Lénine
Ier congrès des soviets
des députés ouvriers et soldat de Russie
1 – Discours sur l’attitude envers le gouvernement provisoire,
15 et 16 juin 1917
Camarades, dans le court laps de temps qui m’est imparti, je ne pourrai m’arrêter qu’aux questions de principe essentielles soulevées par le rapporteur du Comité exécutif et par les orateurs qui lui ont succédé : je pense que cette façon de faire est la plus rationnelle.
La première et principale question qui se posait à nous était celle ci : Où siégeons nous ? Qu’est ce que les Soviets réunis ici en congrès des Soviets de Russie ? Qu’est-ce que cette démocratie révolutionnaire dont on parle tant ici précisément pour cacher qu’on ne la comprend pas du tout et qu’on la renie totalement ? N’est il pas en effet étrange de parler de démocratie révolutionnaire devant le congrès des Soviets de Russie et d’estomper le caractère de cet organisme, sa composition sociale, son rôle dans la révolution, de ne pas en souffler mot et de prétendre en même temps au titre de démocrate ? On nous expose le programme d’une république parlementaire bourgeoise, tel qu’il en a existé dans toute l’Europe occidentale ; on nous expose un programme de réformes admises aujourd’hui par tous les gouvernements bourgeois, y compris le nôtre, et l’on nous parle en même temps de démocratie révolutionnaire. Devant qui parle t-on ? Devant les Soviets. Eh bien, je vous le demande : y a-t-il en Europe un pays bourgeois, démocratique, républicain, où il existerait quelque chose d’analogue à ces Soviets ? Vous êtes bien obligés de me répondre que non. Pareille institution n’existe nulle part ni ne saurait exister, parce que de deux choses l’une : ou bien un gouvernement bourgeois avec les « plans » de réformes qu’on nous a exposés, qui ont été proposés des dizaines de fois dans tous les pays et sont restés sur le papier ; ou bien l’organisme auquel on en appelle aujourd’hui, ce « gouvernement » de type nouveau créé par la révolution, et dont on ne trouve des exemples que dans l’histoire des plus grands élans révolutionnaires, comme ceux de 1792 et de 1871 en France, et de 1905 en Russie. Les Soviets sont une institution qui n’existe dans aucun Etat parlementaire bourgeois du type ordinaire, et qui ne peut exister à côté d’un gouvernement bourgeois. C’est cet Etat de type nouveau, plus démocratique, que nous avons appelé dans les résolutions de notre Parti république démocratique du prolétariat et de la paysannerie, et où le pouvoir n’appartient qu’aux Soviets des députés ouvriers et soldats. On a tort de penser que c’est là une question de théorie ; on a tort de vouloir faire croire qu’il est possible de l’éluder ; on a tort de se dérober en alléguant que telles ou telles institutions coexistent en ce moment avec les Soviets des députés ouvriers et soldats. Oui, elles coexistent. Mais c’est précisément ce qui entraîne une quantité inouïe de malentendus, de conflits et de frictions. C’est précisément ce qui détermine, après le premier essor, après le premier mouvement en avant de la révolution russe, la stagnation et le recul auxquels nous assistons maintenant dans notre gouvernement de coalition1, dans toute la politique intérieure et étrangère, en relation avec l’offensive impérialiste qui se prépare.
De deux choses l’une : ou bien un gouvernement bourgeois ordinaire, et alors les Soviets paysans, ouvriers, soldats et autres sont inutiles ; ils seront dissous par les généraux, les généraux contre révolutionnaires qui ont l’armée en main et ne prêtent aucune attention aux déclamations du ministre Kérenski, ou bien ils périront d’une mort sans gloire. Il n’est pas d’autre voie pour ces institutions qui ne peuvent ni rétrograder ni piétiner sur place, et ne sauraient exister qu’en allant de l’avant. C’est un type d’Etat qui n’a pas été inventé par les Russes, mais engendré par la révolution, car autrement celle ci ne saurait vaincre. Les frictions, la lutte des partis pour le pouvoir sont inévitables au sein du Soviet de Russie. Mais il s’agira là de l’élimination des erreurs possibles et des illusions par l’expérience politique des masses elles mêmes (rumeurs) et non par les rapports de ministres qui invoquent ce qu’ils ont dit hier, écriront demain et promettront après demain. Cela est ridicule, camarades, du point de vue de cette institution créée par la révolution russe et pour laquelle se pose aujourd’hui la question : être ou ne pas être ? Les Soviets ne peuvent continuer d’exister comme ils existent actuellement. Des personnes adultes, ouvriers et paysans, doivent se réunir, adopter des résolutions et entendre des rapports qui ne peuvent faire l’objet d’aucune vérification avec pièces à l’appui ! Des institutions de ce genre marquent la transition vers une république qui créera, non en paroles, mais en fait, un pouvoir ferme, sans police ni armée permanente, un pouvoir qui ne peut encore exister en Europe occidentale, un pouvoir sans lequel la révolution russe ne saurait vaincre, c’est à dire triompher des grands propriétaires fonciers, triompher de l’impérialisme.
Sans ce pouvoir, il ne peut être pour nous question de vaincre ; et plus nous réfléchissons au programme que l’on nous recommande ici et aux faits devant lesquels nous sommes placés, plus apparaît criante la contradiction essentielle. On nous dit, comme l’ont fait le rapporteur et les autres orateurs, que le premier Gouvernement provisoire2 était mauvais ! Mais quand les bolcheviks, ces malencontreux bolcheviks, ont dit : « Pas de soutien, pas de confiance à ce gouvernement », on ne nous a pas ménagé les accusations d’« anarchisme » ! Maintenant, tout le monde dit que le gouvernement précédent était mauvais. Mais en quoi le gouvernement de coalition, avec ses ministres pseudo socialistes, diffère t il du précédent ? N’est-ce pas assez bavardé à propos de programmes et de projets, oui, n’est ce pas assez, n’est il pas temps de passer à des actes ? Un mois s’est écoulé depuis que, le 6 mai, a été formé le gouvernement de coalition. Voyez ce qui se passe, voyez la débâcle économique que connaissent la Russie et tous les pays entraînés dans la guerre impérialiste. Comment s’explique cette débâcle ? Par la rapacité des capitalistes. La voilà, la véritable anarchie ! Et ceci résulte d’aveux publiés non par notre journal, par un quelconque journal bolchevique Dieu nous en préserve ! mais par la très ministérielle Rabotchaïa Gazéta3 : les prix industriels des fournitures de charbon ont été re1evés par le gouvernement « révolutionnaire » !! Et le gouvernement de coalition n’a rien changé à cet égard. On nous demande : mais peut on instaurer le socialisme en Russie ; peut on, en thèse générale, procéder d’un coup à des réformes radicales ? Ce ne sont là, camarades, que des échappatoires. Marx et Engels ont toujours dit : « Notre doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action 4. » Le capitalisme à l’état pur se transformant en socialisme à l’état pur n’existe nulle part ni ne peut exister en temps de guerre ; ce qui existe, c’est quelque chose d’intermédiaire, quelque chose de nouveau, sans précédent, car des centaines de millions d’hommes sont en train de périr dans une guerre criminelle entre capitalistes. Il ne s’agit pas de promettre des réformes, ce sont des paroles creuses ; il s’agit de prendre les initiatives qui s’imposent au moment présent.
Si vous voulez invoquer la démocratie « révolutionnaire », faites une distinction entre cette notion et celle de démocratie réformiste avec ministère capitaliste, car il est temps enfin de laisser là les phrases sur la « démocratie révolutionnaire », et les congratulations réciproques à propos de cette « démocratie révolutionnaire », pour passer à la définition de classe, comme nous l’a enseigné le marxisme et, d’une façon plus générale, le socialisme scientifique. Ce qu’on nous propose, c’est le passage à une démocratie réformiste avec ministère capitaliste. C’est peut être très bien du point de vue des modèles habituels d’Europe occidentale. Mais, en ce moment, toute une série de pays sont près de leur perte, et les mesures pratiques, si compliquées, dit on, qu’elles seraient d’une application malaisée et nécessiteraient une mise au point spéciale, ainsi que le. disait l’orateur précédent, le citoyen ministre des Postes et Télégraphes, ces mesures sont parfaitement claires. Il a dit qu’il n’est point en Russie de parti politique qui se déclare prêt à assumer la plénitude du pouvoir. Je réponds « Si, ce parti existe ! Aucun parti ne peut s’y refuser, et notre Parti ne s’y refuse pas il est prêt, à tout instant, à assumer la plénitude du pouvoir » (applaudissements, rires). Vous pouvez rire autant qu’il vous plaira, mais si le citoyen ministre nous pose cette question en même temps qu’à un parti de droite, il recevra la réponse qui s’impose. Aucun parti ne peut s’y refuser. Tant que la liberté subsiste, tant que les menaces d’arrestation et de déportation en Sibérie menaces proférées par les contre révolutionnaires avec lesquels nos ministres pseudo socialistes font équipe ne sont que des menaces, chaque parti dit : faites-nous confiance et nous vous exposerons notre programme.
Notre conférence du 29 avril a exposé ce programme5. Malheureusement, on n’en tient pas compte et on ne s’en inspire point. Il est sans doute nécessaire de l’expliquer d’une façon populaire. Je vais m’efforcer de faire, à l’intention du citoyen ministre des Postes et Télégraphes, un exposé populaire de notre résolution, de notre programme. En ce qui concerne la crise économique, notre programme exige tout de suite il n’est besoin ici d’aucun délai la publication de tous les bénéfices exorbitants, atteignant jusqu’à 500 et 800%, que les capitalistes empochent non pas en tant que capitalistes sur le marché libre, dans un capitalisme « à l’état pur », mais grâce aux fournitures de guerre. Voilà où le contrôle ouvrier est réellement indispensable et possible. Voilà une mesure que vous devez prendre au nom du Soviet, puisque vous vous dites démocratie « révolutionnaire », et qui peut être appliquée du jour au lendemain. Ce n’est pas là du socialisme. C’est ouvrir les yeux du peuple sur cette anarchie véritable et sur ce véritable jeu avec l’impérialisme, jeu où sont engagés le patrimoine du peuple et les centaines de milliers de vies qui périront demain parce que nous continuons à étrangler la Grèce. Rendez publics les profits de messieurs les capitalistes, faites arrêter 50 ou 100 des plus gros millionnaires. Il suffirait de les garder quelques semaines, fût ce dans des conditions aussi privilégiées que celles qui sont faites à Nicolas Romanov, simplement pour les contraindre à révéler le dessous des cartes, les combinaisons frauduleuses, les malpropretés, la course au profit qui, sous le nouveau gouvernement aussi, coûtent tous les jours des milliers et des millions à notre pays. Voilà la principale cause de l’anarchie et de la débâcle économique, voilà pourquoi nous disons : chez nous tout est resté comme devant ; le ministère de coalition n’a rien changé, il n’a fait qu’ajouter un peu de déclamations et de pompeuses déclarations. Aussi sincères que soient les hommes, quelle que soit la sincérité avec laquelle ils désirent le bien des travailleurs, la situation n’a pas changé ; 1a même c1asse est restée au pouvoir. La politique qui se fait actuellement n’est pas une politique démocratique.
On nous parle de la « démocratisation du pouvoir central et du pouvoir local ». Mais ne savez vous pas que ces mots ne sont neufs que pour la Russie ? Que, dans d’autres Etats, des dizaines de ministres pseudo socialistes ont fait au pays des promesses de ce genre ? Quelle importance ont elles quand nous sommes en présence de ce fait patent, concret : la population locale élit les autorités, mais l’a b c de la démocratie est violé par la prétention du pouvoir central à nommer ou à confirmer les autorités locales. La dilapidation du patrimoine national par les capitalistes continue. La guerre impérialiste se poursuit. Et l’on nous promet des réformes, encore des réformes, toujours des réformes qui ne peuvent d’aucune façon être réalisées dans ces conditions, car la guerre étouffe tout et prime tout. Pourquoi n’êtes vous pas d’accord avec ceux qui disent que la guerre ne se fait pas pour les profits des capitalistes ? Où est le critère ? C’est, d’abord et surtout, de savoir quelle classe est au pouvoir, quelle classe reste maîtresse de la situation, quelle classe continue à gagner des centaines de milliards par des opérations bancaires et financières ? C’est toujours cette même classe capitaliste ; la guerre qui se poursuit reste donc impérialiste. Le premier Gouvernement provisoire, de même que le gouvernement auquel participent des ministres pseudo socialistes, n’y ont rien changé : les traités secrets restent secrets, et la Russie fait la guerre pour les Détroits, pour continuer la politique de Liakhov6 en Perse, etc.
Je sais que vous ne voulez pas cela, que la majorité d’entre vous ne le veut pas, non plus que les ministres : on ne saurait vouloir cela, car cela signifie le massacre de centaines de millions d’hommes. Mais prenez l’offensive dont parlent tant aujourd’hui les Milioukov et les Maklakov. Ils comprennent parfaitement de quoi il retourne ; ils savent que ce problème est lié à celui du pouvoir, de la révolution. On nous dit qu’il faut distinguer entre les problèmes politiques et les problèmes stratégiques. Il est même ridicule de poser une question de ce genre. Les cadets7 comprennent fort bien qu’il s’agit d’un problème politique.
Que la lutte révolutionnaire pour la paix, commencée par en bas, puisse mener à une paix séparée, c’est une calomnie. La première mesure que nous prendrions, si nous étions au pouvoir, serait de faire arrêter les plus gros capitalistes, de rompre toute la trame de leurs intrigues. Faute de quoi toutes les phrases sur la paix sans annexions ni contributions ne sont que paroles en l’air. Notre deuxième mesure serait de déclarer aux peuples, par dessus la tête de leurs gouvernements, que nous tenons tous les capitalistes pour des brigands, aussi bien Térechtchenko qui ne vaut pas mieux que Milioukov, lequel est tout simplement un peu plus bête que les capitalistes français, anglais et tous les autres.
Vos Izvestia8 eux mêmes se sont empêtrés ; au lieu d’une paix sans annexions ni contributions, ils proposent le maintien du statu quo. Non, ce n’est pas ainsi que nous comprenons la paix « sans annexions ». Et, en l’occurrence, le congrès paysan9 lui même est plus près de la vérité quand il parle d’une république « fédérative » ; il exprime ainsi l’idée que la république russe ne veut opprimer aucun peuple, ni d’une manière nouvelle ni à l’ancienne manière, qu’elle ne veut fonder ses rapports sur la violence avec aucun peuple, ni avec la Finlande ni avec l’Ukraine auxquelles le ministre de la Guerre cherche si souvent chicane et contre lesquelles on suscite des conflits inadmissibles et intolérables. Nous voulons une république de Russie une et indivisible, et un pouvoir ferme ; mais un pouvoir ferme ne s’obtient que par l’accord volontaire des peuples. « Démocratie révolutionnaire » : de grands mots, mais on les applique à un gouvernement qui envenime par de mesquines chicanes la question de l’Ukraine et de la Finlande, alors que ces pays ne prétendent même pas se séparer de la Russie et disent simplement : n’attendez pas l’Assemblée constituante pour appliquer l’a b c de la démocratie !
Il vous sera impossible de conclure une paix sans annexions ni contributions tant que vous n’aurez pas renoncé à vos propres annexions. Car enfin, c’est ridicule, c’est une comédie, cela fait rire chaque ouvrier d’Europe : en paroles, dit il, ils sont bien éloquents, ils invitent les peuples à renverser les banquiers ; mais ils envoient leurs propres banquiers siéger au ministère. Arrêtez les, faites toute la lumière sur leurs machinations, débrouillez les fils de leurs intrigues, mais vous ne le faites pas, bien que vous disposiez d’organisations puissantes auxquelles il est impossible de s’opposer. Vous avez connu 1905 et 1917, vous savez que la révolution ne se fait pas sur commande, que dans les autres pays les révolutions se sont faites au prix de dures et sanglantes insurrections, alors qu’il n’existe pas en. Russie de groupe ni de classe capable de s’opposer au pouvoir des Soviets. En Russie, cette révolution est possible, à titre d’exception, sous une forme pacifique. Que cette révolution propose, aujourd’hui ou demain, la paix à tous les peuples en rompant avec toutes les classes capitalistes, et nous aurons dans le plus bref délai l’assentiment de la France et de l’Allemagne en la personne de leurs peuples, parce que ces pays n’en peuvent plus, parce que la situation de l’Allemagne est désespérée, qu’il n’est plus de salut pour elle, et parce que la France…
(le président : « Votre temps de parole est écoulé. »)
J’en ai encore pour une demi minute…
(Rumeur. Cris : « Continuez ! » Protestations. Applaudissements.)
(le président : « Le bureau propose au congrès de prolonger le temps de parole de l’orateur. Qui est contre ? La majorité est pour. »)
Je disais que si, en Russie, la démocratie révolutionnaire était une démocratie non en paroles, mais en fait, elle s’attacherait à faire avancer la révolution et non à s’entendre avec les capitalistes ; non à discourir sur la paix sans annexions ni contributions , mais à liquider les annexions en Russie et déclarerait ouvertement qu’elle considère toute annexion comme un crime et un brigandage. Il serait alors possible d’éviter l’offensive impérialiste qui menace d’entraîner la perte de milliers et de millions d’hommes pour le partage de la Perse et des Balkans. Alors s’ouvrirait le chemin de la paix, chemin qui n’est pas facile nous ne le prétendons pas et qui n’exclut pas une guerre vraiment révolutionnaire.
Nous ne posons pas cette question comme la pose aujourd’hui Bazarov dans Novaïa Jizn10 ; nous disons seulement que la Russie est placée dans des conditions telles que sa tâche, à la fin de la guerre impérialiste, est moins difficile qu’il ne semble. Et elle est placée dans des conditions géographiques telles que les puissances qui, s’appuyant sur le capital et sur ses intérêts rapaces, se hasarderaient à partir en guerre contre la classe ouvrière russe et le semi prolétariat, c’est à dire la paysannerie pauvre, qui se range à ses côtés, assumeraient, si elles s’y décidaient, une tâche ardue. L’Allemagne est au bord de l’abîme et, depuis l’entrée en guerre de l’Amérique qui veut dévorer le Mexique et qui, demain, sans doute, engagera la lutte contre le Japon, la situation de l’Allemagne est désespérée : elle sera anéantie. La France, qui par sa situation géographique a le plus à souffrir et dont l’épuisement est a son comble, est moins affamée que l’Allemagne mais a perdu infiniment plus de matériel humain que cette dernière. Si donc 1’on avait commencé par mettre un frein aux profits des capitalistes russes en leur ôtant toute possibilité de s’approprier des centaines de millions de bénéfices ; si vous aviez proposé à tous les peuples la paix contre les capitalistes de tous les pays en déclarant expressément que vous n’aurez ni conversation ni relation avec les capitalistes allemands et avec ceux qui, directement ou non, ont pour eux des complaisances ou se commettent avec eux, et que vous refusez toute discussion avec les capitalistes français et anglais vous auriez mis les capitalistes en accusation devant les ouvriers. Vous ne considéreriez pas comme une victoire la délivrance d’un passeport à MacDonald11, lequel n’a jamais soutenu aucune lutte révolutionnaire contre le capital et qu’on laisse venir parce qu’il n’exprime ni les idées, ni les principes, ni la pratique, ni l’expérience de la lutte révolutionnaire contre les capitalistes anglais qui a valu à notre camarade MacLean et à des centaines d’autres socialistes anglais d’être emprisonnés, tout comme notre camarade Liebknecht, condamné au bagne pour a voir dit : « Soldats allemands, tirez sur votre kaiser. »
Ne serait il pas plus juste d’envoyer les capitalistes impérialistes au bagne qu’à la troisième Douma spécialement ressuscitée à cet effet je ne sais plus très bien du reste s’il s’agit de la troisième ou de la quatrième que la majorité des membres du Gouvernement provisoire nous préparent et nous promettent chaque jour, et au sujet duquel on rédige déjà de nouveaux projets de loi au ministère de la Justice ? MacLean et Liebknecht sont les noms de socialistes qui appliquent l’idée de la lutte révolutionnaire contre l’impérialisme. Voilà ce qu’on doit dire à tous les gouvernements si l’on veut se battre pour la paix ; il faut les mettre en accusation devant les peuples. Vous placerez ainsi dans une situation embarrassante tous les gouvernements impérialistes. Mais, pour le moment, c’est vous qui vous êtes placés dans une situation embarrassante parce que, dans votre appel pour la paix du 14 mars12, vous dites aux peuples : « Renversez vos tsars, vos rois et vos banquiers », alors que nous, qui disposons d’une organisation sans précédent, forte par le nombre, par l’expérience et par ses possibilités matérielles : le Soviet des députés ouvriers et soldats, nous faisons bloc avec nos banquiers, nous constituons un gouvernement de coalition pseudo socialiste, et nous rédigeons des projets de réforme comme on en a rédigé en Europe pendant des dizaines et des dizaines d’années. Là bas, en Europe, on se moque de cette façon de lutter pour la paix. Là bas, on ne nous comprendra que le jour où les Soviets prendront le pouvoir et agiront en révolutionnaires.
Un seul pays au monde peut tout de suite prendre des mesures sur le terrain de la lutte des classes pour faire cesser la guerre impérialiste, contre les capitalistes, sans révolution sanglante. Un seul pays, et ce pays est la Russie. Il en sera ainsi tant qu’existera le Soviet des députés ouvriers et soldats. Il ne pourra subsister longtemps à côté d’un Gouvernement provisoire du type ordinaire. Et il ne restera ce qu il était que jusqu’au moment où l’on sera passé à l’offensive. Le passage à l’offensive marque un tournant dans toute la politique de la révolution russe, c’est-à-dire le passage de l’attente, de la préparation de la paix par une insurrection révolutionnaire venant d’en bas, à la reprise de la guerre. La voie qui s’offrait était le passage de la fraternisation sur un front à la fraternisation sur tous les fronts ; de la fraternisation spontanée se traduisant par l’échange avec un prolétaire allemand affamé d’une croûte de pain contre un canif ce qui rend passible du bagne, à la fraternisation consciente.
Quand nous aurons pris le pouvoir, nous materons les capitalistes, et alors la guerre ne sera plus celle qui se fait aujourd’hui, car le caractère d’une guerre est déterminé par la classe qui la mène et non par ce qui est écrit sur le papier. On peut écrire sur le papier tout ce que l’on voudra. Mais aussi longtemps que la classe des capitalistes est représentée au gouvernement par la majorité, la guerre reste impérialiste, quoi que vous écriviez, en dépit de votre éloquente et de la présence de ministres pseudo socialistes. Tout le monde le sait, tout le monde le voit. L’exemple de l’Albanie, l’exemple de la Grèce, de la Perse l’ont montré avec tant de clarté et d’évidence que je m’étonne de voir tout le monde attaquer notre déclaration écrite sur l’offensive13, alors que personne ne dit mot des exemples concrets ! Il est facile de promettre des projets ; mais on ajourne sans cesse les mesures concrètes. Il est facile de rédiger une déclaration sur la paix sans annexions ; mais l’exemple de l’Albanie, de la Grèce et de la Perse est survenu après la formation du cabinet de coalition. N’est ce pas à ce propos que le Diélo Naroda14, qui n’est pas l’organe de notre parti, mais celui du gouvernement, celui des ministres, a écrit que c’est une avanie que l’on fait subir à la démocratie russe, que l’on étrangle la Grèce ? Et ce même Milioukov, dont vous faites Dieu sait qui alors qu’il n’est dans son parti qu’un membre comme un autre, aucune différence entre lui et Térechtchenko , a écrit que la diplomatie alliée a fait pression sur la Grèce. La guerre demeure impérialiste et, quelle que soit votre volonté de paix, si sincère que soit votre sympathie pour les travailleurs, si sincère que soit votre désir de paix je suis entièrement convaincu qu’il ne peut pas ne pas être sincère dans la masse , vous êtes impuissants parce qu’on ne peut mettre fin à la guerre qu’en continuant à développer la révolution. Avec la révolution en Russie a commencé par en bas la lutte révolutionnaire pour la paix. Si vous aviez pris le pouvoir en main, si le pouvoir était passé aux organisations révolutionnaires pour lutter contre les capitalistes russes, les travailleurs des autres pays auraient eu confiance en vous, vous auriez pu proposer la paix. Dès lors notre paix eût été assurée, du moins de deux côtés, du côté de deux peuples dont le sang coule à flots et dont la cause est désespérée : du côté de l’Allemagne et de la France. Et si les circonstances nous avaient alors placés en face d’une guerre révolutionnaire cela, personne n’en sait rien, et nous n’excluons pas cette éventualité , nous aurions dit : « Nous ne sommes pas des pacifistes, nous ne renonçons pas à la guerre, si la classe révolutionnaire est au pouvoir, si elle a réellement enlevé aux capitalistes toute possibilité d’influer sur la direction des affaires, d’aggraver la débâcle économique qui leur permet de gagner des centaines de millions. » Le pouvoir révolutionnaire aurait expliqué et déclaré à tous les peuples sans exception, qu’ils doivent être libres ; que le peuple allemand n’a pas à faire la guerre pour garder l’Alsace et la Lorraine, ni le peuple français pour conserver ses colonies. Car, si la France se bat pour ses colonies, la Russie, elle, possède Khiva et Boukhara, qui sont aussi des sortes de colonies. Ce sera alors le partage des colonies. Mais comment les partager, suivant quelle norme ? Suivant la force. Or, le rapport des forces s’est modifié, la situation des capitalistes est telle qu’il n’est d’autre issue que la guerre. Quand vous aurez pris le pouvoir révolutionnaire, un chemin révolutionnaire vers la paix s’ouvrira devant vous : vous lancerez aux peuples un appel révolutionnaire ; vous leur fournirez l’exemple de la tactique à suivre. Dès lors, le chemin conduisant à la conquête révolutionnaire de la paix s’offrira à vous et vous permettra très probablement de sauver de la mort des centaines de milliers d’hommes. Vous pouvez être certains que les peuples allemand et français se prononceront alors en votre faveur. Quant aux capitalistes anglais, américains et japonais, si même ils voulaient faire la guerre à la classe ouvrière révolutionnaire – dont les forces décupleront quand les capitalistes auront été matés et écartés, et que le contrôle sera passé à la classe ouvrière , si même les capitalistes américains, anglais et japonais voulaient la guerre, il y a 99 chances sur 100 qu’ils ne pourraient la faire. Il vous suffira de déclarer que vous n’êtes pas des pacifistes, que vous défendrez votre république ouvrière, prolétarienne, votre démocratie contre les capitalistes allemands, français et autres, pour que la paix soit assurée.
C’est pourquoi nous avons attaché une telle importance à notre déclaration sur l’offensive. Nous sommes à un tournant de la révolution russe. Celle ci a commencé par recevoir l’aide de la bourgeoisie impérialiste anglaise, qui considérait la Russie un peu comme la Chine ou l’Inde. Au lieu de cela, à côté du gouvernement où les grands prolétaires fonciers et les capitalistes sont aujourd’hui la majorité, ont surgi les Soviets, organismes représentatifs, comme le monde n’en avait encore jamais connu et d’une force sans précédent, que vous tuez par votre participation au ministère de coalition de la bourgeoisie. Au lieu de cela, la révolution russe a fait que la lutte révolutionnaire soutenue d’en bas contre le gouvernement capitaliste est accueillie partout, dans tous les pays, avec trois fois plus de sympathie. La question se pose ainsi : avancer ou reculer ? On ne peut pas piétiner sur place en période de révolution. Aussi l’offensive marque t elle un tournant de la révolution russe, sous le rapport non pas stratégique, mais politique et économique. Aujourd’hui, l’offensive signifie objectivement, indépendamment de la volonté ou de la conscience de tel ou tel ministre la continuation de la boucherie impérialiste et du massacre de centaines de milliers, de millions d’hommes, pour étrangler la Perse et d ‘autres peuples faibles. Le passage du pouvoir au prolétariat révolutionnaire bénéficiant de l’appui de la paysannerie pauvre, c’est le passage à la lutte révolutionnaire pour la paix sous les formes les plus sûres, les plus indolores que connaisse l’humanité ; le passage à un état de choses où le pouvoir et la victoire seront assurés aux ouvriers révolutionnaires de Russie et du monde entier.
(Applaudissements d’une partie de l’assemblée.)
« Pravda» n° 82 et 83, 28 (15) et 29 (16) juin 1917 et n° 95, 96 et 97, 13 juillet (30 juin), 14 (1) et 15(2) juillet 1917.
Après la victoire de la Révolution d’Octobre, les cadets furent des ennemis irréconciliables du pouvoir soviétique, prenant part à toutes les interventions contre révolutionnaires et campagnes des interventionnistes. Ils ne cessèrent pas leur activité contre révolutionnaire dans l’émigration, après la défaite des interventionnistes et des gardes blancs. [N.E.]
Après la formation, au Ier Congrès des Soviets de Russie, du Comité Exécutif Central des Soviets des députés ouvriers et soldats, le journal devint l’organe du Comité à partir du Ier (14) août 1917 (n° 132) parut sous le titre d’Izvestia du Comité Exécutif Central et du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd. A partir du 29 septembre (12 octobre) (n° 184) il prend le titre d’Izvestia du Comité Exécutif Central du Soviet des députés ouvriers et soldats. Durant toute cette période le journal se trouva aux mains des mencheviks et des socialistes révolutionnaires et mena une lutte acharnée contre le parti bolchevique.
Après le IIe Congrès des Soviets de Russie la composition du comité de rédaction des Izvestia fut profondément modifiée, le journal devint l’organe officiel du pouvoir soviétique ; il publia les premiers documents importants du gouvernement des articles et des discours de Lénine. En mars 1918, le journal fut transféré à Moscou. En décembre 1922, après la formation de l’U.R.S.S., le journal devint l’organe du Comité Exécutif Central de l’U.R.S.S. et du Comité Exécutif Central de Russie. A la suite d’une décision du Présidium du Soviet suprême de l’U.R.S.S. en date du 24 janvier 1938, le journal fut réorganisé, et du 26 janvier 1938 à 1991 il parût sous le titre d’Izvestia des Soviets des députés des travailleurs. [N.E.]
Le journal parut à Petrograd à partir d’avril 1917 ; après la Révolution d’Octobre, il adopta une attitude hostile au pouvoir soviétique et fut interdit en juillet 1918. [N.E.]
Les chefs socialistes révolutionnaires et mencheviques avaient été contraints de l’adopter sous la pression des masses révolutionnaires qui réclamaient la fin de la guerre. Le message appelait les travailleurs des pays belligérants à manifester en faveur de la paix. Toutefois il ne dénonçait pas le caractère annexionniste de la guerre, ne formulait aucune mesure pratique de lutte pour la paix et approuvait, au fond, la continuation de la guerre impérialiste par le Gouvernement provisoire bourgeois. [N.E.]
Sous la pression de l’Angleterre et de la France un coup d’Etat eut lieu en Grèce. Etablissant le blocus économique, qui causa dans ce pays une famine effroyable, occupant un important territoire, les alliés forcèrent le roi Constantin à abdiquer, et appelèrent au pouvoir Vénizolos, personnage dévoué à leur cause. La Grèce fut ainsi amenée à prendre part au conflit aux côtés de l’Entente, contre la volonté de l’immense majorité de la population.
Pendant les hostilités la Perse (Iran) fut occupée au sud par les Anglais et au nord par les Russes, perdant définitivement toute indépendance (début 1917).
Toutes ces grossières interventions impérialistes reçurent la caution diplomatique du Gouvernement provisoire. [N.E.]