Né en 1962, Alexandre Douguine est le principal théoricien nationaliste russe ; il avait notamment fondé en 1993, avec Edouard Limonov, le Parti national-bolchevique. Son importance idéologique est ensuite devenue immense dans la vision du monde de l’expansionnisme russe en général.
Alexandre Douguine fournit en effet les éléments idéologiques justifiant l’ensemble des manœuvres russes pour satisfaire ses ambitions et permettre de former des alliances en ce sens. Et l’idée de base est relativement simple, même si elle est ornée de justifications métaphysiques, religieuses, mystiques, etc.
La Russie ne serait pas un pays, mais un pays continent, où viendrait s’enliser tout ce qui vient des États-Unis. Cela signifie que tout ce qui s’oppose aux États-Unis doit, logiquement, venir s’appuyer sur la Russie, rentrer en convergence avec elle.
C’est un appel ouvert aux pays capitalistes de moyenne taille cherchant à s’arracher à l’hégémonie américaine, tels l’Allemagne et la France, mais aussi aux pays semi-féodaux semi-coloniaux, telle la Turquie, l’Iran ou encore la Syrie.
Mais c’est surtout un moyen de s’étendre territorialement, comme avec le Donbass et la Transnistrie.
Dans la conception d’Alexandre Douguine, la Russie aurait été irriguée par les invasions asiatiques et est ainsi devenue porteuse d’une psychologie impériale supra-nationale, de type conservatrice « révolutionnaire ».
Le vaste territoire impliquerait la psychologie de la conquête, de l’expansion, d’une virilité guerrière ; l’existence de multiples communautés au sein de ce vaste territoire s’associerait à l’idée de petites sociétés conservatrices repliées sur elles-mêmes au sein de l’empire.
La Russie, cœur d’un large territoire appelé « l’Eurasie », mêlerait ainsi les religions catholiques orthodoxe et musulmane, dans un élan communautaire opposé à l’esprit insulaire de la Grande-Bretagne et des États-Unis, bastion du protestantisme « matérialiste » et individualiste.
Le bien serait porté par la Russie ancrée dans la terre, le mal serait porté par les Anglo-saxons et leur puissance maritime.
La conception « eurasienne » se fonde directement sur le catholicisme orthodoxe avec une insistance très grande sur la dimension apocalyptique. On est, tout comme dans le national-socialisme, dans la tentative de fournir l’idée d’une révolution totale… mais de manière contre-révolutionnaire.
Voici comment Alexandre Douguine présente sa vision à une revue conservatrice révolutionnaire belge en 1991 :
« Après la perestroïka, il adviendra un monde pire encore que celui du prolétarisme communiste, même si cela doit sonner paradoxal.
Nous aurons un monde correspondant à ce que l’eschatologie chrétienne et traditionnelle désigne par l’avènement de l’Antéchrist incarné, par l’Apocalypse qui sévira brièvement mais terriblement.
Nous pensons que la “deuxième religiosité” et les États-Unis joueront un rôle-clef dans ce processus. Nous considérons l’Amérique, dans ce contexte précis, non pas seulement dans une optique politico-sociale mais plutôt dans la perspective de la géographie sacrée traditionnelle.
Pour nous, c’est l’île qui a réapparu sur la scène historique pour accomplir vers la fin des temps la mission fatale.
Tout cela s’aperçoit dans les facettes occultes, troublantes, de la découverte de ce continent, juste au moment où la tradition occidentale commence à s’étioler définitivement.
Sur ce continent, les positions de l’Orient et de l’Occident s’inversent, ce qui coïncide avec les prophéties traditionnelles pour lesquelles, à la fin des temps, le Soleil se lèvera en Occident et se couchera en Orient. »
L’eurasisme n’a pas été inventé par Alexandre Douguine, qui développe son point de vue au tout début des années 1990.
C’est initialement une conception délirante provenant de milieux ultra-conservateurs à la fin du XIXe siècle, comme le moine Constantin Léontiev qui voit en « l’asiatisme » un support à la religion catholique orthodoxe face au monde moderne, alors que l’historien Nikolaï Danilevski pense que ce support se trouve à l’opposé dans le panslavisme (« La Russie et l’Europe », 1869).
Le baron Roman von Ungern-Sternberg tenta, pendant la guerre civile suivant la révolution russe, de former une armée blanche nommée la « division sauvage » au moyen de cavaliers de la partie asiatique de la Russie, dans un syncrétisme orthodoxe-bouddhiste littéralement apocalyptique d’ailleurs soutenu par le Dalaï-Lama.
Puis cet espoir de revivifier le conservatisme russe au moyen d’un soutien extérieur a été développé par des émigrés russes fuyant la révolution d’Octobre 1917 établis en Bulgarie.
Le géographe et économiste Piotr Savitsky, le pionnier de cette idéologie, considérait que l’Eurasie était un « lieu de développement » façonnant un mode de pensée continental, non océanique, les Russes passant dans l’esprit des steppes grâce aux Mongols.
On trouve à ses côtés le linguiste Nikolai Troubetskoï, le théologien Georges Florovski, le critique musical Piotr Suvchinski ; ce groupe publia en 1921 Exode vers l’Orient, renversant les arguments anti-bolcheviks des sociaux-démocrates occidentaux. Ceux-ci accusaient les bolcheviks, c’est-à-dire les sociaux-démocrates russes, d’être trop orientaux dans leur approche ; les eurasistes affirmèrent que les bolcheviks ne l’étaient pas assez.
Des émigrés russes à Prague développèrent la même année une conception très similaire, avec la publication commune Orientations ; ce fut également le cas de George Vernadsky, le fils de l’immense savant Vladimir Vernadsky, qui devint professeur d’université aux États-Unis.
Après 1991, cette idéologie fut récupérée par le régime post-soviétique… Cependant, l’eurasisme est renversé. Alors qu’initialement il s’agissait de soutenir la Russie en appuyant son propre conservatisme par des aides extérieures, asiatiques, désormais la Russie se veut le bastion du conservatisme prêt à épauler les autres.
L’eurasisme a un aspect impérial : la Russie serait le seul moyen, de par son poids, de s’opposer au « monde moderne ». Il faut donc se tourner vers elle, d’autant plus qu’elle serait naturellement encline à abriter des communautés très différentes.
L’eurasisme s’oppose ainsi aux affirmations nationales, il est d’ailleurs de ce fait résolument opposé au romantisme slave. Il affirme une logique communautaire, où une sorte d’empire protège ses communautés intérieures vivant selon ses valeurs traditionnelles.
La Tchétchénie, avec son président qui est polygame, revendique son identité islamique précisément au nom d’une telle intégration communautaire dans une Russie « continent ».
Il ne s’agit pas d’une idéologie de type nationaliste classique, mais d’une logique impériale-syncrétiste, ce qui fait que n’importe qui n’importe où en Europe ou en Asie peut prétendre que « sa » communauté doit relever de l’approche eurasienne.
De manière « philosophique », on peut dire que les tenants de l’Eurasie opposent un espace au temps du libéralisme : c’est un anti-capitalisme romantique, une révolte irrationaliste contre le monde moderne.
Les « récentistes » sont un aspect de l’idéologie eurasiste. Ce sont des illuminés affirmant que la chronologie historique telle qu’on la connaît est fausse ; les civilisations antiques auraient en réalité existé durant le moyen-âge et c’est au 16e-17e-18e siècles qu’il y aurait eu une réécriture du passé.
Il y aurait ainsi au moins 800 années d’événements en trop ; la guerre de Troie serait en réalité une écriture poétique des Croisades, Jésus aurait été crucifié au 11e siècle, les Hittites seraient les Goths, Salomon serait le Sultan ottoman Soliman le Magnifique, etc.
Le fondateur du récentisme est le mathématicien russe de haut niveau, Anatoli Fomenko, né en 1945, qui affirme qu’il faut étudier l’histoire au moyen des statistiques, notamment afin d’éviter les « copies fantômes » relatant les mêmes faits historiques de manière « différente ».
Prenant par exemple les textes historiques de la Rome antique et de la Rome médiévale de manière statistique, il les compare et considère par exemple que la première est une « copie » de la seconde.
Et il explique que la falsification de la chronologie historique vise à « cacher » que, jusqu’à la fin du moyen-âge, le monde avait comme base une « horde russe » de type slave et mongole, qui aurait d’ailleurs même colonisé l’ouest américain ! Les Ukrainiens, les Mongols, les Turcs… seraient une composante historique de cette « horde russe ».
Le récentisme, idéologie relativiste jusqu’au délire, est le prolongement de l’eurasisme comme vision « civilisationnelle », où la Russie serait à travers l’Eurasie la vraie porteuse de la civilisation. L’Histoire est réécrite s’il le faut.
L’eurasisme ne réécrit pas seulement l’Histoire passée : il prône des orientations dans le temps présent, ce qui est sa véritable fonction en tant qu’idéologie justifiant l’expansionnisme russe. Un élément-clef est ici joué par le Club d’Izborsk.
Izborsk est une localité du nord-ouest de la Russie où l’on trouve des tumulus slaves du 6e siècle et une forteresse historique ayant entre le 12e et le 16 siècle résisté à huit sièges. C’est un symbole de la « résilience » russe, de son caractère « imprenable ».
Le Club d’Izborsk, qui est très lié à Vladimir Poutine et dont fait partie Alexandre Douguine, est le lieu de synthèse « géopolitique » de l’eurasisme. C’est là où sont produits les conceptions concrètes de l’eurasisme, les objectifs d’un expansionnisme agressif au nom d’un « traditionalisme technocratique », qui « allie modernisation technologique et conservatisme religieux ».
Le club dit d’ailleurs ouvertement que :
« Le club d’Izborsk est inclus dans des réseaux de pouvoir influents qui lui permettent de diffuser ses idées. En juillet 2019, le président du club, Alexander Prokhanov, a été invité au Parlement pour projeter son film « Russie – Une nation de rêve », dans lequel il promeut sa vision d’une mythologie scientifique et spirituelle nationale.
Le club d’Izborsk est également proche de personnalités clés de l’élite conservatrice, comme l’oligarque monarchiste Konstantin Malofeev ou le directeur de l’agence [spatiale] Roskosmos, Dmitri Rogozin. Enfin, il est proche du cœur du complexe militaro-industriel. Témoin de ces liens, le bombardier à missiles stratégiques Tupolev Tu95-MK, qui a été baptisé Izborsk en 2014. »
Ce club a publié une déclaration à sa fondation en janvier 2013 :
« Afin de prévenir une catastrophe imminente, nous appelons tous les hommes d’État qui apprécient l’avenir de la Russie à agir comme un front patriotique et impérial uni, opposé à l’idéologie libérale de la mondialisation et à ses adhérents qui agissent dans l’intérêt de nos ennemis géopolitiques.
L’aspect le plus important de notre unité est la compréhension correcte de la difficile situation actuelle. La Russie a besoin d’une fusion de deux énergies puissantes issues des idéologies « rouge » et « blanche » du patriotisme russe.
Cette fusion implique l’introduction dans la structure et le système de l’activité de l’État d’un puissant élément de justice sociale hérité de l’URSS, et un retour aux valeurs orthodoxes − spiritualité chrétienne et universalité de la Russie traditionnelle.
Une telle synthèse rendra notre pays et notre puissance invincibles, nous permettra d’offrir à l’humanité une voie universelle de développement social basée sur l’expérience de la civilisation russe.»
Si l’on regarde les idéologies des « républiques populaires » de Donetzk et Lougansk dans le Donbass, elles témoignent dans un mélange de religiosité orthodoxe et de nostalgie « soviétique » sur un mode impérial. Elles sont dans la ligne droite du Club d’Izborsk et de l’eurasisme.
Un militaire français engagé comme volontaire dans les forces armées de la « République populaire » de Donetzk présente de la manière suivante la mentalité des combattants :
« Ici, les fantasmes hégémoniques d’une Russie blanche, d’un empire soviétique, d’une Europe chrétienne sont incompatibles avec la réalité d’un front où se battent ensemble dans la même tranchée des européens, caucasiens, ouzbeks, tatars, tchétchènes, asiatiques, des orthodoxes, musulmans, païens, athées, des communistes, nationaux-bolcheviques, impériaux, cosaques, anarchistes etc. »
Il est du propre de l’eurasisme de considérer que l’idéologie est un moteur idéaliste personnel et que la question concrète est celle d’un « front » anti-libéral. C’est valable au niveau des États : en 2014 a été fondée l’Union économique eurasiatique avec la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie, rejoints par l’Arménie ; les idéologies des États biélorusse, russe et kazakh sont directement « eurasiennes » d’ailleurs.
Ces États se veulent les bastions d’un conservatisme impénétrable à « l’occidentalisme », avec un idéalisme conservateur. Et cet anti-« occidentalisme » serait populaire et donc révolutionnaire.
Il n’est pas difficile ici de voir justement qu’en Europe il existe de nombreuses structures « conservatrices » mais « révoltées » qui convergent directement avec l’eurasisme (comme en France La France Insoumise, le PRCF, l’hebdomadaire Marianne, Égalité & Réconciliation), ou bien convergent avec malgré des réticences concernant l’Islam (le Vlaams Belang en Belgique, Marine Le Pen en France).
La question de l’alliance avec les républiques séparatistes en Ukraine a cependant amené le premier grand défi.
Dans une interview de 2014 à une revue conservatrice autrichienne, Alexandre Douguine expliqua que l’Ukraine était condamnée, en raison de l’appel de l’eurasisme pour sa « meilleure » partie.
C’est là très exactement l’idéologie de l’expansionnisme russe aux dépens de l’Ukraine.
Il dit :
« Professeur Douguine, le 1er janvier 2015, l’Union Économique Eurasienne deviendra une réalité. Quel potentiel détient cette nouvelle organisation internationale ?
L’histoire nous enseigne que toute forme d’intégration économique précède une unification politique et surtout géopolitique. C’est là la thèse principale du théoricien de l’économie allemand,
Friedrich List, initiateur du Zollverein (de l’Union douanière) allemand dans la première moitié du XIXe siècle.
Le dépassement du « petit-étatisme » allemand et la création d’un espace économique unitaire, qui, plus tard, en vient à s’unifier, est toujours, aujourd’hui, un modèle efficace que cherchent à suivre bon nombre de pays.
La création de l’Union Économique Eurasienne entraînera à son tour un processus de convergence politique. Si nous posons nos regards sur l’exemple allemand, nous pouvons dire que l’unification du pays a été un succès complet : l’Empire allemand s’est développé très rapidement et est devenu la principale puissance économique européenne.
Si nous portons nos regards sur l’Union Économique Eurasienne, on peut s’attendre à un développement analogue. L’espace économique eurasien s’harmonisera et déploiera toute sa force. Les potentialités sont gigantesques.
Toutefois, après le putsch de Kiev, l’Ukraine n’y adhèrera pas. Que signifie cette non-adhésion pour l’Union Économique Eurasienne ? Sera-t-elle dès lors incomplète ?
Sans l’Est et le Sud de l’Ukraine, cette union économique sera effectivement incomplète. Je suis d’accord avec vous.
Pourquoi l’Est et le Sud ?
Pour la constitution d’une Union Économique Eurasienne, les parties économiquement les plus importantes de l’Ukraine se situent effectivement dans l’Est et le Sud du pays.
Il y a toutefois un fait dont il faut tenir compte : l’Ukraine, en tant qu’État, a cessé d’exister dans ses frontières anciennes.
Que voulez-vous dire ?
Nous avons aujourd’hui deux entités sur le territoire de l’Ukraine, dont les frontières passent exactement entre les grandes sphères d’influence géopolitique.
L’Est et le Sud s’orientent vers la Russie, l’Ouest s’oriente nettement vers l’Europe.
Ainsi, les choses sont dans l’ordre et personne ne conteste ces faits géopolitiques.
Je pars personnellement du principe que nous n’attendrons pas longtemps, avant de voir ce Sud et cet Est ukrainiens, la “nouvelle Russie”, faire définitivement sécession et s’intégrer dans l’espace économique eurasien.
L’Ouest, lui, se tournera vers l’Union Européenne et s’intégrera au système de Bruxelles.
L’État ukrainien, avec ses contradictions internes, cessera pratiquement d’exister. Dès ce moment, la situation politique s’apaisera. »
Alexandre Douguine prônait ainsi que les séparatistes pro-russes en Ukraine établissent une « Nouvelle Russie » dans tout l’Est du pays. Ce fut même le plan initial du séparatisme pro-russe.
Toutefois, les défaites militaires amenant une perte de territoire et de ce fait l’incapacité à conquérir la partie orientale de l’Ukraine amena un « gel » en 2015 du projet, alors qu’en novembre 2014 est limogé le gouverneur de la « République populaire » de Donetzk, Pavel Goubarev.
Alexandre Douguine fut parallèlement mis de côté en Russie, considéré comme allant trop loin dans la logique du conflit avec l’occidental, nuisant ainsi à une partie des oligarques profitant largement du capitalisme occidental.
Dans un article du 9 avril 2021 pour le club d’Izborsk, intitulé « La géopolitique de la Nouvelle-Russie sept ans après », Alexandre Douguine formule le point de suivant au sujet de la crise du Donbass.
« En 2014, c’est-à-dire il y a 7 ans, la Russie a fait une énorme erreur de calcul. Poutine n’a pas utilisé la chance unique qui s’est présentée après [la révolte pro-occidentale de la place] Maidan, la prise de pouvoir de la junte à Kiev et la fuite de Ianoukovitch en Russie.
Cohérent dans sa géopolitique, le Président n’a pas été fidèle à lui-même cette fois-ci. Je le dis sans aucune réjouissance, mais plutôt avec une profonde douleur et une rage sincère.
Cette occasion manquée a été appelée « Novorossiya » [Nouvelle-Russie, un nouvel « État » dans l’Est de l’Ukraine], « printemps russe », « monde russe ». Sa signification était la suivante :
– Ne pas reconnaître la junte de Kiev, qui avait pris le pouvoir lors d’un coup d’État violent et illégal,
– demander à [Viktor] Ianoukovytch [alors président ukrainien et destitué lors de l’Euromaïdan] de se lever pour restaurer l’ordre constitutionnel,
– soutien au soulèvement dans l’est de l’Ukraine,
– introduction de troupes à la demande du président légitime (modèle Assad),
– établir le contrôle sur la moitié du territoire ukrainien,
– mouvement sur Kiev (…).
Le rejet d’un tel développement était motivé par un « plan astucieux ». Sept ans plus tard, il est clair qu’il n’y avait, hélas, aucun « plan astucieux ». Ceux qui l’ont préconisé étaient des scélérats et des lâches (…).
C’est alors, et précisément pour ma position sur la Novorossiya, que le Kremlin m’a envoyé en disgrâce. Qui dure jusqu’à aujourd’hui (…).
Le projet Novorossiya a été esquissé par Poutine lui-même, mais il a immédiatement été abandonné (…).
La Syrie a été une manœuvre géopolitique réussie et correcte, mais elle n’a en rien supprimé ou sauvé l’impasse ukrainienne. Une victoire tactique a été obtenue en Syrie.
C’est bien. Mais pas aussi important qu’une transition vers un effort eurasien complet pour restaurer une puissance continentale. Et cela ne s’est pas produit. La Nouvelle Russie était la clé (…).
Aujourd’hui, après l’arrivée brutale de Biden à la Maison Blanche, les choses sont revenues là où les choses s’étaient arrêtées en 2014 (…).
Seule l’armée ukrainienne a pu, en 7 ans, se préparer, se rapprocher de l’adhésion à l’OTAN et élever une génération entière de russophobes radicaux.
Pendant tout ce temps, le Donbass a été dans un état de flottement. Oui, il y a eu de l’aide ; sans elle, il n’aurait tout simplement pas survécu. Mais pas plus que ça (…).
Au cours des 20 dernières années, la Russie a tenté de trouver un équilibre entre deux vecteurs.
– continental-patriotique et
– modéré-occidental.
Il y a 20 ans déjà, lorsque Poutine est arrivé au pouvoir, j’ai écrit que cet exercice d’équilibre serait extrêmement difficile et qu’il valait mieux choisir l’Eurasie et la multipolarité.
Poutine a rejeté − ou plutôt reporté indéfiniment − le continentalisme ou s’en rapproche au rythme d’un petite cuillère par heure. Ma seule erreur a été de suggérer qu’une telle tiédeur ne pouvait pas durer longtemps. C’est possible et c’est toujours le cas. Mais tout a toujours une fin.
Je ne suis pas sûr à 100% que c’est exactement ce qui se passe actuellement, mais il y a une certaine − et très significative – possibilité (…). Je dis simplement que si Kiev lance une offensive dans le Donbass, nous n’aurons pas la possibilité d’éviter l’inévitable. Et si la guerre ne peut être évitée, elle ne peut être que gagnée.
Ensuite, nous reviendrons sur ce qui a été décrit en détail dans le livre « Ukraine. Ma guerre » − c’est-à-dire à la Novorossiya, le printemps russe, la libération finale de la sixième colonne [= « c’est-à-dire les libéraux au pouvoir, les oligarques et une partie importante, sinon la majorité, de l’élite russe qui, bien que formellement loyale au cours patriotique du président Poutine, est organiquement liée à l’Occident], la renaissance spirituelle complète et finale de la Russie.
C’est un chemin très difficile. Mais nous n’avons probablement pas d’autre issue. »
La ligne dure appliquée par la Russie au début avril 2021 indique un retour à la ligne d’Alexandre Douguine. On est dans une perspective annexionniste agressive, plus dans une temporisation comme choisie en 2014. C’est bien évidemment la crise générale qui est la source du renforcement de la fraction la plus agressive de l’expansionnisme russe.
Et dans une telle approche eurasiste, l’Ukraine n’a pas le droit à l’existence, pour deux raisons.
La première tient à ce que dans une perspective purement « eurasiste », l’Ukraine est une petite Russie, une annexe, qui ne peut exister face au « libéralisme » que comme communauté inféodée à l’État-continent. L’expansionnisme russe peut en fait légitimer n’importe quelle subversion en prétendant que les forces « saines » prennent le dessus et qu’il s’agit de les soutenir – en attendant la suite.
La seconde, c’est que la nature nationale ukrainienne n’est finalement qu’une sorte d’accident, de malentendu, la Russie étant le véritable noyau civilisationnel authentique.
La Russie-continent s’imagine ainsi avoir une vocation expansionniste naturelle, allant de l’Atlantique à l’Oural. Et l’Ukraine est sur sa route.