[Dossier publié pour la première fois sur le site des camarades de France materialisme-dialectique.com]

L’expérimentation sur les animaux n’est pas une démarche scientifique en soi ; cela répond à une vision du monde, qui est la même que celle pour les big data. L’idée est de collecter suffisamment de données pour décrire des tendances. Cela sous-tend qu’il n’est pas possible de parvenir à une vision d’ensemble et que la seule vérité atteignable consiste en l’arrachage de bribes de séquences revenant de manière régulière dans un cadre chaotique.

Pour bien saisir cela, il est possible de comparer à l’opposition entre réalisme et naturalisme. Ce dernier mouvement est en effet contemporain de l’expérimentation animale et s’en revendique. Dans Le roman expérimental, le manifeste théorique du naturalisme, Émile Zola affirme que sa démarche est en littérature la même que celle de Claude Bernard en science.

Il y a ici un paradoxe par ailleurs marquant car Émile Zola s’est toujours revendiqué favorable à l’amélioration de la condition animale, alors que Claude Bernard, le « prince des vivisecteurs », représente une démarche d’une cruauté sans nom. Il y a ici un aveuglement propre à la bourgeoisie, moraliste encore par certains aspects mais dont l’attrait pour le sensible bascule invariablement dans l’utilitarisme.

Léon Augustin Lhermitte, La leçon de Claude Bernard

Pour le naturalisme, pour l’expérimentation animale, il faut essayer : on place quelqu’un dans une condition donnée et on voit ce que cela donne. On en déduit des tendances générales et c’est ce qui serait la science. Les romans d’Émile Zola sont une grande fresque où l’on voit comment les expériences s’accumulent et permettent, hypothétiquement, de déchiffrer des tendances.

La démarche du réalisme de Balzac est tout à fait différente. Balzac veut une vision d’ensemble ; il part de l’ensemble de la réalité comme un grand tout et il en montre les lois au moyen de caractères types. Les personnages ne relèvent pas d’une expérience, ils sont la simple expression de lois générales.

Balzac, dans la préface de son roman Cousine Bette, use pareillement de la métaphore médicale, mais suivant une ligne tout à fait différente de celle de Zola ; voici comme il se présente : « je vais rester simple docteur en médecine sociale, le vétérinaire des maux incurables »

Balzac était un romantique : il constatait le triomphe du capitalisme et de Paris et savait que rien ne pouvait s’y opposer. Il admettait le déterminisme mais dans le sens d’une transformation concrète en cours, il ne plaçait pas arbitrairement ses personnages dans des « situations » comme Zola.

Le réalisme s’oppose fondamentalement au naturalisme ; le premier reconnaît la dignité du réel, n’isole rien et ne sépare rien du reste, le second isole, sépare, dénature, compartimente artificiellement.

Britches, un jeune macaque, avait les paupières cousus et un sonar implanté sur son crâne, avant sa libération de l’université de Californie en 1985 par un raid de l’ALF.

On retrouve là, au fond, l’opposition entre Aristote et Platon. Pour Aristote, le monde est physique et a des lois, des fondements qu’on doit retrouver. Pour Platon, le monde a une base spirituelle et il y a des tendances qui, par ailleurs, comptent peu ou pas pour lui. L’expérimentation animale reprend la démarche idéaliste de Platon d’un monde matériel reflet d’un monde spirituel, monde spirituel utilisant les nombres pour façonner la matière.

Les expériences permettent de retrouver ces « nombres », en retrouvant les « codes » secrets de la nature. L’expérimentation animale est directement liée à l’idéologie des mathématiques, d’un monde de nombres, sans existence physique, matérielle.

Il est donc impropre, pour les vivisecteurs, de parler d’un chien sur lequel on expérimente. En effet, le chien est l’expérience elle-même. Par le chien, placé dans une situation donnée, on retrouve des nombres, des données chiffrées, qui permettraient de s’orienter dans les tendances générales existant dans le monde matériel.

Tout comme le religieux prie avec des textes codifiés censés avoir des propriétés magiques, en résonance avec le monde créé par Dieu, le vivisecteur espère par les expériences retrouver des formules chiffrées des tendances du monde.

Tout comme le religieux obéit à un cadre façonné par une série de lois, l’expérimentateur veut établir cette série de lois non pas religieusement mais, pense-t-il, scientifiquement, par l’expérience.

Au fond, la démarche des vivisecteurs doit être qualifiée d’empirio-criticisme, ce qu’on peut résumer par : autant de connaissances que l’expérience en a amenées, mais aucune de plus. Ce serait là un esprit critique et les vivisecteurs, tout comme les scientifiques ayant cette approche, revendiquent haut et fort leur scepticisme.

Toute affirmation non expérimentale est pour eux « idéologie » et « mysticisme », et dès le début le marxisme a connu une offensive de la part des empirio-criticistes. Il suffit de lire les critiques faites à Friedrich Engels pour s’en apercevoir : la dialectique de la nature serait une lecture non scientifique du monde, il n’y aurait rien de prouvé, etc.


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