La religion de l’Égypte antique et le bouddhisme tibétain du moyen-âge sont fondés sur la magie ; ils visent à permettre le grand passage dans l’au-delà, à partir de « l’entre-deux ».

La vie compte moins que la réussite, la mort arrivée, du grand saut vers la réalité suprême : celle du dieu-univers impersonnel, éternel, où tout est pacifié.

La clef de la compréhension des dieux et démons des Livres des morts égyptien et tibétain ne réside donc pas dans l’affirmation positive, mais dans la négativité.

Il n’y a pas un affrontement entre le bien et le mal, mais le bien comme appel vers l’au-delà et le mal comme épreuves pour avancer vers l’au-delà.

Livre des Morts du scribe Nebqed, qui agit sous le règne d’Aménophis III (1391-1353 avant notre ère)

Livre des Morts du scribe Nebqed, qui agit sous le règne d’Aménophis III (1391-1353 avant notre ère)

Il ne s’agit pas de faire le bien et de ne pas faire le mal. Il s’agit de ne rien faire qui puisse contrarier l’ordre cosmique fondamental, la substance du dieu-univers.

Tout se révèle si on constate ce qui se passe lorsque le défunt arrive chez Osiris, le dieu de la mort.

Il va être jugé, et pour se protéger, il dit qu’il n’a pas fait quelque chose de mal. Il a bien agi, dans la mesure où il n’a pas fait quelque chose qui contrarie.

Voici la liste des déclarations d’innocence du défunt de l’Égypte antique, lorsqu’il se retrouve jugé.

Maintenant, reprenons les divinités paisibles et courroucées du bouddhisme tibétain. Que visent-elles, dans leur fonction négative ? Leur rôle est de briser la peur et l’ignorance, de permettre au défunt de s’arracher à ses entraves.

Dans leur fonction positive, elles appellent à empêcher d’agir de manière erronée. Les valeurs mises en avant sont la sagesse, la compassion.

Tout ce qui est peur, souffrance… est considéré par le bouddhisme tibétain comme parasitant l’esprit. Le bouddhisme tibétain dit alors : cette forme de parasitage est ce qui empêche de voir la « vraie » réalité.

Le désir relève d’un tel parasitage, parce qu’il propulse l’esprit dans une certaine direction.

Ici, on a la clef du vrai bouddhisme. Il ne s’agit pas d’une philosophie de la vie qui serait froide et calculerait que les désirs insatisfaits perturbent.

Il s’agit d’une lecture des choses qui expriment une nostalgie de l’esprit humain non travaillé par les forces « bénéfiques » (nécessaires pour pousser dans le bon sens) ou « maléfiques » (nécessaires pour empêcher d’aller dans le mauvais sens).

D’où le rejet de la colère, de l’attachement, de tout ce qui pousse l’esprit dans une direction donnée.

Le bouddhisme pose la négation de la direction, tout comme les 42 formules égyptiennes d’innocence expriment le sens de la vie par des non-actions.

Palden Lhamo, divinité courroucée protectrice des enseignements du Bouddha, ainsi que du Tibet, Tibet, 18e siècle

Palden Lhamo, divinité courroucée protectrice des enseignements du Bouddha, ainsi que du Tibet, Tibet, 18e siècle

Les dieux et démons sont le reflet de la fragilité de l’esprit humain ; ils sont là comme expression de l’existence d’émotions perturbatrices, et pour l’esprit de l’être humain primitif, toute émotion est perturbatrice, car non prévue, non comprise, envahissante au point d’engager tout l’être.

C’est ce qu’on appelle la « possession » dans les religions ; aux yeux du chamanisme – polythéisme, le risque de possession est permanent. Il faut donc le conjurer : c’est le rôle de la magie.

Reste un problème évident. Pourquoi l’être humain a-t-il considéré que, finalement, le bonheur l’emportait possiblement sur le malheur, le paradis sur l’enfer ?

Pourquoi les divinités tibétaines aident-elles malgré leur forme négative, et pourquoi dans le Livre des morts égyptiens les forces malfaisantes servent-elles en fait d’acteurs positifs du point de vue du bien, avec leurs épreuves ?

Tout tient à la question de l’entre-deux.


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