Lénine, dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, ajoute un concept au marxisme. L’analyse de Karl Marx est juste, dit Lénine, cependant ce dernier considère qu’il faut préciser certains aspects, en particulier le caractère parasitaire du capitalisme devenu monopoliste.
Le choix du terme « impérialisme » n’est pas de Lénine lui-même ; il reprend un terme utilisé par deux auteurs liés au marxisme, mais dont les analyses n’étaient pas assez développées ni conséquentes. Voici comment il présente cela lors du premier chapitre de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme :
« Dans ces 15 ou 20 dernières années, surtout depuis les guerres hispano-américaine (1898) et anglo-boer (1899-1902), la littérature économique, et aussi politique, de l’Ancien et du Nouveau Monde s’arrête de plus en plus fréquemment à la notion d' »impérialisme » pour caractériser l’époque où nous vivons.
En 1902, l’économiste anglais J.A. Hobson a publié, à Londres et à New York, un ouvrage intitulé L’impérialisme.
Tout en professant un point de vue social-réformiste bourgeois et pacifiste, identique quant au fond à la position actuelle de l’ex-marxiste K. Kautsky, l’auteur y a donné une description excellente et détaillée des principaux caractères économiques et politiques de l’impérialisme.
En 1910 parut à Vienne un ouvrage du marxiste autrichien Rudolf Hilferding : Le capital financier (traduction russe, Moscou, 1912).
Malgré une erreur de l’auteur dans la théorie de l’argent et une certaine tendance à concilier le marxisme et l’opportunisme, cet ouvrage constitue une analyse théorique éminemment précieuse de « la phase la plus récente du développement du capitalisme« , comme l’indique le sous-titre du livre d’Hilferding.
Au fond, ce qu’on a dit de l’impérialisme pendant ces dernières années – notamment dans d’innombrables articles de journaux et de revues, ainsi que dans des résolutions, par exemple, des congrès de Chemnitz et de Bâle, en automne 1912, n’est guère sorti du cercle des idées exposées ou, plus exactement, résumées par les deux auteurs précités… »
Lénine entend avoir une analyse conséquente de l’impérialisme et pour cette raison il cherche résolument à se démarquer de ceux qui convergent avec lui : les faux marxistes, les ex-marxistes, qui prétendent voir un aspect positif à l’impérialisme.
Ce qui distingue ainsi Lénine de l’autre grand théoricien de l’époque, Karl Kautsky, est que ce dernier considérait que l’impérialisme n’était qu’une politique, qu’une défaillance militariste du capitalisme, alors que Lénine considère que c’est dans la substance même du capitalisme devenant parasitaire, cherchant une voie militaire pour faire face à la chute tendancielle du taux de profit.
Dans son article de 1916 qui résume cette question, L’impérialisme et la scission du socialisme, Lénine expose de la manière suivante le concept d’impérialisme qu’il ajoute au marxisme :
« Il nous faut commencer par donner la définition la plus précise et la plus complète possible de l’impérialisme. L’impérialisme est un stade historique particulier du capitalisme. Cette particularité est de trois ordres : l’impérialisme est :
1. le capitalisme monopoliste ;
2. le capitalisme parasitaire ou pourrissant ;
3. le capitalisme agonisant.
La substitution du monopole à la libre concurrence est le trait économique capital, l’essence de l’impérialisme. Le monopolisme se manifeste sous cinq formes principales :
1. les cartels, les syndicats patronaux, et les trusts ; la concentration de la production a atteint un degré tel qu’elle a engendré ces groupements monopolistes de capitalistes ;
2. la situation de monopole des grosses banques : trois à cinq banques gigantesques régentent toute la vie économique de l’Amérique, de la France, de l’Allemagne ;
3. l’accaparement des sources de matières premières par les trusts et l’oligarchie financière (le capital financier est le capital industriel monopolisé, fusionné avec le capital bancaire) ;
4. le partage (économique) du monde par les cartels internationaux a commencé. Ces cartels internationaux, détenteurs du marché mondial tout entier qu’ils se partagent « à l’amiable » — tant que la guerre ne l’a pas repartagé — on en compte déjà plus de cent ! L’exportation des capitaux, phénomène particulièrement caractéristique, à la différence de l’exportation des marchandises à l’époque du capitalisme non monopoliste, est en relation étroite avec le partage économique et politico-territorial du monde ;
5. le partage territorial du monde (colonies) est terminé. »
Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, on a une démonstration scientifique de la valeur de ce concept. Les chapitres de l’œuvre sont les suivants :
La concentration de la production et les monopoles
Les banques et leur nouveau rôle
Le capital financier et l’oligarchie financière
L’exportation des capitaux
Le partage du monde entre les groupements capitalistes
Le partage du monde entre les grandes puissances
L’impérialisme, stade particulier du capitalisme
Le parasitisme et la putréfaction du capitalisme
La critique de l’impérialisme
La place de l’impérialisme dans l’Histoire
Si l’on regarde bien, on voit que ce découpage suit une logique précise. Lénine expose d’abord comment apparaissent les monopoles, comment ensuite les banques jouent un rôle d’autant plus grand, ce qui aboutit à la formation d’une oligarchie financière.
De là se forme une exportation de capitaux aboutissant au partage du monde entre les capitalistes, puis entre les nations capitalistes, ce qui produit les contradictions inter-impérialistes d’un côté, un parasitisme des pays opprimés de l’autre, le tout annonçant l’inéluctable révolution socialiste balayant le capitalisme pourrissant.