Lorsque la colonne napolitaine des Brigades Rouges fonde le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain en décembre 1981, elle part du principe essentiel des Brigades Rouges, à savoir que le capitalisme développé a systématisé le marché, atomisé les prolétaires, ce qui implique la recomposition du prolétariat.

Ce principe sera naturellement également celui de la majorité des Brigades Rouges qui, de leur côté au même moment, fondent les Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant, qui en 1982 annoncera la « retraite stratégique ».

Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain considérait quant à lui de son côté qu’au contraire, le moment était venu de la « guerre sociale totale ». C’est que le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain affirme que le mode de production capitaliste ne serait plus en mesure de réussir à ouvrir de nouveaux espaces.

Il se serait tellement systématisé qu’il n’aurait plus de perspectives de développement. Ainsi, la seule chose qu’il peut faire ou essayer de faire, c’est d’empêcher son reflux et, pour cela, il fait la guerre au prolétariat, tout comme il va à la guerre impérialiste.

Cette lecture s’appuie sur l’idée que, désormais, il existerait une tendance au communisme qui s’exprimerait de manière unilatérale dans la société capitaliste. C’est comme si, pour prendre un exemple concret, on disait : il est possible de télécharger toute la musique qu’on veut sur internet de manière illégale, alors qu’il y a de multiples plateformes payantes en concurrence dans un grand fouillis, par conséquent le capitalisme est travaillé au corps par une tendance au communisme sous la forme du piratage généralisé de la musique.

La tâche est alors, du point de vue révolutionnaire, d’appuyer cette tendance au communisme. Le capitalisme se fait déborder par le fait que le partage généralisé est possible et enlève le sol à sa capacité de réaliser des profits. La réponse du capitalisme serait d’ailleurs alors, pour conserver cet exemple, d’empêcher matériellement le partage généralisé, en sabotant la réalité matérielle de celui-ci au moyen d’interdictions, donc objectivement en faisant reculer les forces productives.

Cette conception n’est pas absurde, elle est même une source d’inspiration très nette ; elle reste toutefois unilatéral. En effet, si le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain a clairement assumé le maoïsme, il a sous-estimé la question de la nature idéologique de la production, pourtant souligné par le maoïsme.

En fait, l’erreur du Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain a été de considérer que, en quelque sorte, le capitalisme comme civilisation s’écroulait, remplacé par en bas par un prolétariat décentralisé directement impliqué dans la transition au communisme par l’appropriation des moyens de production. C’est là une conception syndicaliste révolutionnaire.

Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain n’a pas compris que le mode de production capitaliste met en place une production conforme à ses valeurs et, par conséquent, nécessitant une réorganisation durant une transition socialiste avant le communisme. Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain s’est imaginé que le prolétariat, par en bas, reprendrait tel quel les forces productives du capitalisme, d’où sa définition de l’État révolutionnaire comme anti-État et du Parti comme anti-Parti.

En réalité, l’État révolutionnaire sera un État non pas s’effaçant, mais bien au contraire faisant la conquête de la société toute entière, pour que la société toute entière devienne l’État. C’est le sens de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine : la révolutionnarisation des instances étatiques aboutit à ce que les masses deviennent l’État. Dans un contexte capitaliste, cela signifie que la révolution forme un nouvel État englobant toujours davantage les masses, jusqu’à ce que les masses deviennent l’État.

La preuve de l’erreur du Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain, c’est que le mode de production capitaliste a réussi à se développer. Mettons de côté l’effondrement du social-impérialisme soviétique et l’intégration de la Chine révisionniste dans le marché capitaliste mondial et concentrons-nous sur la question des marchés.

Une production capitaliste implique un marché. Or, une production définie de manière capitaliste peut amener un marché en expansion, grâce à l’idéologie capitaliste. Par exemple, la systématisation de la voiture a amené une expansion du marché de par l’idéologie capitaliste portant cette production, d’où les voitures décapotables, les voitures de luxe, les voitures de sport, les SUV, le tuning, etc.

De la même manière, l’idéologie capitaliste dans l’habillement implique un renouvellement ininterrompu afin de suivre la mode, un moyen de communication comme Facebook implique une certaine forme de socialisation favorable aux ingérences commerciales, etc.

Ce que le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain aurait dû dire, ce n’est pas seulement que le capitalisme systématisé est destructeur dans le cas où il y a des formes de socialisation collective qui émergent de manière inévitable, en raison de la démocratisation qui s’impose d’elle-même grâce à une certaine richesse matérielle.

Ce que le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain aurait dû dire, c’est que le capitalisme systématisé est également créateur de nouveaux marchés en partant en guerre contre la vie naturelle elle-même, en commençant à puissamment déformer toute existence naturelle, afin de façonner le monde à son image.

Pour prendre un exemple concret, un poulet dans un élevage faisait moins d’un kilo à la fin des années 1950, moins de deux kilos à la fin des années 1970, plus de quatre kilos au début des années 2000. C’est là une élévation des forces productives… mais ce ne sont pas des forces productives intéressant le socialisme.

En fait, le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain annonçait la guerre sociale totale car il considérait que, puisque le capitalisme avait gagné, alors il avait perdu. Il était périmé, daté, hors-jeu. Il aurait dû dire : avec la crise s’installant le capitalisme a perdu, donc il a gagné : il va conquérir encore plus de terrain, en forçant l’ouverture d’espace antinaturels.

Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain s’est donc trompé en considérant que « le saut d’époque au communisme dépend de l’unité sociale du prolétariat métropolitain ». En plus de cette unité sociale, il faut une force idéologique et culturelle. De manière très surprenante, alors qu’il se revendique du maoïsme, qu’il utilise lui-même l’idéologie, le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain n’affirme ni l’idéologie, ni la culture.

En cela, il porte les défauts dans la matrice du mouvement communiste italien et de la vigoureuse influence du syndicalisme révolutionnaire. On est ici dans un cadre strictement équivalent à celui en France, les Brigades Rouges profitant d’ailleurs de l’expérience de la Gauche Prolétarienne française qui a connu ce travers de manière encore plus brutale.

On peut arguer que le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain affirme pourtant que « la construction de la ligne de masse, donc, la construction de l’unité sociale du Prolétariat Métropolitain se déroulent le long de trois maillons indivisibles, qui constituent une chaîne indestructible : Programme de Transition vers le Communisme, Programme Politique Général de Conjoncture, Programme Politique Immédiat ».

Cependant, le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain dit en même temps très clairement que ces programmes se composent, en fin de compte, sur la base de la « multidimensionnalité des pratiques de savoir-pouvoir » du prolétariat métropolitain. C’est là quelque chose dans l’esprit du syndicalisme révolutionnaire.

Tout cela ne doit pourtant pas effacer les très nombreux points d’inspiration qui s’exposent dans le document du Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain en ce qui concerne le contexte de crise générale. Il y a ainsi l’idée que le processus révolutionnaire, non linéaire, s’articule par rapport à la recomposition du prolétariat, une recomposition que, justement, le capitalisme développé empêche de par sa nature même. Il n’y a pas de « position de classe » et Ulrike Meinhof formule cela de la manière suivante en 1976 :

« Nous trouvons vraiment insupportable la position de classe au nom de laquelle tu te gonfles. Ce n’est pas une question de définition – c’est que la lutte, donc le principal, en est éliminé.

Ta position, ça n’existe pas. Si tu restes sur ton perchoir, ça n’a pas grand-chose à voir avec ce que nous, nous voulons. Nous voulons, ce que nous voulons, c’est la révolution.

Autrement dit, il y a un but, et par rapport à ce but il n’y a pas de position, il n’y a que du mouvement, il n’y a que la lutte ; le rapport à l’être − comme tu dis – c’est : lutter. Il y a la situation de classe : prolétariat, prolétarisation, déclassement, avilissement, humiliation, expropriation, servitude, misère.

Étant donné que dans l’impérialisme les rapports marchands pénètrent complètement tous les rapports, et étant donné l’étatisation continue de la société par les appareils d’Etat idéologiques et répressifs, il n’est pas de lieu ni de moment dont tu puisses dire : je pars de là.

Il y a l’illégalité, et il y a des zones libérées ; mais nulle part tu ne trouveras l’illégalité toute donnée comme position offensive permettant une intervention révolutionnaire car l’illégalité constitue un moment de l’offensive, c’est-à-dire ne se trouve pas hors de l’offensive (…).

La position de classe − à savoir l’intérêt, le besoin, la mission d’une classe, de lutter pour le communisme afin de vivre − est partie intégrante de sa politique − je dirais même : s’y résout − ce qui est un non-sens. Position et mouvement s’excluent. C’est une dérobade, un subterfuge pour se justifier, une affirmation gratuite.

C’est supposer que la politique de classe dérive de l’économie − et c’est faux. La politique de classe résulte de la confrontation avec la politique du capital ; la politique du capital est fonction de son économie (…).

La politique de classe, c’est de lutter contre la politique du capital et non contre l’économie qui prolétarise directement ou à travers l’État. La position de classe du prolétariat, c’est la guerre − il y a là contradiction in adjecto, pur bla bla (…).

Nous ne partons pas d’une position de classe, quelle qu’elle soit, mais de la lutte des classes comme principe de toute histoire, et de la guerre de classes, comme réalité dans laquelle se réalise la politique prolétarienne, et – comme nous l’avons appris − seulement dans et par la guerre −.

La position de classe ne peut être que le mouvement de la classe dans la guerre des classes, le prolétariat mondial armé et combattant, réellement ses avant-gardes, les mouvements de libération − ou comme dit [le Black Panther George] Jackson : connections, connections, connections − c’est-à-dire mouvement, interaction, communication, coordination, lutte collective – stratégie. Tout cela est paralysé dans le concept de « position de classe ». »

C’est cependant là quelque chose de classique pour les communistes ayant compris la nature du capitalisme développé, tout comme la question de la tendance à la guerre impérialiste. D’ailleurs, les Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant disaient alors la même chose, sans parler pour autant d’un capitalisme bloqué.

De manière plus marquée dans son rapport avec la crise générale du capitalisme, il y a la thèse selon laquelle la société est composée de régions sociales connaissant de manière différente les soubresauts de la crise. Ce que cela veut dire, c’est que la société capitaliste est composée de secteurs, vivant à des rythmes différents, en raison de leur rapport avec les cycles de production et de consommation. Ces régions sociales restent à définir, mais le fait de poser le concept permet d’aller en ce sens.

Pour mieux comprendre la chose, il faut comprendre que lorsque les Brigades Rouges se sont développées, elles se sont aperçues que la réalité sociale était très différente selon les endroits. Milan, une forteresse ouvrière, n’était pas Naples et son économie illégale occupant une part importante de l’économie en général. Rome présentait un autre profil, Padoue encore un autre, etc. Et au-delà de la réalité géographique et économique, il y a en fait également le profil des travailleurs réalisant des activités très différentes.

Ces régions sociales sont, de manière tendanciellement similaire mais avec des nuances, travaillées au corps par le capitalisme développé afin de maintenir le système en place. Et ce maintien est obtenu non pas formellement, mais dans le jeu de la production et de la reproduction des marchandises.

On ne peut nier par contre qu’il y a ici une tendance nette de la part du Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain à pencher du côté de la thèse du « capitalisme organisé » avec un rôle moteur de l’État pour maintenir, par de savants calculs, une cohérence générale à toutes ces « régions sociales ».

En tout cas, ce qui est intéressant comme perspective, c’est de voir que le capitalisme est un assemblage de zones et d’ailleurs le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain reconstitue, sans le savoir, la thèse communiste sur le fascisme dans les pays capitalistes et sur le capitalisme bureaucratique en crise dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux en donnant une définition précise de la contre-révolution.

Il est en effet parlé de « la centralisation des décisions stratégiques exclusivement entre les mains de l’Exécutif leur permet d’avoir une portée étendue qui ne connaît pas de limites. Non seulement elles sont remplies, de manière intégrée, de contenus politiques, économiques, militaires, juridiques, etc. mais elles sont transmises, appliquées, mises en œuvre, avec une égale intensité et charge contrerévolutionnaire, dans toutes les régions de la formation économique sociale transformée. »

C’est là définir un régime parvenu à son degré maximal de centralisation en raison d’une base sociale toujours plus étroite à sa tête. Lorsque le régime est dominé par une partie toujours plus petite des classes dominantes, il devient toujours plus dur. Plus il est « fort » en raison de la violence des classes dominantes toujours plus réduites à sa tête, plus le régime agonise. C’est un processus historique : la monarchie absolue est le point culminant de la monarchie, le fascisme celui du régime capitaliste libéral.

Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain a cependant considéré que tel était la nature du capitalisme développé ; il a été unilatéral et n’a pas compris que c’est un processus en cours.

C’est là la chose paradoxale, pour le moins étrange : le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain ne cesse de dire, de manière maoïste, que tout est en mouvement, qu’être révolutionnaire c’est saisir le mouvement de la recomposition d’un côté et de la restructuration capitaliste destructrice de l’autre… tout en présentant le capitalisme développé comme abouti, statique, somme toute en crise finale.

C’est là une erreur gauchiste, qui confond crise générale et crise « finale » − une telle chose n’existant pas, car tout est transformation et il n’y a, au sens strict, jamais de début ni de fin.

Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain dit d’ailleurs bien qu’il y a des conjonctures, qu’il s’agit de les comprendre, d’agir en fonction. Or, d’où viennent de telles conjonctures si le système est figé ?

Le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain paie ici sa méconnaissance profonde de la IIIe Internationale et de son analyse de la crise générale ; historiquement d’ailleurs les Brigades Rouges ont interprété, de manière totalement erronée, la IIIe Internationale à la lumière de sa section italienne seulement, d’où son rejet formel comme « insurrectionaliste » et attentiste.

Si l’on prend le Parti Communiste d’Allemagne des années 1918-1933, celui-ci avait justement mené différentes campagnes politiques, en prenant l’initiative, ce qui, il est vrai, est tout à fait différent des Partis Communistes de France ou d’Italie, qui agissaient selon des définitions politiques conçues comme des « réactions » aux événements seulement.

Mais le Parti-guérilla du Prolétariat Métropolitain a également une telle lecture négative du passé en raison du développement inégal. Constatant le capitalisme développé, il considère que la crise est le terrain même où se joue la bataille dialectique entre la révolution et la contre-révolution, et que c’est de là qu’il faut partir. C’est sans doute le plus grand acquis conceptuel, qui se situe comme dépassement des « vingt thèses finales des Brigades Rouges ».

La crise est en effet le passage d’une époque à une autre. C’est le terrain même de la réalité révolutionnaire – le reste relève de l’espace-temps du mode production capitaliste.


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