Tout au long de sa carrière, Lynn Margulis a été une opposante opiniâtre au néo-darwinisme. Elle a réalisé notamment de nombreuses interviews dans lesquelles elle explique pourquoi elle rejette catégoriquement le néo-darwinisme.
Le néodarwinisme, ou théorie synthétique de l’évolution, est développée à partir des années 1930 et se veut une synthèse des différentes théories de l’évolution.
Cette synthèse prend en compte les lois de Mendel (les règles de transmission des gènes dans la reproduction sexuée), la génétique des populations (l’étude de l’évolution de la fréquence des versions des gènes dans les populations des êtres vivants) et la sélection naturelle.
On pourrait se demander alors quelle différence existe entre le darwinisme et le néo-darwinisme ? Pourquoi Lynn Margulis considère les apports de Charles Darwin mais pas ceux de ses continuateurs ?
La clef se trouve dans la prise en compte des lois de Mendel. Les travaux de Gregor Mendel (1822-1884), moine catholique tchèque, se focalisent sur la transmission des gènes et c’est pourquoi il est aujourd’hui reconnu comme le fondateur de la génétique. Il écrit en 1866 son fameux article sur la génétique des pois intitulé « Versuche über Pflanzenhybriden » (« Recherches sur des hybrides végétaux »).
Charles Darwin (1809-1882), quant à lui, a publié son célèbre ouvrage De l’origine des espèces en 1859. Il faut donc bien comprendre que ce dernier n’aborde pas la question de la génétique dans ses ouvrages, puisque la génétique n’existait pas encore.
Voici ce que dit Lynn Margulis à propos de Gregor Mendel :
« Le but de Mendel, selon toute vraisemblance, était de montrer l’immuabilité suprême de l’héritage et, par conséquent, de riposter, telle une brillante et vénérable version d’un oxymoronique « scientifique créationniste » d’aujourd’hui, à la notion destructrice d’Adam de Charles Darwin de la mutabilité de toutes les espèces. »
Lynn Margulis, Symbiotic Planet, a new look at evolution (« Planète symbiotique, un nouveau regard sur l’évolution », 1998)
Lynn Margulis souligne ainsi toute la contradiction qui réside dans la démarche néodarwinienne de bâtir une théorie de l’évolution en se basant sur des lois fixistes. Cette affirmation sous-entend par conséquent également que les théories de Charles Darwin et de Gregor Mendel étaient en réalité complètement opposées.
Par la suite, elle expliquera, de ce fait, que :
« Le néodarwinisme est, fondamentalement, une religion.
C’est très mauvais. C’est très limité.
Le néodarwinisme entre dans des domaines auquel il n’appartient pas. C’est réductionniste.
Il n’étudie même pas la vie. Peut-être devrais-je simplement affirmer que le néodarwinisme a éliminé la vie de la biologie.
Je veux vraiment montrer que le néodarwinisme a eu un effet abrutissant sur l’étude de l’évolution de la vie sur Terre.
Les néodarwiniens ont retiré la vie elle-même de la « biologie », la science de la vie. »
Lynn Margulis, Conférence Darwin à Saint-Péterbourg (2009)
On le voit, les propos de Lynn Margulis sont sans appel. Et c’est pour cela qu’elle a véritablement lutté durant toute sa carrière contre le néodarwinisme.
Un de ses débats les plus célèbres est aujourd’hui connu dans le milieu scientifique américain comme la « bataille de Balliol ». Elle a eu lieu à Oxford le 8 mai 2009 et elle a notamment opposé Lynn Margulis à Richard Dawkins, fervent défenseur du néodarwinisme et auteur de la théorie du gène égoïste.
Richard Dawkins y explique que l’unité la plus importante en biologie est le gène et que ce gène a pour objectif premier de se reproduire « égoïstement », c’est-à-dire en pensant avant tout à lui-même. Ainsi, il affirme lors de la « bataille de Balliol » que les animaux, les plantes et même les cellules ne sont que les « immenses véhicules » des gênes qui sont « potentiellement immortels ».
Richard Dawkins représente donc un des points culminants du néodarwinisme poussé jusqu’au bout de sa logique. Le fait qu’il emploie le terme d’immortalité est édifiant : le néodarwinisme a bien plus pris des conceptions fixistes de Gregor Mendel que des idées évolutionnistes de Charles Darwin.