Le judaïsme est une religion qui a eu une grande importance culturelle dans notre pays, pour la simple raison qu’il s’agissait du pendant de la religion dominante, le catholicisme, qui s’en voulait la suite directe.

Il y a eu ainsi de multiples rapports historiques entre les deux communautés religieuses, avec des dynamiques tant positives que négatives sur le plan historique.

En effet, l’existence d’une minorité au sein d’un pays a permis au capitalisme de contourner la domination féodale sur la majorité. C’est ce que Karl Marx explique dans l’un de ses textes de jeunesse, écrit à 25 ans et excessivement difficile à saisir, La question juive.

L’antisémitisme, comme moteur anti-capitaliste romantique, est également une réalité idéologique très forte dans l’histoire de notre pays. Cependant, il ne s’agit pas ici d’établir l’histoire de la composante juive de notre nation, de cerner l’antisémitisme à la française, il s’agit de définir la religion juive comme idéologie.

Toute religion est une idéologie, qu’il s’agit de réfuter. Il faut comprendre les dynamiques religieuses, pour triompher de l’idéalisme.

Fresque de la synagogue de Doura Europos, 3e siècle, Syrie actuelle. La fille de pharaon, entourée de suivantes, recueille Moïse bébé d’un panier flottant sur un cours d’eau.

Fresque de la synagogue de Doura Europos, 3e siècle, Syrie actuelle. La fille de pharaon, entourée de suivantes, recueille Moïse bébé d’un panier flottant sur un cours d’eau.

En l’occurrence, la conception d’Averroès avait tellement bouleversé le catholicisme, que ce dernier a dû faire sa révolution, par l’intermédiaire de Thomas d’Aquin. Or, le judaïsme fut également totalement bouleversé.

Le judaïsme existait, de plus, principalement dans les zones géographiques dominées par la religion musulmane, et donc marquées par l’influence de la falsafa arabo-persane.

Ainsi, le judaïsme était déjà profondément ébranlé par la montée de l’Islam et ses succès. À cela s’ajoute que le judaïsme consistait encore alors en des rites très précis mais sans disposer d’une base théorique ni idéologique unifiée et d’un niveau conséquent.

Il s’agit de saisir que lorsqu’on parle de « judaïsme », même aujourd’hui, c’est de manière erronée, au sens strict.

En effet, le catholicisme romain est centralisé avec le Vatican, le protestantisme ne reconnaît que les textes bibliques traditionnels et les Islams sunnite et chiite possèdent des écoles juridiques centrales.

Le judaïsme, toutefois, ne possède aucun centre, ni même d’écoles juridiques principales. Il a des principes, des traditions et des rites, mais dont la conception et l’interprétation diffèrent totalement selon les rabbins.

En fait, ce n’est que depuis l’après 1945 que le judaïsme connaît des échanges généralisés en son sein et que ses courants fusionnent.

La raison tient précisément à la question de l’averroïsme. Face en effet à cette menace matérialiste, il fallait alors l’équivalent d’un Thomas d’Aquin au judaïsme. Ce fut Maïmonide (1138-1204).

Illustration du Guide des égarés, de Maïmonide, au XIVe siècle.

Illustration du Guide des égarés, de Maïmonide, au XIVe siècle.

De la même manière que Thomas d’Aquin le fit pour le catholicisme, Maïmonide tenta de formuler la philosophie d’Aristote d’une manière acceptable pour le judaïsme. Pour cela, il tentera de faire repartir la roue en arrière, et d’en revenir à Avicenne, voire Al Farabi, pour rejeter Averroès.

Évidemment, tout comme Thomas d’Aquin dans le catholicisme, Maïmonide dut affronter une contre-offensive massive de la part de la religion officielle, les positions de Maïmonide étant considérées comme hérétiques.

Et lorsqu’en 1231 le pape Grégoire IX interdit l’enseignement de la physique et de la métaphysique d’Aristote, il tente de combattre au fond l’averroïsme, non pas de « l’intégrer » de manière déformée, et il a le soutien idéologique du judaïsme conservateur.

Pourtant, inévitablement la démarche de Maïmonide devait triompher dans le judaïsme, tout comme celle de Thomas d’Aquin dans le catholicisme : le développement historique rendait cela inévitable.

Le judaïsme n’était plus en mesure de tenir idéologiquement face à l’Islam et au matérialisme averroïste. Il lui fallait Maïmonide. Il lui fallait un idéologue capable de maintenir le « libre-arbitre » et d’élaborer une théorie du « prophète », ce que fera Maïmonide avec Moïse, en se servant de la conception prophétique d’Avicenne.

Cependant, Maïmonide ne suffisait pas, car Maïmonide a surtout connu l’Islam. Sa conception du « prophète », avec Moïse au lieu de Mahomet, provient directement de là. Il fallait également faire face au catholicisme, c’est-à-dire en fait au platonisme devenu l’idéalisme catholique.

De plus, le judaïsme disposait déjà d’un fond mystique historique, se fondant sur la conception des « palais » et du « char ».

Ainsi, de la même manière que Maïmonide a intégré Aristote « platonisé », le kabbalisme a intégré le platonisme « aristotélisé », ayant ainsi une influence tant sur l’idéalisme de la Renaissance que sur le romantisme.

Nous verrons par conséquent précisément en quoi consiste les positions de Maïmonide et de la kabbale, car celles-ci ont façonné le judaïsme – de fait, le judaïsme put ainsi se maintenir, mais au prix de grandes contradictions, de profondes déchirures qui se lisent dans toute son histoire, le dernier exemple en date étant le « scandale » provoqué par l’affirmation du caractère messianique du dernier rabbin de Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson (1902-1994).

Ce « triomphe » des Loubavitch était en réalité inévitable, comme nous le verrons également, car le judaïsme finit par s’appuyer principalement et finalement sur la conception prophétique de Maïmonide et le mysticisme kabbaliste : le dernier rabbin de Loubavitch a le premier réussi à synthétiser les deux courants, autour de sa personne.

Il put faire aboutir le « judaïsme » à sa dernière logique, mais également, donc, à sa propre faillite en tant qu’idéalisme, avec l’échec complet de la réalité « messianique » devant se produire et, de fait, ne s’étant pas produite.

Ce qui confirme la thèse de Karl Marx, comme quoi le judaïsme doit se dissoudre dans la cause révolutionnaire universelle.


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