Depuis janvier 2021, l’industrie des puces électroniques est médiatisée à cause d’une rupture dans les chaînes d’approvisionnement qui touche l’industrie automobile, mais aussi les produits high-tech tels qu’ordinateurs, consoles de jeux vidéo…

Cela est dû à ce que ces biens de consommation courant reposent sur un haut niveau de technicité. Or, la seconde crise générale du capitalisme a chamboulé la production de moyens de production.

Or, comme la crise implique un développement exponentiel de la compétition capitaliste, de la concurrence inter-impérialiste, cela implique des réponses nationalistes, pour se réapproprier la « souveraineté ». La question des semi-conducteurs est ainsi un aspect essentiel de la seconde crise générale du capitalisme : elle touche la production, la production des moyens de production, les rapports conflictuels inter-impérialistes.

La question de la production des moyens de production

Qui dit biens de consommation de haut niveau de technicité dit usines de haut niveau de technicité.

Et qui dit usines de haut niveau de technicité dit usines de haute technicité pour produite des usines de haut niveau de technicité. Et cela, non pas à l’infini, mais tout de même pendant toute une série de cycles.

Cette question de la production des moyens de production est l’un des points les plus essentiels pour comprendre les enseignements de Karl Marx ; on peut même considérer, qu’en fait, seuls ceux ayant saisi le matérialisme dialectique peuvent l’appréhender de la juste manière.

Il ne suffit pas de nationaliser, de socialiser ou même d’auto-gérer les entreprises : encore faut-il être capable de les relier adéquatement et seule la planification permet un ajustement correct du rapport entre la production de biens de consommations et la production des moyens de production.

C’est pour cela, d’ailleurs, qu’on a régulièrement la critique petite-bourgeoise à l’encontre de Staline comme quoi il eut fallu en URSS se focaliser sur la production de biens de consommation et non sur l’industrie lourde. Or, cette question a été parfaitement résolue par Staline à l’époque, car il avait compris le matérialisme dialectique: sans production de moyens de production, on ne peut pas avoir de production des biens de consommation…

La nature technique des semi-conducteurs

Les semi-conducteurs sont des plaques de silicium gravées ; elles sont fournies aux équipementiers, qui eux-mêmes fournissent les grands groupes automobiles, informatiques, électroniques, électro-ménager.

On utilise du silicium car c’est ce qu’on appelle un « semi-conducteurs », c’est-à-dire qu’il est capable de conduire une pulsion électrique selon une impulsion donnée (d’où le terme de « semi-conducteur »). C’est à partir de ce matériau que sont nés les transistors, puis les circuits intégrés ou « puces électroniques ».

La production de puces électroniques répond donc à un procès de production de haute qualité, exigeant une longue accumulation de savoir-faire, une concentration aiguë de techniques de production, ainsi qu’une ingénierie.

Le silicium, tout du moins ses oxydes, sont très abondants sur la Planète, puisqu’il se trouve dans la croûte terrestre. Les oxydes de silice ou de silicates doivent ensuite être extraits par procédé d’électrolyse, réalisé par l’industrie métallurgique.

Pour l’industrie des composants électroniques, il faut produire du silicium pur, pouvant aller jusqu’à 99,999,99% de pureté pour les meilleurs procédés. Ce silicium est ensuite vendu sous la forme de « gaufrettes » (wafer) qui sont obtenues par un procédé chimique de haute précision.

On appelle ces produits des « gaufrettes » car ces plaques sont gravées à l’échelle nanométrique afin d’accueillir les circuits. Ce sont là le travail des fonderies de semi-conducteurs qui vendent ensuite ces wafer à des équipementiers, dont le travail consiste à y « imprimer », souvent par photolithographie, des circuits électroniques. On a, pour bien saisir le mouvement, le processus suivant:

Extraction des oxydes de sillice → sillicium pur → wafer → équipementiers → industrie

La production des semi-conducteurs

Il faut bien discerner les différents types de producteurs de semi-conducteurs.

Certaines entreprises gèrent toutes les étapes. On trouve ici les Américains Intel, Texas Instrument, le Japonais Renesas,

Certaines entreprises élaborent des puces, mais ne les produisent pas, elles passent commande. On trouve ici Apple, Nvidia, Qualcomm, Xilinx, AMD, ATI.

Certaines entreprises ne produisent que des wafers. Quatre entreprises occupent l’écrasante majorité de la production : les japonais Shin-Etsu-Handotai et Sumitomo Mitsubishi Silicon Corp., l’Allemand Siltronic AG (Wacker), l’Américain MEMC Electronic Materials.

Mais certaines entreprises produisent des wafers sur commande, selon des plans précis. On a ici Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. Ltd., United Microelectronics Corp., Global Foundries.

Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. Ltd, connu sous le nom de TSMC, possède notamment Fab 18, qui a coûté 17 milliards de dollars.

En fait, pour faire simple, les entreprises ont tout simplement délocalisé. On parle ici de réalisation « fabless », sans fabrication. C’est un terme inventé par Serge Tchuruk, dirigeant d’Alcatel, lorsqu’il a pris en 2001 la décision de concevoir seulement, et non plus de produire les semi-conducteurs.

Si l’on prend les wafers seulement, la production a été de 19,4 millions d’unités en 2019. 1,1 million était produit en Europe, 2,4 aux États-Unis, 2,6 millions en Chine, 3,2 millions au Japon, et le reste de manière équitable entre la Corée du Sud et Taïwan, les plus gros producteurs.

Et c’est là que Taïwan devient essentielle. Si la Chine, dans sa volonté de conquérir l’hégémonie, se focalise de manière acharnée sur Taïwan, ce n’est pas simplement parce que cette île est effectivement chinoise historiquement. C’est surtout parce que son contrôle lui fournirait une position stratégique mondiale.

C’est à Taïwan qu’on trouve le cœur des fonderies : là-bas sont produits 75,7% des semi-conducteurs. Ce n’est pas seulement une dimension quantitative, car Taïwan est supérieur au niveau technique, notamment pour les circuits de taille inférieurs à 10 nanomètres (elle a 92 % du marché, 8% étant en Corée du Sud).

La Chine en a d’ailleurs conscience puisqu’elle n’hésite pas à débaucher des ingénieurs de Taïwan, avec l’espoir de produire elle-même 70 % de ses besoins à l’horizon 2025. En attendant, les semi-conducteurs sont la première importation chinoise, à hauteur de 300 milliards de dollars.

Tout dépend, pour synthétiser et pour saisir le fond de la question, de Taïwan et de la Corée du Sud, qui produisent 83 % des puces de processeur et 70 % des puces de mémoire.

L’instabilité d’une production systématisée

Le marché des semi-conducteurs est aussi complexe que les multiples niveaux de sa production. En fait, il y a un double problème. D’abord, les semi-conducteurs se développent au niveau technologique. La « loi de Moore » est connue, elle reflète le doublement tous les deux ans du nombre de transistors pour les microprocesseurs.

Tout cela pour dire que les semi-conducteurs sont vite dépassés, que d’autres sont produits dans la foulée ou à la place de ce qui est prévu, que leur production dépend d’une consommation très différente, allant de la trottinette à l’ordinateur, le réfrigérateur ou la voiture, bref c’est une course permanente, en plus d’une expansion.

Il faut bien saisir que les semi-conducteurs, de par leur transmission d’informations, sont à la fois utiles techniquement mais également pour mieux cerner les activités. On les trouve donc dans de plus en plus de biens de consommation. Le marché des semi-conducteurs représentait 314 milliards de dollars en 2010, 439 milliards en 2020.

Or, la crise sanitaire a terriblement renforcé cette dimension de désorganisation et d’expansion.

L’irruption de la crise et la pénurie des semi-conducteurs

La demande de semi-conducteurs augmente grosso modo de 8% par an. Mais avec les confinements, les gens ont davantage consommé certains biens de consommation contenant des semi-conducteurs. C’est le cas notamment pour les PC et les smartphones.

Ils ont également consommé moins de biens de consommation dans d’autres secteurs. Le capitalisme avancé, fondé sur une rotation du capital à flux-tendu, a amené une évaluation à la baisse des commandes de voitures, en raison de l’absence de commandes de firmes à l’été 2020.

Cela a provoqué une pénurie de semi-conducteurs, car derrière la consommation, il faut relancer la production. Comme il n’y a aucune planification, qu’il y a un décalage entre la productions des biens de consommation et la production des moyens de production, qu’il faut quatre mois pour produire des semi-conducteurs, l’ensemble a été profondément ébranlé.

Sony n’a plus été en mesure de fabriquer sa console Playstation 5, Nvidia de produire les cartes graphiques GeForce RTX 3060 Ti, 3070, 3080 et 3090, Stellantis (Fiat, Chrysler, DS et PSA) a été obligé de cesser la production d’automobiles comme à Rennes et Sochaux en France, General Motors de faire de même dans les trois pays d’Amérique du Nord, Ford a réduit sa production de pickup F-150, Honda a stoppé sa production dans cinq usines en Amérique du Nord, etc.

Cette pénurie de semi-conducteurs est l’expression du mur auquel se confronte le capitalisme lors de sa seconde crise générale.

Le repli nationaliste comme réponse à la crise

Fin février 2021, le nouveau président américain Joe Biden a signé un décret pour étudier en cent jours les chaînes d’approvisionnement de quatre domaines : les semi-conducteurs, les batteries de grande capacité utilisées dans les véhicules électriques, les produits pharmaceutiques, les métaux essentiels à la technologie et à la défense.

Les États-Unis vont investir 50 milliards de dollars dans le soutien à la production nationale de semi-conducteurs, avec un National Semiconductor Technology Center, et le 23 mars 2021, Intel a annoncé la construction de deux usines aux États-Unis, avec 16,9 milliards d’euros d’investissements.

L’Inde, de son côté, proposée plus d’un milliard de dollars à toute entreprise qui ouvre chez elle une usine de semi-conducteurs.

En décembre 2020, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas ainsi que dix autres pays de l’Union Européenne annonçaient un plan pour mutualiser les entreprises clef du secteur des semi-conducteurs et former des alliances industrielles dans le but de sortir de la dépendance à l’Asie.

La souveraineté comme masque de la compétition assumée

Le 9 février 2021, le ministre de l’économie français Bruno Le Maire était en visite à Montrevault-sur-Evre, une petite ville de 15 787 habitants dans le Maine-et-Loire où se situe une usine sous-traitante de microélectronique ouverte en 1996 et qui emploie 460 salariés ; cette usine doit déménager en 2021 dans une nouvelle unité de 19 000 m2 à Beaupréau-en-Mauges, à quelques kilomètres.

On a ici une bonne une illustration de la contradiction ville-campagne vécu par un prolétariat métropolitain au cœur d’une production ultra-moderne et fondamentale, vivant dans une zone rurale à la vie monotone.

Lors de sa visite, Bruno Le Maire a notamment déclaré :

« L’un des enjeux des années à venir, c’est la souveraineté. Nous ne voulons pas, sur les composants électroniques, continuer à dépendre à 70, 80, 85% de l’approvisionnement de Chine ou du reste de l’Asie. Car on a bien vu, à la faveur de cette crise, que c’était dangereux de trop dépendre des pays étrangers. »

C’est le nationalisme qui se renforce toujours plus comme reflet de la mainmise des monopoles.

L’exemple de ST Microelectronics

ST Microelectronics est un bon exemple de cette tendance monopoliste. C’est une multinationale franco-italienne, de droit néerlandais et basée en Suisse, présent au CAC40, à la bourse italienne et au New York Stock Exchange.

Ce producteur de semi-conducteurs fait 10 milliards de dollars de chiffres d’affaires, elle s’appuie sur 44 000 salariés, dont 11 500 en France, principalement en Isère (environ 6 000 personnes). Elle détient 16 unités de recherche & développement (R&D), 39 centres de conception, ainsi qu’une dizaine d’usines. Cette entreprise bénéficie d’aides publiques dans le cadre du plan Nano 2022 de cinq milliards d’euros.

Et 27% de l’entreprise sont étatiques franco-italiens, avec d’un côté la Banque publique d’investissement et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, de l’autre le Ministero dell’Economia e delle Finanze et la Cassa Depositi e Prestiti.

C’est là exemplaire. Il y a convergence du capitalisme monopoliste et de l’État, autour des questions «stratégiques». Avec la seconde crise générale du capitalisme, cela se généralisera, jusqu’à la formation de capitalisme monopoliste au niveau étatique… ce qu’on a déjà en Chine, voire même en bonne partie aux États-Unis.

Et ce triomphe des monopoles est l’antichambre du socialisme… à condition d’éviter (par la révolution) ou de stopper (aussi par la révolution) la guerre impérialiste.


Revenir en haut de la page.