Le métro de Moscou est le symbole même d’une architecture soviétique ayant une perspective générale et concrète, à rebours de l’utopisme expérimental des années 1920, dont les tenants s’effacèrent devant les exigences des années 1930.

Iakov Tchernikhov est justement ici emblématique du constructivisme architectural et de ses prétentions à la radicalité ultra, à ceci près que lui s’est toujours cantonné dans une démarche purement théorique, même s’il a réalisé quelques projets secondaires. Lui-même était professeur et tout au long des années 1930-1940, il a réalisé des dessins à la dimension fantastique, mais particulièrement inspirante, à côté de nombreux ouvrages.

Il s’insère ainsi dans l’architecture soviétique en mettant de côté toute prétention utopiste généralisée, ce qui en fait un personnage intéressant.

Iakov Tchernikhov est surtout connu pour ses Fantaisies architecturales de 1933, année où une exposition lui fut accordée, sous la supervision de Sergueï Kirov lui-même, au Palais Anitchkov à Leningrad. Deux autres de ses ouvrages ont la même approche, Les fondements de l’architecture contemporaine et La construction des formes architecturales et mécaniques, mais il a également écrit L’Art du tracé graphique, Le Tracé géométrique, Cours général de dessin technique, Recherches graphiques sur les lettres de l’alphabet, cette dernière oeuvre paraissant en 1950.

Iakov Tchernikhov relève donc d’une approche de laboratoire, mais sous la forme d’un dérapage contrôlé, sans les prétentions fantasmagoriques des constructivistes entendant refaçonner la société toute entière avec leur architecture comme moyen absolu.

Ses œuvres restent d’ailleurs des compositions se cantonnant dans une ouverture, dans la proposition d’une inspiration, sans aller dans le sens d’un projet fermé, fourni clef en main.

De telles œuvres étaient d’ailleurs destinées aux étudiants, afin de les aider à saisir la logique compositionnelle. Il en restait toutefois à un certain formalisme, puisque pour lui tout passait par les lignes, les surfaces, les solides.

En fait, Iakov Tchernikhov considère que l’architecture est prétexte à une démarche visionnaire, mais qui ne peut pas forcément déboucher sur quelque chose de concret en raison d’une époque trop arriérée. Aussi, pour les temps nouveaux, il tente de se reconnecter avec ce principe d’architecte comme visionnaire afin d’élargir le champ de la compréhension de ce qu’est l’espace.

Il dit ainsi que :

« Dans mes contes de fées, je me suis permis toutes sortes de digressions, d’accumulations, d’exagérations et d’hypothèses, mais j’ai ainsi pu révéler les défauts et les avantages des caractéristiques qui influencent la création d’une forme. »

Il y a d’un côté une tendance à aller chercher une forme « pure » comme dans le suprématisme, de l’autre côté il y a une véritable tentative de mieux cerner les possibilités compositionnelles dans l’espace.

Il avait d’ailleurs publié en 1920 un ouvrage intitulé « Aristographie », de facture cubo-futuriste dans le sens suprématiste.

La dimension compositionnelle, architecturale au sens strict, l’a emporté ; il ne termina d’ailleurs sa formation d’architecte qu’en 1925.

Iakov Tchernikhov, à côté de son travail de professeur, continua toute sa vie dans cette perspective, produisant 17 000 dessins. Il faut bien saisir à l’arrière-plan qu’il avait une sorte de quête à la fois démocratique et utopiste.

D’un côté, il considérait que l’architecture était un langage graphique de portée universelle, de dimension civilisationnelle, penchant donc vers le formalisme, vers l’architecture comme forme suprême. De l’autre, son objectif était de rendre disponible pour tous la dimension graphique de l’architecture.

Il faut bien saisir également que certaines libertés sont prises avec les perspectives, rendant plus marquantes les œuvres, mais les rendant impossibles. Cela est assumé entièrement, le côté imaginatif prenant le dessus. Pour Iakov Tchernikhov :

« Il se peut que le matériel présenté n’ait pas ses aspects positifs. Les fantasmes architecturaux montrent de nouveaux processus de composition, de nouvelles techniques d’affichage, cultivent le sens de la forme et de la couleur, entraînent l’imagination, excitent les impulsions créatives, attirent de nouvelles créations et idées, aident à trouver des solutions aux nouvelles idées, etc. (…).

Avec l’aide des moyens d’expression figuratifs présentés dans les fantasmes architecturaux, nous avons l’opportunité de les appliquer à leur utilisation directe dans notre pratique utilitaire et, ainsi, d’améliorer cette dernière.

De plus, en tant que l’une des techniques méthodologiques, les fantasmes architecturaux devraient être utilisés dans la pratique éducative des architectes novices. Ainsi, tout ce qui précède convainc que le côté positif des fantasmes architecturaux est utile, diversifié et grand, et cette circonstance nous permet de parler de l’attitude la plus attentive et la plus prudente envers cette étape du travail de l’architecte. »

Iakov Tchernikhov, comme l’ensemble des architectes à quelques exceptions près, prit le tournant réaliste socialiste du début des années 1930, mais prisonnier de son approche compositionnelle, il se tourna vers l’aspect monumentaliste seulement.

Ici, ses idées pour le Palais des Soviets, dont le concours fut un moment marquant pour l’architecture soviétique de l’époque socialiste.


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