Mao Zedong
Directives pour les opérations de la campagne de Liaosi-Chenyang1
Septembre et octobre 1948

I. LE TELEGRAMME DU 7 SEPTEMBRE

Nous comptons parvenir en cinq ans environ (à dater de juillet 1946)2 à infliger au Kuomintang la défaite fondamentale. Cela est possible. Si nous détruisons chaque année à peu près 100 brigades des troupes régulières du Kuomintang, soit quelque 500 brigades au cours des cinq années, notre objectif sera atteint. Ces deux dernières années, notre armée a anéanti au total 191 brigades des troupes régulières de l’ennemi, soit une moyenne de 95 brigades et demie par an, ou près de 8 brigades par mois. Dans les trois prochaines années, il faut que notre armée détruise au moins 300 brigades des troupes régulières ennemies. De juillet de cette année à juin de l’année prochaine, nous comptons anéantir quelque 115 brigades des troupes régulières ennemies. Ce total est à répartir entre nos armées de campagne et groupes d’armées3. L’Armée de Campagne de la Chine de l’Est est chargée d’anéantir environ 40 brigades (y compris les 7 déjà détruites en juillet), de prendre Tsinan et un certain nombre de villes, grandes, moyennes ou petites, dans le Kiangsou du Nord, le Honan de l’Est et l’Anhouei du Nord. L’Armée de Campagne des Plaines centrales est chargée d’anéantir environ 14 brigades (y compris les 2 déjà détruites en juillet) et de prendre un certain nombre de villes dans les provinces du Houpei, du Honan et de l’Anhouei. L’Armée de Campagne du Nord-Ouest est chargée d’anéantir environ 12 brigades (dont une brigade et demie déjà détruite en août). Le groupe d’armées de la Chine du Nord commandé par Siu Hsiang-tsien et Tcheou Che-ti est chargé d’anéantir environ 14 brigades des troupes de Yen Si-chan (y compris les 8 brigades déjà détruites en juillet) et de prendre Taiyuan. Vous êtes chargés, en coordination avec les 2 groupes d’armées commandés par Louo Jouei-king et Yang Tcheng-wou, d’anéantir environ 35 brigades des troupes de Wei Li-houang et de celles de Fou Tsouo-yi (y compris la brigade déjà détruite par Yang Tcheng-wou en juillet) et de prendre toutes les villes situées le long des lignes de chemin de fer Peiping-Liaoning, Peiping-Soueiyuan, Peiping-Tchengteh et Peiping-Paoting, à l’exception de Peiping, Tientsin et Chenyang. Pour atteindre cet objectif, les facteurs décisifs sont une disposition appropriée et un bon commandement des troupes dans les opérations, et un rapport convenable entre périodes de combat et de repos. Si dans les deux mois de septembre et d’octobre, ou un temps un peu plus long, vous arrivez à détruire l’ennemi en position le long de la voie ferrée Kintcheou-Tangchan et à prendre Kintcheou, Chanhaikouan et Tangchan, vous aurez anéanti quelque 18 brigades ennemies. A cet effet, il faut vous préparer dès maintenant à engager le gros de vos forces sur cette ligne, sans vous occuper des troupes ennemies à Tchangtchouen et à Chenyang; entre-temps, apprêtez-vous à anéantir, lorsque vous attaquerez Kintcheou, les forces ennemies qui pourraient venir de Tchangtchouen et de Chenyang au secours de cette ville. Comme les forces ennemies à Kintcheou, Chanhaikouan et Tangchan et dans le voisinage de ces villes sont isolées les unes des autres, le succès de vos attaques pour les anéantir est à peu près certain, et il y a bon espoir aussi que vous réussirez dans votre attaque de Kintcheou tout en anéantissant les renforts ennemis. Si, par contre, vous disposiez le gros de vos forces à Sinmin et dans les environs nord de cette ville, en vue d’attaquer les forces ennemies qui pourraient venir de Tchangtchouen et de Chenyang, celles-ci, estimant la menace trop forte, n’oseraient peut-être pas sortir du tout. D’une part, donc, l’ennemi qui est à Tchangtchouen et à Chenyang pourrait ne pas quitter ces villes et, d’autre part, comme les forces que vous enverriez vers Kintcheou, Chanhaikouan et Tangchan seraient peu importantes, l’ennemi dans ces trois villes et dans leur voisinage (comptant 18 brigades) pourrait se replier sur Kintcheou et Tangchan et deviendrait assez difficile à attaquer; vous seriez pourtant obligés de l’attaquer, gaspillant le temps et l’énergie, ce qui vous réduirait peut-être à une position passive. Voilà pourquoi vous ferez mieux de ne pas vous occuper des troupes ennemies de Tchangtchouen et de Chenyang, mais de concentrer votre attention sur celles qui se trouvent à Kintcheou, Chanhaikouan et Tangchan. Autre point : dans les dix mois de septembre à juin prochain, vous devez vous préparer à livrer trois grandes batailles, en consacrant à chaque bataille environ deux mois, ce qui fait un total de six mois et laisse quatre mois pour le repos. Si, durant la bataille de Kintcheou-Chanhaikouan-Tangchan (la première grande bataille), l’ennemi retranché à Tchangtchouen et à Chenyang fait une sortie au grand complet pour dégager Kintcheou (le fait que le gros de vos forces sera disposé non à Sinmin, mais dans le voisinage de Kintcheou enhardira Wei Li-houang à venir au secours de cette ville), vous pourrez, sans quitter la ligne Kintcheou-Chanhaikouan-Tangchan, anéantir coup sur coup de grands renforts ennemis et vous vous efforcerez de détruire sur place toutes les troupes de Wei Li-houang. Ce serait la situation idéale. Vous devez donc être attentifs aux points suivants :

1) Soyez fermement résolus à prendre Kintcheou, Chanhai-kouan et Tangchan et à assurer le contrôle de toute la ligne.

2) Soyez fermement résolus à mener une bataille d’anéantissement plus vaste que toutes les précédentes, c’est-à-dire à attaquer l’armée entière de Wei Li-houang quand elle viendra au secours de Kintcheou.

3) En tenant compte de ces deux résolutions, reconsidérez votre plan des opérations, prenez des dispositions pour satisfaire les besoins de toutes vos troupes (vivres, munitions, recrues, etc.) et pour régler la question des prisonniers de guerre.

Veuillez examiner ce qui précède et nous télégraphier votre réponse.

II. LE TELEGRAMME DU 10 OCTOBRE

1. A partir du jour où vous commencerez d’attaquer Kintcheou, il y aura une période où la situation sur le front sera très tendue. Nous attendons que vous nous informiez par radio, tous les deux ou trois jours, de la situation de l’ennemi (capacité de résistance de ses forces défendant Kintcheou, progression de ses renforts venus de Houloutao et de Kinsi comme de Chenyang, mouvements et intentions de ses troupes à Tchangtchouen) ainsi que de notre propre situation (progrès de notre attaque contre la ville, pertes subies dans cette attaque et dans l’interception des renforts ennemis).

2. Il est fort possible, comme vous l’avez dit, que la situation sur le front durant cette période se présentera d’une manière extrêmement favorable pour vous, c’est-à-dire que vous aurez la possibilité d’anéantir non seulement les forces ennemies défendant Kintcheou, mais aussi une partie des renforts ennemis venus de Houloutao et de Kinsi ainsi qu’une partie ou la plupart des forces ennemies s’enfuyant de Tchangtchouen. Si les renforts ennemis partis de Chenyang avancent jusqu’à la région au nord du feuve Taling juste après la chute de Kintcheou, et si vous êtes ainsi en mesure de déplacer vos forces pour les encercler, vous aurez la possibilité d’anéantir également ces renforts. La clé de tous ces succès, c’est que vous vous efforciez de prendre Kintcheou en une semaine environ.

3. Selon le développement de votre attaque contre Kintcheou et l’avance des renforts ennemis progressant à la fois de l’est et de l’ouest, vous déciderez de la disposition de vos troupes pour les intercepter. Au cas où les renforts ennemis de Chenyang avanceraient lentement (si, en effet, durant votre attaque contre Kintcheou, l’ennemi assiégé à Tchangtchouen fait une sortie, mais est accroché et durement frappé par notre 12e colonne et autres forces, les renforts ennemis partis de Chenyang peuvent être assez désorientés pour avancer lentement ou s’arrêter ou retourner en arrière au secours des forces de Tchangtchouen), tandis que les renforts ennemis partis de Houloutao et de Kinsi avanceraient rapidement, vous devrez alors vous tenir prêts à engager vos réserves générales pour anéantir, conjointement avec les 4e et 11e colonnes, une partie de ces derniers renforts et, avant tout, pour arrêter leur avance. Si les renforts ennemis partis de Houloutao et de Kinsi peuvent être accrochés et contenus par nos 4e et 11e colonnes et autres forces et, de ce fait, avancent très lentement ou s’arrêtent, si les forces ennemies de Tchangtchouen ne brisent pas l’encerclement, si les renforts ennemis partis de Chenyang avancent rapidement, et si la plupart des forces ennemies de Kintcheou ont été anéanties et que la prise de la ville soit imminente, vous devrez alors laisser les forces ennemies de Chenyang pénétrer profondément dans la région au nord du fleuve Taling, de sorte que vous puissiez en temps voulu déplacer vos forces pour les encercler et les anéantir au moment favorable.

4. Vous devez concentrer votre attention sur les opérations à Kintcheou afin de prendre cette ville aussi vite que possible. Même si aucun des autres objectifs n’est atteint, il vous suffira de prendre Kintcheou pour avoir l’initiative, et ce sera là une grande victoire. Nous espérons que vous accorderez votre attention aux points exposés plus haut. Surtout dans les premiers jours de la bataille pour Kintcheou, alors que les renforts ennemis venant tant de l’est que de l’ouest ne feront pas de mouvements importants, il faut que vous concentriez toute votre énergie sur les opérations du front de Kintcheou.

  1. Télégrammes rédigés par le camarade Mao Zedong pour la Commission militaire révolutionnaire du Comité central du Parti communiste chinois et adressés à Lin Piao, Louo Jong-houan et d’autres camarades. Les directives données ici pour les opérations de la campagne de Liaosi-Chenyang furent mises en application avec un plein succès. Voici les résultats de cette campagne :
    1) La destruction d’un total de 470.000 hommes de l’armée ennemie s’ajoutant aux victoires sur d’autres théâtres d’opérations à la même époque, donna à l’Armée populaire de Libération la supériorité même numérique sur l’armée du Kuomintang.
    2) Tout le territoire de la Chine du Nord-Est fut libéré et les conditions furent créées pour la libération de Peiping, de Tientsin et de toute la Chine du Nord.
    3) Notre armée acquit de l’expérience dans l’art de conduire des campagnes d’anéantissement de grande envergure.
    4) La libération du Nord-Est de la Chine assurait à la Guerre de Libération des arrières stratégiques solides avec une assez bonne base industrielle ; elle plaçait le Parti et le peuple dans des conditions favorables pour commencer à rétablir progressivement l’économie. La campagne de Liaosi-Chenyang fut la première des trois grandes campagnes décisives de la Guerre de Libération du Peuple chinois. Les deux autres furent les campagnes de Houai-Hai et de Peiping-Tientsin. Dans ces trois grandes campagnes, qui durèrent quatre mois et dix-neuf jours, 144 divisions (ou brigades) des troupes régulières de l’ennemi et 29 divisions de ses troupes irrégulières furent anéanties, soit un total de plus de 1.540.000 hommes. Durant cette période, l’Armée populaire de Libération lança également des offensives sur d’autres fronts, anéantissant de nombreuses troupes ennemies. Pendant les deux premières années de la guerre, l’Armée populaire de Libération avait détruit en moyenne environ 8 brigades ennemies par mois. Cette moyenne était maintenant portée à 38 brigades par mois. Ces trois grandes campagnes réduisirent pratiquement à néant les troupes d’élite sur lesquelles le Kuomintang avait compté pour mener la guerre civile contre-révolutionnaire, et hâtèrent considérablement la victoire de la Guerre de Libération dans tout le pays. Au sujet de la campagne de Houai-Hai et de la campagne de Peiping-Tientsin, voir “Directives pour les opérations de la campagne de Houai-Hai”, pp. 293-296 et “Directives pour les opérations de la campagne de Peiping-Tientsin”, pp. 305-310 du présent tome.
  2. La campagne de Liaosi-Chenyang fut une campagne gigantesque menée du 12 septembre au 2 novembre 1948 par l’Armée populaire de Libération du Nord-Est dans la partie ouest de la province du Liaoning et dans la région de Chenyang-Tchangtchouen. A la veille de cette campagne, les forces du Kuomintang dans le Nord-Est comprenaient au total 4 groupes d’armées composés de 14 corps d’armée ou de 44 divisions. Elles s’étaient repliées sur trois secteurs isolés l’un de l’autre : Tchangtchouen, Chenyang et Kintcheou. L’Armée populaire de Libération du Nord-Est avait pour objectif d’anéantir complètement les troupes ennemies dans le Nord-Est même et de libérer rapidement tout ce territoire. Soutenue par les larges masses de la population locale, elle commença la campagne de Liaosi-Chenyang en septembre 1948, après avoir concentré des troupes de campagne en 13 colonnes dont une d’artillerie, et des troupes locales, le tout se montant à 53 divisions, soit plus de700.0 hommes. Kintcheou, sur la ligne de chemin de fer Peiping-Liaoning, était un nœud stratégique reliant le Nord-Est au Nord. Les forces ennemies en garnison dans la région de Kintcheou consistaient en 8 divisions, avec plus de 100.000 hommes, sous les ordres de Fan Han-kié, commandant en chef adjoint du Quartier général du Kuomintang pour “l’extermination des bandits” dans le Nord-Est. La prise de Kintcheou était la clé de la victoire dans la campagne de Liaosi-Chenyang. Selon les directives du camarade Mao Zedong, l’Armée populaire de Libération du Nord-Est, tout en continuant d’assiéger Tchangtchouen avec une colonne et 7 divisions indépendantes, employa 7 colonnes (dont une d’artillerie) et un bataillon de chars pour investir et attaquer Kintcheou; et elle disposa 2 colonnes dans le secteur Tachan-Kaokiao, au sud-ouest de Kintcheou, et 3 colonnes dans le secteur Heichan-Tahouchan-Tchangwou, pour intercepter tous les renforts que l’ennemi pourrait envoyer de Kinsi et de Houloutao d’une part, de Chenyang d’autre part, au secours de Kintcheou. Les combats dans la région de Kintcheou commencèrent le 12 septembre. Au moment même où notre armée, après avoir pris Yihsien, ratissait l’ennemi dans les environs de Kintcheou, Tchiang Kaï-chek prit en hâte l’avion pour le Nord-Est afin d’assumer en personne la direction des opérations; il fit venir d’urgence en renfort 5 divisions dépendant du Quartier général du Kuomintang pour “l’extermination des bandits” dans la Chine du Nord, stationnées sur la ligne Peiping-Liaoning, et 2 divisions de la province du Chantong; celles-ci, formant avec les 4 divisions de Kinsi un total de 11 divisions, lancèrent à partir du 10 octobre de furieuses attaques contre nos positions à Tachan, mais ne parvinrent pas à percer nos lignes. Pendant ce temps, parti de Chenyang pour secourir Kintcheou, le IXe Groupe d’Armées du Kuomintang commandé par Liao Yao-siang et fort de 11 divisions et de 3 brigades de cavalerie fut intercepté par notre armée au nord-est deHeichan et de Tahouchan. Notre armée commença l’assaut de Kintcheou le 14octobre, et, après trente et une heures de combats acharnés, détruisit totalement les forces ennemies s’élevant à plus de 100.000 hommes, faisant prisonniers entre autres Fan Han-kié et Lou Tsiun-tsiuan, commandant du VIe Groupe d’Armées. La libération de Kintcheou poussa une partie des troupes ennemies à Tchangtchouen à se révolter et à passer de notre côté, et le reste à capituler. Dès lors, l’effondrement complet des forces du Kuomintang dans le Nord-Est était certain. Mais Tchiang Kaï-chek, rêvant encore de reprendre Kintcheou et de rétablir les communications entre la Chine du Nord-Est et la Chine du Nord, donna au groupe d’armées de Liao Yao-siang l’ordre formel de poursuivre sa marche vers Kintcheou. Après la prise de Kintcheou, l’Armée populaire de Libération du Nord-Est revint immédiatement vers le nord-est et serra de près par le flanc nord et le flanc sud le groupe d’armées de Liao Yao-siang à Heichan et à Tahouchan. Le 26 octobre, l’Armée populaire de Libération réussit à encercler l’ennemi dans le secteur Heichan-Tahouchan-Sinmin et, après deux jours et une nuit de combats acharnés, détruisit totalement ces forces s’élevant à plus de 100.000 hommes, faisant prisonniers le commandant de groupe d’armées Liao Yao-siang et les commandants de corps d’armée Li Tao, Pai Feng-wou et Tcheng Ting-ki et d’autres. Exploitant ces victoires, notre armée avança vigoureusement et libéra Chenyang et Yingkeou le2 novembre, anéantissant des forces ennemies de plus de 149.000 hommes. Tout le Nord-Est se trouva ainsi libéré. Durant cette campagne, l’ennemi perdit un total de plus de 470.000 hommes, tués, blessés ou prisonniers.
  3. Voir “Circulaire sur la situation”, note 7, p. 235 du présent tome.

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