Accueil → Analyse → Culture → Don Quichotte et le siècle d’or espagnol
La capacité de décision de type espagnol ne se retrouve pas que chez les conquistadors : elle forme également l’arrière-plan de l’art en général, notamment religieux. Les figures de mystiques jetant leur vie, la propulsant dans la dévotion, pour Dieu, dans une rencontre de raideur et de mobilité, sont incontournables du siècle d’or.
La grande référence ici, c’est Francisco de Zurbarán (1598–1664). On comprend tout de suite sa démarche avec Le Martyre de saint Sérapion, de 1628. On parle ici d’un Anglais qui a participé à une croisade, puis est venu se battre aux côtés des Espagnols lors de la Reconquista.
Il rejoignit ensuite comme religieux l’ordre de la Merci et fut affreusement supplicié, éviscéré notamment, par l’empire ottoman à Alger. Il s’était proposé en otage, dans l’attente du paiement de rançons pour racheter les prisonniers espagnols.
L’oeuvre est expressive, évocatrice à un travers une fort contraste, tout en restant d’une grande sobriété. On retrouve la raideur et la mobilité espagnoles.
Ami de Diego Vélasquez, Francisco de Zurbarán a peint de très nombreuses œuvres religieuses ; il fut également proche du Roi qui lui fit des commandes. Sa renommée fut d’ailleurs rapidement immense. Il faut dire que la dialectique du raide et du mobile est ici particulièrement réussie, au sens où cela donne une dimension flamboyante, qui contraste avec le minimalisme de l’approche générale
Sa représentation de la Vierge enfant en train de dormir est exemplaire de cela. Les traits semblent imparfait chez Francisco de Zurbarán, ce n’est pas la technique qui supporte l’oeuvre. Le réalisme provient d’une opposition entre le raide et le mobile, dans le cadre d’un sens de la mise en scène, toujours sobre, et pourtant à chaque fois les œuvres semblent emplies.
Si l’on veut, on peut dire que la posture, toujours marquée par la raideur et la mobilité, donne un caractère vivant qui permet de surpasser une représentation sinon trop simpliste, trop formelle.
Cela fait que les personnages relevant de la religion fournissent, somme toute, une image humaine, réelle, mais avec des figures pleines de détermination.
Voici deux saintes, Marguerite (une païenne convertie) et Casilde (une musulmane convertie).
On voit très bien comment chez Zurbarán la religion est le support à une forme d’élévation de l’esprit, de dignité, dans une forme simple d’existence, en rupture nette avec le minimalisme religieux féodal qui soulignait surtout la majesté, le caractère transcendant des figures religieuses.
C’est le paradoxe de ce réalisme espagnol d’être religieux, il ramène la religion sur terre, mais au prix de forcer la réalité à se plier aux valeurs religieuses. Les représentations de Saint François par Zurbarán sont exemplaires de comment l’Espagne sort du Moyen-Âge, mais pas par la reconnaissance protestante de la vie intérieure. C’est l’exigence catholique d’une existence déterminée qui porte le mouvement sur le plan idéologique et culturel.
La représentation de la Vierge pour un monastère, la chartreuse Notre-Dame de las Cuevas, montre très bien le dépassement : si la Vierge est pleine de majesté médiévale, ceux qu’elles protègent sont justement pleins de détermination.
C’est très exactement l’esprit de Don Quichotte tout au long du roman, c’est précisément cet état d’esprit qu’il valorise, au-delà de son ridicule apparent du à sa folie d’être un « chevalier errant ». C’est un esprit chevaleresque sans chevalerie qui marque l’Espagne.