La figure du commissaire politique jouant un rôle au sein des unités combattantes de l’Armée rouge est bien connue ; en réalité, son existence obéissait à une double injonction dont la solution dialectique fut difficile à trouver.

Le principe du commissaire politique fut initialement instauré en 1918. Sa fonction était de superviser une structure bien déterminée au sein de l’Armée rouge nouvellement fondée, que ce soit une unité militaire, des troupes en particulier, le travail sportif, les activités culturelles, l’agitation et la propagande.

Concrètement, le commissaire politique sert de support et de relais du Parti dans l’Armée rouge. Il vérifie que la gestion et les décisions relèvent de l’idéologie du Parti ; il organise la mobilisation des masses et informe le Parti de la situation. Il joue le rôle d’éducateur politique, de formateur idéologique auprès des troupes. Il prend des initiatives afin de renforcer l’Armée rouge idéologiquement et en pratique.

Cela exige un niveau hiérarchique aussi grand que les commandants et cela signifie qu’aucune décision au sein d’une entité de l’Armée rouge ne pouvait se faire sans l’aval du commissaire politique, elle devait également voir sa participation du début à la fin. C’était, pour le Parti bolchevik qui supervisait les commissaires, les moyens de s’assurer que les « experts » militaires agissaient conformément aux exigences révolutionnaires.

C’était ainsi une décision politico-militaire et à ce titre ce fut le Conseil Militaire Révolutionnaire qui, par une décision du 5 décembre 1918, instaura ce principe en le généralisant à toute l’Armée rouge, sur le front comme à l’arrière et pour les activités connexes.

Kouzma Petrov-Vodkine, La mort du commissaire, 1928

Kouzma Petrov-Vodkine, La mort du commissaire, 1928

Cela fut formalisé lorsque, en avril 1919, les commissaires politiques passèrent sous le contrôle du Politotdel, le Département politique du Conseil Militaire Révolutionnaire de la République, qui devint en 1924 le Département politique du Commissariat chargé de la Défense.

Cela impliquait cependant une double direction et il fut rapidement considéré qu’il fallait dépasser cette perspective parfois paralysante. Dès janvier 1920 le poste de commissaire politique fut aboli sur le Front du Turkestan, à l’initiative de Mikhaïl Frounze. Le processus d’abandon du principe fut officialisé en 1922 et se termina en 1925.

Il se produisit la situation suivante. Soit les commandants d’unités étaient directement formés et appartenaient de fait au Parti Communiste, soit ils se voyaient adjoindre un « pompolit », c’est-à-dire un « assistant aux questions politiques ».

Le commissaire politique en tant que superviseur était ainsi remplacé par un instructeur-surveillant qui n’avait plus le même rang que le commandant : c’était la fin du double pouvoir.

Il y avait trois grades de pompolit : pompolit cadet, pompolit et pompolit principal, à quoi s’ajoutaient pour les pompolits principaux les termes officiels de commissaires de bataillon, de régiment ou de division, bien que dans les faits cela restait une activité de pompolit.

Cette situation se maintint jusqu’en mai 1937, où l’Armée rouge rétablit les commissaires politiques alors que la lutte de classes faisait rage dans le pays. Cela concernait principalement les écoles militaires et les centres de formation initialement, puis le décret du 25 janvier 1938 systématisa les commissaires politiques au niveau des unités militaires.

Toutefois, en 1940, l’Armée rouge retourna de nouveau au principe des pompolits, les différents conflits menés les mois auparavant (avec le Japon, la Finlande…) montrant que les commissaires politiques ne disposaient pas assez de formation militaire.

La situation se renversa ensuite de nouveau avec la guerre avec l’Allemagne nazie qui commença le 22 juin 1941. Le 27 juin, le Bureau Politique du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik) adopta une résolution « sur la sélection des communistes pour renforcer l’influence politique des partis dans les régiments ».

Cela aboutit à l’envoi par les comités régionaux du Parti de 18 000 cadres dans l’armée pour y jouer une activité politique ; le 30 juin il fut demandé d’en envoyer 23 000 dans les trois jours. Leur nombre total sera de 100 000 en six mois.

Cette ligne fut formalisée par le décret du Présidium des Forces Armées de l’URSS du 16 juillet 1941 « sur la réorganisation des organes de propagande politique et l’introduction de l’institution des commissaires politiques dans l’Armée rouge ouvrière et paysanne ».

Voici ce qu’il posait :

« La guerre qui nous a été imposée a radicalement changé l’environnement de travail de l’Armée rouge.

La guerre a élargi la portée du travail politique dans notre armée et a exigé que les travailleurs politiques ne se limitent pas à la propagande, mais assument également la responsabilité du travail militaire sur les fronts.

D’un autre côté, la guerre a compliqué le travail du régiment et du commandant de division et exige que le régiment et le commandant de division reçoivent une pleine assistance des travailleurs politiques, non seulement dans le domaine du travail politique, mais aussi dans le domaine militaire.

Toutes ces nouvelles circonstances dans le travail des travailleurs politiques, liées à la transition du temps de paix au temps de guerre, exigent que le rôle et la responsabilité des travailleurs politiques soient accrus – tout comme cela a eu lieu pendant la guerre civile contre l’intervention militaire étrangère.

Conformément à cela, répondant aux souhaits du Comité de défense de l’État et des commandants en chef, le Présidium du Soviet suprême de l’URSS décide de :

1. Réorganiser les administrations et les départements de propagande politique en directions politiques et départements politiques de l’Armée rouge ouvrière et paysanne.

2. Introduire l’institution des commissaires militaires dans tous les régiments et divisions, les quartiers généraux, les établissements d’enseignement militaire et les institutions de l’Armée rouge, et l’institution des chefs politiques dans les compagnies, les batteries, les escadrons.

3. Approuver le règlement sur les commissaires militaires dans les régiments et divisions de l’Armée rouge ouvrière et paysanne.

Président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS
M. KALININE

Secrétaire du Présidium du Soviet suprême de l’URSS
A. GORKINE »

Un commissaire politique et des soldats de l’armée rouge sur le front de la Crimée en mai 1942

Un commissaire politique et des soldats de l’armée rouge sur le front de la Crimée en mai 1942

Ce décret reposait cependant le problème de la double direction et pour cette raison il y eut six mois plus tard un Décret du Présidium des forces armées de l’URSS du 10 octobre 1942 « sur la mise en place d’un commandement unique et l’abolition de l’institution des commissaires militaires dans l’Armée rouge ».

On repassait au système des pompolits. Le décret disait la chose suivante :

« Le système des commissaires militaires, mis en place dans l’Armée rouge pendant la guerre civile, est né d’une certaine méfiance à l’égard des cadres de commandement, qui comprenaient de vieux spécialistes militaires qui ne croyaient pas à la force du pouvoir soviétique et lui étaient même étrangers.

Pendant les années de la guerre civile, les commissaires militaires ont joué un rôle décisif dans le renforcement de l’Armée rouge et dans la sélection du personnel de commandement, en ce qui concerne son éducation politique et l’imposition de la discipline militaire.

Dans les années qui ont suivi, après la guerre civile, le processus de formation continue et d’éducation du personnel de commandement a eu lieu. En conséquence et sous l’influence des succès et des victoires du système soviétique dans tous les domaines de la vie, la situation des cadres de commandement de l’Armée rouge a radicalement changé.

La Grande Guerre patriotique contre les envahisseurs allemands a forgé nos cadres de commandement, a amené une énorme couche de nouveaux commandants talentueux, testés dans les batailles et fidèles à leur devoir militaire et à l’honneur de commandement jusqu’à la fin.

Dans de féroces batailles avec l’ennemi, les commandants de l’Armée rouge ont prouvé leur loyauté envers notre patrie, ont acquis une expérience significative de la guerre moderne, ont grandi et sont devenus plus forts dans les relations militaires et politiques.

D’autre part, les commissaires militaires et les travailleurs politiques ont augmenté leurs connaissances militaires, ont acquis une riche expérience de la guerre moderne, certains d’entre eux ont déjà été transférés à des postes de commandement et dirigent avec succès des troupes, beaucoup d’autres peuvent être utilisés dans des positions de commandement immédiatement ou après une certaine formation militaire.

Toutes ces nouvelles circonstances associées à la croissance de notre commandement et de nos cadres politiques indiquent que le fondement de l’existence d’un système de commissaires militaires a complètement disparu.

De plus, l’existence continue de l’institution des commissaires militaires peut freiner l’amélioration du commandement et du contrôle des troupes et produire une situation fausse pour les commissaires eux-mêmes.

Ainsi, le besoin s’est fait sentir d’abolir l’institution des commissaires militaires dans l’Armée rouge, d’établir un commandement complet par un seul homme et de confier pleinement aux commandants la responsabilité de tous les aspects du travail des troupes.

Sur cette base, le Présidium du Soviet suprême de l’URSS décide de :

1. Établir un commandement complet par un seul homme dans l’Armée rouge et placer les commandants (chefs) entièrement responsables de tous les aspects du combat et de la vie politique des unités, formations et institutions de l’Armée rouge.

2. Abolir l’institution des commissaires militaires dans les formations, les unités, les quartiers généraux, les établissements d’enseignement militaire, les directions centrales et principales des organisations du Commissariat du peuple à la défense de l’URSS et des institutions de l’Armée rouge, et l’institution des dirigeants politiques en divisions.

3. Introduire l’institut des commandants adjoints aux affaires politiques dans les formations, unités, quartiers généraux, sous-unités, établissements d’enseignement militaire, dans les directions centrales et principales des organisations à but non lucratif et des institutions de l’Armée rouge.

4. Intensifier le transfert des commissaires militaires, qui sont les plus formés au respect militaire et qui ont une expérience accrue de la guerre moderne, en tant commissaires politiques occupant des postes de commandement.

5. Établir les grades et insignes militaires communs à tous les commandants de l’Armée rouge pour les commandants adjoints aux affaires politiques et pour tous les autres travailleurs politiques. »

La ligne du Parti bolchévik était fort simple : l’idéal était que les commissaires politiques deviennent les commandants, par l’acquisition d’une formation militaire et, en attendant, il y eut la considération qu’il fallait satisfaire à l’exigence des commandants de se passer d’un double commandement nuisant à leurs activités.

Un commissaire politique en Ukraine en 1942

Un commissaire politique en Ukraine en 1942

Toutefois, au début de l’année 1943, seulement 30 % des 122 000 commissaires politiques furent en mesure d’assumer une nouvelle position. Le Parti bolchevik prit alors l’initiative et le Commissariat du peuple à la défense de l’URSS réalisa ainsi en mars 1943 un décret « sur la mise en place d’un minimum de connaissances militaires obligatoires pour les travailleurs politiques de l’Armée rouge ».

Parallèlement, donc la pression militaire fit que, conformément au décret de 1942, l’institution des commissaires politiques se vit remplacer par un retour aux pompolits, ces assistants des commandants n’étant également même pas présents dans toute l’Armée rouge.

Ainsi, dans la marine, il n’y a pas de pompolits à bord des navires, ils sont présents dans les quartiers généraux des flottes, les services de renseignement, les services de communication, les services hydrographiques, les services techniques, les services des mines et des torpilles, les services des navires et des ports, les services arrière des bases, les zones et secteurs fortifiés, les services sanitaires, ceux d’artillerie et ceux d’ingénierie.

Dans les faits, les commandants avaient exigé d’avoir les mains libres pour leurs initiatives et dès qu’il y a une exigence militaire à court terme, les pompolits sont chassés des structures opérationnelles. Le Parti bolchévik n’avait pas trouvé de solution adéquate pour maintenir sa direction.

Il tenta alors de compenser en juin 1944 par la mise en place de départements politiques des administrations de huit districts militaires, avec également des unités d’enseignement pour des cours pour les cadres militaires moyens et supérieurs.

Ce fut une énorme réussite mais aussi un énorme problème, car au lieu d’avoir des commissaires politiques devenant commandant, on obtenait l’inverse.

Rien qu’en juin – décembre 1944, on avait 728 274 militaires devenant membres ou stagiaires du Parti bolchevik. On arrive alors à une proportion énorme de membres du Parti dans l’armée : à la fin de 1944, cela donne 23% dans l’armée et 31,5% dans la marine.

52,6% des membres du Parti étaient des militaires : cela fut une source de forts troubles internes après 1945 et exigea une reprise en main.


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