Note du Centre MLM Le 19 novembre dernier, le site ami Agauche.org publiait un article intitulé : « Le ‘Robert’ et le soi-disant pronom ‘iel’ », que nous reproduisons in extenso parce que nous en partageons le positionnement, mais aussi car nous savons qu’en Belgique francophone, la décision d’inclure le néologisme dans la version en ligne du Robert ne manquera pas de susciter la polémique…
Et en effet, ce vendredi 19 novembre, le quotidien Le Soir a publié l’article « Le pronom ‘iel’ entre dans Le Robert avec fracas », qui explique en substance que ce terme, né dans les milieux militants de la communauté LGBTQI+, a été pensé pour remédier à l’absence dans la langue française d’un pronom pour les personnes non-binaire.
Afin d’étayer son propos, Le Soir donne la parole à une importante figure de la gauche post-moderne en Belgique, en la personne de la professeure de linguistique française à l’ULB, Laurence Rosier-Van Ooteghem, qui reprend le même argumentaire vaporeux que les rédacteurs du dictionnaire sur l’utilisation du « iel » qui aurait en soi une charge progressiste et féministe.
Elle explique : « La décision du dictionnaire français permet de légitimer des usages, mais que cela n’oblige personne à utiliser ces mots. Au contraire, cela permet aussi de se poser la question de la manière dont on parle des gens et aux gens, comme lorsqu’on demande préalablement d’utiliser le tu ou le vous».
Avec les rédacteurs du Robert, comme avec Laurence Rosier-Van Ooteghem, on a un excellent exemple, en apparence, d’ouverture d’esprit et d’acceptation démocratique. En réalité, on a le rouleau compresseur du post-modernisme dans tout ce qu’il a d’anti-démocratique et de cosmopolite.
Quand on veut avancer, on doit suivre le matérialisme dialectique et non pas le mouvementisme post-moderne et son subjectivisme. Et quoi qu’en pensent les tenants du « wokisme » dans notre pays, ce n’est pas le langage, un simple outil, qui décide de la réalité. La langue n’est pas une « structure » qui jouerait sur les gens et la société. Pour le matérialisme dialectique, c’est une infrastructure, pas une superstructure.
La bourgeoisie culturelle libertaire face à la Droite.
Une polémique enfle depuis quelques jours sur l’entrée dans le dictionnaire « le Robert » du pronom « iel ». Le site en ligne de l’entreprise qui édite ce dictionnaire a donc été poussé à clarifier son choix par un communiqué, intéressant sur le plan culturel.
Il faut saisir ici que le « Robert » est en soi devenu une référence quasi-académique dans l’apprentissage et l’étude de la langue française. Son fondateur, Alain Rey est une personnalité importante de la Gauche libertaire et intellectuelle, intéressée dans le cadre du développement de la pensée post-moderne à l’étude critique de la langue, de ses usages, avec cette idée que la pensée se formalisant dans des mots, la lutte politique devait par conséquent se focaliser sur les « discours » et les mots pour produire une pensée alternative à l’ordre dominant et à ses injustices.
C’est dans ce sens que le journal hebdomadaire « Le Nouvel Observateur », fondé en 1964 sur une ligne démocrate-libérale qui se voulait alternative à la rupture communiste, présente en 1967 la première édition du dictionnaire en disant : « enfin un dictionnaire de gauche ! ».
Le groupe emmené par Alain Rey dans cette entreprise se place historiquement dans la lignée du dictionnaire bourgeois typique du XIXe siècle : le Littré, qui a été conçu dans les années 1840 comme une tentative de fournir un outil d’étude de grande qualité de la langue, en observant ses évolutions, tout en l’inscrivant dans son histoire et ses héritages, en particulier par le recours à une analyse étymologique qui cherche à se systématiser.
Il y a donc ici un aspect intéressant et juste sur la forme : la nécessité des intellectuels de fournir des outils d’analyse et de compréhension reflétant le réel et sa créativité, en lui donnant une épaisseur, une dimension scientifique correcte.
Les rédacteurs du dictionnaire ont donc raison ici de présenter leur démarche comme rationnelle, soulignant que toute une équipe a scruté sur une période relativement longue les usages, en multipliant les sources etc, et que c’est au terme de cette démarche d’observation qu’il a été discuté et pris la décision collective d’inclure le néologisme dans la version en ligne du dictionnaire.
Mais sur le fond, ces rédacteurs se trompent lourdement.
On peut déjà noter qu’il y a un certain paradoxe à expliquer qu’il a été constaté un usage « croissant » de ce terme dans un « corpus de sources variées », mais qu’en même temps on reconnaisse que son usage est néanmoins faible au point de préciser la mention « rare » dans la définition retenue.
Encore moins convaincant, il est expliqué que cette intégration devait refléter moins un usage qu’aider au débat en clarifiant son sens. Mais cela n’a strictement aucun sens de présenter les choses ainsi. Soit le terme est peu usé et son usage ne peut donc alimenter un débat significatif, soit on l’utilise, même de manière polémique et alors il faut en effet clarifier le sens. Ce que font ici les rédacteurs de fait, c’est prendre position en faveur de ce terme et de son emploi. C’est un acte militant ni plus ni moins.
De plus, le terme ne relève pas d’un nom nouveau, sa « définition » n’est donc pas possible en soi, puisque iel est présenté comme un pronom, devant donc remplacer des noms communs. Son unique caractéristique est que, à l’instar du pronom on, iel peut s’utiliser sans subir de déclinaison de genre.
Or le terme a été forgé essentiellement pour remplacer des noms de personnes humaines, on ne l’utilise pas par exemple pour parler des animaux ou des choses. On peut dire, ou plutôt écrire d’ailleurs, ainsi : les boulangers font du pain / iels font du pain. Mais on ne trouve pas : les maisons sont confortables / iels sont confortables ou les fourmis vivent en communauté/ iels vivent en communauté.
De même, un pronom se décline, selon sa fonction dans la phrase. Par exemple, il peut devenir lui, celui ou son. Mais quels sont les déclinaisons fonctionnelles de iel ? Cela n’a strictement aucun sens de proposer un nouveau pronom, sans en proposer toute la déclinaison. Et il est impossible que des spécialistes de la grammaire comme le sont les rédacteurs du Robert ignorent ce fait.
Enfin, le « corpus » considéré ne semble pas être si large que cela, puisque la définition proposé précise, sous la forme d’un exemple d’usage : « L’usage du pronom iel dans la communication inclusive ». L’usage est donc… le fait de l’utiliser par les gens qui l’ont inventé !
D’une manière générale, ces fautes sur le fond relèvent ici d’une approche formaliste et quantitative de la langue. On peut sans doute penser que les rédacteurs ont eu ici à cœur de promouvoir une sorte d’élan progressiste, d’aider à aller dans le sens d’un usage, ou du moins d’un débat, qui leur semble intéressant.
L’auteur qui parle au nom de la rédaction, reconnaît sa satisfaction à dire que la majorité de ses lecteurs, du moins ceux qui lui ont adressé un message, auraient salué ce nouvel ajout. D’une façon ou d’une autre, le Robert se place en effet au centre d’un débat l’opposant au camp des conservateurs, qui n’ont bien sûr pas manqué de s’indigner sur le sujet.
Ce qui est intéressant c’est que le Robert est entraîné dans ce débat politique, et il ne peut être ici question de hasard quand on voit à quel point les tensions entre les libéraux et conservateurs, au sein de la bourgeoisie et de son appareil culturel, éclatent de plus en plus en conflit ouvert. À sa façon, le Robert tente ici de défendre la Culture, le progrès et même la Gauche en un mot. Ce petit iel est de fait insupportable aux conservateurs et à la Droite. Et ce n’est pas rien sur la forme de se confronter à celle-ci.
Mais si cela peut être vu comme une démarche qui a du cœur sur la forme, elle n’a pas de tête sur le fond. Les rédacteurs ont ainsi eu une démarche quantitative pour appuyer l’introduction du pronom iel dans leur dictionnaire, mais sur le plan qualitatif, cela n’a aucune profondeur.
On peut bien s’amuser à compter de-ci de-là les occurrences d’un néologisme pour prétendre en valider l’usage, mais cela n’a pas de sens si on ne définit pas un périmètre clairement. L’usage de ce pronom est récent, il a moins d’une dizaine d’années, et à en croire les prétentions quantitatives avancées par les rédacteurs du Robert, son usage aurait eu un succès fulgurant.
Alors qu’il est manifeste qu’il est d’abord et presque uniquement un usage militant au sein d’organisations ou de publications liées d’une manière ou d’une autre à la galaxie libertaire et post-moderne de la bourgeoisie culturelle. Le socle est de fait étroit, et sorti de ce milieu, son usage est nul. Et sans les masses rien n’est possible.
À travers cette question relativement anodine, il se joue ici une partie serrée pour la bourgeoisie culturelle libertaire qui essaye de faire face à la Droite. Mais comme elle n’a ni profondeur populaire ni conscience politique développée, le sol se dérobe sous ses pieds. Ses théories intellectuelles abstraites ne rencontrent de fait aucun écho populaire.
Si le Robert avait eu une réelle dimension démocratique, il y aurait une maîtrise de la forme et du fond. Par exemple, comment expliquer l’importance donné à ce pronom si peu usité et ne pas faire entrer le mot crush qui désigne une émotion amoureuse soudaine, voire inopportune, un peu irrationnelle, que l’on oppose au vrai sentiment développé, profond et prolongé de tomber amoureux.
L’usage du terme crush est bien plus massif que celui du pronom iel et c’est un véritable nom, reflétant une réalité tout à fait sensible et vécue, plus intéressante à développer dans un dictionnaire, pour en exposer l’étymologie, le parcours dans notre langue et en saluer ce que la conscience populaire qui l’emploie, entend définir par son usage.
Au fond, tout le problème est là donc. L’usage de ce pronom iel se voudrait une solution intellectuelle à un réel problème populaire, relevant de la question du féminisme. Mais comme ces intellectuels imaginent que ce pronom astucieux aurait en soi une charge progressiste, et encore faudrait-il alors en exposer les tenants et les aboutissants dans la définition, ils imaginent que cela sera en mesure de faire face au conservatisme étroit de la Droite, ou ouvrira un débat permettant à la Gauche culturelle de se réaffirmer.
Mais à un problème populaire il faut une solution démocratique, à la Droite, il faut donc opposer une Gauche réellement populaire et démocratique. Le débat pathétique autour du l’usage ou non du pronom iel illustre que la partie est en train de se finir pour la bourgeoisie culturelle libertaire. Celle-ci entrevoit toujours plus nettement, à mesure que se développe la Crise, son possible écrasement par une Droite devenue hégémonique et offensive.
Un espace s’ouvre ainsi pour l’affirmation d’une Gauche revenue sur ses fondamentaux, et assumant la lutte des classes, à la remorque de laquelle les éléments les plus avancées de la bourgeoisie culturelle doivent maintenant se placer. Cela relève d’une nécessité historique qui n’est pas contournable.