Le paradoxe de l’argent tel qu’il existe dans le capitalisme, et pour le capitaliste, c’est qu’il n’est pas tant un moyen d’échange ni d’achat que but en soi.

Il est en effet l’objectif du capitaliste, dans la mesure où il représente de la valeur, valeur arrachée aux travailleurs au moyen du surtravail.

Pour les travailleurs, l’argent permet l’accès aux marchandises, pour vivre ; pour les capitalistes, l’argent est le but de l’accumulation, au moyen de la production de type capitaliste.

Dans le cycle de cette production, il y a achat de force de travail, vente de marchandises, le tout répété, inlassablement, par le capitaliste, en toute conscience apparemment. Comme le formule Marx :

« Les transformations du capital, de marchandise en argent et d’argent en marchandise, sont en même temps des transactions du capitaliste, des actes d’achat et de vente. »

Or, ce qu’il faut constater, c’est que l’argent disparaît pendant un temps, dans le cycle argent – production de marchandises – argent.

Pourquoi cela ? Parce que l’argent apporté par le capitaliste est dépensé dans les salaires et dans les matières premières, l’achat de machines, leur entretien, etc.

Toutefois, il ne disparaît qu’en apparence. En effet et déjà, il aboutit à d’autres capitalistes puisqu’il est utilisé pour acheter d’autres marchandises, et aux travailleurs dont la force de travail est par ailleurs achetée, avec les salaires.

Donc cet argent repart dans le capitalisme ; c’est d’importance pour la circulation du capital, comme nous le verrons.

Ensuite, parce que si l’argent a disparu, en fait il est toujours là d’une certaine manière, car il va revenir, une fois les marchandises produites et vendues.

L’argent est en fait plutôt donc « bloqué » pendant la production – il est bloqué parce qu’il est censé revenir par la suite, si les marchandises produites sont par la suite effectivement vendues.

Marx résume cela ainsi :

« Le capital circulant variable [c’est-à-dire les salaires] dépensé pendant la production ne peut servir à nouveau dans le procès de circulation qu’autant que le produit, où sa valeur est incorporée [c’est-à-dire la marchandise], est vendu, converti de capital-marchandise en capital-argent, afin d’être re-déboursé pour le paiement de la force de travail.

Mais il en va de même du capital circulant constant (matières de production), qui est déboursé dans la production, et dont la valeur réapparaît comme fraction de valeur du produit [qui est composé des matières premières transformées]. »

On peut alors poser la question : cet argent est-il dépensé, du point de vue du capitaliste, ou non ?

On voit bien que non dans sa manière de réagir. Par exemple lorsqu’un capitaliste ferme simplement une usine et ne verse plus de salaires, car ce qu’il a en tête, ce n’est pas l’argent « dépensé » (et ayant donc une réalité sociale) réellement, mais bien la plus-value possible.

A ses yeux, l’argent reste toujours à lui, car il obtient des marchandises de l’argent fourni, et ces marchandises représentent un argent à venir.

En fait, en pratique donc, pour le capitaliste, l’argent n’est pas dépensé, il est avancé, car il revient (dans la mesure où il revient si la vente des marchandises a réussi, mais voyons ici le cas idéal).

Marx dit ainsi :

« La valeur-capital est simplement avancée, non dépensée, puisque, après avoir parcouru les différentes phases de son cycle, elle y revient à son point de départ, et elle y revient enrichie de plus-value.

Ainsi, elle présente le caractère d’une avance faite.

Le temps qui s’écoule entre le départ et le retour est le temps pour lequel ce capital est avancé. »

Marx appelle le temps de ce cycle, entre le départ et le retour, une « rotation. » C’est d’importance pour la circulation du capital, mais cela ne nous concerne pas directement ici.

Ce qui compte, c’est que l’argent du capitaliste passe donc par des cycles (leur temps de réalisation étant secondaire ici), c’est-à-dire qu’il disparaît pour revenir, tout en étant toujours là.

C’est bien entendu quelque chose d’étrange. Et ce n’est pas tout ! Car il faut toujours relancer le processus : le mouvement du capital se veut « éternel ».

Cela veut dire que pour le capitaliste, le capital apporté est là sans être là tout en étant là sans être là, etc., et qu’il s’agrandit, et ce dans un processus ininterrompu.

Telle est l’importance de l’argent dans le cycle de reproduction. Non seulement, il semble s’ajouter à lui-même, mais en plus il part pour mieux revenir, c’est-à-dire que dans les situations idéales, c’est comme s’il ne partait pas.

Cet argent du capital semble grandir « par lui-même ».


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