Le 20e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique représente le triomphe du révisionnisme : Staline y a été présenté comme un personnage odieux, criminel. Partant de là, toutes les réformes sont justifiées, puisqu’il s’agit de sortir d’une situation considérée comme bloquée en raison de la prépondérance des conceptions « staliniennes ».
Les réformes de Nikita Khrouchtchev ne sont cependant pas tant actives, que passives. La ligne est celle du laisser-faire, du laisser-aller. La position est celle du désengagement de l’État de la vie politique, scientifique, sociale et culturelle, et cela passe par la décentralisation, engagée à tous les niveaux.
C’est que Nikita Khrouchtchev représente une ligne opportuniste de gauche, ce qui n’a pas été compris à l’époque. Comme il prônait la coexistence pacifique et le parlementarisme, les anti-révisionnistes considéraient qu’il reflétait une ligne de droite.
En réalité, Nikita Khrouchtchev représentait une ligne de droite sous la forme de l’opportunisme de gauche, ce qui est bien différent. Ses propos étaient, en effet, à la fois ambitieux et euphoriques, témoignages d’une ligne délirante ; au 22e congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique, il expliquait ainsi que :
« Nous sommes strictement guidés par des calculs scientifiques. Et les calculs montrent que dans 20 ans, nous construirons une société fondamentalement communiste. »
Au même congrès fut adopté un nouveau programme (les anciens datant de 1930 et 1939), et on y lit :
« La tâche économique principale du parti et du peuple soviétique est de créer la base matérielle et technique du communisme dans un délai de deux décennies. »
Plus précisément :
« Le PCUS, en tant que parti du communisme scientifique, pose et résout les problèmes de la construction communiste dans la mesure où les conditions matérielles et spirituelles sont préparées et mûries, guidés par l’impossibilité de franchir les étapes nécessaires du développement, ainsi que de s’attarder sur ce qui a été réalisé et de freiner le mouvement en avant.
La solution aux problèmes de la construction du communisme s’effectue par étapes successives.
Au cours de la prochaine décennie (1961-1970), l’Union soviétique, créant la base matérielle et technique du communisme, dépassera le pays capitaliste le plus puissant et le plus riche, les États-Unis, en termes de production par habitant ; le bien-être matériel et le niveau culturel et technique des travailleurs augmenteront considérablement et chacun bénéficiera d’une prospérité matérielle ; toutes les fermes collectives et d’État se transformeront en fermes hautement productives et très rentables ; les besoins du peuple soviétique en matière de logement confortable seront fondamentalement satisfaits ; le dur travail physique disparaîtra; l’URSS deviendra le pays où la journée de travail est la plus courte.
À la suite de la deuxième décennie (1971-1980), la base matérielle et technique du communisme sera créée, apportant une abondance d’avantages matériels et culturels à l’ensemble de la population ; la société soviétique sera sur le point de mettre en œuvre le principe de répartition selon les besoins et il y aura une transition progressive vers une propriété nationale unique.
Ainsi, une société communiste sera essentiellement construite en URSS. La construction d’une société communiste sera pleinement achevée dans la période suivante. »
Les trois dernières phrases du programme disent par conséquent :
« Sous la direction prouvée du Parti Communiste, sous la bannière du marxisme-léninisme, le peuple soviétique a construit le socialisme.
Sous la direction du Parti, sous la bannière du marxisme-léninisme, le peuple soviétique construira une société communiste.
Le Parti déclare solennellement : la génération actuelle du peuple soviétique vivra sous le Communisme ! »
Le 22e congrès valida également un « code moral du bâtisseur du communisme », largement empreint sur la Bible, appelant à un « travail consciencieux au bénéfice de la société », « l’entraide fraternelle », « le respect mutuel au sein de la famille, le souci d’élever les enfants », « le souci de tous de préserver et de valoriser le domaine public », etc.
On est ici dans un rêve fou de tranquillité absolue au sein d’un monde sans contradictions. On n’est pas dans un recul, expliquant que le socialisme est difficile à mettre en œuvre, qu’il faut des compromis, etc., comme dans une déviation de droite. On est dans le triomphalisme, propre de la ligne opportuniste de gauche, dont la substance est droitière.
D’où cela vient-il ? De l’élan historique dont l’URSS a profité avec la planification socialiste. Son économie connaît une croissance d’autour de 12 % par an, preuve du grand succès du cinquième plan quinquennal (1951-1955), le dernier formalisé à l’époque de Staline.
Cependant, l’URSS reste en large partie paysanne encore. La part de l’agriculture dans l’économie est aussi grande que celle de l’industrie, à peu de choses près. L’économie reste à développer : son PIB est seulement à près 40 % de celui des États-Unis.
Les pays socialistes sont, dans les faits, encore très arriérés par rapport aux pays capitalistes.
PIB en milliards de dollars US de 1955
C’est l’arrière-plan des forces ayant amené le Parti Communiste Panunioniste (des bolcheviks) à devenir en 1952, à son 19e congrès, le Parti Communiste d’Union Soviétique. La définition du Parti a alors changé : c’est devenu en quelque sorte le grand accompagnateur du développement du pays, de la force principale portant la paix mondiale.
L’étude approfondie du 19e congrès est obligatoire pour comprendre le 20e congrès, avec la décentralisation promue par Nikita Khrouchtchev. C’est une sorte de grand sas, de grande transition, dont le ressort est la mise à l’équilibre du nombre de gens vivant dans les villes et dans les campagnes.
Il faut attendre 1962 pour que la population urbaine devienne majoritaire, néanmoins la tendance est là, l’URSS connaît un vrai basculement. Le parc de logements a doublé, il y a une transformation des mœurs, et dans ce cadre l’alliance ouvrière-paysanne voit les couches intellectuelles jouer un rôle toujours plus prépondérant.
En ce sens, le triomphe du révisionnisme est avant tout une expression petite-bourgeoise. Se débarrasser de l’idéologie, abandonner les exigences d’avant-garde historique, tout cela exprime une volonté de s’installer dans un certain confort.
Cela est vrai tant au sein de la direction du Parti qu’au sein des masses nouvellement urbanisées. Il n’y a pas de réflexion alors sur l’impact de la contradiction entre villes et campagnes, et le degré de corruption sur le plan idéologique et culturel est toujours plus haut.
C’est ce qui explique la passivité totale du pays lors du 20e congrès, alors qu’il y a une remise en cause totale de Staline, qui a pourtant dirigé le pays pendant plusieurs décennies.