[17 juin 1924]
Aujourd’hui au Grand Théâtre a eu lieu l’inauguration solennelle du 5ème Congrès de l’Internationale Communiste. L’immense salle de spectacle qui contient 5000 personnes, est drapée de rouge. Le long des amphithéâtres, en lettres blanches, se lisent les souhaits de bienvenue du prolétariat de Moscou. Sur la scène, un grand portrait de Lénine.
Bien avant l’ouverture de la séance, la salle est pleine. De nombreuses délégations d’ouvriers, de soldats, de matelots, de jeunes communistes, de pionniers, sont venues saluer dans la capitale de l’Etat prolétarien le 5ème Congrès mondial.
L’enthousiasme est indescriptible lorsque Zinoviev, Rykov, Clara Zetkin apparaissent sur la tribune.
Rien ne montre mieux aux représentants du prolétariat d’Occident l’union du parti communiste russe avec les ouvriers, que cet enthousiasme profond pour la Révolution mondiale.
Kolarov préside.
Kolarov : Camarades, c’est la 5ème fois que les représentants des ouvriers et paysans révolutionnaires de tous les pays se rassemblent dans la capitale de l’Union des Républiques soviétiques. Pendant les dix-huit mois qui nous séparent du dernier Congrès se sont produits des événements d’une importance formidable, bien des choses se sont modifiées dans la situation internationale ainsi que dans notre parti.
L’Internationale Communiste et tout le prolétariat ont eu à mener une dure lutte sur tous les fronts, Nous avons subi des défaites qui nous ont coûté bien des victimes et bien des pertes. Notre premier souvenir doit être consacré au grand chef de la Révolution mondiale, Lénine.
Les délègues se lèvent, l’orchestre joue une marche funèbre.
Nous devons aussi commémorer Dimitri Blagoev, un des fondateurs du parti social-démocrate de Russie et le fondateur du parti communiste bulgare.
Les délégués se lèvent, l’orchestre joue la marche funèbre.
Nous ne pouvons commencer nos travaux sans adresser un souvenir aussi aux milliers d’ouvriers et de paysans morts dans les combats révolutionnaires.
Camarades, nous n’avons pas qu’à pleurer des victimes : nous avons aussi à célébrer les succès que l’Internationale Communiste et ses sections ont obtenus pondant ce court espace de temps. Nos partis se sont renforcés et notre parti mondial, l’Internationale Communiste, voit venir avec assurance les événements, consciente de la victoire finale. Je déclare donc le 5ème Congrès de l’Internationale Communiste ouvert. (Ovation. Les assistants chantent l’Internationale). A ce moment Trotski parait sur la scène. Il est applaudi par tous les assistants. On entend les cris : Vive l’Armée Rouge ! Hourrah !
Milioutine, au nom de toutes les délégations ; propose le bureau suivant : Zinoviev, président ; Clara Zetkin, Staline, Boukharine, Trotski (Russie) ; Braun, Gebhardt (Allemagne) ; Treint, Sellier, (France) ; Bordiga (Italie) ; Smeral, Mouna (Tchécoslovaquie) ; Kolarov (Balkans) ; Kraiewsk (Pologne) ; Katayama (Japon) (on crie : Vive les peuples d’Orient) Roy (Indes) ; Stewart (Angleterre) ; Duane (Amérique).
Pour le Secrétariat on propose : Piatnitski, Mac Manus, Neurath, Doriot, Stirner. (Applaudissements).
Le Bureau et le Secrétariat sont élus à l’unanimité.
Zinoviev prend la parole, aux applaudissements des auditeurs, pour le discours d’inauguration.
Zinoviev : Devant le 5ème Congrès doit se poser la question du programme de l’I.C. C’est une dure tâche que de créer un programme satisfaisant tous les besoins du mouvement et correspondant à notre théorie. Il y a deux noms qui sont l’expression parfaite de ce programme : Marx et Lénine. C’est sous l’égide de Marx que l’Internationale Communiste a été créée, c’est sous la conduits de Lénine qu’elle a lutté et grandi.
Camarades, je suis convaincu que le 5ème Congrès tiendra pour un grand honneur et pour son devoir de marcher sur la voie que Vladimir Ilitch a tracée au prolétariat mondial et à la Révolution internationale.
Lorsque Marx mourut, Engels écrivit que le prolétariat perdait le centre où venaient chercher conseil dans les moments critiques les ouvriers français, russes, américains et allemands.
Lénine, en mourant, a laissé au prolétariat un centre semblable, où les ouvriers de tous pays viennent chercher appui ; c’est l’Internationale Communiste. Le 5ème Congrès montrera au monde entier que le guide génial du socialisme international n’a pas travaillé en vain parmi nous.
Avant tout, nous devons célébrer la mémoire de nos victimes. Nous envoyons nos salutations les plus sincères aux participants de l’insurrection de Cracovie, aux ouvriers et aux paysans polonais dont la garde-blanche tire vengeance maintenant, aux ouvriers et aux paysans bulgares qui gémissent dans les cachots et l’exil. Nous saluons les milliers d’ouvriers allemands qui ont été jetés dans les geôles avec l’aide de la social-démocratie blanche, les révolutionnaires hindous qui ont été récemment condamnés à de longues années de prison, le parti communiste égyptien qui vient de subir une défaite après avoir tenté d’occuper les fabriques. Nous pensons à toutes les victimes du mouvement des jeunes.
Récemment, a été exécuté en Pologne le jeune camarade Engel ; d’autres jeunes ouvriers de Pologne ont accumulé en quelques semaines environ 500 années de prison. Nous pensons à l’héroïque action des jeunes ouvriers français et allemands dans la Ruhr. L’Internationale Communiste fera tout pour soutenir le mouvement international des jeunes, car il n’est pas un seul mouvement révolutionnaire aussi riche en promesses.
Les événements ne se sont pas déroulés avec la rapidité que nous escomptions. Mais nous n’avons pas lieu de désespérer lorsque nous regardons en arrière pour voir le chemin parcouru. En ces 5 ans, nous avons vu une demi-douzaine de rois détrônés, nous avons conquis la 6ème partie du globe. Pendant ce même temps, la 2ème Internationale est pour la 2ème fois revenue au pouvoir, mais ce n’est que pour défendre la bourgeoisie.
Nombreux sont ceux de nos partis qui ont subi le baptême du feu, et ont dû entrer dans une période d’illégalité Ils n’en sont devenus que plus forts.
Nous inaugurons notre Congrès peu de temps avant le dixième anniversaire de la guerre. A la fin de juillet et au commencement d’août, nous comptons organiser une grande Semaine internationale contre la guerre. Elle ne sera pas seulement dirigée contre la bourgeoisie, mais aussi contre la social-démocratie, dont la responsabilité dans la guerre n’est pas moins lourde. S’il est des moments nous voulons avec une acuité particulière, montrer que la social-démocratie est notre ennemie mortelle, c’est justement au moment de ce 10ème anniversaire de la guerre. La 2ème Internationale s’occupe maintenant du rapport des experts ; Crispien vient de s’immortaliser par cette sentence que le rapport des experts, c’est la capitulation de la bourgeoisie devant le marxisme. Ce bon bourgeois content de lui a sans doute confondu Karl Marx avec l’actuel président du Conseil.
La question de la guerre mondiale ne pourra cesser d’être actuelle tant que ces charlatans conserveront quelque influence sur les masses. Nous n’oublierons jamais comment ces messieurs se sont conduits au début de la guerre ; nous ne leur pardonnerons jamais les 13 millions de morts, les 10 millions de mutilés les 20 millions de blessés de la guerre mondiale.
Notre Congrès aura à résoudre de très importantes questions. Les événements d’Allemagne et leur appréciation doivent avoir la plus grande portée sur le sort de l’Internationale. Le « Gouvernement ouvrier » d’Angleterre, notre attitude à son égard, le « bloc des gauches » en France et le rôle du P. C. F., l’expérience bulgare, la politique italienne, notre discussion en Russie, qui a ému un grand nombre de partis et dont nous ferons maintenant le bilan, la tactique du front unique toutes ces questions -attendent une solution de notre congrès.
Sous l’influence d’insuccès on a tenté de réviser notre tactique du front unique. Naturellement, cette tactique n’a pas la prétention de constituer une doctrine. Elle n’est qu’une partie du marxisme appliqué à une époque déterminée. Nous n’en estimons pas moins qu’elle est une des plus puissantes armes de l’Internationale Communiste.
Nous aurons à débattre de très importantes questions du mouvement syndical international. Nous aurons à discuter nos tâches en Allemagne, en Angleterre en France, en Pologne, en Scandinavie, dans les Balkans. Nous aurons à juger les résultats de la nouvelle politique économique. De grands problèmes se dressent devant nous. Nous souhaitons tous du fond du cœur de les résoudre dans l’enseignement de Marx et de Lénine.
Je suis convaincu que notre Congrès sera un jalon sur la route de la révolution mondiale. Nous tous, qui aspirons à un développement rapide des événements, nous perdons parfois patience. C’est justement pour cela que se réunissant ici les représentants de 52 partis communistes, de 52 partis ouvriers ; c’est pour cela que sont réunis ici les meilleurs combattants du mouvement ouvrier, pour débattre les problèmes qui se posent et s’en retourner ensuite travailler dans l’esprit de notre plus grand maître (applaudissements prolongés).
La parole est donnée à Rykov, pour le Comité Central du P.C.R.
Il constate que las sections do l’Internationale Communiste sont devenues de véritables partis de masse. Cette période a vu par contre les partis de la IIe Internationale soutenir de plus en plus ouvertement la bourgeoisie.
Depuis le IVe congrès, l’Union soviétiste est née. La mort de Lénine a ému profondément toute l’Internationale. Elle a raffermi l’union au sein du P.C.R. et rallié les sans-partis autour de ce parti. La discussion a pris fin par le vote unanime des 755 délégués du XIIIème congrès du P.C.R. Les recrues de Lénine prouvent que l’Internationale Communiste possède dans le P.C.R. l’avant-garde la plus fidèle. L’accumulation de l’énergie révolutionnaire se poursuit assez rapidement. Les ouvriers et paysans russes tiendront bon jusqu’à la révolution mondiale.
Lozovski salue le Congrès au nom de l’Internationale Syndicale Rouge et des Syndicats de l’Union soviétiste. Il mentionne le cas Thomas. Comme le correspondant de l’organe syndical russe lui demandait son avis sur la question coloniale, il répondit qu’il n’avait pas d’opinion là-dessus ! Autre trait : au dernier congrès allemand, Hilferding a déclaré qu’il ne faut pas se laisser entraîner par le romantisme révolutionnaire de l’Orient, mais rester sur le terrain ferme de l’Occident. Cependant il n’y a pas de sauvetage de l’humanité ouvrière sans les peuples orientaux exploités, sans la révolution mondiale. Aux applaudissements frénétiques de toute la salle, l’orateur termine : Vive la révolution universelle !
Les ouvriers qui ont participé à la conférence syndicale de l’arrondissement de Sokolniki saluent le congrès et promettent que le prolétariat de Moscou accordera à la révolution mondiale son secours inébranlable.
Là-dessus se produit une scène sensationnelle et qui émut profondément les délégués. Devant la table du Présidium défile une délégation de jeunes pionniers en foulards rouges au son du tambour.
L’orateur de la délégation, un garçon d’environ 13 ans nommé Semenkovski, salue le congrès et invite les délégués à lever leurs enfants dans l’esprit révolutionnaire.
Cet appel est suivi des salutations de toute une série de délégations des usines de Moscou : la grande entreprise Trokhgornaia, la fabrique Ikarius, l’imprimerie No 5, l’imprimerie du Commissariat des Voies de Communication, des paysans de l’arrondissement de Mojaisk, l’usine Dux, l’usine « Clara Zetkin » ; la fabrique textile « Komintern » donne lecture d’une résolution qui nomme Zinoviev tailleur d’honneur et lui remet un costume de travail. Les ouvriers de l’usine « Le Prolétaire Rouge » apportent au congrès un marteau de fer, symbole de la lutte contre la bourgeoisie.
Ensuite c’est le tour d’un représentant de 400 étudiants de l’Université Communiste Sverdlov. Il déclare, aux applaudissements frénétiques, que les étudiants se mettent à la disposition de l’Internationale. Dans la dernière discussion, ils ont été fidèles aux directives du léninisme et ils leur resteront fidèles jusqu’au bout. Des discours de bienvenue sont encore prononcés au nom des ouvrières de l’arrondissement de Sokolniki, des cheminots de l’usine de Caoutchouc Boga, de la fabrique d’automobiles Arno, des ouvriers de l’arrondissement de Begorodsk, etc…
Gehhardt (Allemagne) répond au nom de tous les délégués aux discours de salutations.
Accueillis avec un amour sans borne, avec un fervent enthousiasme, nous sentons surgir en nous l’idée que nous sommes venus à Moscou, la capitale de la révolution mondiale, non pas pour vous débiter des phrases creuses, mais pour prendre des forces nouvelles pour nos luttes et pour nos travaux. Lénine ne vit plus. Si grande que soit la formidable brèche que sa mort a ouverte dans le front du prolétariat international, si grande que soit notre douleur, ne nous adonnons pas à la tristesse, car nous savons que le léninisme triomphera sur toute ligne. Songez à la détresse des prolétaires du monde capitaliste, aidez-les, pour que ce qui est devenu réalité en Russie soviétiste se réalise dans tous les pays. Faites en sorte que la terreur blanche cède devant la terreur rouge, que la dictature de la bourgeoisie soit remplacée par la dictature du prolétariat. Plutôt mourir dans les flammes de la révolution que de pourrir sous le souffle empesté du capitalisme !
Kolarov propose au nom du Présidium d’adresser un appel à l’armée rouge, à la flotte et à la flotte aérienne (applaudissements enthousiastes, acclamations ; Hourrah pour Trotski ! Une résolution de protestation contre la terreur blanche est adoptée. Les deux résolutions ont déjà été publiées dans le numéro 2 du Bulletin).
Treint apporte aux travailleurs de Moscou les salutations des communistes français. La lutte qu’ils ont menée a porté ses fruits : le ministère Poincaré est renversé. Une nouvelle tendance règne maintenant en France. La bourgeoisie de gauche, soutenue par les socialistes, proposera une nouvelle paix de Versailles, qui sera aussi dure que la première, mais beaucoup plus habile et plus hypocrite. L’orateur donne lecture d’une résolution contre la terreur blanche, dont le projet a été déjà publié par le Bulletin. La résolution est adoptée à l’unanimité.
Stewart (Grande-Bretagne) donne lecture d’une résolution contre l’oppression des peuples coloniaux, dont le texte a déjà été publié. Cette résolution est adoptée à l’unanimité. Le Congrès confirme la décision de l’Exécutif concernant les démonstrations à organiser par toutes les sections, du 27 juillet au 4 août, contre la guerre et contre les social-patriotes. Les démonstrations ne doivent en aucun cas être organisées en commun avec la social-démocratie.
Le Congrès adopte un appel aux recrues de Lénine. La séance est levée au chant de l’Internationale.