Mao Zedong
L’indépendance et l’autonomie au sein du Front Uni1
5 novembre 1938
Pour une coopération durable, l’aide mutuelle et les concessions réciproques des partis politiques au sein du front uni sont nécessaires, mais elles doivent être positives et non négatives. Nous devons consolider et élargir notre Parti et notre armée tout en soutenant les efforts des armées et des partis amis pour se consolider et s’élargir ; le peuple exige que le gouvernement satisfasse ses revendications politiques et économiques, mais il lui apporte en même temps toute l’aide possible pour la poursuite de la Guerre de Résistance; les ouvriers exigent que le patronat améliore leurs conditions matérielles, mais en même temps ils font activement leur travail dans l’intérêt de la Résistance ; les propriétaires fonciers doivent réduire les fermages et le taux d’intérêt, et les paysans, de leur côté, payer fermages et intérêts, en vue de l’union contre l’agression étrangère. Tous ces principes, toutes ces règles d’aide mutuelle sont positives, et non négatives ou unilatérales. Il en est de même des concessions réciproques. Chaque parti s’abstiendra de former des cellules secrètes dans les organisations, l’appareil gouvernemental et l’armée de l’autre, et se gardera de toute activité de sape contre lui. Pour notre part, nous ne formons pas de cellules secrètes au sein du Kuomintang, dans son appareil gouvernemental ou son armée, afin qu’il ait l’esprit tranquille, et cela dans l’intérêt de la Résistance. Le dicton : “Abstiens-toi de faire ceci pour être en mesure de faire cela”2 s’applique exactement à la situation. Une guerre de résistance à l’échelle nationale aurait été impossible sans la réorganisation de l’Armée rouge, sans les changements apportés au régime administratif des régions rouges et le renoncement à la politique d’insurrection armée. Nous avons cédé d’un côté pour gagner de l’autre ; par des mesures négatives nous avons atteint un but positif. “Reculer pour mieux sauter”3, c’est du léninisme. Considérer la concession comme quelque chose de purement négatif est contraire au marxisme-léninisme. Certes, il y a des cas de concessions purement négatives — comme la théorie de la IIe Internationale sur la collaboration entre le Travail et le Capital4 — où toute une classe, toute une révolution a été trahie. En Chine, Tchen Tou-sieou, puis Tchang Kouo-tao furent des capitulards ; nous devons combattre énergiquement l’esprit de capitulation. Quand nous faisons des concessions, reculons, passons à la défensive ou cessons de poursuivre notre avance dans nos rapports avec nos alliés ou avec nos ennemis, nous considérons toujours ces actions comme une partie de notre politique révolutionnaire globale, comme un chaînon indispensable de la ligne générale de la révolution, un des nombreux tournants d’un chemin en zigzag. En un mot, tout cela est positif.
Soutenir une longue guerre grâce à une coopération durable, ou, en d’autres termes, subordonner la lutte des classes à la lutte nationale antijaponaise actuelle, voilà le principe fondamental du front uni. Tout en respectant ce principe, on doit conserver le caractère indépendant des partis et des classes, leur indépendance et leur autonomie au sein du front uni ; on ne doit pas, au nom de la coopération et de l’unité, sacrifier leurs droits essentiels, mais au contraire les maintenir fermement en leur assignant certaines limites ; cela seul favorise la coopération et la rend effective. Autrement, celle-ci deviendrait un amalgame et le front uni serait inévitablement sacrifié. Dans une lutte contre l’ennemi de la nation, la lutte des classes prend la forme d’une lutte nationale, et c’est en cela que se manifeste l’identité des deux luttes. D’une part, pour une période historique donnée, les revendications politiques et économiques des diverses classes ne sont admissibles que dans la mesure où elles ne conduisent pas à la rupture de la coopération ; d’autre part, les besoins de la lutte nationale (de la résistance au Japon) doivent être le point de départ de toute revendication dans la lutte des classes. Il y a ainsi identité, au sein du front uni, entre l’unité et l’indépendance, entre la lutte nationale et la lutte des classes.
Le Kuomintang, qui est au pouvoir, n’a jamais permis jusqu’ici au front uni de prendre la forme d’une organisation. Derrière les lignes ennemies, “tout par le front uni” est chose impossible ; là, nous avons à agir avec indépendance et autonomie en nous conformant à ce qui a déjà été approuvé par le Kuomintang (par exemple, le Programme de résistance au Japon et de construction nationale). Ou bien, escomptant une approbation de sa part, nous pouvons agir d’abord et l’informer ensuite. Ainsi, la nomination de commissaires administratifs et l’envoi de troupes dans le Chantong ne seraient pas chose accomplie si nous avions cherché à les réaliser “par le front uni”. Le Parti communiste français avait, dit-on, lancé le même mot d’ordre ; c’est probablement parce qu’en France il existait déjà un comité d’entente entre les partis et que le Parti socialiste continuait néanmoins à agir de son côté sans tenir compte du programme établi en commun ; aussi le Parti communiste a-t-il cru nécessaire de lancer ce mot d’ordre, afin de restreindre l’action du Parti socialiste et non pour se lier lui-même. Mais en Chine, le Kuomintang refuse de reconnaître à tous les autres partis des droits égaux aux siens et cherche à les soumettre à ses ordres. Si nous lancions ce mot d’ordre pour exiger du Kuomintang qu’il fasse “tout” avec notre approbation, ce serait aussi ridicule qu’irréalisable. Si, d’autre part, nous devons obtenir l’accord préalable du Kuomintang pour “tout” ce que nous voulons entreprendre, comment ferons-nous s’il ne nous le donne pas ? La politique du Kuomintang étant de limiter notre développement, nous n’avons aucune raison de lancer ce mot d’ordre, qui ne ferait que nous lier les mains. Actuellement, nous devons obtenir, dans certains cas, l’accord préalable du Kuomintang, par exemple, pour transformer nos trois divisions en trois corps d’armée avec des numéros matricules correspondants ; là, il s’agit d’informer d’abord et d’agir ensuite. Dans d’autres cas, comme le recrutement de plus de 200.000 hommes pour accroître nos effectifs, nous devons placer le Kuomintang devant le fait accompli avant de l’en informer, c’est-à-dire agir d’abord et informer ensuite. Il y a encore d’autres choses que nous devons faire sans en informer pour l’instant le Kuomintang, sachant qu’il ne les approuverait pas, telle la convocation de l’Assemblée de la Région frontière. Enfin, il y a des choses que nous ne devons pour le moment ni faire ni dire, celles qui, par exemple, compromettraient la situation générale. Bref, nous devons absolument nous garder de rompre le front uni, mais nous ne devons en aucun cas nous lier les mains ; il ne faut donc pas avancer le mot d’ordre “tout par le front uni”. Quant au mot d’ordre “tout subordonner au front uni”, ce serait également une erreur de l’interpréter dans le sens de “tout subordonner” à Tchiang Kaï-chek et à Yen Si-chan. Notre politique, c’est l’indépendance et l’autonomie au sein du front uni, c’est-à-dire l’unité mais aussi l’indépendance.