La symbiogenèse est un processus de fusion de deux organismes différents amenant le développement de nouvelles caractéristiques. Cependant, dans la littérature scientifique, le processus de symbiogenèse, et même le phénomène de symbiose, est souvent mal assimilé.
En effet, beaucoup d’écrits confondent notamment symbiose (le terme de symbiogenèse n’étant quasiment pas utilisé) et mutualisme dans une vision anthropocentriste. Le mutualisme est une association de deux organismes dans laquelle ces derniers tirent tous les deux profit.
Lynn Margulis explique que la symbiose est parfois très mal commentée, comme si elle impliquait une sorte de contrat social, d’analyse coût-bénéfice entre les deux organismes.
Or, Lynn Margulis souligne que le processus de symbiogenèse n’a rien à voir avec une association pacifique entre deux organismes. Comme l’a montré l’expérience de Kwang Jeon sur les amibes, ce processus tient plus de l’antagonisme entre deux organismes.
En effet, la symbiogenèse débute avec une lutte entre deux organismes qui entraîne, la plupart du temps, la mort de l’un d’eux. Cependant, dans quelques cas, les deux organismes établissent une coexistence qui résulte de l’ingestion d’un des deux organismes par l’autre et qui ne se fait pas sans difficulté.
C’est toutefois cette coexistence délicate, mais prolongée, qui aboutit à une synthèse des deux organismes en un nouvel organisme avec la naissance de nouvelles caractéristiques, de nouvelles fonctions.
Cependant, il faut ici revenir sur une citation de Lynn Margulis à propos des ondulipodes (que l’on peut trouver en entier dans la 8e partie de ce dossier) : elle déclarait qu’il y avait d’abord « association cordiale des spirochètes avec la surface des protistes », puis elle précisait qu’il y avait ensuite eu « modification des partenaires pour assurer une véritable association des spirochètes avec leur hôte ». Elle ne précise pas comment se fait cette modification.
On pourrait croire qu’elle veut dire que la symbiogenèse donnant les ondulipodes est issue d’une association cordiale des spirochètes et des protistes.
Or, elle a expliqué plus tard, en parlant de la naissance du caryomastigonte, que le spirochète fusionne avec une archéobactérie en pénétrant à l’intérieur. La fusion est donc le résultat d’un comportement « parasitaire », très courant chez les spirochètes notamment dans la genèse des maladies.
La symbiogenèse est donc en accord avec le matérialisme dialectique, dans la mesure où elle implique la lutte entre deux organismes antagoniques qui peut aboutir à un saut qualitatif : un des deux organismes « dévore » l’autre, se transformant lui-même en un nouvel organisme ayant conservé les caractéristiques les plus intéressantes de l’autre organisme.
Boris Kozo-Polyanski, quant à lui, était allé bien plus loin dans cette réflexion. Il explique que le fait que la symbiogenèse implique la lutte de deux organismes est d’autant plus intéressant pour ce qui se passe après la symbiogenèse.
Il dit ainsi :
« Comme elle rejette la compréhension de la nature des organismes comme étant des « machines » et qu’elle les accepte comme des systèmes auto-suffisants, des êtres hétérogènes, la théorie de la symbiogenèse devient capable non seulement d’accepter le caractère naturel et la nécessité de la lutte interne et de la sélection interne, mais encore permet-elle de comprendre comment ces phénomènes prennent place dans un « indivisible » imaginaire, permettant ainsi de ne voir rien de paradoxal ou de non-naturel dans un tel phénomène.
Quand on reconnaît la cellule [eucaryote] comme la somme d’organismes élémentaires, comme un consortium [de procaryotes], alors on admet la réalité de lutte intracellulaire et de sélection intracellulaire, c’est-à-dire de lutte et de sélection entre les partenaires, entre les composants nucléaires, les chromosomes, et les autres « organites ».
[…]
Par conséquent, une nouvelle compréhension de la constitution des organismes donne confiance dans le fait que la signification du principe de lutte et de sélection est encore plus large et plus répandu que ce qui était assumé par Darwin et les autres sélectionnistes. « Der Wiederspruch ist das Fortleitende » [« La contradiction ouvre la voie vers l’avant »] (Hegel). Cette thèse de la dialectique est maintenant acceptable jusqu’aux mitochondries et aux chromioles [les chromosomes]. »
Boris Kozo-Polyansky, Symbiogenesis, a new principle of evolution (1924)
Autrement dit, Boris Kozo-Polyanski montre que, même après la fusion des organismes, les relations conflictuelles peuvent perdurer. Il prend comme exemple les ostéoclastes, qui attaquent la matière de l’os, extrayant le calcium et le transférant dans d’autres tissus.
Selon la symbiogenèse, ce processus de destruction de l’os par un organite appartenant au corps humain – et donc ayant besoin de sa survie pour lui-même survivre – n’a rien de paradoxal puisqu’il était, des milliards d’années auparavant, un organisme indépendant.
L’ostéoclaste est aujourd’hui dans une nouvelle contradiction avec l’ostéoblaste qui, lui, reconstruit la matière de l’os, la relation contradictoire entre les deux étant le moteur du renouvellement constant de l’os.
On voit ici que Boris Kozo-Polyansky assumait complètement la vision matérialiste dialectique du monde et de la vie. Sa façon de considérer le corps humain – et celui des autres êtres vivants, Boris Kozo-Polyansky était, rappelons-le, botaniste – est en accord avec la loi de la contradiction.