Une saison en enfer, la couverture de l’oeuvre de 1873

Après avoir quitté Paul Verlaine, Arthur Rimbaud revint en Angleterre, mais publia entre-temps à compte d’auteur, en octobre 1873, le recueil Une saison en enfer, qu’il écrivit lors d’un séjour chez sa mère dans les Ardennes, dans une fermé l’écart de Charleville.

Une saison en enfer fut un fiasco, la scène littéraire boycottant de toutes façons Arthur Rimbaud en raison du scandale ayant amené Paul Verlaine à se retrouver en prison.

En elle-même, l’œuvre est par ailleurs d’une faiblesse inouïe, jouant sur les poncifs littéraires : une utilisation systématique de la première personne du singulier, des références au diable, au démon, à l’enfer, à la damnation, à Satan, etc..

A cela s’ajoute l’esprit provocateur (en parlant des Gaulois : « D’eux, j’ai : l’idolâtrie et l’amour du sacrilège ; — oh ! tous les vices, colère, luxure, — magnifique, la luxure ; — surtout mensonge et paresse. »)…

Des références exotiques (Gaulois, Scandinaves c’est-à-dire vikings , Mongols, le Coran…).

Ainsi bien entendu que le mysticisme (« C’est la vision des nombres. Nous allons à l’Esprit. C’est très-certain, c’est oracle, ce que je dis. »), et les régulières accumulations pour frapper les esprits (« Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse ! »).

Sans oublier le culte des images « fortes » (« je voyais une mer de flammes et de fumée au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres. »).

A quoi s’ajoute une affirmation d’amoralisme quasi nietzschéen, teinté de racisme (« je n’ai pas le sens moral, je suis une brute (…) Je suis une bête, un nègre. »).

Toute cette autosatisfaction provocatrice se résume bien par le propos suivant :

« Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. Le meilleur, c’est un sommeil bien ivre, sur la grève. »

C’est le poète qui s’imagine contestataire, marginal, rebelle, alors qu’il passe totalement à côté du mouvement ouvrier naissant et se complaît dans une pseudo-quête esthétique.

C’est un mysticisme para-religieux, une fuite en avant dans une poésie censée redessiner le monde lui-même. Un passage d’Une saison en enfer est connu pour refléter cette approche. Intitulé Alchimie du verbe, on y lit au début le passage suivant :

« À moi. L’histoire d’une de mes folies.

Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.

J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.

J’inventai la couleur des voyelles ! — A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. — Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. »

C’est là une quête de totalité purement subjectiviste, comme si Georges Sorel avait tenté d’écrire de la poésie, avec une approche vitaliste, sous la forme d’un « élan », d’un vertige total censé être créateur, avec donc non plus l’action (syndicale) comme clef, mais la poésie comme regard censé être transformateur en lui-même.

Arthur Rimbaud affirme ainsi qu’il sait « aujourd’hui saluer la beauté » et il a réussi, avec le sens de la formule, à fournir une certaine aura eschatologique, pseudo-révolutionnaire, à sa prose :

« — Il a peut-être des secrets pour changer la vie ?

Non, il ne faitqu’en chercher, me répliquais-je (…). Il faut être absolument moderne (…). Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. »


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