Traduction classique

La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l’éducation, que, par conséquent, des hommes transformés soient des produits d’autres circonstances et d’une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué.

C’est pourquoi elle tend inévitablement à diviser la société en deux parties dont l’une est au-dessus de la société (par exemple chez Robert Owen).

La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou auto-changement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire.

Traduction corrigée

L’enseignement matérialiste, selon lequel les êtres humains sont le produit des circonstances et de l’éducation, les êtres humains modifiés par conséquent le produit d’autres circonstances et d’une éducation modifiée, oublie que les circonstances sont précisément modifiés par les êtres humains, et que l’éducateur lui-même doit être éduqué.

Elle en arrive avec nécessité à séparer la société en deux parties, dont l’une est élevée au-dessus de la société. (Par exemple chez Robert Owen.)

La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ne peut être saisie que comme pratique renversante, ne peut être comprise que rationnellement.

On notera que Friedrich Engels a ajouté deux précisions au texte original de Karl Marx, consistant en une précision suivant immédiatement la définition de la doctrine matérialiste (mis ici en italique), ainsi que la parenthèse avec l’exemple de Robert Owen.

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Robert Owen, un capitaliste britannique s’étant lancé dans des projets de coopératives dans une perspective de socialisme utopique, représente le projet idéaliste d’amélioration de la société par le « choix » du matérialisme.

C’est là justement la même démarche rationaliste d’Aristote, d’Averroès, de Spinoza. Or, ils se trompent, dans la mesure où le rationalisme est dépendant de la transformation du monde, cette transformation du monde étant elle-même en rapport dialectique avec le rationalisme.

Le matérialisme ancien opposait des figures rationalistes à des figures irrationnelles, dans une réalité statique. Karl Marx unifie le tout, reconnaît avec Ludwig Feuerbach que l’irrationalisme est le fruit d’une compréhension déformée de la réalité, mais ajoute que cette dernière se transforme.

Par conséquent, il y a une dynamique de fond que Ludwig Feuerbach n’a pas vu et qui modifie la manière dont le rationalisme non seulement doit agir, mais également comment il doit évaluer la situation, ainsi que saisir sa propre nature relative.

Mentionner Robert Owen est un très bon choix de Friedrich Engels, car cet entrepreneur considérait que tout individu était entièrement le produit de l’éducation et des circonstances, et que donc ce qui comptait c’était un autre agencement de cette personne, pas une transformation.

George Bernard Shaw, dans sa pièce de 1914 Pygmalion (qui donnera la comédie musicale My fair lady), reprend cette approche en expliquant comme une jeune fleuriste, à force d’éducation et d’enseignement, devient une nouvelle personne, aux bonnes manières. C’est une vision éducative qui supprime la question de la transformation, du travail, de la dignité du réel.

Karl Marx réfute cette approche qui en reste finalement à une abstraction, qui découple la transformation d’un individu de la transformation de lui-même par lui-même, dans le cadre de la transformation de la réalité par la réalité elle-même, conformément au principe du mouvement dialectique de la matière.


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