Sans même avoir connaissance des « études secrètes », il était déjà possible de tirer un bilan très sombre de l’activité de Ludo Martens, mais en laissant à son actif le fait d’avoir organisé AMADA, de s’être mis à l’avant-garde dans le ralliement au marxisme-léninisme. Cependant, les leçons de la lutte contre les comploteurs populistes expliquant l’incohérence apparente du développement d’AMADA, sa création est, au final, elle aussi, partie du bilan négatif d’AMADA.
Voyons de plus près ce soi-disant « ralliement au marxisme-léninisme », situé fin ’70, sur base du bilan de la grève des mineurs et de l’étude de Que Faire ? Ce ralliement s’est fait de façon complètement machinée et incohérente.
1. Comment Ludo Martens, qui étudie la théorie marxiste-léniniste et en particulier Que Faire ? depuis 1968, peut-il écrire les brochures de Force des Mineurs, tout à fait anarcho-syndicaliste uniquement lié à la lutte économique, s’opposant à toute organisation en Parti ?
Comment, deux mois plus tard, sort-il de sa manche une série de textes proclamant la nécessité du Parti et du journal national, profondément dogmatiques ? Le Comité central de la future organisation marxiste-léniniste devrait, selon Martens, se composer d’une « commission idéologique », chargée d’assurer l’unité sur la ligne, et d’une « commission politique » chargée de diriger et organiser les tâches pratiques.
Les membres de la commission idéologique devaient avoir déjà une formation et une expérience − sans aucun doute, ceux comme lui-même, qui se sont livrés aux « études secrètes », et qui ont derrière eux le prestige de quelques interventions. Cette coupure dogmatique entre tâches idéologiques et pratiques nous est connue : Martens appliqua cette coupure de façon caricaturale lorsqu’il fut dirigeant d’AMADA toujours plongé dans ses livres et ses réunions, complètement coupé de la base et de la classe ouvrière.
Lorsqu’AMADA se constitue, en octobre 1970, nouveau changement de décor : les premiers numéros du journal, écrits par Martens, flairent à plein nez le spontanéisme dans le sillage de groupes anarcho-syndicaliste français.
La seule cohérence là-dedans est que Martens écrit des deux mains, au service d’une même ligne secrète.
2. Il n’y a pas d’autocritique sur le spontanéisme de Force des Mineurs : le passage du spontanéisme au marxisme-léninisme n’est jamais placé sur le terrain du programme communiste mais de l’organisation, des méthodes de travail. Martens critique dans les moindres détails les méthodes de travail spontanéistes, et y oppose la nécessité du Parti et du journal national.
L’autocritique est ramenée à ceci : « nous n’avons pas bien vu la priorité du Parti sur le syndicat » (plateforme de Gand, octobre 1970, p. 43). Qu’on ne « voyait pas bien » la nécessité de la révolution socialiste est hors de discussion.
3. En effet, selon Martens, (note sur la discussion idéologique relative à la proposition un journal national, p. 5) le noyau du SVB était « marxiste-léniniste » en théorie dès 1967 (ou 68) mais pas en pratique.
En 1970, il est devenu marxiste-léniniste en pratique, suite à l’expérience de la grève des mineurs. D’où venait alors la théorie marxiste-léniniste jusque fin 70 ? De quelle pratique ? Des « études secrètes » entre comploteurs !
4. Enfin, ce ralliement au marxisme-léninisme se fait au travers d’un coup de force fractionniste, au sein du SVB, et de menées scissionnistes et manœuvrières au sein du mouvement marxiste-léniniste national.
Un texte de l’opposition dénonce le fractionnisme de Martens, qui impose son plan pour le Parti et le journal au cours d’une réunion où il pousse à l’antagonisme avec l’aile droite (encore influencée, très normalement, par le spontanéisme).
En avril 1970, Martens organise une réunion nationale à Louvain, avec les groupes révolutionnaires, trotskistes et anarchistes, où son plan pour le journal et le Comité central national est amené en coup de force.
Le procès-verbal établi par la « ligne générale » rapporte cet ultimatum typique des méthodes de Martens, telles qu’éprouvées des dizaines de fois par des militants marxistes-léninistes dans leurs rapports avec lui.
« La condition préalable à toute discussion est la création d’un Comité central composé de deux délégués responsables de groupes organisés autour des usines. C’est tout ce que j’ai à dire. Si on ne forme pas ce Comité central, je me retire de la discussion, je n’interviendrai plus ! »
Un procédé pareil, joint à la tenue sans principe de la réunion, aboutit évidemment à la liquidation des contacts. Bref, une expérience capable de décourager les tentatives ultérieures d’unifier les véritables marxistes-léninistes, et en même temps, un prétexte pour avoir l’air de se préoccuper des intérêts d’ensemble.
Conclusion
Le fameux « ralliement au marxisme-léninisme » d’AMADA accumule les caractéristiques de la ligne des comploteurs populistes :
1. il ne s’insère pas dans une évolution normale, dans un processus de critique et de rectification − il apparaît en rupture brusque avec l’économisme de Force des Mineurs, qui était lui-même bizarrement dans la suite des textes proches du marxisme-léninisme de ‘69 et cède à nouveau le terrain au spontanéisme dès les premiers numéros du journal d’AMADA.
2. Le ralliement centre tout sur la question d’organisation, et non de lige idéologique et politique, bien dans la tactique habituelle des comploteurs populistes de l’époque.
3. Le ralliement est expliqué de façon dogmatique (des marxistes-léninistes en théorie deviennent des marxistes-léninistes en pratique). Le marxisme-léninisme n’est en réalité qu’un camouflage, acquis en dehors de tout processus de connaissance révolutionnaire.
4. Fractionnisme, intrigue et scissionnisme, forment la toile de fond du ralliement au marxisme-léninisme d’AMADA, sabotant activement le progrès de la révolution selon le principe déjà appliqué par Jacques Grippa dans le passé : quand le courant révolutionnaire s’oriente irrésistiblement vers le marxisme-léninisme, chercher à en prendre la tête pour le conduire au marais.
Ajoutons encore qu’un texte d’opposition au plan de Martens exigeait avant de s’organiser nationalement, d’analyser les conditions de la disparition des groupes grippistes. Exigence qui fut accueillie dans le plus total mépris, et jetée aux oubliettes par un Ludo Martens, tout heureux de s’en tirer à si bon compte.