Tan Tao-yuan et de Kong Ping-fan) auraient pu se regrouper et il aurait été difficile de les vaincre ; ce plan ne pouvait, en fin de compte, résoudre le problème posé.
6) La division de Tchang Houei-tsan et celle de Tan Tao-yuan, qui constituaient les forces principales de l’adversaire, appartenaient aux propres troupes du gouverneur du Kiangsi, Lou Ti-ping, commandant en chef de la campagne, et la direction des opérations sur le front était confiée à Tchang Houei-tsan. Anéantir ces deux divisions aurait signifié pratiquement faire échouer la campagne. Ces deux divisions comptaient chacune environ 14.000 hommes, et la division de Tchang Houei-tsan était en outre cantonnée en deux endroits. En n’attaquant chaque fois qu’une de ces divisions, nous avions la supériorité numérique absolue.
7) La région de Longkang-Yuanteou, où étaient installées les forces principales constituées par les divisions de Tchang Houei-tsan et de Tan Tao-yuan, se trouvait à proximité du point où étaient concentrées nos troupes. En outre, les conditions, dans ces régions, nous étaient favorables en raison de l’appui de la population ; c’est pourquoi nous pouvions avancer vers l’ennemi à son insu.
8) A Longkang, nous avions un terrain avantageux. Et il n’était pas facile d’attaquer Yuanteou. Si l’ennemi nous attaquait à Siaopou, nous avions également là un terrain avantageux.
9) Nous pouvions concentrer le maximum de troupes dans le secteur de Longkang. En outre, nous avions à Hsingkouo, à quelques dizaines de lis au sud-ouest de Longkang, une division indépendante de plus d’un millier d’hommes qui, par un mouvement tournant, pouvait déboucher sur les arrières de l’adversaire.
10) Après avoir percé au centre et fait une brèche dans les positions ennemies, nos troupes pouvaient couper les colonnes ennemies en deux groupes, l’un se trouvant à l’est et l’autre bien loin à l’ouest.

Tenant compte de toutes ces considérations, nous décidâmes de livrer notre première bataille contre les forces principales commandées par Tchang Houei-tsan et nous réussîmes à écraser deux brigades et le quartier général de sa division, anéantissant entièrement des forces de 9.000 hommes et faisant prisonnier le commandant de la division. Personne n’y échappa. Après notre victoire, la division de Tan Tao-yuan, prise de panique, s’enfuit à toute allure en direction de Tongchao, et celle de Hsiu Keh-siang en direction de Teoupi. Nos troupes lancées à la poursuite de la division de Tan Tao-yuan en détruisirent la moitié. En cinq jours (du 27 décembre 1930 au 1er janvier 1931), nous livrâmes deux batailles ; après quoi les forces adverses, craignant d’être écrasées, se dépêchèrent d’évacuer la région de Foutien, Tongkou et Teoupi. C’est ainsi que se termina la première campagne “d’encerclement et d’anéantissement”.

Dans la deuxième, la situation était la suivante :

1) Les effectifs adverses se montaient à 200.000 hommes, le commandant en chef était Ho Ying-kin, dont le quartier général se trouvait à Nantchang.
2) Dans cette campagne, comme dans la première, aucune des unités ennemies ne faisait partie des troupes personnelles de Tchiang Kaï-chek. Les éléments forts, ou relativement forts, en étaient la XIXe Armée de Route de Tsai Ting-kai, la XXVIe Armée de Route de Souen Lien-tchong et la VIIIe Armée de Route de Tchou Chao-liang ; les autres étaient relativement faibles.
3) Le groupe A-B était liquidé et toute la population de la base d’appui soutenait l’Armée rouge.
4) La Ve Armée de Route de Wang Kin-yu venait tout juste d’être transférée du Nord et avait peur de nous. On peut en dire à peu près autant des deux divisions de Kouo Houa-tsong et de Hao Meng-ling, devenues l’aile gauche de Wang Kin-yu.
5) En commençant les opérations à partir de Foutien et en rejetant l’ennemi vers l’est, nous pouvions agrandir notre base d’appui dans la région de Kienning-Litchouan-Taining qui se trouve aux confins du Foukien et du Kiangsi et, ainsi, amasser des ressources matérielles, afin de faire échec à la campagne suivante de l’adversaire; si nous portions notre coup de l’est vers l’ouest, nous ne pouvions aboutir qu’à la rivière Kankiang et aucune possibilité d’extension ne s’offrait à nous, à l’issue des opérations; nous retourner vers l’est après la bataille aurait entraîné l’épuisement de nos troupes et signifié une perte de temps.
6) Par rapport à la première campagne, nos effectifs avaient quelque peu diminué et ne comptaient qu’un peu plus de30.0 hommes, mais par contre nos troupes avaient bénéficié d’un repos complet de quatre mois.

Tenant compte de tous ces éléments, nous décidâmes de livrer notre première bataille aux unités de Wang Kin-yu et de Kong Ping-fan, installées dans le secteur de Foutien (en tout 11 régiments). Après avoir gagné cette bataille, nous attaquâmes successivement les forces de Kouo Houa-tsong, de Souen Lien-tchong, de Tchou Chao-liang et de Lieou Ho-ting. En quinze jours (du 16 au 30 mai 1931), nous avions parcouru 700 lis, livré 5 batailles, arraché plus de 20.000 fusils à l’ennemi et notre contre-campagne fut un plein succès. Au cours de l’opération contre Wang Kin-yu, nous nous trouvions entre les unités de Tsai Ting-kai et de Kouo Houa-tsong, à une quarantaine de lis des premières, à une dizaine des secondes. D’aucuns disaient que nous nous engagions dans une impasse, et pourtant nous nous en sommes tirés. Cela s’explique essentiellement par deux raisons : nous opérions sur notre propre territoire et les troupes adverses manquaient de coordination entre elles. Après la défaite de la division de Kouo Houa-tsong, celle de Hao Meng-ling se replia de nuit sur Yongfeng, échappant ainsi au désastre.

Au cours de la troisième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, la situation était la suivante :

1) Tchiang Kaï-chek dirigeait en personne la campagne comme commandant en chef ; il avait sous ses ordres trois chefs de colonne : Ho Ying-kin, commandant la colonne centrale, installé avec Tchiang Kaï-chek à Nantchang ; Tchen Ming-chou, commandant la colonne de droite, avec son quartier général à Kian ; Tchou Chao-liang, commandant la colonne de gauche, avec son quartier général à Nanfeng.
2) Les effectifs ennemis atteignaient 300.000 hommes. Les forces principales étaient constituées par 5 divisions appartenant aux troupes personnelles de Tchiang Kaï-chek: elles étaient commandées par Tchen Tcheng, Louo Tchouo-ying, Tchao Kouan-tao, Wei Li-houang et Tsiang Ting-wen ; ces divisions, comprenant chacune 9 régiments, groupaient environ 100.000 hommes. Prenaient part encore à la campagne 3 divisions : celles de Tsiang Kouang-nai, de Tsai Ting-kai et de Han Teh-kin, totalisant 40.000 hommes, à quoi il faut ajouter les troupes commandées par Souen Lien-tchong, soit 20.000 hommes. D’autres troupes, qui n’appartenaient pas non plus aux forces personnelles de Tchiang Kaï-chek avaient une capacité combative relativement faible.
3) Le plan stratégique de la campagne visait à réaliser une “pénétration en profondeur”, afin d’anéantir l’Armée rouge en l’acculant à la rivière Kankiang ; c’était là une différence nette avec la stratégie de “consolidation à chaque pas”, appliquée au cours de la deuxième campagne.
4) Entre la fin de la deuxième campagne et le début de la troisième, il ne s’écoula qu’un mois. L’Armée rouge, sortant de rudes combats, n’avait pas encore eu le temps de se reposer et de se compléter (elle groupait environ 30.000 hommes). Et elle n’avait pas plus tôt fait un crochet de 1.000 lis pour revenir se regrouper à Hsingkouo, dans la partie ouest de sa base d’appui du Kiangsi méridional, que l’ennemi marcha sur elle de plusieurs directions.

Dans ces conditions, notre plan primitif était le suivant : sortir de Hsingkouo et faire une percée à Foutien, en passant par Wanan, puis avancer rapidement de l’ouest à l’est, à travers les lignes de communication de l’adversaire sur ses arrières et laisser ainsi les forces principales de l’ennemi pénétrer profondément dans notre base d’appui du Kiangsi méridional, sans qu’elles puissent jouer aucun rôle. Cela devait constituer la première phase de l’opération. Lorsque l’ennemi devrait revenir vers le nord, ses troupes seraient fortement épuisées et nous pourrions alors saisir l’occasion pour frapper ses unités vulnérables. Cela devait constituer la seconde phase de l’opération. L’idée centrale de notre plan était la suivante : éviter les rencontres avec les forces principales de l’adversaire et porter des coups sur ses points vulnérables. Toutefois, lorsque nos unités commencèrent leur progression vers Foutien, elles ne purent échapper à l’attention de l’ennemi qui dépêcha contre elles les divisions de Tchen Tcheng et de Louo Tchouo-ying. Il nous fallut modifier notre plan et revenir à Kaohsinghsiu, à l’ouest de Hsingkouo. A ce moment, nous ne disposions plus que de ce point d’appui et de ses environs, soit quelques dizaines de lis carrés, pour pouvoir nous regrouper. Le jour après notre regroupement, nous décidâmes de pousser vers l’est, en direction de Lientang (dans la partie est du district de Hsingkouo), Liangtsouen (dans la partie sud du district de Yongfeng) et Houangpi (dans la partie nord du district de Ningtou). Le jour même, nous passâmes, à la faveur de la nuit, par un corridor large de 40 lis, entre la division de Tsiang Ting-wen et les unités de Tsiang Kouang-nai, de Tsai Ting-kai et de Han Teh-kin, et débouchâmes à Lientang. Le lendemain, nous eûmes quelques contacts avec des détachements d’avantgarde des forces de Changkouan Yun-siang (celui-ci commandait alors sa propre division et celle de Hao Meng-ling). Le troisième jour, nous portâmes nos coups contre la division de Changkouan Yun-siang; ce fut notre première bataille ; le quatrième jour, contre la division de Hao Meng-ling: deuxième bataille; puis, après une marche de trois jours, nous débouchâmes à Houangpi et attaquâmes la division de Mao Ping-wen : troisième bataille. Les trois batailles furent victorieuses et nous pûmes nous emparer de plus de 10.000 fusils. A ce moment, les forces principales de l’adversaire, progressant dans la direction de l’ouest et du sud, s’orientèrent vers l’est et portèrent toute leur attention sur Houangpi, où elles se dirigèrent à marche forcée afin de nous offrir le combat. Exécutant une vaste opération d’enveloppement en ordre compact, elles se rapprochèrent de nos forces. Nous nous faufilâmes par un couloir large de 20 lis dans une région de hautes montagnes, entre les troupes de Tsiang Kouang-nai, de Tsai Ting-kai et de Han Teh-kin d’une part, et celles de Tchen Tcheng et de Louo Tchouo-ying d’autre part, et, après avoir fait un crochet de l’est vers l’ouest, nous nous regroupâmes dans le district de Hsingkouo. Avant que l’adversaire ait pu nous découvrir et revenir vers l’ouest, quinze jours s’écoulèrent, ce qui permit à nos troupes de se reposer. Quant à l’adversaire, épuisé, démoralisé, n’en pouvant plus, il décida de se replier. Mettant à profit ce repli, nous portâmes des coups aux unités de Tsiang Kouang-nai, de Tsai Ting-kai, de Tsiang Ting-wen et de Han Teh-kin, détruisant une brigade de Tsiang Ting-wen et la division de Han Teh-kin. N’ayant pu obtenir de décision dans nos engagements contre les divisions de Tsiang Kouang-nai et de Tsai Ting-kai, nous finîmes par les laisser partir.

Au cours de la quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, la situation était la suivante : L’adversaire marchait sur Kouangtchang par trois colonnes. Ses forces principales constituaient la colonne orientale. Deux divisions formant la colonne occidentale apparurent devant nous, se dirigeant vers la région où nous procédions à notre regroupement. Ainsi, nous commençâmes par frapper cette colonne dans le sud du district de Yihouang et réussîmes à détruire d’un seul coup les deux divisions de Li Ming et de Tchen Che-ki. L’adversaire retira alors deux divisions de la colonne orientale, qu’il transféra en direction du centre, et poursuivit son avance. Nous réussîmes à détruire encore une division dans le sud du district de Yihouang. Nous nous emparâmes de plus de 10.000 fusils au cours de ces deux batailles et la campagne de l’adversaire se trouva, pour l’essentiel, brisée.

Dans sa cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, l’ennemi adopta, au cours de sa progression, une nouvelle stratégie fondée sur la “guerre de blockhaus” et s’empara tout d’abord de Litchouan. Quant à nous, essayant de récupérer Litchouan et de nous défendre en dehors de notre base d’appui, nous attaquâmes Siaoche, au nord de Litchouan, position solidement établie qui, de plus, se trouvait en territoire blanc. Cette attaque ayant échoué, nous portâmes nos coups contre Tsehsikiao, au sud-est de Litchouan, c’est-à-dire, à nouveau, contre une position fortifiée se trouvant dans une région blanche, mais ce fut un nouvel échec. Alors, nous cherchâmes le combat en opérant entre les forces principales de l’adversaire et ses positions fortifiées et fûmes réduits à une totale passivité. Pendant toute l’année au cours de laquelle se déroula la cinquième contre-campagne, nous fûmes incapables de manifester la moindre initiative et finalement nous dûmes abandonner notre base du Kiangsi.

L’expérience militaire acquise au cours de ces cinq contre-campagnes montre que si l’Armée rouge, se trouvant en position défensive, veut briser une puissante armée adverse, la première bataille dans la contre-offensive revêt une importance extrême. L’issue de cette première bataille exerce une influence considérable sur l’ensemble de la situation et cette influence se fait sentir jusqu’au dernier combat inclusivement. On peut en tirer les conclusions suivantes :

Premièrement, il est indispensable de gagner la première bataille. Avant d’engager le combat, il faut être parfaitement sûr que la situation de l’adversaire, le terrain, la population et d’autres conditions nous soient favorables et soient défavorables à l’adversaire. Dans le cas contraire, il est préférable de reculer, d’agir avec circonspection et d’attendre l’occasion. Celle-ci se présentera toujours ; il ne faut pas accepter le combat à la légère. Pendant notre première contre-campagne, nous avions d’abord songé à attaquer les troupes de Tan Tao-yuan, mais comme l’adversaire ne se décidait pas à abandonner les positions dominantes qu’il occupait à Yuanteou, notre armée, à deux reprises, s’approcha de lui et, à deux reprises, se replia patiemment ; quelques jours plus tard se présenta la division de Tchang Houei-tsan qu’il nous fut facile d’attaquer. Lors de notre deuxième contre-campagne, notre armée avança jusqu’à Tongkou où, dans le seul but d’attendre que Wang Kin-yu abandonnât ses positions fortifiées de Foutien, elle alla s’installer tout près de l’ennemi, au risque de trahir sa présence, et rejeta toutes les propositions dictées par l’impatience qui visaient à une attaque immédiate ; elle patienta là vingt-cinq jours et, finalement, obtint le résultat désiré. Au cours de notre troisième contre-campagne, dans une situation périlleuse, lorsque nous revînmes à notre base d’appui après un détour de mille lis et que l’adversaire s’aperçut que nous voulions le déborder, nous procédâmes patiemment à un repli, nous changeâmes notre plan initial et pratiquâmes une percée au centre et, finalement, nous remportâmes un premier succès dans la bataille livrée à Lientang. Au cours de notre quatrième contre-campagne, après l’échec de notre offensive sur Nanfeng, nous nous repliâmes sans hésiter et, finalement, nous débouchâmes sur le flanc droit de l’adversaire, nous nous regroupâmes dans la région de Tongchao et livrâmes, dans le sud du district de Yihouang, une bataille qui nous valut une grande victoire. C’est seulement au cours de notre cinquième contre-campagne que nous avons négligé l’importance de la première bataille. Alarmés par la seule perte du chef-lieu de district, Litchouan, nous nous dirigeâmes, dans l’intention de le récupérer, vers le nord au-devant de l’ennemi. Puis, au lieu de considérer la rencontre imprévue devant Siunkeou, où nous remportâmes la victoire (une division adverse fut anéantie), comme la première bataille, et de tenir compte des changements que cette bataille devait nécessairement entraîner, nous entreprîmes inconsidérément l’offensive sur Siaoche dont le succès était douteux. Dès le premier pas, l’initiative fut perdue. C’est la pire, la plus stupide des méthodes de combat.

Deuxièmement, le plan de la première bataille doit être le prologue du plan de l’ensemble de la campagne, et en constituer une partie organique. Sans un bon plan pour toute la campagne, il est absolument impossible de livrer, avec un réel succès, la première bataille. Ce qui signifie que la victoire remportée dans la première bataille ne peut être considérée que comme un insuccès, si cette victoire s’avère nuisible à l’ensemble de la campagne au lieu de lui être utile. (Citons l’exemple de la bataille de Siunkeou au cours de notre cinquième contre-campagne.) C’est pourquoi il importe, avant de livrer la première bataille, d’envisager, dans les grandes lignes, comment nous livrerons la deuxième, la troisième, la quatrième et même la dernière bataille, quels changements interviendront dans la situation générale de l’adversaire après chacune de nos victoires ou chacun de nos insuccès. Il est indispensable d’essayer de prévoir tout cela avec soin et réalisme, en partant de la situation générale telle qu’elle se présente pour les deux parties, bien que le cours réel des événements ne doive pas nécessairement et en fait ne puisse absolument pas coïncider dans tous les détails avec ce que nous attendons. Faute d’un plan dans une partie d’échecs, il est impossible de jouer un coup réellement bon.

Troisièmement, il faut encore penser à la manière dont nous opérerons au cours de l’étape stratégique suivante. Ce serait mal s’acquitter du devoir d’un stratège que de tenir compte seulement de la contre-offensive, sans envisager ce que l’on entreprendra à l’issue victorieuse de cette contre-offensive ou, le cas échéant, après son insuccès. Dans une phase stratégique, le stratège doit envisager les phases ultérieures, ou à tout le moins, la phase suivante. Bien qu’il soit difficile de prévoir les changements à venir, puisque plus on regarde loin plus les choses semblent vagues, il reste possible d’en calculer les grandes lignes et il est indispensable d’envisager les perspectives d’avenir. La méthode qui consiste, pour un dirigeant, à n’envisager que ce qui doit intervenir dans l’immédiat est aussi nuisible en politique que dans la guerre. Après une opération, il est nécessaire de tenir compte des changements concrets qu’elle a entraînés et, sur cette base, de modifier ou de compléter les plans stratégiques et opérationnels qu’on a établis ; sinon, on risque de s’aventurer inconsidérément. Il est d’autre part absolument indispensable d’avoir un plan qui embrasse toute une phase stratégique et même plusieurs phases stratégiques, un plan envisagé dans son ensemble et pour une période prolongée. Faute d’un tel plan, on restera dans l’incertitude, on piétinera sur place et, en fait, on servira les intentions stratégiques de l’adversaire, en se condamnant à la passivité. Il ne faut pas oublier que le commandement suprême de l’adversaire n’est pas sans avoir une certaine perspective stratégique. Nous ne pourrons remporter de victoires stratégiques que si nous dépassons d’une tête l’adversaire. La direction stratégique exercée aussi bien par les partisans de l’opportunisme “de gauche” au cours de la cinquième campagne de l’adversaire que par ceux de la ligne de Tchang Kouo-tao était surtout erronée du fait que cette condition n’avait pas été observée. Ainsi donc, dès la phase du repli, il importe d’envisager à l’avance celle de la contre-offensive ; au cours de la contre-offensive, d’envisager la phase de l’offensive ; au cours de l’offensive, enfin, d’envisager de nouveau la phase du repli. Ne pas le faire, limiter ses considérations à la phase du moment, c’est courir tout droit à la défaite.

Gagner la première bataille, l’envisager dans le cadre du plan de l’ensemble de la campagne, envisager la phase stratégique suivante, tels sont les trois principes que nous ne devons jamais oublier lorsque nous commençons une contre-offensive, c’est-à-dire quand nous livrons la première bataille.

SECTION 6. LA CONCENTRATION DES FORCES

A première vue, la concentration des forces semble chose facile, mais dans la pratique, il n’en est pas ainsi. Chacun comprend que le mieux c’est de vaincre des forces inférieures avec des forces supérieures en nombre. Et pourtant il arrive souvent qu’on n’agisse pas ainsi : beaucoup de chefs militaires, au contraire, divisent leurs forces. Cela se produit parce que les vues stratégiques de ces chefs ne sont pas suffisamment développées, parce qu’ils se perdent dans une situation complexe et, de ce fait, en deviennent les esclaves, laissent échapper l’initiative et ne se préoccupent plus que de boucher les trous.

Même dans la situation la plus complexe, la plus critique et la plus pénible, un chef militaire doit, avant tout, organiser et utiliser ses forces d’une manière indépendante et avec initiative. Il arrive fréquemment qu’on soit contraint par l’adversaire à la passivité. L’important, dans de tels cas, c’est de reprendre rapidement l’initiative. Si l’on n’y parvient pas, on va inévitablement à la défaite.

L’initiative, ce n’est pas un concept abstrait, mais quelque chose de concret, de matériel. Ici, ce qui importe avant tout, c’est de conserver et de masser le maximum de forces actives.

A vrai dire, il est facile de perdre l’initiative dans la défensive, alors que c’est loin d’être le cas dans les opérations offensives, où l’on peut la développer pleinement. Il est néanmoins possible de donner à la défensive, qui est passive dans sa forme, un contenu actif, de passer du stade où elle est passive dans sa forme au stade où elle devient active de forme aussi bien que de contenu. Un repli stratégique, absolument prévu par le plan, peut sembler forcé, en apparence, mais du point de vue du contenu, il a pour but de préserver nos forces, d’attendre le moment propice où nous pourrons mettre l’adversaire en déroute, de l’attirer loin dans l’intérieur de notre territoire, de préparer notre contre-offensive. C’est seulement en refusant de se replier ou en acceptant à la hâte le combat (ce qui s’est passé, par exemple, à Siaoche) qu’on perd, en pratique, l’initiative, bien qu’en apparence on donne l’impression de lutter pour se l’assurer. Dans le cas de la contre-offensive stratégique, l’initiative ne se manifeste pas seulement dans le contenu, elle se manifeste encore dans la forme, c’est-à-dire dans le refus de rester dans la passivité qui accompagne le repli. Pour l’adversaire, notre contre-offensive signifie un effort de nos troupes pour lui faire perdre l’initiative et le vouer à la passivité.

Les conditions indispensables pour atteindre pleinement cet objectif sont les suivantes : concentration des forces, guerre de mouvement, guerre de décision rapide, guerre d’anéantissement ; de ces conditions, la concentration des forces apparaît comme la première et la plus importante.

La concentration des forces est nécessaire, car elle doit amener un renversement dans la situation des deux parties. Premièrement, elle doit amener un renversement des rôles entre les deux parties en ce qui concerne l’avance et le recul. Jusqu’alors, c’était l’adversaire qui avançait et nous qui reculions ; maintenant, nous essayons de faire en sorte que ce soit nous qui avancions et l’adversaire qui recule. Si, après avoir concentré nos forces, nous les jetons dans la bataille et remportons la victoire, cette seule bataille nous aura déjà permis d’atteindre notre but ; en outre, elle exercera une influence sur tout le cours de la campagne.

Deuxièmement, la concentration des forces doit amener un renversement des rôles entre les deux parties en ce qui concerne l’offensive et la défensive. Dans la défensive, le repli poursuivi jusqu’à son terme se rapporte, pour l’essentiel, à la phase passive, c’est-à-dire à la phase de la “défense”. La contre-offensive se rapporte, elle, à la phase active, à la phase de l’“attaque”. Certes, au cours de la phase entière de la défensive stratégique, notre guerre révolutionnaire conserve encore son caractère défensif ; toutefois, comparée au repli, la contre-offensive marque déjà un tournant tant dans la forme que dans le contenu. Elle constitue le passage de la défensive stratégique à l’offensive stratégique ; elle est comme le prélude à l’offensive stratégique. C’est ce but que sert la concentration des forces.

Troisièmement, la concentration des forces doit amener un renversement des rôles entre les deux parties en ce qui concerne les opérations à l’intérieur et à l’extérieur des lignes. Une armée qui, sur le plan stratégique, se bat à l’intérieur des lignes connaît de nombreux désavantages, c’est en particulier le cas de l’Armée rouge qui doit affronter les campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” lancées contre elle. Néanmoins, au cours des campagnes ou des combats, nous pouvons et nous devons absolument modifier cette situation. Nous devons transformer la grande campagne “d’encerclement et d’anéantissement” que mène contre nous l’armée adverse en une foule de petites campagnes d’encerclement et d’anéantissement isolées, menées par nos troupes contre l’armée adverse; transformer l’attaque convergente que l’armée adverse lance contre nous à l’échelle stratégique en une série d’attaques convergentes, à l’échelle opérationnelle ou tactique, que notre armée lancera contre l’adversaire; transformer la supériorité stratégique de l’adversaire en notre supériorité sur lui, du point de vue opérationnel ou tactique ; rendre l’adversaire, qui est plus fort que nous sur le plan stratégique, plus faible sur le plan opérationnel ou tactique, et passer en même temps de notre position de faiblesse stratégique à une forte position sur le plan opérationnel ou tactique. Cela s’appelle mener des opérations à l’extérieur des lignes dans les opérations à l’intérieur des lignes, entreprendre des campagnes d’encerclement et d’anéantissement à l’intérieur de la campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, opérer un blocus à l’intérieur d’un blocus, lancer des attaques au cours de la défensive, obtenir la supériorité dans l’infériorité, manifester sa force dans un état de faiblesse, créer des conditions favorables dans des conditions défavorables, faire preuve d’initiative au cours de la passivité. La victoire, dans la défensive stratégique, dépend pour l’essentiel de la concentration des forces.

Dans l’histoire militaire de l’Armée rouge chinoise, ce problème a fait souvent l’objet d’importantes controverses. Dans la bataille de Kian du 4 octobre 1930, notre avance et notre attaque commencèrent avant que nos forces fussent complètement concentrées. Heureusement, l’adversaire (la division de Teng Ying) prit de lui-même la fuite ; en fait, notre attaque n’avait donné aucun résultat.

A partir de 1932, le mot d’ordre “Attaquer sur tout le front” exigeait que des coups fussent portés de l’intérieur de la base d’appui dans toutes les directions, vers le nord et le sud comme vers l’est et l’ouest. C’est là une erreur non seulement dans le cas de la défensive stratégique, mais même dans celui de l’offensive stratégique. Aussi longtemps qu’un changement radical ne sera pas intervenu dans le rapport général entre nos forces et celles de l’ennemi, il existera, en stratégie comme en tactique, la défensive et l’offensive, la fixation et l’assaut ; quant à “attaquer sur tout le front”, cela ne se rencontre que fort rarement dans la réalité. Ce mot d’ordre exprimait l’égalitarisme dans l’utilisation des forces qui accompagne d’habitude l’aventurisme militaire.

Les partisans de l’égalitarisme militaire lancèrent en 1933 une autre formule : “Frapper des deux poings dans deux directions à la fois”. Essayant d’obtenir la victoire simultanément dans deux directions stratégiques, ils divisèrent les forces principales de l’Armée rouge en deux parties. Le résultat, c’est que l’un des deux “poings” resta inactif pendant que l’autre s’épuisait dans les combats ; qui plus est, on manqua l’occasion de remporter alors la plus grande victoire possible. A mon avis, si nous avons affaire à un ennemi puissant, nous devons utiliser, pour une période déterminée, nos forces, quelle que soit leur importance, dans une direction principale et non dans deux à la fois. Je n’ai rien contre l’existence de deux ou même de plus de deux directions opérationnelles, mais à chaque moment donné, il ne doit y avoir qu’une direction principale. Si l’Armée rouge chinoise, apparaissant dans l’arène de la guerre civile comme une armée peu nombreuse et faible, a pu à maintes reprises infliger des défaites à un ennemi puissant et étonner le monde par ses victoires, cela est dû largement à l’emploi qu’elle a fait de la concentration des forces. On peut s’en convaincre à l’examen de n’importe laquelle de nos grandes victoires. “A un contre dix, à dix contre cent”, cette formule de stratégie s’applique à l’ensemble de la guerre, au rapport existant entre l’ensemble de nos forces et celles de l’adversaire. C’est bien ainsi qu’il en va pour nous. Mais cette formule n’est valable ni sur le plan opérationnel, ni sur le plan tactique, où nous ne pouvons nullement l’appliquer. Dans la contre-offensive comme dans l’offensive, nous concentrons toujours de grandes forces pour frapper une fraction de l’armée adverse. Dans l’opération contre Tan Tao-yuan, dans la région de Tongchao (district de Ningtou, Kiangsi), en janvier 1931, dans celle menée contre la XIXe Armée de Route dans la région de Kaohsinghsiu (district de Hsingkouo, Kiangsi), en août 1931, dans l’opération contre Tchen Tsi-tang, dans la région de Choueikeouhsiu (district de Nanhsiong, Kouangtong), en juillet 1932, dans celle menée contre Tchen Tcheng, dans la région de Touantsouen (district de Litchouan, Kiangsi), en mars 1934, nos insuccès s’expliquent par le fait que nous n’avions pas concentré nos forces. Des opérations comme celles de Choueikeouhsiu et de Touantsouen sont considérées en général comme des victoires, voire de grandes victoires (20 régiments de Tchen Tsi-tang furent mis en déroute dans la première et 12 de Tchen Tcheng dans la seconde), mais nous ne nous sommes jamais réjouis de telles victoires et, dans un certain sens, nous pouvons même les qualifier de défaites. De notre point de vue, de telles victoires ont une importance minime, quand elles ne nous apportent aucune prise ou lorsque nos prises ne dépassent pas nos pertes. Notre stratégie, c’est de nous battre “à un contre dix”, mais notre tactique, c’est de nous battre “à dix contre un”. Voilà l’une des lois fondamentales qui garantissent notre victoire sur l’ennemi.

L’égalitarisme militaire a atteint son point culminant au cours de notre cinquième contre-campagne en 1934. On considérait que “diviser nos forces en six colonnes” et “résister sur toute la ligne du front” permettraient de vaincre l’ennemi, mais c’est finalement l’ennemi qui a eu le dessus sur nous, et la raison en est notre peur d’abandonner du terrain. Lorsque les forces principales se concentrent dans une direction déterminée et qu’il ne reste sur les autres secteurs que des éléments pour fixer l’ennemi, il va de soi qu’on perd des territoires. Mais ce ne sont que des pertes temporaires, partielles, grâce auxquelles on peut remporter la victoire là où l’on porte le coup principal. Quand cette victoire est remportée, il est possible de récupérer le terrain qui a été perdu dans les secteurs de fixation de l’ennemi. Au cours des première, deuxième, troisième et quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi, nous avons perdu du terrain, surtout au cours de la troisième, lorsque la base de l’Armée rouge dans le Kiangsi fut presque entièrement occupée par l’adversaire. Or, finalement, nous avons non seulement récupéré le terrain perdu, mais encore agrandi nos territoires.

La sous-estimation de la force du peuple dans nos bases d’appui conduit fréquemment à craindre sans raison de déplacer l’Armée rouge trop loin de ses bases. C’est ce qui s’est passé lorsque l’Armée rouge, débouchant du Kiangsi, alla attaquer Tchangtcheou dans le Foukien en 1932, ou encore lorsqu’elle fit un mouvement tournant pour lancer son offensive contre le Foukien après la victoire remportée dans notre quatrième contre-campagne en 1933. Les gens craignaient, dans le premier cas, que l’adversaire ne s’emparât de toute la base d’appui, dans le second, qu’il ne s’emparât d’une partie de celle-ci, et c’est pourquoi, s’élevant contre la concentration des forces, ils préconisaient leur division pour défendre la base. Les résultats ont toutefois démontré que ces craintes n’étaient pas fondées. Pour l’adversaire, il est risqué de pénétrer à l’intérieur de notre base d’appui, mais le danger principal est à ses yeux que l’Armée rouge pénètre dans les régions blanches pour y livrer bataille. Aussi concentre-t-il toujours son attention sur le lieu où se trouvent les forces principales constituées par l’Armée rouge. Il est rare qu’il néglige la présence de ces forces et fonce vers notre base d’appui. Même lorsque l’Armée rouge est sur la défensive, c’est elle qui retient surtout l’attention de l’adversaire. La réduction de notre territoire entre certes dans le plan général de celui-ci, mais si l’Armée rouge concentre ses forces principales et anéantit une des colonnes adverses, le haut commandement de l’armée ennemie se trouve contraint de concentrer encore davantage son attention sur l’Armée rouge et d’envoyer contre elle des forces encore plus importantes. C’est pourquoi il est possible de briser les plans de l’adversaire visant à réduire le territoire de nos bases d’appui.

Il était également faux d’affirmer : “Dans la période de la cin-quième campagne ‘d’encerclement et d’anéantissement’ de l’ennemi, conduite selon la méthode de la ‘guerre de blockhaus’, il nous était impossible d’opérer avec des forces concentrées ; tout ce que nous pouvions faire, c’était de les diviser pour nous défendre et de lancer des attaques brèves et soudaines.” La tactique pratiquée par l’ennemi dans la construction des blockhaus après une poussée de trois à cinq lis ou de huit à dix lis était due entièrement au fait que l’Armée rouge résistait sur chaque point successivement. Si notre armée, opérant à l’intérieur de ses lignes, avait renoncé à la tactique de la résistance sur ces points successifs et avait contourné l’adversaire, au moment où c’était nécessaire et possible, pour le frapper à l’intérieur de ses lignes, la situation se serait certainement présentée tout autrement. Le principe de la concentration des forces est justement le moyen de vaincre la “guerre de blockhaus” entreprise par l’ennemi.

La concentration des forces que nous préconisons n’implique nullement l’abandon de la guerre populaire de partisans. Comme cela a été démontré depuis longtemps, la ligne de Li Li-san, qui rejetait la “petite” guerre de partisans et exigeait que “tout, jusqu’au dernier fusil, fût concentré dans les mains de l’Armée rouge”, était fausse. Du point de vue de la guerre révolutionnaire considérée dans son ensemble, la guerre populaire de partisans et les opérations de l’Armée rouge en tant que forces principales se complètent comme les deux mains de l’homme. N’avoir que les forces principales constituées par l’Armée rouge sans la guerre populaire de partisans, ce serait ne combattre que d’une main. En termes concrets, et en particulier au point de vue des opérations militaires, lorsque nous parlons de la population des bases d’appui comme l’un des éléments de la guerre, c’est du peuple en armes qu’il s’agit. Là est la raison principale pour laquelle l’adversaire estime dangereux de s’aventurer à l’intérieur de nos bases d’appui.

Il est également nécessaire de placer des unités de l’Armée rouge dans les secteurs opérationnels secondaires ; il n’est pas question de concentrer toutes les forces de l’Armée rouge. La concentration des forces que nous réclamons est fondée sur la nécessité de nous assurer la supériorité absolue ou relative sur le champ de bataille. Contre un adversaire puissant ou dans un secteur-clé, nous devons livrer bataille en disposant de la supériorité absolue des forces. Le 30 décembre 1930, par exemple, pour la première bataille de la première contre-campagne, nous avions opposé 40.000 hommes aux 9.000 soldats de Tchang Houei-tsan. Dans le cas d’opérations menées contre un adversaire faible ou dans un secteur peu important, il suffit d’avoir une supériorité relative. Le 29 mai 1931, par exemple, pour la dernière bataille de la deuxième contre-campagne, l’Armée rouge qui attaquait Kienning n’avait qu’un peu plus de 10.000 hommes en face des 7.000 de la division de Lieou Ho-ting.

Cela ne signifie pas non plus qu’il soit nécessaire d’être supérieur en forces dans tous les cas. Dans certaines circonstances, on peut affronter l’ennemi avec des forces relativement ou absolument inférieures. Pour prendre un exemple du cas où nous l’affrontons avec des forces relativement inférieures, supposons que, dans un secteur donné, l’Armée rouge ne dispose que de forces peu importantes (il n’est pas question ici du cas où elle en possède beaucoup, mais ne les a pas concentrées), il est alors évidemment nécessaire, pour briser avec les meilleures chances de victoire l’attaque d’un adversaire plus fort, dans une situation où la population, le terrain et le temps nous sont très favorables, de fixer l’adversaire au centre du front et sur une aile à l’aide de détachements de partisans ou de petites unités et de concentrer toutes les forces disponibles de l’Armée rouge pour déclencher une attaque par surprise sur une partie de l’autre aile adverse. Lorsque nous attaquons à l’improviste une partie quelconque de l’une de ces ailes, nous opérons tout comme dans les cas envisagés précédemment, selon le principe de la supériorité numérique, selon le principe de la victoire du grand nombre sur le petit nombre. Comme exemple du cas où nos forces sont absolument inférieures à celles de l’adversaire, on peut prendre le raid soudain d’un détachement de partisans contre un gros détachement de troupes blanches. Les partisans n’attaquent qu’une petite partie des forces de l’adversaire, en appliquant exactement le principe formulé précédemment.

A l’affirmation selon laquelle la concentration d’une grande armée en vue de livrer combat en un lieu déterminé est soumise à des limitations imposées par le terrain, les routes, le ravitaillement, les problèmes de cantonnement, etc., il convient d’apporter une réponse différenciée, compte tenu des circonstances. Ces limitations sont d’un degré différent selon qu’il s’agit de l’Armée rouge ou de l’armée blanche, car la nôtre supporte mieux les épreuves que l’armée blanche.

Nous vainquons des effectifs supérieurs avec des effectifs inférieurs — voilà ce que nous déclarons à l’ensemble des forces dominantes de la Chine. Mais, en même temps, nous vainquons des effectifs inférieurs avec des effectifs supérieurs — voilà ce que nous déclarons à cette partie des forces ennemies avec laquelle nous nous mesurons sur le champ de bataille. Ce n’est plus un secret et l’adversaire, en gros, est familiarisé avec nos habitudes. Mais il ne peut nous empêcher de remporter des victoires ni éviter de subir des pertes, car il ignore quand et où nous frapperons selon cette méthode. Cela, nous le tenons secret. L’Armée rouge opère en général par surprise.

SECTION 7. LA GUERRE DE MOUVEMENT

Guerre de mouvement ou guerre de position ? Nous répondrons : guerre de mouvement. Alors que nous n’avons pas de forces importantes, ni de réserves en munitions, alors que dans chaque base d’appui nous ne disposons que d’une unité de l’Armée rouge qu’il faut déplacer et envoyer sans arrêt là où se donne un combat, la guerre de position est pratiquement pour nous sans utilité. Pour nous, la guerre de position est en général inapplicable aussi bien dans la défensive que dans l’offensive.

L’une des caractéristiques les plus frappantes des actions menées par l’Armée rouge, caractéristique qui découle du fait que l’adversaire est fort et que l’Armée rouge, sur le plan technique, est faible, c’est l’absence d’un front stable.

La ligne de front de l’Armée rouge est déterminée par la direction de ses opérations. L’absence de directions opérationnelles stables entraîne l’instabilité des lignes de front. Bien que la direction générale reste, pour une période donnée, inchangée, les différentes directions partielles dont l’ensemble constitue la direction générale se modifient à tout moment : lorsqu’une direction déterminée se trouve bloquée, il convient de passer à une autre. Si, au bout d’une période déterminée, la direction générale se trouve elle-même bloquée, il faut également la changer.

Dans une guerre civile révolutionnaire, les lignes de front ne peuvent être stables ; cette situation s’est présentée même dans l’histoire de l’Union soviétique. La situation de l’Armée soviétique différait de la nôtre uniquement par le fait que cette instabilité n’a jamais atteint un degré aussi élevé que chez nous. Dans aucune guerre, il ne peut y avoir de lignes de front absolument stables ; les changements — victoires ou défaites, avances ou replis — s’y opposent. Toutefois, on constate fréquemment l’existence de lignes de front relativement stables dans les guerres habituelles. Les exceptions n’existent que pour les armées qui se battent dans des conditions de rapport de forces absolument défavorables, comme c’est le cas, par exemple, pour l’Armée rouge chinoise, dans la phase actuelle.

L’instabilité des lignes de front entraîne l’instabilité du territoire de nos bases d’appui. Celles-ci s’étendent ou se rétrécissent constamment, et il arrive souvent que des bases isolées naissent ou disparaissent. Une telle variabilité du territoire est entièrement due à la mobilité des opérations militaires.

La mobilité des opérations et la variabilité du territoire apportent à leur tour l’inconstance dans tout notre travail d’édification mené à l’intérieur de nos bases d’appui. Des plans d’édification pour une période tant soit peu prolongée sont inconcevables. Les changements fréquents dans nos plans sont devenus un phénomène banal.

Il nous est utile de tenir compte de cette particularité. C’est sur elle que nous devons fonder les plans pour nos tâches à venir, sans nous faire d’illusions au sujet d’une guerre purement offensive, d’une guerre sans repli ; nous ne devons pas redouter les variations temporaires de territoire ou les modifications qui peuvent intervenir dans nos arrières, ni essayer d’établir des plans concrets portant sur une période prolongée. Nous devons adapter notre pensée et nos activités à la situation, être prêts aussi bien à rester sur place qu’à repartir, avoir toujours sous la main notre sac de vivres. C’est seulement au prix des efforts dont est faite aujourd’hui notre vie errante que nous pourrons nous assurer par la suite moins de mobilité et finalement la stabilité.

Lorsque régnait la ligne stratégique fondée sur la “guerre régulière” au cours de la cinquième contre-campagne, on repoussait chez nous une telle mobilité, on luttait contre ce qu’on appelait l’“esprit de partisan”. Les camarades qui se prononçaient contre la mobilité agissaient comme s’ils étaient les dirigeants d’un grand Etat. Et finalement, on dut avoir recours à une mobilité d’une ampleur absolument extraordinaire : la Longue Marche de 25.000 lis !

Notre République démocratique des ouvriers et des paysans est un Etat, mais actuellement elle ne l’est pas encore au sens plein du mot. Nous en sommes encore, dans le cours de la guerre civile, à une période de défense stratégique et notre pouvoir est encore loin d’avoir une forme étatique achevée. Quant aux effectifs et aux moyens techniques, notre armée le cède encore de beaucoup à l’adversaire ; notre territoire est encore très petit, l’adversaire ne songe qu’à nous anéantir et ne se tiendra pour satisfait que s’il y réussit. Dans ces conditions, en définissant notre politique, nous ne devons pas lutter sans discernement contre l’esprit de partisan, mais reconnaître honnêtement que l’Armée rouge a le caractère d’une armée de partisans. Il n’y a pas de quoi avoir honte. Au contraire, le caractère partisan constitue notre particularité, notre côté fort, notre moyen de vaincre l’ennemi. Nous devons nous préparer à renoncer un jour à ce caractère, mais pour l’instant, c’est impossible. Dans l’avenir, ce caractère partisan deviendra pour notre armée quelque chose de honteux, à quoi il faudra renoncer, mais pour l’instant, c’est quelque chose de précieux, à quoi nous devons nous attacher avec force.

“Si on peut gagner, on se bat, sinon on s’en va”, telle est la formule populaire pour expliquer le principe de la guerre de mouvement que nous menons actuellement. Il n’y a pas de spécialiste militaire au monde qui estime qu’il faut seulement se battre et jamais se retirer ; seulement on se retire rarement autant que nous le faisons, voilà tout. Chez nous, les déplacements prennent habituellement plus de temps que les opérations militaires proprement dites. Si nous livrons en moyenne un combat important par mois, c’est déjà bien. Mais lorsque “nous nous retirons”, nous le faisons toujours en vue de “nous battre”. Toute notre stratégie et toutes nos opérations se fondent sur notre volonté de “nous battre”. Toutefois, dans certains cas, il n’est pas avantageux de se battre : premièrement, il est inopportun de se battre si l’adversaire dispose de forces supérieures; deuxièmement, il est parfois aussi inopportun de se battre si les forces de l’adversaire, bien que peu importantes, sont trop proches de ses unités voisines ; troisièmement, il n’est pas indiqué de se battre, en règle générale, avec un groupement adverse qui n’est pas isolé et qui occupe des positions très solides ; quatrièmement, il n’est pas indiqué de poursuivre un combat dont l’issue est incertaine. Dans tous les cas qui viennent d’être énumérés, nous devons être prêts à nous retirer. Se retirer est alors admissible, nécessaire. Car la reconnaissance de la nécessité de nous retirer est fondée pour nous sur la reconnaissance de la nécessité de nous battre. C’est précisément en cela que réside la caractéristique essentielle de la guerre de mouvement menée par l’Armée rouge.

Notre guerre est essentiellement une guerre de mouvement, mais cela ne signifie pas que nous rejetons la guerre de position, lorsqu’elle s’avère nécessaire et possible. En période de défensive stratégique, lorsqu’on veut défendre fermement certains points-clés au cours des opérations visant à retenir les troupes de l’ennemi, et en période d’offensive stratégique, lorsqu’on rencontre un adversaire isolé, privé de tout secours, il convient d’admettre la nécessité de recourir à la guerre de position. Nous avons déjà une expérience non négligeable dans l’utilisation de ces méthodes de la guerre de position pour obtenir la victoire : nous avons pris nombre de villes, de forts, de points fortifiés, nous avons percé des positions de campagne assez bien fortifiées. Il nous faut encore, à l’avenir, redoubler d’efforts dans ce sens, remédier à nos insuffisances à cet égard. Nous devons nous prononcer sans réserve pour l’attaque ou la défense de positions fortifiées lorsque la situation l’exige et le permet. Nous nous opposons seulement à la guerre de position telle qu’elle est généralement pratiquée aujourd’hui, ou à l’idée de lui donner la même importance qu’à la guerre de mouvement ; c’est cela que nous considérons comme inadmissible.

Est-ce qu’au cours des dix années de guerre civile, aucun changement n’est intervenu dans le caractère de guerre de partisans revêtu par les opérations de l’Armée rouge, l’absence de lignes de front stables, la variabilité du territoire de nos bases d’appui et l’inconstance des plans d’édification dans nos bases d’appui ? Si, des changements se sont produits. Dans la première étape, celle qui va de la lutte dans les monts Tsingkang au début de la première contre-campagne dans le Kiangsi, le caractère de guerre de partisans, l’instabilité, la variabilité, l’inconstance se sont manifestés avec force. L’Armée rouge était encore dans son enfance, et nos bases d’appui n’étaient encore que des régions de partisans. Dans la deuxième étape, celle qui va de la première contre-campagne à la troisième, les traits signalés ci-dessus ont nettement diminué d’importance. L’Armée rouge du Ier Front avait été créée et nos bases d’appui comptaient plusieurs millions d’habitants. Dans la troisième étape, qui va de la fin de la troisième contre-campagne à la cinquième, ces traits ont été encore moins marqués. Un gouvernement central et une commission militaire révolutionnaire avaient été créés. La Longue Marche a constitué la quatrième étape. Pour avoir commis l’erreur de nier que, dans des limites restreintes, nos opérations avaient le caractère d’une guerre de partisans, et nos lignes, nos bases et nos plans d’édification, une certaine variabilité, nous avons été amenés à la guerre de partisans et à la variabilité dans de vastes proportions. Nous sommes actuellement dans la cinquième étape. Comme la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” n’avait pas été brisée et que de grands changements en ont résulté, l’Armée rouge et nos bases d’appui se sont trouvées considérablement réduites. Néanmoins, nous nous sommes déjà fortement installés dans le Nord-Ouest ; notre base d’appui de la région frontière du Chensi-Kansou-Ninghsia a été consolidée et élargie ; les armées de trois fronts qui constituent les forces principales de l’Armée rouge se trouvent désormais sous un commandement unique, ce qui n’existait pas auparavant.

Du point de vue du caractère de notre stratégie, on peut dire que la période allant de la lutte dans les monts Tsingkang à la quatrième contre-campagne a constitué la première étape, la cinquième contre-campagne la deuxième, la période allant du début de la Longue Marche à nos jours la troisième. Au cours de notre cinquième contre-campagne, notre ancienne ligne stratégique, qui était correcte, a été rejetée à tort ; aujourd’hui, nous avons eu raison de rejeter à notre tour la ligne erronée qui fut appliquée au cours de cette cinquième contre-campagne et nous avons ressuscité la juste ligne antérieure. Toutefois, nous ne rejetons pas tout de la cinquième contre-campagne, de même que nous ne ressuscitons pas tout ce qui a existé antérieurement. Nous n’en ressuscitons que le meilleur, tout comme nous ne rejetons que ce qu’il y avait d’erroné dans la cinquième contre-campagne.

L’esprit de partisan a deux aspects. L’un, c’est son caractère irrégulier, c’est-à-dire absence de centralisation, d’unité, manque d’une rigoureuse discipline, laisser-aller dans les méthodes de travail, etc. Tout cela, l’Armée rouge l’a hérité de la période de son enfance et, en ce temps-là, certains de ces traits étaient justement ce qu’il nous fallait. Néanmoins, dans la phase supérieure du développement de l’Armée rouge, il convient de s’en débarrasser progressivement, consciemment, afin que celle-ci soit plus centralisée, plus unie, plus disciplinée, qu’elle apporte plus de soin au travail, en un mot, qu’elle ait un caractère plus régulier. Dans le domaine de la direction des opérations, il convient également de réduire progressivement, consciemment, ce qui caractérise la guerre de partisans et devient inutile dans la phase supérieure du développement. Le refus de progresser à cet égard, l’obstination à s’accrocher à la phase antérieure sont inadmissibles et nuisibles, sont désavantageux pour la conduite d’opérations militaires de grande envergure.

L’autre aspect de l’esprit de partisan, c’est le principe de la guerre de mouvement, le caractère de guerre de partisans de nos opérations, à l’échelle stratégique et opérationnelle, qui reste encore nécessaire pour le moment, la variabilité encore inévitable du territoire de nos bases d’appui, la souplesse des plans d’édification dans nos bases d’appui, le refus de donner prématurément un caractère régulier à l’Armée rouge au cours de son édification. Dans ce domaine, il est également inadmissible et nuisible, également désavantageux pour la conduite des opérations militaires dans la période présente de nier les faits historiques, de se refuser à conserver ce qui est utile, d’abandonner inconsidérément la phase actuelle pour courir aveuglément après cette “nouvelle phase” encore inaccessible et dépourvue, pour l’instant, de tout intérêt réel.

Nous sommes maintenant à la veille d’une nouvelle phase en ce qui concerne l’équipement technique et l’organisation de l’Armée rouge. Nous devons nous préparer au passage à cette nouvelle phase. Ne pas le faire serait faux, désavantageux pour le développement ultérieur de la guerre. Dans l’avenir, lorsque les conditions techniques et d’organisation se seront modifiées au sein de l’Armée rouge et que cette dernière entrera dans une nouvelle phase de son édification, les directions opérationnelles et les lignes de front deviendront plus stables; la guerre de position jouera un plus grand rôle; la mobilité de la guerre, la variabilité du territoire de nos bases d’appui et l’inconstance de nos plans d’édification diminueront dans une large mesure et finiront par disparaître complètement; nous ne serons plus alors handicapés par tout ce qui limite notre action à l’heure actuelle, par exemple, par la supériorité numérique de l’ennemi et ses positions solidement fortifiées.

Nous luttons actuellement, d’une part, contre les méthodes erronées utilisées à l’époque où régnait l’opportunisme “de gauche”, et, d’autre part, contre la résurrection de tous ces traits d’irrégularité qui marquaient l’Armée rouge encore en son enfance et qui, désormais, nous sont inutiles. Mais nous faisons renaître résolument ces nombreux principes valables, principes touchant à l’édification de l’armée et principes stratégiques et tactiques, dont l’utilisation a toujours apporté la victoire à l’Armée rouge. Nous devons faire le bilan de tout ce que nous avons connu de meilleur dans le passé et en tirer une ligne militaire systématisée, plus développée, plus riche, afin de vaincre l’ennemi aujourd’hui et nous préparer à aborder une étape nouvelle dans l’avenir.

Le domaine de la guerre de mouvement embrasse de nombreux problèmes, par exemple les missions de reconnaissance, l’appréciation de la situation, la prise de décisions, la disposition des forces pour le combat, la direction du combat, le camouflage, la concentration des forces, la marche, le déploiement, l’attaque, la poursuite, les coups de surprise, l’attaque des positions, la défense des positions, les engagements de rencontre, le repli, le combat de nuit, les opérations sur terrain spécial, les manœuvres pour éviter un adversaire puissant et porter des coups à un adversaire faible, le siège des villes et l’anéantissement des renforts envoyés à leur secours, les attaques feintes, la D.C.A., les manœuvres entre plusieurs groupes ennemis, les opérations visant à éviter le combat en contournant l’ennemi, les combats successifs, les opérations militaires sans arrière, la nécessité de se refaire et d’accumuler des forces. Dans l’histoire de l’Armée rouge, toutes ces formes d’action ont présenté de nombreuses particularités ; elles doivent être exposées de façon méthodique, et généralisées dans la science des campagnes. Je n’en parlerai pas ici.

SECTION 8. LA GUERRE DE DÉCISION RAPIDE

Une guerre prolongée sur le plan stratégique, et des campagnes ou des combats de décision rapide sont deux aspects d’une seule et même chose, deux principes auxquels il convient d’accorder une importance égale dans la guerre civile, et qui peuvent s’appliquer également à une guerre anti-impérialiste.

Le caractère prolongé de la guerre s’explique par le fait que les forces de la réaction sont puissantes, alors que celles de la révolution ne grandissent que graduellement. Ici, l’impatience serait nuisible, et réclamer “une décision rapide” serait erroné. Mener dix ans durant, comme nous l’avons fait, une guerre révolutionnaire pourrait surprendre s’il s’agissait d’un autre pays, mais pour nous ces dix ans de guerre ne représentent que l’“introduction”, l’“exposition du thème” et les “thèses générales de la dissertation”, dans le plan classique des dissertations en huit parties37, et bien des chapitres passionnants suivront encore. Sous l’influence des facteurs internes et externes, il est certain que les choses peuvent se développer, dans l’avenir, à un rythme bien plus rapide que par le passé. Comme des changements sont déjà intervenus dans la situation internationale et intérieure et qu’il en interviendra de plus grands encore à l’avenir, on peut dire que nous avons laissé derrière nous la situation d’autrefois, dont l’évolution était lente et où nous avions à combattre dans l’isolement. Nous ne devons pas escompter, toutefois, que la victoire puisse venir d’un jour à l’autre. “Anéantir l’ennemi avant de déjeuner”38 est un désir louable en soi, sur lequel nous ne pouvons cependant fonder des plans concrets d’action. Etant donné que les forces de la réaction, en Chine, bénéficient de l’appui de nombreux Etats impérialistes, notre guerre révolutionnaire conservera son caractère prolongé aussi longtemps que la révolution chinoise n’aura pas accumulé les forces suffisantes pour briser les positions fondamentales des ennemis de l’extérieur et de l’intérieur, aussi longtemps que les forces révolutionnaires internationales n’auront pas repoussé ou contenu la plus grande partie des forces de la réaction internationale. Définir notre stratégie de guerre de longue durée en partant de là est l’un des principes importants de notre direction stratégique.

Mais sur le plan opérationnel et tactique, nous appliquons un principe directement opposé : non la longue durée, mais la décision rapide. Chercher une décision rapide sur le plan opérationnel et tactique est propre à toutes les époques comme à tous les pays. Dans une guerre prise dans son ensemble, on a cherché partout et en tout temps à obtenir la décision rapide ; on a toujours considéré une guerre de longue durée comme désavantageuse. C’est seulement en Chine qu’il faut manifester la plus grande patience et avoir recours à une guerre prolongée. A l’époque de la ligne de Li Li-san, d’aucuns se moquaient de notre “tactique de boxeur” (c’est-à-dire de la tactique qui consiste à ne s’emparer d’une grande ville qu’après de nombreux échanges de coups) ; ils nous raillaient en disant que nous n’assisterions à la victoire de la révolution que lorsque nous aurions les cheveux tout blancs. Il s’est avéré depuis longtemps qu’une telle impatience est erronée. Toutefois, si l’on applique ces remarques critiques, non à la stratégie, mais aux problèmes opérationnels et tactiques, elles deviennent tout à fait justes. La cause en est, en premier lieu, que l’Armée rouge ne dispose pas de sources lui permettant de s’approvisionner en armes et surtout en munitions ; en deuxième lieu, qu’il y a de nombreuses armées blanches contre une seule Armée rouge, et que notre armée doit se tenir prête pour mener rapidement et sans interruption toute une série d’opérations en vue de briser une campagne “d’encerclement et d’anéantissement”; en troisième lieu, que dans la majorité des cas, en dépit du fait que les armées blanches avancent isolément, les intervalles entre leurs colonnes sont relativement réduits, si bien que si nous attaquons l’une d’entre elles sans obtenir rapidement la décision, nous risquons de voir d’autres colonnes venir à la rescousse. Pour toutes ces raisons, nous devons mener des opérations de décision rapide. Pour nous, terminer une bataille en quelques heures, en un jour ou deux, est chose habituelle. C’est seulement lorsque notre plan est “le siège des villes et l’anéantissement des renforts envoyés à leur secours” et lorsque notre objectif est non pas l’anéantissement de l’ennemi assiégé mais celui de ses renforts que nous sommes prêts à des actions relativement prolongées contre l’ennemi assiégé, tout en cherchant toujours à obtenir une décision rapide dans l’attaque des renforts qui lui sont envoyés. Quand, pendant la défensive stratégique, nous défendons fermement nos points d’appui dans les secteurs où nous effectuons des opérations de fixation, ou quand, pendant l’offensive stratégique, nous portons des coups à un adversaire isolé et privé de secours, ou procédons à l’anéantissement des points d’appui des forces blanches sur le territoire de nos bases d’appui, nous appliquons fréquemment le principe de la guerre prolongée sur le plan opérationnel et tactique. Néanmoins, ces actions prolongées aident plus qu’elles ne gênent les opérations de décision rapide de l’Armée rouge.

Pour obtenir une décision rapide, il ne suffit pas d’en avoir le désir, il faut encore réunir toute une série de conditions concrètes dont les principales sont les suivantes : bien se préparer, saisir le moment opportun, concentrer des forces supérieures, utiliser la tactique d’encerclement et de mouvement tournant, choisir une bonne position, frapper l’ennemi en marche ou l’ennemi qui s’est arrêté sans avoir encore eu le temps de consolider sa position. Faute de ces conditions, il est impossible d’obtenir une décision rapide sur le plan opérationnel ou tactique.

L’écrasement d’une campagne “d’encerclement et d’anéantissement” est une opération de grande envergure, mais c’est encore le principe de décision rapide qu’il convient d’appliquer et non celui d’opérations prolongées. En effet, les conditions présentées par une base d’appui — réserves en hommes, ressources financières, puissance militaire — ne sont pas de celles qui permettent des opérations prolongées.

Toutefois, tout en observant en général le principe d’une décision rapide, il convient de lutter contre une hâte injustifiée. Il est absolument nécessaire que la direction militaire et politique suprême de la base révolutionnaire, tenant compte des conditions de la base ci-dessus mentionnées et de la situation chez l’adversaire, ne se laisse pas intimider par l’air féroce de l’adversaire, ne perde pas courage devant des difficultés qui sont du reste supportables, ne se désespère pas devant des échecs, mais fasse preuve de la patience et de l’endurance indispensables. Dans le Kiangsi, quand nous avons brisé la première campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, nous n’avons eu besoin, du premier au dernier combat, que d’une semaine ; la deuxième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” fut brisée en quinze jours ; la troisième ne fut brisée qu’au bout de trois mois ; la quatrième, en trois semaines ; pour la cinquième, la lutte se prolongea pendant une année entière. Mais cette cinquième campagne n’avait pu être brisée, et lorsque nous fûmes obligés de rompre l’encerclement, une hâte injustifiable se manifesta. Dans la situation d’alors, on aurait pu tenir encore deux ou trois mois et utiliser ce répit pour reposer nos troupes, les instruire et les consolider. Si cela avait été fait et si, après la rupture de l’encerclement, la direction avait agi avec un peu plus de sagesse, la situation aurait pu être, par la suite, bien différente.

Néanmoins, le principe qui consiste à s’efforcer de réduire le plus possible la durée d’une campagne, principe dont nous avons parlé précédemment, reste valable. Dans nos plans opérationnels et tactiques, nous devons, bien entendu, nous efforcer de concentrer nos forces, de recourir à la guerre de mouvement, etc. pour détruire les forces vives de l’adversaire à l’intérieur de nos lignes (c’est-à-dire de nos bases d’appui), et briser rapidement sa campagne; toutefois, dans les cas où il est manifestement impossible de briser sa campagne à l’intérieur de nos lignes, il convient d’utiliser les forces principales de l’Armée rouge pour rompre l’encerclement et passer à l’extérieur de nos lignes, c’est-à-dire à l’intérieur des lignes adverses en vue d’atteindre ce même but. Maintenant que la méthode de la “guerre de blockhaus” a reçu une telle diffusion, ceci deviendra le procédé habituel pour la conduite des opérations. Deux mois après le début de notre cinquième contre-campagne, lorsque se produisit l’Incident du Foukien, les forces principales de l’Armée rouge auraient certainement dû pénétrer dans la région formée par les provinces du Kiangsou, du Tchékiang, de l’Anhouei et du Kiangsi, avec le Tchékiang comme centre, développer activement leurs opérations entre Hangtcheou, Soutcheou, Nankin, Wouhou, Nantchang et Foutcheou, passer de la défensive stratégique à l’offensive stratégique, menacer les centres vitaux de l’ennemi et chercher bataille dans de vastes régions dépourvues de blockhaus ennemis. De cette manière, il aurait été possible de contraindre l’adversaire, qui attaquait le sud du Kiangsi et l’ouest du Foukien, à rebrousser chemin pour défendre ses centres vitaux ; ainsi, l’on aurait pu briser son offensive dirigée contre notre base du Kiangsi et, dans le même temps, soulager la situation du Gouvernement populaire du Foukien, que nous aurions certainement pu aider en agissant ainsi. Le rejet de ce plan nous empêcha de briser la cinquième campagne et la chute du Gouvernement populaire du Foukien devint inévitable. Après une année entière de combats, il était désormais désavantageux de pénétrer dans le Tchékiang ; il était néanmoins encore possible d’orienter notre offensive stratégique dans une autre direction, c’est-à-dire de nous diriger vers le Hounan avec nos forces principales, non pour passer dans le Koueitcheou mais pour pousser vers le centre du Hounan même, d’attirer ainsi l’adversaire hors du Kiangsi, vers le Hounan, et là de l’anéantir. Ce plan ayant été également rejeté, l’espoir de briser la cinquième campagne s’effondra définitivement, si bien qu’il ne resta plus qu’une issue : la Longue Marche.

SECTION 9. LA GUERRE D’ANÉANTISSEMENT

Il est inopportun de préconiser une “épreuve d’usure” pour l’Armée rouge chinoise. Voir rivaliser de trésors non deux Rois Dragons mais un Roi Dragon et un mendiant serait plutôt comique. Pour l’Armée rouge qui se fournit presque en tout chez l’adversaire, la ligne d’action principale reste la guerre d’anéantissement. C’est seulement en détruisant les forces vives de l’adversaire qu’on peut briser ses campagnes “d’encerclement et d’anéantissement” et agrandir le territoire des bases révolutionnaires. Les coups portés à l’adversaire visent à l’anéantir, sinon ils n’auraient pas de sens. En infligeant des pertes à l’adversaire, nous en subissons nous-mêmes, mais si nous l’anéantissons, nous pouvons compléter nos propres forces. Ainsi, non seulement nous compensons les pertes que nous avons dû consentir, mais nous renforçons notre propre armée. Dans une guerre contre un adversaire puissant, les actions qui visent à le mettre en déroute ne peuvent déterminer d’une manière radicale l’issue de la guerre, alors que les combats d’anéantissement produisent immédiatement de profondes répercussions chez l’adversaire, quel qu’il soit. Dans une bagarre, il vaut mieux arracher un doigt à l’adversaire que de lui en blesser dix ; à la guerre, il vaut mieux anéantir une division de l’adversaire que d’en mettre dix en déroute.

Nous avons adopté la guerre d’anéantissement au cours des première, deuxième, troisième et quatrième campagne “d’encerclement et d’anéantissement” de l’ennemi. Les forces que nous avons anéanties dans chaque campagne constituaient seulement une partie des effectifs de l’ennemi, et pourtant toutes ses campagnes ont été brisées. Au cours de notre cinquième contre-campagne, une ligne opposée fut appliquée, ce qui, en fait, aida l’adversaire à atteindre ses objectifs.

La guerre d’anéantissement suppose la concentration de forces supérieures et l’adoption de la tactique des encerclements et des mouvements tournants ; elle est impossible sans cela. Le soutien de la population, un terrain favorable, un adversaire vulnérable, l’attaque par surprise, etc. sont autant de conditions indispensables pour anéantir l’ennemi.

Mettre en déroute des forces de l’ennemi ou même les laisser s’enfuir n’a de sens que si, dans le combat ou la campagne considérée comme un tout, nos forces principales mènent des opérations d’anéantissement contre une partie de ses forces ; sinon, cela n’a aucun sens. Ici, les pertes sont justifiées par les gains.

En créant notre propre industrie de guerre, nous devons nous garder d’être dépendants d’elle. Notre politique fondamentale est de nous appuyer sur l’industrie de guerre de l’impérialisme et de notre ennemi à l’intérieur du pays. Nous avons droit à la production des arsenaux de Londres et de Hanyang, et les unités de l’ennemi se chargent du transport. Ce n’est pas une plaisanterie, c’est la vérité.

  1. Cet ouvrage a été écrit par le camarade Mao Zedong afin de dresser le bilan des expériences acquises au cours de la Deuxième guerre civile révolutionnaire ; il a été présenté à l’époque dans un cycle de conférences consacrées à cette question à l’Académie de l’Armée rouge dans le Chensi du Nord. Comme l’auteur le signale lui-même, il ne put écrire que cinq chapitres de cet ouvrage ; il n’eut pas le temps d’examiner l’offensive stratégique, le travail politique ainsi que d’autres problèmes, car il fut arraché à son travail par l’Incident de Sian. Le présent travail résulte des vives discussions qui s’élevèrent dans le Parti, pendant la Deuxième guerre civile révolutionnaire, entre deux lignes opposées quant aux problèmes militaires; il expose la position des partisans de l’une d’elles. Au cours de la réunion de Tsouenyi, en janvier 1935, le Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois, faisant le bilan de ces discussions, confirma la justesse de la ligne préconisée par le camarade Mao Zedong et repoussa le point de vue opposé comme erroné. En octobre 1935, le Comité central du Parti fut transféré dans le Chensi du Nord. Peu de temps après, en décembre, le camarade Mao Zedong présenta son rapport sur “La Tactique de la lutte contre l’impérialisme japonais” où il résolvait de façon méthodique le problème de la ligne politique du Parti dans la période de la Deuxième guerre civile révolutionnaire. L’année suivante, c’est-à-dire en 1936, il écrivit le présent ouvrage, dans lequel il faisait une analyse systématique des problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine.
  2. La stratégie, la science des campagnes et la tactique font toutes partie de la science militaire chinoise. La stratégie étudie les lois de la conduite de la guerre considérée dans son ensemble. La science des campagnes étudie les lois des campagnes, les lois qui s’appliquent à la conduite des campagnes. La tactique étudie les lois qui régissent les combats, les lois qui s’appliquent à la conduite des combats.
  3. Souentse (Souen Wou), célèbre stratège et théoricien militaire chinois du Ve siècle av. J.-C., auteur du traité Souentse en 13 chapitres. Cette citation est extraite du “Plan de l’attaque”, Souentse, chapitre III.
  4. Au moment où cet ouvrage fut écrit (en 1936), quinze ans s’étaient écoulés depuis la fondation du Parti communiste chinois (juillet 1921).
  5. Tchen Tou-sieou était un démocrate radical à l’époque du Mouvement du 4 Mai. Ayant subi par la suite l’influence de la Révolution socialiste d’Octobre, il devint l’un des fondateurs du Parti communiste chinois. Pendant les six premières années du Parti, il resta le principal dirigeant du Comité central. Il était depuis longtemps fortement imprégné d’idées déviationnistes de droite, lesquelles dégénérèrent en une ligne capitulationniste pendant la dernière période de la révolution de 1924-1927. A cette époque, les capitulationnistes représentés par Tchen Tou-sieou ‘‘abandonnèrent volontairement la direction des masses paysannes, de la petite bourgeoisie urbaine, de la moyenne bourgeoisie et, en particulier, des forces armées, ce qui entraîna la défaite de la révolution” (“La Situation actuelle et nos tâches”, Œuvres choisies de Mao Zedong, tome IV, p. 177). Après la défaite de la révolution en 1927, Tchen Tou-sieou et une poignée d’autres capitulationnistes cédèrent au pessimisme, perdirent confiance dans l’avenir de la révolution et devinrent des liquidationnistes. Ils adoptèrent la position réactionnaire trotskiste et formèrent avec les trotskistes un groupuscule antiparti. En conséquence, Tchen Tou-sieou fut expulsé du Parti en novembre 1929. Il mourut de maladie en 1942. En ce qui concerne l’opportunisme de droite de Tchen Tou-sieou, voir les notes introductives aux textes “Analyse des classes de la société chinoise”, p. 9, et “Rapport sur l’enquête menée dans le Hounan à propos du mouvement paysan”, p. 21 du présent tome, ainsi que “Pour la parution de la revue Le Communiste”, Œuvres choisies de Mao Zedong, tome II.
  6. Il s’agit de la ligne opportuniste “de gauche”, communément appelée “ligne de Li Li-san”, qui régna dans le Parti pendant environ quatre mois à partir de juin 1930, quand le camarade Li Li-san était le dirigeant le plus influent du Comité central du Parti communiste chinois. La ligne de Li Li-san avait les caractéristiques suivantes: Elle violait la politique définie au VIe Congrès du Parti ; elle niait la nécessité de préparer les masses à la révolution et le développement inégal de la révolution; elle considérait la conception du camarade Mao Zedong consistant à faire porter pendant une longue période l’effort principal sur la création de bases d’appui à la campagne afin de s’appuyer sur elles pour encercler les villes et hâter l’essor de la révolution dans tout le pays comme “un régionalisme et un esprit conservateur des plus erronés venant de la mentalité paysanne”; et elle se prononçait pour la préparation dans tout le pays de soulèvements immédiats. Suivant cette ligne erronée, le camarade Li Li-san élabora un plan aventureux qui visait à l’organisation immédiate de soulèvements armés dans les grandes villes de Chine. En outre, les partisans de cette ligne ne reconnaissaient pas l’inégalité du développement de la révolution mondiale, soutenant que le déclenchement général de la révolution en Chine amènerait nécessairement un déclenchement général de la révolution mondiale, sans lequel la révolution chinoise ne pourrait être victorieuse ; ils ne reconnaissaient pas non plus le caractère prolongé de la révolution démocratique bourgeoise en Chine, soutenant que les premières victoires de la révolution dans une ou plusieurs provinces marqueraient le début du passage au socialisme, et ils arrêtaient en conséquence un certain nombre de mesures politiques inopportunes, aventureuses et gauchistes. Le camarade Mao Zedong lutta contre cette ligne erronée ; la grande masse des cadres et des membres du Parti en exigeaient également la rectification. En septembre 1930, à la troisième session plénière du Comité central issu du VIe Congrès du Parti, le camarade Li Li-san reconnut les erreurs qu’on lui indiquait et quitta le poste dirigeant qu’il occupait au Comité central du Parti. Ayant réussi, après une longue période, à se débarrasser de ses conceptions erronées, il fut réélu au Comité central par le VIIe Congrès du Parti.
  7. Le Comité central issu du VIe Congrès du Parti communiste chinois, à sa troisième session plénière en septembre 1930 et dans la période qui suivit, prit une série de mesures positives destinées à mettre fin à la ligne de Li Li-san. Mais après la session, un certain nombre de camarades, qui manquaient d’expérience pratique de la lutte révolutionnaire et qui avaient à leur tête Tchen Chao-yu, alias Wang Ming, et Tsin Pang-hsien, alias Po Kou, s’opposèrent aux mesures du Comité central. Dans une brochure publiée sous l’un ou l’autre des titres : Deux lignes et Lutte pour une bolchévisation plus poussée du Parti communiste chinois, ces camarades faisaient ressortir tout particulièrement qu’à l’époque, le danger principal pour le Parti n’était pas l’opportunisme “de gauche”, mais l’“opportunisme de droite” ; et, pour justifier leurs propres activités, ils “critiquaient” la ligne de Li Li-san comme ligne “de droite”. Ils proposèrent un autre programme politique qui, sous une forme nouvelle, continuait, rétablissait ou développait la ligne de Li Li-san et les autres conceptions et mesures politiques déviationnistes “de gauche”, les opposant à la ligne juste du camarade Mao Zedong. Celui-ci a écrit le présent ouvrage principalement pour critiquer les fautes commises dans le domaine militaire par les tenants de cette nouvelle ligne opportuniste “de gauche”. Cette nouvelle déviation “de gauche” domina dans le Parti au cours de la période qui va de la quatrième session plénière (janvier 1931) du Comité central issu du VIe Congrès du Parti à la réunion du Bureau politique du Comité central qui eut lieu à Tsouenyi (Koueitcheou) en janvier 1935. Cette réunion en finit avec la ligne erronée et désigna une autre direction au Comité central ayant à sa tête le camarade Mao Zedong. La ligne erronée “de gauche” régna particulièrement longtemps dans le Parti (quatre ans) et causa des dommages extrêmement graves au Parti et à la révolution. Les conséquences funestes de l’application de cette ligne s’expriment dans le fait que 90 pour cent environ des effectifs du Parti communiste chinois, de l’Armée rouge chinoise, de même que du territoire des bases d’appui de l’Armée rouge, furent perdus, et que des dizaines de millions de gens, dans les bases révolutionnaires, furent soumis à la féroce répression exercée par le Kuomintang. Tout cela freina les progrès de la révolution. La plupart des camarades, qui avaient commis des fautes déviationnistes “de gauche”, se convainquirent au bout d’une longue expérience de ces erreurs, les corrigèrent et rendirent des services utiles au Parti et au peuple. Sur la base de conceptions politiques communes, ces camarades se regroupèrent avec la masse des membres du Parti, sous la direction du camarade Mao Zedong. En avril 1945, la septième session plénière du Comité central issu du VIe Congrès du Parti adopta la “Résolution sur quelques questions d’histoire” qui fut un bilan détaillé des divers aspects de cette ligne erronée.
  8. Voir “La Tactique de la lutte contre l’impérialisme japonais”, notes 23 et 24, pp. 194-195 du présent tome.
  9. Il s’agit d’une organisation que Tchiang Kaï-chek créa en juillet 1933 dans les monts Louchan (district de Kieoukiang, province du Kiangsi) pour former des cadres militaires anticommunistes. Les officiers des armées de Tchiang Kaï-chek y recevaient à tour de rôle une préparation militaire et politique qui leur était donnée dans un esprit fasciste par des instructeurs allemands, italiens et américains.
  10. Par nouveaux principes militaires de la cinquième campagne “d’encerclement et d’anéantissement”, on entend essentiellement “la politique de blockhaus” appliquée par la bande de Tchiang Kaï-chek et qui prévoyait la création de fortifications au fur et à mesure de la progression des troupes.
  11. Critiquant le communiste hongrois Bela Kun, Lénine disait : “Il oublie ce qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme : l’analyse concrète d’une situation concrète.” (Voir “Le Communisme”, Œuvres, tome 31.
  12. Cette Conférence fut convoquée le 20 mai 1928 à Maoping, district de Ningkang.
  13. Nom donné par le groupe de Tchiang Kaï-chek aux troupes qui lui étaient les plus fidèles.
  14. Pour plus de détails, voir pp. 264-265 du présent tome.
  15. Voir “L’Elimination des conceptions erronées dans le Parti”, notes 3 et 4, pp. 127-128 du présent tome.
  16. Actes de pillage commis par manque de discipline, d’organisation et de but politique précis.
  17. Il s’agit de la Longue Marche, effectuée par l’Armée rouge, du Kiangsi au Chensi du Nord. Voir “La Tactique de la lutte contre l’impérialisme japonais”, note 22, p. 194 du présent tome.
  18. Après la défaite de l’insurrection de décembre 1905, la révolution recula graduellement en Russie. Voir Histoire du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., chapitre III, sections 5 et 6.
  19. Il s’agit du traité de paix conclu par la Russie soviétique avec l’Allemagne en mars 1918. C’était là un recul provisoire des forces révolutionnaires devant la supériorité évidente des forces ennemies et il avait pour but d’empêcher l’impérialisme allemand d’attaquer la République des Soviets, qui venait de se former et n’avait pas encore d’armée. La signature du Traité de Brest-Litovsk permit à la République des Soviets de gagner du temps pour consolider le pouvoir prolétarien, mettre sur pied l’économie et créer l’Armée rouge ; elle permit au prolétariat de conserver sa direction sur la paysannerie et de rassembler des forces pour défaire dans les années 1918-1920 les Gardes blancs et les interventionnistes anglais, américains, français, japonais, polonais et autres.
  20. Le 30 octobre 1927, les paysans de Haifeng et de Loufeng dans le Kouangtong se soulevèrent pour la troisième fois sous la direction du Parti communiste chinois, occupèrent la région de Haifeng et de Loufeng, organisèrent des unités de l’Armée rouge et établirent le pouvoir démocratique ouvrier et paysan. Mais ils échouèrent par la suite, ayant sous-estimé les forces de l’ennemi.
  21. A l’automne de 1936, l’Armée du IVe Front ayant opéré sa jonction avec l’Armée du IIe Front, ces forces de l’Armée rouge commencèrent leur marche vers le nord en partant du nord-est du Sikang. Au cours de cette période, Tchang Kouo-tao persista dans sa position antiparti et s’en tint obstinément à sa politique de retraite et de liquidation. Au mois d’octobre, alors que les Armées des IIe et IVe Fronts étaient déjà entrées dans le Kansou, Tchang Kouo-tao ordonna de former avec les unités d’avant-garde de l’Armée du IVe Front (fortes de plus de 20.000 hommes) la Colonne Ouest, qui devait traverser le fleuve Jaune et marcher vers l’ouest, en direction du Tsinghai. Cette Colonne fut pratiquement mise hors de combat en décembre 1936 et définitivement écrasée en mars 1937.
  22. Voir la lettre du 12 avril 1871 de K. Marx à L. Kugelmann sur la Commune de Paris.
  23. Chouei hou tchouan (Au bord de l’eau), célèbre roman chinois sur la guerre paysanne, attribué à Che Nai-an, qui vécut vers la fn de la dynastie des Yuan et au début de la dynastie des Ming (XIVe siècle). Lin Tchong et Tchai Tsin sont deux grands héros décrits dans le roman. Hong est maître de boxe chez Tchai Tsin.
  24. Principautés de l’époque de Tchouentsieou (722-481 av. J.-C.). La grande principauté de Tsi se trouvait dans le centre de l’actuelle province du Chantong et la principauté de Lou, plus petite, dans le sud de la même province. Le duc Tchouang régna sur la principauté de Lou de 693 à 662 av. J.-C.
  25. Tsouokieou Ming, auteur de Tsouo tchouan, célèbre chronique de la dynastie des Tcheou. Pour le passage cité, voir: “An X du règne du duc Tchouang” dans Tsouo tchouan.
  26. Tchengkao, ville antique qui se trouvait dans le nord-ouest de l’actuel district de Tchengkao, province du Honan. Dans l’antiquité, c’était un point stratégique important. C’est ici que s’est déroulée en 203 av. J.-C. une bataille entre le roi de Han, Lieou Pang, et le roi de Tchou, Hsiang Yu. Ce dernier s’empara de Hsingyang et de Tchengkao et mit presque toutes les troupes de Lieou Pang en déroute. Néanmoins, Lieou Pang attendit par la suite le moment favorable, et pendant que les troupes de Tchou franchissaient la rivière Sechouei, il leur porta un coup terrible et reprit la ville de Tchengkao.
  27. Kouenyang, ville antique qui se trouvait dans le nord de l’actuel district de Yéhsien, dans le Honan. C’est là que Lieou Sieou (l’empereur Kouangwou, fondateur de la dynastie des Han de l’Est) détruisit en l’an 23 les troupes de Wang Mang, empereur de la dynastie des Sin. Le déséquilibre des forces dans cette guerre était particulièrement sensible. Lieou Sieou n’avait que 8.000 à 9.000 hommes alors que Wang Mang en avait plus de 400.000. Profitant de l’insouciance de Wang Siun et de Wang Yi, généraux de Wang Mang, qui avaient sous-estimé les forces de l’adversaire, Lieou Sieou lança contre eux 3.000 hommes de ses troupes d’élite qui mirent en déroute le noyau des forces de Wang Mang; exploitant ce succès, Lieou Sieou passa à l’attaque et écrasa complètement les troupes de Wang Mang.
  28. Kouantou se trouvait dans le nord-est de l’actuel district de Tchongmeou, province du Honan. C’est là que se déroula en l’an 200 une bataille entre les troupes de Tsao Tsao et de Yuan Chao. Ce dernier disposait d’une armée de 100.000 hommes. Tsao Tsao n’avait que peu de troupes et ses vivres étaient épuisés. Néanmoins, profitant de l’insouciance de Yuan Chao qui sous-estimait les forces de l’adversaire, il lança avec des troupes légères une attaque par surprise et incendia les bagages de l’armée de Yuan Chao. Les troupes de ce dernier furent prises de panique ; Tsao Tsao leur porta un coup violent et anéantit les forces principales de Yuan Chao.
  29. Les troupes de Wou étaient dirigées par Souen Kiuan, celles de Wei par Tsao Tsao. Tchepi se trouve sur la rive sud du Yangtsé, dans le nord-est de l’actuel district de Kiayu, province du Houpei. C’est là qu’en 208, Tsao Tsao, avec une armée de plus de 500.000 hommes, qu’il fit passer pour 800.000 hommes, attaqua Souen Kiuan. Ce dernier, allié à Lieou Pei, un autre adversaire de Tsao Tsao, mit en ligne 30.000 hommes. Tirant parti d’une épidémie qui ravageait les troupes de Tsao Tsao et de leur incapacité à combattre sur l’eau, les forces alliées de Souen Kiuan et de Lieou Pei brûlèrent la flotte de Tsao Tsao et écrasèrent son armée.
  30. Yiling se trouve dans l’est de l’actuel district de Yitchang, province du Houpei. C’est là qu’en 222, Lou Siun, général du royaume de Wou, infligea une sévère défaite aux troupes du royaume de Chou, que commandait Lieou Pei. Au début, Lieou Pei remporta victoire sur victoire ; il parvint jusqu’à Yiling, s’enfonçant de 500 à 600 lis à l’intérieur du royaume de Wou. Mais Lou Siun, qui défendait Yiling, refusa tout combat pendant plus de sept mois ; ayant attendu le moment où Lieou Pei “ne savait plus que faire, vu la démoralisation et l’épuisement complets de ses troupes”, Lou Siun utilisa le vent qui s’était levé pour incendier le camp de Lieou Pei et détruisit ses forces.
  31. En 383, Sié Hsiuan, général des Tsin de l’Est, infligea sur les bords de la rivière Feichouei (province de l’Anhouei) une lourde défaite à Fou Kien qui régnait sur les Ts’in. Ce dernier disposait de plus de 600.000 fantassins, de 270.000 cavaliers et d’une Garde de plus de 30.000 hommes, alors que les troupes des Tsin de l’Est (y compris la flotte) ne dépassaient pas 80.000 hommes. Les deux armées étaient séparées par la rivière Feichouei. Sié Hsiuan spécula sur l’arrogance et la suffisance de son adversaire et demanda à Fou Kien de lui accorder un espace sur la rive nord où se trouvait l’armée de Ts’in pour que ses troupes puissent débarquer et livrer la bataille décisive. Fou Kien accepta, mais dès qu’il donna l’ordre à ses troupes de se replier, il devint impossible de les arrêter. Profitant de l’occasion, les troupes de Sié Hsiuan traversèrent la rivière et écrasèrent l’armée de Fou Kien.
  32. Le 1er août 1927, afin de combattre les forces contre-révolutionnaires de Tchiang Kaï-chek et de Wang Tsing-wei et de poursuivre la révolution de 1924-1927, le Parti communiste chinois déclencha à Nantchang (chef-lieu du Kiangsi) une insurrection qui devint célèbre. Des forces armées totalisant plus de 30.000 hommes prirent part à cette insurrection dirigée par les camarades Chou En-laï, Chu Teh, Ho Long et Yé Ting. Le 5 août, les troupes insurgées, appliquant un plan élaboré à l’avance, quittèrent Nantchang et marchèrent vers le Kouangtong. Néanmoins, devant Tchaotcheou et Swatow, elles subirent des revers. Une partie d’entre elles, sous le commandement des camarades Chu Teh, Tchen Yi et Lin Piao, réussirent par la suite à se frayer un passage pour gagner les monts Tsingkang, où elles s’unirent à la 1re division du 1er corps de l’Armée révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans, conduite par le camarade Mao Zedong.
  33. Voir “Pourquoi le pouvoir rouge peut-il exister en Chine ?”, note 9, p. 75 du présent tome.
  34. Organisation d’espionnage contre-révolutionnaire du Kuomintang qui opérait clandestinement dans les régions rouges. A-B : initiales provenant du mot anglais “Anti-Bolshevik”.
  35. Voir V. I. Lénine : “Thèses sur la conclusion immédiate d’une paix séparée et annexionniste”, “Chose étrange et monstrueuse”, “Leçon sérieuse et sérieuse responsabilité”, “Rapport sur la guerre et la paix” ; voir aussi Histoire du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., chapitre VII, section 7.
  36. Il s’agit des Tibétains et des Houeis vivant dans les provinces du Setchouan, du Kansou, du Tsinghai et du Sinkiang.
  37. Dans la Chine féodale du XVe siècle au XIXe siècle, le système des examens impériaux prévoyait une dissertation rédigée selon un plan particulier, qui comprenait : l’introduction, l’exposition du thème, les thèses générales de la dissertation, le passage à l’exposé, le début de l’exposé, le milieu de l’exposé, la fin de l’exposé, la conclusion. Les quatre dernières divisions, qui formaient l’exposé proprement dit, étaient composées chacune d’une thèse et d’une antithèse, ce qui, au total, donnait huit parties. C’est pourquoi ce genre de dissertation s’appelait “essai en huit parties”. Le camarade Mao Zedong se réfère ici à l’exposition d’un thème en huit parties pour montrer d’une manière imagée le développement des différentes étapes de la révolution. Néanmoins, il a généralement recours au terme “essai en huit parties” comme à une métaphore ironique, sous-entendant par là le dogmatisme.
  38. En 585 av. J.-C., les principautés de Tsin, de Lou, de Wei et de Tsao se coalisèrent pour attaquer la principauté de Tsi. Sous-estimant les forces de l’ennemi, le duc King de Tsi chercha une décision rapide. “Anéantissons cette horde ennemie avant de déjeuner”, dit-il. L’assaut fut donc lancé avant même que les chevaux des chars eussent été caparaçonnés. La bataille se termina par la défaite des Tsi.

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