[article publié dans la revue internationale Marxiste-Léniniste-Maoïste « Communisme » n°14]

La formidable expansion capitaliste de 1989-2020

Le capitalisme a connu un formidable développement pendant la période 1989-2020 ; le niveau de vie des masses s’est largement élevé, et ce au niveau mondial. Il y a bien entendu des poches, parfois très importantes, qui ont relativement échappé à cela. Néanmoins, tant le capitalisme impérialiste que le capitalisme bureaucratique ont eu un élan tel qu’ils ont réussi à étouffer la révolution.

Le Prêteur et sa femme : tableau du peintre flamand Quentin Metsys - 1514

Le Prêteur et sa femme : tableau du peintre flamand Quentin Metsys – 1514

De nombreuses données montrent clairement comment il y a eu une expansion capitaliste, à chaque fois bien précise, avec des marchés nouveaux ou élargis. Le développement de la consommation de viande est ici tout à fait emblématique. La consommation de viande dans le monde était de 145,3 millions de tonnes en 1983, elle a été de 323 millions de tonnes en 2017 (on parle ici de plus de soixante milliards d’animaux par an). Cela implique une transformation planétaire. 30% de la surface émergée de la terre est au service de l’élevage intensif des bovins. Les animaux laitiers liés au lait et à la viande représentent 20% de toute la biomasse animale. Le capitalisme aurait-il été capable d’une telle transformation au niveau de la Biosphère, s’il n’avait pas connu une expansion ? Il est évident que non.

Le béton est à ce titre emblématique, puisque la bétonisation est un phénomène essentiel de l’expansion capitaliste. 6 milliards de m³ de béton sont produits chaque année ; en trois ans (de 2011 à 2013), la Chine a consommé autant de béton que les États-Unis durant tout le vingtième siècle.

On peut mettre cela en rapport avec le sable, qui rentre dans la composition du béton. L’extraction de sable des fonds marins, mines et lacs, c’est quarante milliards de tonnes par an. Il en va de même pour le ciment, autre élément du béton. Au début des années 1990 les pays non occidentaux consommaient 65% du ciment mondial, désormais c’est 90%. Les principaux producteurs des 4,6 milliards de tonnes de ciment mondial sont la Chine (57,5%), l’Inde, les États-Unis, l’Iran, le Brésil, la Turquie.

On note la présence de l’Inde et du Brésil, que l’on retrouve pour l’acier. Chaque année l’humanité produit autant d’acier que pendant la décennie 1945-1955. Les principaux producteurs des 1,8 milliard de tonnes d’acier sont la Chine (pratiquement 50%), l’Inde, le Japon, les États-Unis, la Corée du Sud, la Russie, la Turquie et le Brésil. Pareillement, si l’on prend la production mondiale de canne à sucre, qui était de 448 millions de tonnes en 1961 et de 1 907 millions de tonnes en 2018, on a le Brésil en première place, ayant pris la place de l’Inde désormais seconde.

Même si c’est de manière déformée ou partielle dans les pays capitalistes bureaucratiques, l’expansion capitaliste est générale, systématique et agressive, comme en témoigne l’étalement urbain, qui implique comme « modèle » le mode de vie occidental. Naturellement, il est absolument impossible de généraliser un tel mode de vie, totalement destructeur pour la planète : il en faudrait plusieurs, servant uniquement de ressources, pour que cette « utopie » capitaliste puisse exister pour les désormais 7,7 milliards d’êtres humaines (2,5milliards en 1950), qui par ailleurs vivent désormais majoritairement dans un milieu urbain.

De toutes manières, sans vouloir chercher trop loin, il suffit de voir que les gens des pays occidentaux utilisent des ordinateurs, des smartphones et internet, des choses qui n’existaient pas avant le développement de1989-2020. Même dans les pays non occidentaux il y a une tendance dans cette direction et on écoute du black metal en Indonésie comme en Bolivie, on utilise Instagram à Lagos comme à Téhéran.

Le phénomène de migration à l’échelle mondiale, qui a pris d’immenses proportions, illustre cela. Il y a une véritable vague de fuite des cerveaux et des jeunes hommes, afin de chercher à vivre dans l’eldorado capitaliste. Un tel phénomène n’existerait pas s’il y avait une lutte de classes réelle au niveau national faisant contrepoids à la misère, si le capitalisme était agonisant. La migration est directement l’expression d’une croissance capitaliste partout dans le monde, mais d’une croissance bien trop faible localement « en comparaison » aux pays occidentaux.

La folle conception des forces productives de Léon Trotsky

L’ultra-gauche a la conception suivante : le monde serait gelé depuis la révolution russe. Celle-ci relève de la révolution mondiale, elle a échoué mais le processus est encore en cours. Donc, la seule chose possible est que tout est congelé en attendant le succès final de la révolution mondiale.

Cette conception relève d’une lecture totalement erronée de la première crise générale du capitalisme du début du 20e siècle. L’Internationale Communiste n’a jamais parlé d’une crise « finale » du capitalisme, mais bien d’une crise « générale », avec donc des contre-tendances relatives. Et si effectivement les forces productives sont restées similaires en Europe, il a toujours été souligné que ce n’était pas le cas ni au Japon ni aux États-Unis, et que justement la restructuration capitaliste visait à relancer le capitalisme en Europe elle-même (notamment en Allemagne). L’Internationale Communiste a été parfaitement dialectique et certainement pas unilatérale.

Léon Trotsky a lui été totalement unilatéral et nullement dialectique. En avril 1939, dans « Le Marxisme et notre époque », il affirme de manière totalement erronée que les forces productives ont cessé de croître. Voici comment il présente cette conception farfelue :

« Le déclin du capitalisme

Si le contrôle de la production par le marché a coûté cher à la société, il n’en est pas moins vrai que l’humanité, jusqu’à une certaine époque, approximativement jusqu’à la guerre mondiale, s’est élevée, s’est enrichie, s’est développée à travers des crises partielles et générales. La propriété privée des moyens de production était encore, à cette époque, un facteur relativement progressif.

Mais aujourd’hui, le contrôle aveugle par la loi de la valeur refuse de servir davantage. Le progrès humain est dans une impasse.

En dépit des derniers triomphes du génie de la technique, les forces productives matérielles ont cessé de croître.

Le symptôme le plus clair de ce déclin est la stagnation mondiale qui règne dans l’industrie du bâtiment, par suite de l’arrêt des investissements dans les principales branches de l’économie. Les capitalistes ne sont plus en état de croire à l’avenir de leur propre système.

L’aide gouvernementale à la construction signifie une augmentation des impôts et une contraction du revenu national disponible, surtout depuis que la plus grande partie des investissements gouvernementaux est affectée directement à des fins de guerre.

Le marasme a pris un caractère particulièrement dégradant dans la sphère la plus ancienne de l’activité humaine, celle qui est le plus étroitement liée aux besoins vitaux de l’homme : dans l’agriculture.

Non contents des obstacles que la propriété privée, sous sa forme la plus réactionnaire, celle de la petite propriété rurale, place devant le développement de l’agriculture, les gouvernements capitalistes se voient fréquemment appelés eux-mêmes à limiter artificiellement la production, au moyen de réglementations et de mesures administratives qui eussent effrayé les artisans des corporations à l’époque de leur déclin.

L’histoire rapportera que le gouvernement du pays capitaliste le plus puissant a donné des primes aux fermiers pour qu’ils arrachent ce qu’ils ont semé, c’est-à-dire pour diminuer artificiellement le revenu national déjà en baisse.

Les résultats parlent d’eux-mêmes : en dépit de grandioses possibilités de production, fruits de l’expérience et de la science, l’économie agricole ne sort pas d’une crise de putréfaction, tandis que le nombre des affamés, qui constituent la majeure partie de l’humanité, continue à croître plus vite que la population de notre planète.

Les conservateurs considèrent comme une politique sensée, humanitaire, la défense d’un ordre social qui est tombé jusqu’à un tel degré de folie destructrice, et ils condamnent la lutte pour le socialisme, la lutte contre une telle folie, comme de l’utopisme destructeur. »

Léon Trotsky n’avait rien compris à la restructuration et à la guerre impérialiste comme « porte de sortie » à la crise capitaliste.

La question de la situation entre 1945-1975 : les deux maoïsmes

Il faut dire et redire cette vérité essentielle. Dans les années 1960, lorsqu’une opposition au révisionnisme se lève dans les pays occidentaux, il y a une scission complète entre deux maoïsmes.

Le premier, qui se définit d’ailleurs comme maoïste, a une critique de la vie quotidienne, il constate que le capitalisme est en expansion dans les années 1950 et 1960, qu’il y a un nouveau mode de vie. Il est ainsi parfois lié ou issu du mouvement hippie, comme le Weather Underground aux États-Unis, la Fraction Armée Rouge en Allemagne, où il est en tout cas extrêmement attentif aux mêmes questions que les hippies, comme les Brigades Rouges en Italie. De la même manière, l’UJCML et la Gauche Prolétarienne françaises ont posé la question de la culture.

Dans tous les cas, il y a eu une grande attention sur les syndicats, comme quoi ils étaient intégrés au capitalisme en expansion ; il y avait une réflexion de fond sur le poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes.

Il n’y avait rien de tout cela dans le second « maoïsme », le faux maoïsme, porté par des gens se disant « marxistes-léninistes » et s’imaginant vivre dans les années 1930. L’horizon de ces faux rebelles anti-révisionnistes n’a jamais dépassé le syndicalisme révolutionnaire, ils n’ont rien compris aux transformations sociales en cours, en raison d’une lecture cosmopolite. Le « Parti Communiste Maoïste » existant actuellement en Italie est directement issu d’un petit groupe « ML » des années 1960-1970 : il a maintenu le cap « syndicaliste révolutionnaire » à travers une époque marquée par des dizaines d’organisations armées et des milliers de prisonniers politiques…

Le premier maoïsme, le seul vraiment authentique, a échoué dans son affirmation, cependant il représente le patrimoine historique des communistes dans les métropoles impérialistes. Les « ML », même maquillés en « maoïstes » ont eux continué d’exister, plus ou moins péniblement, en s’imaginant que le monde n’avait pas changé depuis 1930, et encore, en en ayant une lecture caricaturale…

2020 et la seconde crise générale du capitalisme

L’ouverture de la seconde crise générale du capitalisme, par l’intermédiaire du COVID-19, complique encore plus les choses, puisqu’il faut non seulement comprendre le sens de l’expansion capitaliste de 1945-1975, mais également celle de 1989-2020. En fait, la seconde a été directement permise par l’effondrement du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine capitaliste dans le marché mondial. La crise des années1970 a ainsi été repoussée. Le capitalisme a alors connu une nouvelle expansion, un nouvel élan, qui se heurte au mur de la réalité. Si la première crise générale du capitalisme a été puissamment marquée par la contradiction entre le travail manuel et le travail intellectuel, la seconde crise du capitalisme a comme aspect principal la contradiction entre villes et campagnes.

Il n’y a ainsi, au fond, que deux points de vue : celui, erroné, s’imaginant que le capitalisme serait devenu impérialiste au début du 21e siècle et qu’il a été « congelé ». Comme il s’est « maintenu », il faut alors tomber dans l’idéologie s’imaginant que le capitalisme est « organisé ». C’était ce que disaient les sociaux-démocrates dans les années 1920-1930, c’est ce qu’ont dit les révisionnistes dans les années 1960-1980 avec la théorie du « capitalisme monopoliste d’État ». Et il y a le point de vue communiste authentique, qui cherche à comprendre les tendances et contre-tendances du capitalisme, dans sa dialectique historique.


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