C’est ensuite l’école dite de Prague qui prolongea cette lecture de Ferdinand de Saussure, avec notamment Roman Jakobson et Nicolas Troubetskoï, par une série de travaux entre 1929 et 1939, dans le pays de l’est européen le plus développé sur le plan du capitalisme.

La Tchécoslovaquie était un important laboratoire intellectuel bourgeois ; la revue publiant les Travaux du cercle linguistique de Prague – le titre est en français, comme beaucoup d’articles – joua un important rôle de concepteur et de diffuseur de la conception qu’on peut déjà qualifier de « structuraliste».

On trouve également, comme « manifeste », publié dans les Actes du premier congrès international de linguistes à La Haye, s’étant tenu du 10 au 15 avril 1928, le point suivant :

QUELLES SONT LES MÉTHODES LES MIEUX APPROPRIÉES À UN EXPOSÉ COMPLET ET PRATIQUE DE LA PHONOLOGIE D’UNE LANGUE QUELCONQUE ?

Roman Jakobson, Prague

S. Karcevsky, professeur adjoint à l’université de Genève

Prince N. Troubetskoy, professeur à l’université de Vienne

Toute description scientifique de la phonologie d’une langue doit avant tout comprendre la caractéristique de son système phonologique, c.-à-d. la caractéristique du répertoire, propre à cette langue, des différences significatives entre les images acoustico-motrices.

Une spécification plus détaillée des types de ces différences est très désirable. Il est surtout utile d’envisager comme une classe à part de différences significatives les corrélations phonologiques.

Une corrélation phonologique est constituée par une série d’oppositions binaires définies par un principe commun qui peut être pensé indépendamment de chaque couple de termes opposés. La phonologie comparée doit formuler les lois générales qui régissent les rapports des corrélations dans les cadres d’un système phonologique donné.

L’antinomie de la phonologie synchronique et de la phonétique diachronique se trouverait être supprimée du moment que les changements phonétiques seraient considérés en fonction du système phonologique qui les subit.

Le problème du but dans lequel ces changements ont lieu doit être posé. La phonétique historique se transforme ainsi en une histoire de l’évolution d’un système phonologique.

D’autre part, le problème du finalisme des phénomènes phonétiques fait, que dans l’étude du côté extérieur de ces phénomènes, c’est l’analyse acoustique qui doit ressortir au premier plan.

Suit une longue « argumentation » explicitant cette conception, que par la suite l’anthropologue Claude Lévi-Strauss va reprendre, à la suite d’échanges approfondis avec Roman Jakobson à New York durant les années 1940.

Photographie présentant l’ouverture du congrès dans le quotidien néerlandais Leidsch Dagblad, 1928.

Photographie présentant l’ouverture du congrès dans le quotidien néerlandais Leidsch Dagblad, 1928.

On a alors le déclenchement de l’offensive structuraliste. Claude Lévi-Strauss, dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 25 janvier 1967, définit ainsi le structuralisme :

« Il prélève les faits sociaux dans l’expérience et les transporte au laboratoire.

Là, il s’efforce de les représenter sous forme de modèles, prenant toujours en considération, non les termes, mais les relations entre les termes.

Il traite ensuite chaque système de relations comme un cas particulier d’autres systèmes, réels ou simplement possibles, et cherche leur explication globale au niveau des règles de transformation permettant de passer d’un système à un autre système, tels que l’observation concrète, linguistique ou ethnologique, peut les saisir.

Il rapproche ainsi les sciences humaines des sciences physiques et naturelles, puisqu’il ne fait rien d’autre, en somme, que mettre en pratique la remarque prophétique de Niels Bohr, qui écrivait en 1939 : « Les différences traditionnelles entre les cultures humaines ressemblent à beaucoup d’égards aux manières différentes, mais équivalentes, selon lesquelles l’expérience physique peut être décrite ». »

Il faut bien voir ici que le structuralisme nie, ainsi, que l’universel est présent dans le particulier ; il tente de s’arracher au particulier pour établir une structure, qui est elle-même ni la totalité, ni l’universel. C’est une lecture du monde comme si celui-ci disposait de multiples facettes tel un diamant, chaque aspect ayant une signification réelle autonome en tant que structure.

A ce rejet du matérialisme dialectique s’ajoute celui du matérialisme historique (qui est compris dans le matérialisme historique), au sens il n’y a plus de processus, de contextualisation historique, seulement une prise de photographie à un moment donné.

Raisonner en termes de structure implique de se focaliser sur un instant T et de le couper de ce qu’il y a avant et après, au nom d’une prétendue objectivité, d’une neutralité à prétention scientifique.


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