Il est compréhensible que la date choisie pour la publication du Livre blanc américain ait été le 5 août, moment où Leighton Stuart1 était parti de Nankin pour Washington, mais n’y était pas encore arrivé ; en effet, Leighton Stuart est le symbole de l’échec complet de la politique d’agression des États-Unis. Leighton Stuart est un Américain né en Chine où ses relations sociales étaient fort étendues ; il a dirigé des années durant des écoles de missionnaires en Chine, il fut mis quelque temps en prison par les Japonais pendant la Guerre de Résistance, il affectait habituellement d’aimer la Chine aussi bien que les États-Unis et il était fort capable de jeter de la poudre aux yeux d’un bon nombre de Chinois. C’est pourquoi il fut choisi par George C. Marshall comme ambassadeur des États-Unis en Chine et devint une des figures les plus en vue du groupe Marshall.
Aux yeux de ce groupe, il n’a qu’un seul défaut, à savoir que la période tout entière où il a été ambassadeur en Chine, comme représentant de la politique de ce groupe, est précisément la période au cours de laquelle le peuple chinois a infligé à cette politique la défaite la plus complète ; ce n’est pas là une mince responsabilité. Il est donc tout naturel que le Livre blanc, destiné à éluder cette responsabilité, ait été publié à un moment où Leighton Stuart était en route pour Washington mais n’y était pas encore arrivé.
La guerre visant à transformer la Chine en une colonie des États-Unis, et dans laquelle ces derniers donnent l’argent et les armes alors que Tchiang Kaï-chek fournit les hommes pour se battre au profit des États-Unis et massacrer le peuple chinois, a constitué une part importante de la politique d’agression mondiale l’impérialisme américain après la Seconde guerre mondiale. La politique d’agression des États-Unis a plusieurs objectifs, dont les trois principaux sont l’Europe, l’Asie et l’Amérique. La Chine, centre de gravité de l’Asie, est un vaste pays peuplé de 475 millions d’habitants ; en s’emparant de la Chine, l’impérialisme américain mettrait la main sur toute l’Asie. Son front en Asie une fois consolidé, il pourrait concentrer ses forces pour attaquer l’Europe. Quant à son front en Amérique, il le considère comme relativement solide. Voilà les beaux calculs des agresseurs américains.
Or, en premier lieu, le peuple américain et les autres peuples du monde ne veulent pas de la guerre. En second lieu, l’attention de États-Unis a été absorbée en grande partie par la prise de conscience des peuples d’Europe, par l’apparition des Démocraties populaire en Europe orientale, et tout particulièrement par l’imposante présence de l’Union soviétique, ce rempart de la paix d’une puissance sans précédent, à cheval sur l’Europe et l’Asie, qui oppose une résistance opiniâtre à la politique d’agression des États-Unis. En troisième lieu, et c’est là le principal, le peuple chinois a pris conscience ; le forces armées et la force organisée des masses populaires, dirigée par le Parti communiste chinois, sont devenues plus puissantes que jamais. En conséquence, la clique régnante de l’impérialisme américain s’est vue obligée de renoncer à une politique de grandes attaques armées directes contre la Chine et d’adopter une politique consistant à aider Tchiang Kaï-chek à faire la guerre civile.
Des forces navales, terrestres et aériennes des États-Unis ont, en fait, participé à la guerre en Chine. Il y avait des bases navales américaines à Tsingtao, à Changhaï et au Taïwan. Des troupes américaines étaient stationnées à Peiping, Tientsin, Tangchan, Tsinhouangtao, Tsingtao, Changhaï et Nankin. Les forces aériennes des États-Unis contrôlaient l’espace aérien de toute la Chine et ont photographié toutes les régions stratégiques du pays pour établir des cartes militaires. A Anping près de Peiping, à Kieoutai près de Tchang-tchouen, à Tangchan et dans la péninsule de Kiaotong, des troupes ou du personnel militaire des États-Unis se sont heurtés à l’Armée populaire de Libération qui, à plusieurs occasions, a fait des prisonniers2.
Les escadrilles de Chennault ont pris une large part à la guerre civile3. Non seulement l’aviation américaine a transporté des troupes pour Tchiang Kaï-chek, elle a aussi bombardé et coulé le croiseur Tchongking qui s’était mutiné contre le Kuomintang4. Dans tous ces cas, il s’agit d’actes de participation directe à la guerre, à ceci près que cette participation n’a pas encore fait l’objet d’une déclaration ouverte, ni n’a pris une grande envergure, la méthode principale d’agression employée par les États-Unis étant d’aider Tchiang Kaï-chek à faire la guerre civile en lui fournissant en abondance de l’argent, des armes et des conseillers.
Ce qui détermina les États-Unis à recourir à cette méthode, ce fut la situation objective en Chine et dans le reste du monde, et non le fait que le groupe Truman-Marshall, clique régnante de l’impérialisme américain, n’eût pas désiré déclencher une agression directe contre la Chine. En outre, au moment où les États-Unis ont commencé à aider Tchiang Kaï-chek à faire la guerre civile, une comédie fut mise en scène où ils jouèrent le rôle de médiateur dans le conflit qui opposait le Kuomintang au Parti communiste ; ce fut une tentative d’amollir la volonté du Parti communiste chinois, de tromper le peuple chinois et d’arriver ainsi, sans coup férir, à contrôler toute la Chine. Les négociations de paix échouèrent, la tromperie fit faillite et le rideau se leva sur la guerre.
Libéraux ou « individualistes démocrates » qui nourrissez des illusions sur les États-Unis et avez la mémoire courte, lisez, s’il vous plaît, ces propos d’Acheson :
« Quand vint la paix, les États-Unis se trouvèrent en Chine devant trois possibilités : 1) ils pouvaient se retirer purement et simplement ; 2) ils pouvaient intervenir militairement sur une grande échelle pour prêter main-forte aux nationalistes dans la destruction des communistes ; 3) ils pouvaient enfin, tout en aidant les nationalistes à asseoir leur autorité sur la. plus grande étendue possible du territoire chinois, s’efforcer d’éviter la guerre civile en travaillant à un compromis entre les deux parties.»
Pourquoi la première politique ne fut-elle pas adoptée? Acheson dit :
« La première possibilité, et je crois que l’opinion publique américaine jugeait alors ainsi, aurait représenté l’abandon de nos responsabilités internationales et de notre politique traditionnelle d’amitié pour la Chine avant que nous eussions fait un effort déterminé qui fût de quelque secours.»
Il en est donc ainsi: Les « responsabilités internationales » des États-Unis et leur « politique traditionnelle d’amitié pour la Chine » ne sont rien d’autre que leur intervention en Chine. L’intervention est appelée acceptation des responsabilités internationales et témoignage d’amitié pour la Chine; quant à la non-intervention, il n’en est pas question. Sur ce point, Acheson salit l’opinion publique américaine ; celle dont il parle est « l’opinion publique » de Wall Street, et non l’opinion publique du peuple américain.
Pourquoi la seconde politique ne fut-elle pas adoptée ? Acheson dit :
« La seconde politique possible, bien qu’elle puisse, théoriquement et rétrospectivement, paraître séduisante, était totalement impraticable. Les nationalistes avaient été incapables d’anéantir les communistes durant les dix années précédant la guerre. Or, après la guerre, les nationalistes étaient, nous l’avons déjà montré affaiblis, démoralisés et impopulaires. Ils avaient rapidement perdu le soutien du peuple et leur prestige dans les régions reprises aux Japonais, par suite du comportement de leurs fonctionnaires civils et militaires. Par contre, les communistes étaient beaucoup plus forts qu’ils ne l’avaient jamais été et contrôlaient la plus grande partie de la Chine du Nord. Étant donné l’incapacité des forces nationalistes, qui devait plus tard être tragiquement démontrée, les communistes n’auraient probablement plus en être délogés que par les forces américaines. Il est évident que le peuple américain n’aurait pas approuvé un engagement aussi colossal de nos armées, en 1945 ou plus tard. Nous en sommes donc venus à la troisième politique possible…»
Excellente idée ! Les États-Unis donnent l’argent et les arme et Tchiang Kaï-chek fournit les hommes pour se battre au profit de États-Unis et massacrer le peuple chinois, dans le but d’« anéantir le communistes » et de faire de la Chine une colonie des États-Unis, en sorte que ces derniers puissent s’acquitter de leurs « responsabilités internationales » et mettre à exécution leur « politique traditionnelle d’amitié pour la Chine ».
Bien que le Kuomintang fût corrompu et incapable, « démoralisé et impopulaire », les États-Unis ne lui en ont pas moins donné de l’argent et des armes pour qu’il fît la guerre. Une intervention directe par les armes était opportune « théoriquement ». Pour les gouvernants américains, elle semble l’être aussi « rétrospectivement ». C’est qu’une pareille entreprise aurait été vraiment intéressante et pouvait même « paraître séduisante », mais elle n’aurait pas été possible en pratique, car « il est évident que le peuple américain ne l’aurait pas approuvée ». Ce n’est pas que le groupe impérialiste de Trumann, Marshall, Acheson et autres ne l’eût pas désirée − il la désirait très vivement −, mais la situation en Chine, aux États-Unis et aussi dans l’ensemble du monde (un point dont Acheson n’a pas parlé) ne la permettait pas ; faute de mieux, ce groupe dut prendre la troisième voie.
Que ceux d’entre les Chinois qui croient qu’« on peut remporter la victoire même sans l’aide internationale » écoutent ! Acheson est en train de vous faire une leçon. C’est un bon professeur, qui donne des leçons gratuites, il dit toute la vérité avec un zèle infatigable, il ne dissimule rien. Les États-Unis se sont abstenus d’envoyer des forces importantes pour attaquer la Chine, non que le gouvernement des États-Unis ne le désirât pas, mais parce qu’il avait des raisons d’hésiter. Premièrement, il craignait l’opposition du peuple chinois et il avait peur de s’enliser dans un bourbier dont il ne pourrait plus sortir. Deuxièmement, il craignait l’opposition du peuple américain et il n’osa pas décréter la mobilisation. Troisièmement, il craignait l’opposition des peuples de l’Union soviétique, d’Europe et des autres pays du monde; il se serait exposé à la condamnation universelle.
La charmante franchise d’Acheson a des limites, il ne tient pas à parler de la troisième raison. C’est qu’il a peur de perdre la face devant l’Union soviétique, c’est qu’il craint que le plan Marshall en Europe5, qui est déjà un échec malgré les allégations contraires, ne finisse lamentablement par s’effondrer tout à fait.
Que ceux d’entre les Chinois qui sont des libéraux ou individualistes démocrates aux idées confuses et à courte vue écoutent! Acheson est en train de vous faire une leçon ; c’est un bon professeur pour vous. Il a balayé d’un seul coup vos rêves d’humanité, de justice et de vertu américaines. N’en est-il pas ainsi ? Pouvez-vous trouver la moindre trace d’humanité, de justice ou de vertu dans le Livre blanc ou dans la lettre d’Acheson ?
Certes, les États-Unis ont la science et la technique. Mais mal-heureusement elles sont dans les mains des capitalistes et non dans celles du peuple, et elles sont employées, dans le pays, à exploiter et à opprimer le peuple et, à l’étranger, à perpétrer des agressions et à massacrer. II y a aussi la « démocratie » aux États-Unis, mais malheureusement elle n’est qu’un autre nom de la dictature d’une seule classe, la bourgeoisie. Les États-Unis ont beaucoup d’argent, mais malheureusement ils ne veulent en donner qu’à la clique réactionnaire de Tchiang Kaï-chek, qui est pourrie jusqu’à la moelle. Les États-Unis sont bien disposés, paraît-il, à donner aujourd’hui comme dans l’avenir de l’argent à leur cinquième colonne en Chine, mais ne tiennent pas à en donner au commun des libéraux ou individualistes démocrates, beaucoup trop plongés dans les livres et incapables d’apprécier les faveurs; naturellement, les États-Unis tiennent encore moins à donner de l’argent aux communistes. De l’argent, disent-ils, on peut vous en donner, mais il y a une condition. Laquelle ? Marcher avec nous. Les Américains ont répandu un peu de farine de secours à Peiping, Tientsin et Changhaï, pour voir qui se courbera pour en ramasser. Comme Kiang Tai Kong quand il pêchait6, ils ont lancé la ligne pour le poisson qui veut se faire prendre. Mais celui qui avale une pitance distribuée avec mépris7 aura mal au ventre.
Nous autres Chinois, nous avons du caractère. Beaucoup de ceux qui étaient jadis des libéraux ou individualistes démocrates se sont dressés, face aux impérialistes américains et à leurs valets, les réactionnaires du Kuomintang. Wen Yi-touo se dressa, frappant du poing sur la table, fit face avec colère aux pistolets du Kuomintang et préféra la mort à la soumission8 Tchou Tse-tsing, quoique gravement malade, aima mieux mourir de faim que d’accepter des « denrées de secours » américaines9. Han Yu de la dynastie des Tang a écrit un « Panégyrique de Po Yi »10 ; il y glorifiait un homme ayant pas mal d’idées « individualistes démocratiques » et qui se déroba à son devoir envers le peuple de son pays, abandonna son poste et s’opposa à la guerre populaire de libération de ce temps-là, conduite par le roi Wou. Han Yu a eu tort de louer Po Yi. Nous devrions plutôt écrire des panégyriques de Wen Yi-touo et de Tchou Tse-tsing, qui ont donné la preuve de l’esprit héroïque de notre nation.
Qu’importe si nous devons affronter quelques difficultés ! Que les États-Unis nous imposent le blocus ! Qu’ils le maintiennent huit ou dix ans, et alors tous les problèmes de la Chine auront été résolus ! Les Chinois trembleront-ils devant des difficultés, alors que la mort même ne leur fait pas peur ? Lao Tse a dit : « Le peuple ne craint pas la mort, pourquoi l’en menacer11 ? » L’impérialisme américain et ses valets, les réactionnaires de Tchiang Kaï-chek, ne nous ont pas seulement « menacés » de mort, ils ont réellement fait mourir beaucoup d’entre nous. A côté d’hommes comme Wen Yi-touo, ils ont tué de millions de Chinois, au cours des trois années écoulées, avec des arme américaines : carabines, mitrailleuses, mortiers, lance-fusées, obusiers, tanks, avions, bombes. Cette situation arrive maintenant à son terme. Ils connaissent la défaite. Ce n’est pas eux qui lancent main tenant des attaques contre nous, c’est nous qui les attaquons. Il n’en ont plus pour longtemps.
C’est vrai, les quelques problème qu’ils nous laissent, tels que le blocus, le chômage, la famine, l’inflation et les prix qui montent, sont des difficultés, mais déjà nous avons commencé à respirer plus librement qu’au cours des trois années écoulées. Nous sommes sortis victorieux de l’épreuve des trois dernières années, pourquoi ne pourrions-nous pas surmonter les quelques difficultés d’aujourd’hui ? Pourquoi ne pourrions-nous pas vivre sans les États-Unis ?
Quand !’Armée populaire de Libération traversa le Yangtsé, le gouvernement de Nankin, ce gouvernement colonial américain, se sauva à la débandade. Mais Son excellence l’ambassadeur Stuart ne bougea point de sa place, l’œil au guet, dans l’espoir de rouvrir boutique sous une nouvelle enseigne ce de faire un nouveau coup de filet. Or, que vit-il ? A part l’Armée populaire de Libération qui passait devant lui, colonne après colonne, et les ouvriers, paysans et étudiants qui se levaient en foule nombreuse, il vit encore quelque chose : Les libéraux ou individualistes démocrates chinois, sortis en force, criaient des mots d’ordre avec les ouvriers, les paysans, les soldats et les étudiants et parlaient eux aussi de révolution. Bref, il fut laissé à l’écart, « triste et seul, le corps et l’ombre se consolant l’un l’autre »12. Comme il n’avait plus rien à faire, il dut prendre la route, sa serviette sous le bras.
Il y a encore en Chine des intellectuels et d’autres personnes qui ont des idées confuses et des illusions sur les États-Unis. Aussi devons-nous les convaincre, les gagner à nous, les éduquer et nous unir avec eux, pour qu’ils se rangent aux côtés du peuple, au lieu de tomber dans les pièges tendus par l’impérialisme. Mais le prestige de l’impérialisme américain parmi le peuple chinois a fait complètement faillite, .et le Livre blanc américain est le procès-verbal de cette faillite. Les progressistes doivent faire bon usage du Livre blanc pour éduquer le peuple chinois.
Leighton Stuart est parti et le Livre blanc est arrivé. Très bien.
Très bien. Les deux événements méritent d’être célébrés.