Mao Zedong
Développer hardiment les forces antijaponaises, repousser les attaques des irréductibles anticommunistes1
4 mai 1940
1. Dans toutes les régions situées sur les arrières de l’ennemi et dans toutes les zones d’opérations, il faut insister non sur le caractère spécifique de chacune d’elles mais sur ce qu’elles ont d’identique ; sinon, on commettrait une grosse erreur. Qu’il s’agisse de la Chine septentrionale, centrale ou méridionale, des territoires situés au nord ou au sud du Yangtsé, des régions de plaine, de montagnes ou de lacs, de la VIIIe Armée de Route, de la Nouvelle IVe Armée ou de la Colonne de Partisans de la Chine du Sud2, partout existent des traits spécifiques, mais partout aussi des traits identiques, à savoir la présence de l’ennemi et la guerre de résistance contre les envahisseurs. C’est pourquoi nous avons partout la possibilité et le devoir de développer nos forces.
Cette politique d’expansion vous a déjà été indiquée maintes fois par le Comité central. Développer nos forces, c’est accroître hardiment et en toute indépendance nos effectifs armés, créer résolument des bases d’appui, y procéder librement à la mobilisation des masses et y établir des organes du pouvoir de front uni antijaponais placés sous la direction du Parti communiste, poursuivre notre expansion vers toutes les régions occupées par l’ennemi et, pour cela, ne pas tenir compte des restrictions imposées par le Kuomintang, mais passer outre aux limites autorisées par lui, ne pas attendre des affectations de sa part ni compter sur les organes supérieurs pour nos ressources matérielles. Dans la province du Kiangsou, par exemple, nous devons, en dépit des attaques verbales, des restrictions et des pressions d’anticommunistes tels que Kou Tchou-tong, Leng Sin et Han Teh-kin3, établir au plus vite, mais de façon systématique et selon un plan déterminé, notre contrôle sur autant de régions que possible, depuis Nankin à l’ouest jusqu’au littoral à l’est, et depuis Hangtcheou au sud jusqu’à Siutcheou au nord ; il nous faut accroître en toute indépendance les effectifs de nos unités militaires, établir des organes du pouvoir, créer des bureaux de perception pour lever les impôts destinés à la Résistance et des organismes économiques pour développer l’agriculture, l’industrie et le commerce, et aussi ouvrir diverses écoles pour former des cadres en grand nombre. La directive du Comité central exigeait qu’au cours de cette année vous portiez à 100.000 baïonnettes l’effectif des forces antijaponaises combattant sur les arrières de l’ennemi, au Kiangsou et au Tchékiang, et que vous y créiez sans tarder des organes du pouvoir. Quelles dispositions concrètes avez-vous prises à ce sujet ? Vous avez déjà laissé passer des occasions favorables ; si cela se reproduit cette année, vous serez en butte à des difficultés encore plus grandes.
2. A l’heure où les irréductibles anticommunistes du Kuomintang s’obstinent dans leur politique visant à contenir, à limiter et à combattre le Parti communiste et préparent ainsi la capitulation devant le Japon, nous devons mettre l’accent non sur l’unité, mais sur la lutte, sinon nous commettrions une grosse erreur. C’est pourquoi, que ce soit sur le plan théorique, politique ou militaire, nous devons, par principe, nous élever résolument et lutter avec énergie contre les lois, les décrets, la propagande et les attaques verbales de tout genre des irréductibles anticommunistes, qui visent à contenir, à limiter et à combattre le Parti communiste. Notre lutte doit s’inspirer des principes du bon droit, de l’avantage et de la mesure, c’est-à-dire des principes de la légitime défense, de la victoire et de la trêve, ce qui signifie qu’actuellement, dans chaque cas concret, elle sera défensive, limitée et de courte durée. Nous devons combattre fermement, par des ripostes du tac au tac, toute loi, tout décret, toute propagande et attaque verbale réactionnaire des irréductibles anticommunistes. Par exemple, ils exigent que nos IVe et Ve Détachements4 soient déplacés vers le sud : nous leur objectons que cette mesure est irréalisable ; ils exigent que les unités de Yé Fei et de Tchang Yun-yi5 soient déplacées vers le sud: nous répliquons en demandant l’autorisation d’envoyer vers le nord les unités de l’un d’entre eux ; ils nous accusent de saboter la conscription : nous leur demandons l’autorisation d’étendre la zone de recrutement de la Nouvelle IVe Armée ; ils prétendent que notre propagande est erronée : nous exigeons qu’ils cessent toute propagande anticommuniste et abrogent toutes les lois et tous les décrets qui sont des causes de “frictions” ; s’ils lancent contre nous une attaque militaire, nous la brisons par une contre-attaque. Nous avons de bonnes raisons de pratiquer cette politique de riposte du tac au tac.
Quand une action se justifie, ce n’est pas seulement le Comité central de notre Parti, mais encore n’importe quelle unité de notre armée qui doivent en prendre l’initiative. D’excellents exemples en ont été fournis par Tchang Yun-yi et Li Sien-nien lorsqu’ils ont protesté énergiquement auprès de leurs supérieurs respectifs Li Pin-sien et Li Tsong-jen6. Seules cette attitude résolue et la lutte qui fait appel aux principes du bon droit, de l’avantage et de la mesure peuvent intimider les irréductibles si bien qu’ils n’oseront pas nous brimer ; elles seules peuvent restreindre leur activité visant à contenir, à limiter et à combattre le Parti communiste ; elles seules les obligeront à reconnaître notre statut légal et les empêcheront de risquer allègrement une rupture. C’est pourquoi la lutte est le moyen essentiel pour conjurer le danger d’une capitulation, amener un tournant favorable dans la situation et consolider la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste. Pour ce qui est de notre Parti et de notre armée, seule la lutte tenace contre les irréductibles nous permettra d’élever le moral, d’exalter le courage dans nos rangs, d’unir nos cadres, d’accroître notre force ; c’est le seul moyen de renforcer l’armée et de consolider le Parti. Dans nos rapports avec les forces intermédiaires, seule la lutte tenace contre les irréductibles gagnera à notre cause les éléments hésitants et soutiendra nos sympathisants — il n’y a pas d’autre moyen. De même, cette lutte est la seule politique qui permette à tout le Parti et à toute l’armée d’être psychologiquement prêts à affronter les éventualités imprévues d’importance nationale et de prendre dans leur travail les dispositions nécessaires pour y parer. Autrement, on répéterait les erreurs de 19277.
3. Dans l’appréciation de la situation actuelle, nous devons comprendre que, si le danger d’une capitulation s’est considérablement accru, il est cependant encore possible de le conjurer. Les conflits militaires actuels ont encore un caractère local et non national. Ce sont des actions de reconnaissance stratégique de la partie adverse, qui n’annoncent pas encore une vaste campagne d’“extermination des communistes”; ce sont des gestes qui préparent la capitulation, ce ne sont pas encore les signes d’une capitulation imminente. Notre tâche est d’appliquer avec fermeté et énergie la triple politique du Comité central, la seule juste, qui consiste à “développer les forces progressistes”, à “gagner les forces intermédiaires” et à “isoler les forces irréductibles”, afin de conjurer le danger d’une capitulation et d’amener un tournant favorable dans la situation. On courrait un grand danger à ne pas révéler ni rectifier les déviations “de gauche” ou de droite commises dans l’appréciation de la situation et dans la fixation des tâches.
4. Les batailles défensives livrées par les IVe et Ve Détachements contre les attaques de Han Teh-kin et de Li Tsong-jen dans l’Anhouei de l’Est, celles de la colonne de Li Sien-nien contre les attaques des irréductibles dans les parties centrale et orientale du Houpei, la lutte résolue du détachement de Peng Siué-feng dans la région au nord du Houaiho, l’expansion des forces de Yé Fei au nord du Yangtsé et le déplacement de plus de 20.000 hommes de la VIIIe Armée de Route vers le sud pour gagner la région au nord du Houaiho, l’Anhouei de l’Est et le Kiangsou du Nord8, étaient absolument nécessaires et justes ; c’étaient des mesures indispensables pour que Kou Tchou-tong ne se hasarde pas à vous attaquer dans l’Anhouei du Sud et le Kiangsou du Sud. En d’autres termes, plus nous remportons de succès au nord du Yangtsé et y développons nos forces, plus Kou Tchou-tong hésitera à se risquer dans des actions inconsidérées au sud du Yangtsé et plus il vous sera facile de jouer votre rôle dans l’Anhouei du Sud et le Kiangsou du Sud. De même, plus la VIIIe Armée de Route, la Nouvelle IVe Armée et la Colonne de Partisans de la Chine du Sud se développent dans le Nord-Ouest, le Nord, la Chine centrale et le Sud et plus le Parti communiste se développe dans le pays, plus il y aura de chances de conjurer le danger d’une capitulation et d’amener un tournant favorable dans la situation, et plus il sera facile pour notre Parti de jouer son rôle dans l’ensemble du pays. Il serait faux d’en juger autrement et d’adopter une tactique opposée, c’est-à-dire de se figurer que plus nous développons nos forces, plus les irréductibles tendent à capituler, ou que plus nous faisons de concessions, plus ils résistent aux envahisseurs japonais, ou encore, de considérer que le moment de la rupture à l’échelle nationale est déjà arrivé et que la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste est désormais impossible.
5. Pendant la Guerre de Résistance, notre politique pour l’ensemble du pays est une politique de front uni national antijaponais. Elle s’applique également aux bases démocratiques antijaponaises créées sur les arrières de l’ennemi. Vous devez exécuter résolument les décisions du Comité central sur la question du pouvoir.
6. Dans les régions se trouvant sous la domination du Kuomintang, notre politique doit être différente de celle que nous appliquons dans les zones d’opérations et les régions situées sur les arrières de l’ennemi. Nous devons y travailler à couvert, avec un effectif réduit mais efficace, rester longtemps dans la clandestinité, accumuler des forces dans l’attente du moment propice ; il faut se garder de toute précipitation et ne pas agir à découvert. Conformément aux principes : bon droit, avantage et mesure, notre tactique à l’égard des irréductibles consiste à combattre sur un terrain sûr et solide et à accumuler des forces, en utilisant les lois et les décrets du Kuomintang qui peuvent nous servir et tout ce que permettent les coutumes sociales. Si un membre de notre Parti se voit forcé par le Kuomintang d’entrer dans ce parti, qu’il donne son adhésion ; nous devons pénétrer en nombre dans les organisations locales de pao-kia, dans les organisations éducatives, économiques et militaires, et développer largement le travail de front uni dans l’Armée centrale et dans les “armées d’amalgame”9, c’est-à-dire nous y faire des amis. Dans toutes les régions dominées par le Kuomintang, notre politique fondamentale consiste également à développer les forces progressistes (les organisations du Parti et les mouvements de masse), à gagner les forces intermédiaires (la bourgeoisie nationale, les hobereaux éclairés, les “armées d’amalgame”, les éléments intermédiaires du Kuomintang, les éléments intermédiaires de l’Armée centrale, la couche supérieure de la petite bourgeoisie et divers petits partis, soit sept catégories en tout), à isoler les forces irréductibles, afin de conjurer le danger d’une capitulation et d’amener un tournant favorable dans la situation.
En même temps, nous devons être parfaitement préparés pour faire face à toute éventualité dans le cadre local ou à l’échelle nationale. Dans les régions du Kuomintang, les organisations de notre Parti doivent rester rigoureusement secrètes. Les membres du personnel du Bureau du Sud-Est10 et des comités de province, comités spéciaux, comités de district et comités d’arrondissement (des secrétaires du Parti aux cuisiniers) doivent chacun faire l’objet d’une vérification rigoureuse et minutieuse ; il est inadmissible de maintenir dans les organismes dirigeants aux divers échelons des personnes éveillant le moindre soupçon. Nos cadres doivent être protégés au maximum. Ceux qui, travaillant en situation légale ou semi-légale, sont en danger d’être arrêtés et tués par le Kuomintang seront envoyés dans d’autres régions pour être mis à l’abri ou seront transférés dans l’armée. Notre politique dans les régions occupées par les Japonais (par exemple à Changhaï, Nankin, Wouhou, Wousi et dans d’autres villes, grandes, moyennes ou petites, ainsi que dans les campagnes) est la même, pour l’essentiel, que dans les régions sous la domination du Kuomintang.
7. La présente directive tactique a fait l’objet d’une décision du Bureau politique du Comité central lors de sa dernière réunion ; les camarades du Bureau du Sud-Est et de la Sous-Commission militaire sont invités à la discuter, à communiquer à tous les cadres du Parti comme de l’armée et à l’exécuter résolument.
8. Sont chargés de la communication de la présente directive le camarade Hsiang Ying pour l’Anhouei du Sud et le camarade Tchen Yi pour le Kiangsou du Sud. La communication et la discussion doivent être terminées un mois après la réception du présent télégramme. Le camarade Hsiang Ying sera chargé de prendre, conformément à la ligne du Comité central, toutes les dispositions nécessaires pour l’organisation du travail du Parti et de l’armée, et il rendra compte des résultats au Comité central.