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Dans un pays capitaliste, il existe un consensus de masse extrêmement prononcé. La confiance en les institutions est relative, mais toutefois bien présente, surtout que celles-ci sont actives tout au long de la vie quotidienne des gens, par l’intermédiaire du système de santé, des assurances-chômages, des divers appareils tels l’éducation ou les permis pour les voitures, etc. Il n’est pas possible de vivre sans s’insérer au moins relativement dans ces appareils d’État, à moins d’être SDF de se poser en marginal telle la figure connue et totalement déconsidérée du « punk à chien ».
Il est bien connu que ce consensus propre à un mode de production capitaliste omniprésent à tous les niveaux de l’existence assèche par définition même le sens de l’utopie et, a fortiori, la conscience communiste des rapports sociaux. Il n’existe pas d’espace libre où peuvent se former des esprits suffisamment critiques pour s’arracher à la domination pratique et idéologique du capitalisme.
De tels espaces doivent être conquis et cela est évidemment difficile ; tel est le poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes.
Non seulement la conscience est nécessaire à rebours de la « spontanéité », mais en plus il faut faire le choix de la rupture. Dans un tel contexte, il existe toutefois toujours des contradictions, mais celles-ci restent non antagoniques, intégrés aux rapports sociaux capitalistes.
La France a connu, depuis les années 1990, d’innombrables manifestations de protestation ; toutes, comme aspect principal, relèvent du corporatisme, du rapport de force à l’intérieur du capitalisme.
Ce genre de protestations relève des aléas de la vie quotidienne du capitalisme dans le contexte français. Les manifestations anti-pass sanitaire représentent à ce titre quelque chose de nouveau en France.
Pour la première fois depuis mai 1968, en raison de la seconde crise générale, on a une nouveauté : une contestation généralisée du régime, venant du centre de la société elle-même.
Le mouvement anti-pass sanitaire en France est en effet porté par des gens qui, auparavant, faisaient confiance aux institutions et expriment une défiance sous la forme d’une déception, d’un sentiment d’abandon, de trahison. En ce sens, c’est une réédition directe du mouvement petit-bourgeois plébéien des gilets jaunes.
Les gilets jaunes appelaient à des réformes institutionnelles profondes, avec l’instauration du principe du référendum ; tout cela était en réalité bien flou et conditionné par la nature petite-bourgeoise de la démarche. De manière plus simple, les gilets jaunes appelaient en fait surtout à un « changement » indéfini passant par la démission d’Emmanuel Macron.
C’est que les gilets jaunes consistaient en des petits-bourgeois se levant contre la menace de la prolétarisation et accusant l’État de ne pas assez en faire. Avec la crise générale, on a un mouvement similaire mais opposé : le mouvement anti-pass sanitaire consiste en des petits-bourgeois se levant contre la menace du pass sanitaire et de la vaccination obligatoire, accusant l’État de trop en faire.
Ce sont les deux aspects de la même conception petite-bourgeoise qui veut moins d’État afin de moins payer d’impôts, mais veut pareillement plus d’État afin d’être davantage épaulé par celui-ci. Telle est la situation intenable de la petite-bourgeoisie coincée entre le prolétariat et la bourgeoisie. Néanmoins, les anti-pass forment un opposé aux gilets jaunes non seulement car ils veulent moins d’État, mais également en termes de qualité.
Les gilets jaunes ont en effet été un mouvement très faible numériquement, à part pour la première manifestation. La mobilisation a très rapidement marqué le pas et, à part la médiatisation et les tensions lors de certains rassemblements, cela n’a pas touché le cœur de la société française. Il y avait davantage de gens allant dans les stades regarder chaque semaine du football qu’à rejoindre les gilets jaunes dans leur mobilisation.
Les gilets jaunes avaient un style rentre-dedans, de type plébéien, avec tout le style populaire beauf brut de décoffrage. Tel n’est pas le cas du mouvement anti-pass sanitaire, qui se prétend populaire au sens large, voire directement « familial ».
Le mouvement anti-pass sanitaire, au contraire, est quant à lui parvenu à se maintenir dans la durée. Il a rassemblé pour la première manifestation à peu près autant que les gilets jaunes à l’origine, puis a réussi à rééditer plusieurs fois l’opération, contrairement justement aux gilets jaunes.
Il y a eu environ 237 000 personnes dans les rues le 7 août, 215 000 le 14 août, 175 000 le 21 août.
C’est là quelque chose de profondément marquant. La base pour cela, c’est que les gilets jaunes ont développé un style – le fameux gilet jaune avec des mots d’ordre plébéiens écrits dessus, les rassemblements beaufs sur les ronds-points avec une fausse convivialité, etc. – mais que leur vision du monde était littéralement élémentaire.
C’est aussi le cas avec le mouvement anti-pass sanitaire, seulement avec la crise générale, cette vision du monde élémentaire peut donner libre cours à son irrationalisme forcené.
Les gilets jaunes étaient du même niveau, mais ne pouvaient pas exprimer leur paranoïa de manière ouverte, il n’y avait pas l’élan pour cela. C’était une simple expression nostalgique d’une France où l’on peut remplir son réservoir d’essence et payer son pavillon acheté à crédit sans de réelles difficultés.
Le mouvement anti-pass sanitaire relève d’une nostalgie similaire, mais dans un esprit de panique. C’est directement l’expression de la petite-bourgeoisie terrorisée par sa disparition en tant que couche sociale.
La révolte anti-pass sanitaire est une révolte contre l’Histoire et ses exigences, c’est un appel à ce que les thèmes dont traite la société ne soient pas ceux de la lutte des classes, de l’écologie, de la transformation du mode de vie.
Cela se voit de manière brutale avec l’irrationalisme des gens participant au mouvement, qui est particulièrement profond, agressif, unilatéral. Les discours sont incohérents, les arguments sans clarté voire mensonger.
Le fond de la démarche est une dénonciation du pass sanitaire comme « liberticide », ce qui est une expression anti-communiste de refus des exigences collectives ; à cela s’associe un noyau dur anti-vaccin particulièrement idéaliste, pour ne pas dire délirant sur un mode mystique ou ésotérique.
La question de savoir l’interaction entre l’esprit « anti-pass » et celui « anti-vax » est évidemment importante ; on trouve sur agauche.org de nombreux articles d’intérêt à ce sujet.
C’est que la question de l’articulation entre l’affirmation directement anti-collectivité et la furie anti-rationaliste est essentielle pour saisir comment tout ce phénomène se conjugue et même se développe. Il y a deux aspects qui se nourrissent l’un l’autre et, selon les moments, l’un des deux devient principal, servant de moteur au mouvement.
Que ces deux aspects forment une unité ne doit pas surprendre. Les soutiens et participants au mouvement anti-pass sanitaire sont, conformément à leur base petite-bourgeoise, particulièrement véhéments et paranoïaques.
Ils définissent le pass sanitaire comme une mesure d’apartheid et le symbole de l’étoile jaune a même été parfois employé.
Les vaccins sont dénoncés comme un complot des grandes entreprises capitalistes assimilés à un regroupement dénommé « big pharma » et, de manière générale, il y a la considération qu’il existerait un agenda caché, gouvernemental ou de la part d’une société secrète, pour mettre en place le contrôle général de la population.
Ces conceptions restent marginales dans la société française, qui ne cède nullement à l’irrationalisme. En un certain sens, le décalage avec la société française du mouvement anti-pass sanitaire est aussi grand qu’avec les gilets jaunes.
La forme prise est trop folle, le contenu trop flou, l’absence de valeurs bien établies un repoussoir dans un pays comme la France où l’on raisonne beaucoup (voire trop, jusqu’à la paralysie et au relativisme).
Toutefois, le mouvement anti-pass sanitaire vient tout de même, malgré tout, du centre de la société. En cela, il doit profondément inquiéter. Sa base est constituée de gens « normaux », alors que tel n’était pas le cas pour les gilets jaunes.
Si au départ, les gilets jaunes s’appuyaient sur des gens « normaux », très rapidement il y a eu un style propre aux couches petites-bourgeoises en voie de perdition, vivant littéralement sur le tas sur le plan des idées.
D’où le renforcement du côté « brut de décoffrage » du mouvement afin de compenser par une image d’authenticité, voire de rusticité, pour masquer l’absence de propositions sérieuses et de perspective réelle. Cela ne pouvait pas aller bien loin de par une telle absence de crédibilité intellectuelle, morale, historique.
Le mouvement anti-pass sanitaire a connu quelque chose de différent. Il a su quant à lui happer un pan entier de la petite-bourgeoisie éduquée, mais touchée par les considérations irrationnelles, farfelues, folles.
Sur des chaînes télévisées du câble on peut voir de nombreuses émissions sur de prétendus anciens extra-terrestres ayant bâti les pyramides et autres fariboles : c’est ce public-là qui a été conquis par le mouvement anti-pass sanitaire.
Ce sont les franges pseudo-critiques mais en fait délirantes de la petite-bourgeoisie, qui ont trouvé une voie pour se mettre en mouvement. Normalement elles vivotent à la marge, là elles ont pu s’affirmer historiquement.
Cela n’aurait pas pu se produire sans un appui matériel, naturellement. Ces couches petites-bourgeoises délirantes sont en effet consommatrices : elles achètent des ouvrages d’éditions délirantes sur la magie noire, elles regardent des vidéos d’aliens, elles sont en agitation permanente, mais dans une bulle qui leur est propre. Il fallait qu’elles soient épaulées.
C’est là qu’on trouve de très nombreux activistes de la mouvance anarchiste ou contestataire d’ultra-gauche en général.
Ces activistes ont abandonné tout principe et se sont précipités dans ce qui apparaît pour eux essentiel : dénoncer l’État, quel que soit la raison, quelles que soient les motivations.
Et on trouve également l’extrême-droite de type « souverainiste », qui a immédiatement été le noyau dur d’un tel activisme, notamment Florian Philippot, ancien numéro deux derrière Marine Le Pen du Rassemblement National (l’ancien Front National).
Son mouvement Les Patriotes apparaît comme la pointe idéologique du mouvement anti-pass sanitaire.
Mais on retrouve en première ligne également François Asselineau de l’Union populaire républicaine, Nicolas Dupont-Aignan de Debout La France, ainsi que le mouvement catholique intégriste Civitas.
Il y a une convergence de l’extrême-droite et de l’ultra-gauche, pressée d’être en mesure de toucher un nouveau public, une base de 200-300 000 personnes faisant irruption sur le terrain de la « contestation ».
L’opération reste malaisée, car le mouvement anti-pass sanitaire, tout comme les gilets jaunes de par le passé, est une expression directe de la crise. Cependant, il peut exister un phénomène de maturation, surtout si l’aspect économique commence à prendre le dessus dans la nature de la crise.
Ce qui est en tout cas très clair, c’est que :
1. la crise a provoqué un mouvement irrationnel de masse dans la petite-bourgeoisie ;
2. l’ultra-gauche et l’extrême-droite ont convergé en faveur de ce mouvement.
Ce qu’il va en advenir ne peut être que néfaste pour la lutte des classes, à moins que ce mouvement n’échoue complètement et serve de contre-exemple, ce qui aurait dû d’ailleurs arriver aux gilets jaunes s’ils n’avaient pas eu le soutien de l’ultra-gauche, d’une partie des syndicats, avec une surmédiatisation.