Il n’était naturellement nullement évident de rassembler les Arabes divisés en clans et en tribus au moyen de la Mecque comme ville pacifiée et policée par le droit. Pour que l’Islam triomphe, il fallait qu’une autre contradiction se pose, celle entre ces clans et tribus en général et d’autres forces.

L’Islam naît de deux contradictions, au sens strict :

– la contradiction entre les commerçants et marchands et le cadre arriéré de la société sur le plan du droit, ce qui formait un obstacle au commerce ;

– la contradiction entre les Arabes divisés et les empires byzantin et perse qui, de par leur centralisation, défaisaient les Arabes comme ils l’entendaient.

Dans la genèse de l’Islam, jusqu’à la mort de Mahomet en 632, la première contradiction est l’aspect principal. Après cela, avec les conquêtes arabes, c’est le second aspect qui l’emporte, faisant triompher une caste militaire qui balaya l’hégémonie des commerçants et des marchands.

Mahomet recevant le Coran de l’ange Gabriel, Perse, début du 14e siècle

Historiquement, avant l’affirmation de l’Islam, la situation était la suivante. Depuis l’époque d’Alexandre le Grand, autour du 3ème siècle. avant notre ère, les tribus arabes, équipées du chameau et surtout du dromadaire, développent sur cette base des activités commerciales en réseau permettant de connecter l’Océan Indien, l’Ethiopie et la Corne de l’Afrique, à la Méditerranée.

Le désert d’Arabie n’est alors plus l’obstacle qu’il fut durant des millénaires et des sociétés se développent dans des oasis, partout où cela est possible.

Une représentation du 14e siècle, le premier a volé le chameau au second, qui a lui-même volé un cheval

Une représentation du 14e siècle, le premier a volé le chameau au second, qui a lui-même volé un cheval

Fort de leur maîtrise du désert, les tribus arabes remontent vers la Syrie et la Mésopotamie et leur installation, de la Jordanie actuelle jusqu’au nord de l’Irak, autour de ce qui est aujourd’hui la région de Diyarbékir et Mossoul, permet de connecter plus rapidement la Perse, elle-même traversée de nomades utilisant le chameau, au Levant et à l’Asie Mineure.

Dans ces régions, les Grecs les désignent comme « Arabes scènites » soit les « Arabes de la tente » de manière très significative pour décrire leur mode d’organisation en camp mi-foire commerciale, mi-camp militaire.

La fameuse ville de Palmyre, notamment, qui fera émerger un Etat arabo-romain dissident autour de la reine Zénobie (267-273), annonçant les synthèses à venir, dont l’islam sera l’aboutissement. En particulier, le rôle des Araméens sera décisif comme empreinte culturelle sur les tribus arabes.

L’empire de Palmyre, qui sera repris par Rome, tout comme l’empire des Gaules

L’empire de Palmyre, qui sera repris par Rome, tout comme l’empire des Gaules

La proximité linguistique des langues araméennes et de l’arabe permettant d’infuser en direction des tribus arabes la gigantesque accumulation culturelle des araméens du Levant et d’Orient, dont le Coran est un reflet.

A la veille de l’essor de l’islam, il existe alors trois forces gouvernementales, exerçant un pouvoir naturellement assez tronqué, difforme, faible, etc. Toutes sont justement localisées dans les zones de contacts avec la culture araméenne, hégémonique notamment en Perse.

On a déjà la tribu des Lakhmides, dont le campement militaire a abouti à la formation de la ville d’Al-Hira, carrefour commercial à l’origine des revenus gouvernementaux en plus des tributs et des quelques expéditions menées. Le gouvernement est sous domination perse et les dirigeants sont d’ailleurs zoroastriens.

Les Lakhmides forment un satellite arabe de l’empire perse, qui est dominé par la dynastie des Sassanides. L’empire, immense, occupe les actuels Iran, Irak, Arménie, Caucase du sud, Asie centrale du sud-ouest, Afghanistan occidental, région du golfe persique, ainsi que des morceaux des actuels Turquie, Syrie, Pakistan.

Celui-ci entend restaurer l’Empire antique des Achéménides, en débordant l’hellénisme par une affirmation culturelle iranienne fondée sur une réforme religieuse du zoroastrisme et sur la base d’une appropriation persane de la culture araméenne.

C’est d’ailleurs à ce moment que sont formés les alphabets des satellites chrétiens de cet Empire, l’alphabet arménien et géorgien, en s’appuyant sur l’alphabet araméen et en tentant d’orienter le christianisme de ces satellites vers celui des populations araméennes considérées comme persanes, à défaut de pouvoir imposer de force le zoroastrisme. Cet élan culturel iranien est une chose déterminante, qui imprimera aussi fortement l’islam, une fois écrasé l’Empire sassanide.

Inscription bilingue en grec et araméen à Kandahar, en Afghanistan, sous le règne de l’empereur maurya Ashoka, 3e siècle avant notre ère

On a ensuite la tribu des Ghassanides, qui avait comme capitale Jabiyah, était tournée vers le christianisme avec d’ailleurs une soumission à l’empire byzantin, concurrent de la Perse. On a pareillement le commerce au cœur des activités.

Les Ghassanides forment un satellite arabe de l’empire Byzantin, qui occupe grosso modo les actuels Turquie, Grèce, Balkans, avec une partie de l’Italie, etc. Ce sont les restes de Rome pour l’Orient, avec bien entendu la fameuse Constantinople comme capitale.

Al-Harith roi ghassanide des Arabes, représentation de 1334

On a enfin le royaume de Kindah, qui a Dumat Al-Djandal comme capitale et qui a longtemps dépendu de l’empire himyarite plus au sud. Ce petit empire est important, car il s’effondre juste avant l’émergence de l’Islam et présentant un contre-exemple pour celui-ci.

L’empire himyarite consista effectivement, dans le sud de la péninsule arabique en une tentative de fusionner des petits royaumes arabes, avec une tentative de dépasser le polythéisme en assumant le judaïsme comme religion générale. Le christianisme se développa néanmoins et les concurrences entre clans, tribus, royaumes locaux amena un effondrement complet.

Le royaume de Kindah regroupe sur cette carte toute la partie est de la région centrale, les noms sont ceux des principales tribus

On peut ainsi dire qu’au moment de l’émergence de l’Islam, la péninsule arabique consiste en des clans unifiés en tribus pour former des blocs capables de se maintenir dans une situation précaire, alors que les territoires consistent principalement en un lieu de passage pour les échanges entre les Indes d’un côté, l’empire perse et l’empire byzantin de l’autre.

La situation ne pouvait se maintenir indéfiniment de par l’expansionnisme perse byzantin. L’Islam est ainsi né en unifiant les Arabes divisés dans le cadre d’une péninsule fonctionnant par le commerce et exigeant des normes juridiques strictes et stables… en se distinguant tant du christianisme byzantin que du zoroastrisme perse. Il fallait une affirmation idéologique unificatrice et permettant de s’opposer en « bloc » à deux autres blocs.

L’empire byzantin à l’ouest, touchant l’empire perse des Sassanides (plus à l’est encore on a l’empire Gupta en Inde), alors que la péninsule arabique va voir les Arabes s’unifier

Le Coran, malgré l’affirmation de sa nature universelle et surtout « incréé », aussi éternel que Dieu, ne s’adresse dans le fait qu’aux Arabes et ne traite que de la réalité de la péninsule arabique, avec ses animaux, son environnement naturel, sa géographie, etc. Pour reprendre ce qu’on lit dans la sourate La consultation :

« Et c’est ainsi que Nous t’avons révélé un Coran arabe, afin que tu avertisses la Mère des cités (la Mecque) et ses alentours et que tu avertisses du Jour du rassemblement, – sur lequel il n’y a pas de doute – Un groupe au Paradis et un groupe dans la fournaise ardente. »

Le Coran est arabe pour les Arabes. Cependant, l’unification arabe va démolir ce simple cadre.


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