Voici un article de Jean Fréville, résumant ce Congrès en juillet 1935 pour le Parti Communiste français. Le caractère progressiste est évident, tout autant que l’absence de profondeur matérialiste dialectique, de vision d’ensemble.
Le premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui s’est tenu à Paris du 21 au 25 juin, a réuni des écrivains de 38 pays, quelques-uns des plus grands littérateurs du monde, des penseurs et des artistes qui représentent une élite véritable, celle qui lie son destin au destin de l’humanité.
Pendant cinq jours, ils ont traité des problèmes les plus importants : héritage culturel, humanisme, rôle de l’écrivain dans la société, nature et limite de l’influence des écrivains.
Ces discussions se sont déroulées dans une atmosphère ardente, devant une foule recueillie et passionnée qui emplissait la grande salle du Palais de la Mutualité. C’était la première fois que se réunissait en France un congrès d’écrivains.
Les débats publics, à cette heure et en ce lieu – à l’heure où le fascisme menace de broyer sous sa botte la culture, en ce lieu, le Paris de la Commune de 71 où les traditions révolutionnaires vivent toujours au coeur d’un prolétariat combatif – acquéraient une signification particulière.
Ils signifiaient la volonté des écrivains de ne pas séparer leur destin de ces masses laborieuses accourues pour les entendre et pour saluer ceux en qui elles avaient reconnues leurs porte-parole et leurs guides intellectuels.
Certes, ces écrivains, accourus à Paris de tous les points du globe, n’avaient pas les mêmes conceptions, n’étaient pas arrivés au même point de leur évolution, certains d’entre eux avaient gardé leurs préjugés individualistes.
Mais tous avaient ceci de commun qu’ils étaient passionnément attachés à la culture, au service de l’humanité, au sort des masses laborieuses, et qu’ayant compris le sens de l’évolution humaine ils étaient animés d’une haine profonde contre toute oppression et, avant tout, contre le fascisme.
Car tous, communistes ou libéraux, marxistes ou idéalistes, les écrivains réunis en congrès ont reconnu que la culture était menacée.
Quelles qu’aient été leurs divergences, dont nous nous efforcerons de rendre compte brièvement, tous ils étaient d’accord pour déclarer que cette menace mortelle contre les acquisitions de la culture et contre la pensée progressive venait du fascisme, dernière forme de la régression sociale.
Tous, à quelques rares exceptions près, ils ont proclamé qu’en Union soviétique la pensée libre et l’esprit de recherche, loin d’être bâillonnés et entravés comme dans les pays soumis au fascisme, reçoivent leurs plus grandes possibilités de développement.
La rencontre des écrivains soviétiques qui apportaient avec eux le souffle ardent de l’État prolétarien où se forge parmi les exploits grandioses l’homme nouveau, l’individu complet de l’avenir, et des écrivains de l’Occident, représentants des meilleures traditions d’une culture qui se renie dans ce qu’elle a contenu jadis de progressif, eut quelque chose de particulièrement émouvant.
Il semblait que pour la première fois l’élite de la civilisation occidentale, dans la personne de ses écrivains et de ses artistes, abordait, inquiète et ravie, le sphinx prolétarien pour qu’il lui déchiffrât l’énigme de ses destins futurs.
Comme un grand souffle d’air pur, l’humanisme prolétarien balayait les incertitudes, les doutes, les relents de la pensée bourgeoise vieillotte et racornie.
Et lorsque, tour à tour, les plus grands écrivains des États capitalistes, que les nations bourgeoises honorent pour leur talent et parce qu’ils sont les dépositaires des grands secrets de l’art, proclamèrent leur admiration pour l’U.R.S.S., leur indéfectible attachement au prolétariat qui édifie le socialisme, il sembla véritablement, comme dans l’Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, que les dieux de l’ancien monde, ceux qui avaient fait sa gloire et sa grandeur, changeaient de camp.
Et cet abandon par eux du vieil univers maudit du capitalisme, sanglant, boueux, miné de tous côtés, prenait à cette heure, à la veille des conflagrations immenses et prochaines, la signification d’une rupture et d’une continuité : rupture avec une société inhumaine qui a mille fois mérité sa mort, continuité par l’apport au jeune prolétariat, victorieux demain, des valeurs intellectuelles qu’il lui appartiendra de recueillir, de transformer, d’approfondir.
Dès l’ouverture du congrès, André Gide avait déclaré qu’il s’agissait non d’exercer une propagande quelconque, mais d’étudier les différents aspects des dangers qui menacent la culture et les différentes manières d’y faire face.
« Devant le danger que nous sentons tous, danger qui nous rassemble aujourd’hui, c’est dans ce que les réactions de chaque peuple, et des représentants de ces peuples pourront avoir de plus particulier que tous puiserons l’instruction la plus profitable et la plus générale, parce que la plus simplement et la plus profondément humaine. »
André Gide montre que le véritable individualisme ne peut se réaliser que dans un régime communiste.
« C’est dans une société communiste que chaque individu, que la particularité de chaque individu, peut le plus parfaitement s’épanouir. »
Il le prouve et invoquant la politique des nationalités de l’Union soviétique qui a su favoriser le développement des cultures nationales, les faire revivre, leur donner une liberté complète et un essor prodigieux, alors que le tsarisme « russificateur » foulait aux pieds les allogènes, leur mettait un bâillon sur la bouche et les plongeait dans les ténèbres de l’ignorance.
« Je n’admire rien tant en U.R.S S., a déclaré André Gide, que ce grand souci de protection, de respect des particularités de chaque peuple, de chaque petit Etat compris dans la grande Union soviétique; respect de la langue, des moeurs, des coutumes, de la culture, particulières à chaque petit Etat.
Lequel respect va directement à l’encontre de ce reproche courant fait au communisme et à l’U.R.S.S. de tenter d’égaliser, de niveler et d’uniformiser tous les hommes de l’immense Russie, en attendant de pouvoir opérer sur la terre entière. »
C’est toujours par la base, par le sol, par le peuple, continue Gide, qu’une littérature reprend force et se renouvelle. L’art, en quittant le contact de la vie, devient vite artifice.
Dans le passé, la littérature française, constamment entraînée vers l’artificiel, a repris vigueur au dix-huitième siècle grâce aux grands roturiers, Jean-Jacques Rousseau et Diderot.
Pour les écrivains de droite, la civilisation, c’est l’effort pour substituer l’homme factice à l’homme naturel, la parure et le masque à la nudité. André Gide n’admet pas que l’homme ne puisse se civiliser qu’en montant.
Une civilisation qui se proclame factice et prône une « culture sous vitrine » porte en elle des germes de mort. « Les vrais défenseurs de la culture sont aujourd’hui de l’autre bord, de l’autre côté. »
Qui dit littérature dit communion. Avec qui l’écrivain communie-t-il en régime capitaliste ? Les uns demeurent incompris ou oeuvrent pour la postérité, tels Baudelaire, Rimbaud, Stendhal.
« Il me paraît à peu près impossible aujourd’hui, dans la société capitaliste où nous vivons encore, que la littérature de valeur soit autre qu’une littérature d’opposition. »
L’écrivain bourgeois ne peut communier avec sa classe, qu’il est obligé de condamner, ni communier avec le peuple, dans l’état d’abaissement où le maintient le capitalisme. Il n’existe qu’un pays, l’U.R.S.S.. où l’écrivain peut entrer en communion directe avec ses lecteurs. »
André Gide indique que toute oeuvre d’art comportant une résistance vaincue, l’écrivain ne peut se contenter de peindre la réalité qui l’entoure, il doit la précéder, lui ouvrir les voies.
« Seuls les adversaires du communisme, termine André Gide, peuvent voir en lui une volonté d’uniformisation. Ce que nous attendons de lui, et ce que commence à montrer l’U.R.S.S. après une dure période de luttes et de contrainte momentanée en vue d’une libération plus complète, c’est un état social qui permette le plus grand épanouissement de chaque homme, la venue au jour et la mise en vigueur de toutes ses possibilités.»
Et il termine en exprimant son besoin de communion avec une humanité opprimée, contrefaite et souffrante. Après André Gide, l’écrivain anglais Forster dit son dégoût du fascisme et cite quelques exemples caractéristiques d’atteinte à la liberté d’expression dans l’Angleterre capitaliste.
« La liberté en Angleterre est le privilège des gens aisés. Pour l’homme de basse classe ou hors de toute classe – en dehors d’exceptions très rares – elle ne vaut pas une assiettée de poisson et de pommes de terre. »
L’auteur de La Route des Indes se place, en face du fascisme, sur les positions démocratiques, il tient à la conservation et à l’extension des libertés acquises dans son pays. « Peut-être serais-je communiste, si j’étais plus jeune et plus brave, car, dans le communisme, je vois de l’espoir. »
Forster craint pour l’Angleterre le fascisme larvé, ce qu’il appelle un fascisme fabien à évolution lente. « L’esprit de dictature travaillant tranquillement derrière la façade des formes constitutionnelles. »
Après Forster, ce dernier Mohican du libéralisme, Julien Benda, se plaçant au point de vue traditionnel de l’individualisme bourgeois, oppose ce qu’il appelle la « conception occidentale » de l’art littéraire à la conception communiste.
Pour Benda la conception occidentale croit à l’autonomie de l’activité intellectuelle par rapport à l’activité économique. La conception communiste croit à leur solidarité. La croyance en une activité intellectuelle extérieure et supérieure à l’économique est d’origine grecque.
Du monde gréco-romain elle a passé à l’Eglise qui oppose la vie spirituelle à la vie pratique. Elle constitue l’essence de l’enseignement des jésuites qui l’ont transmise eux-mêmes à l’université bourgeoise. Une pareille conception devait donner naissance à une littérature particulière, particulière par ses sujets, son ton et la nature du public auquel elle s’adresse.
La conception communiste, se demande l’auteur de la Trahison des Clercs, est-elle une rupture avec la conception occidentale ou en est-elle le prolongement, l’élargissement ?
« Lénine est-il en discontinuité avec Montaigne ou en est-il le développement ? »
Pour Julien Benda, la conception communiste n’est pas un enrichissement de la conception occidentale. Toutes deux sont hétérogènes, l’une s’appuie sur la métaphysique grecque, l’autre est matérialiste; il y a entre elles une différence non pas de degré, mais d’essence.
De la conception communiste naîtra « une littérature entièrement nouvelle et par ses sujets, et par son ton, et par le public auquel elle s’adresse; littérature qui ne sera nullement le prolongement de la nôtre, mais qui en sera quelque chose d’entièrement différent et, en réalité, la négation ».
Contre la conception idéaliste de Julien Benda, pour qui la culture communiste de demain représente la négation de la culture du passé, s’insurge ardemment Jean Guéhenno.
« La révolution russe n’est qu’un cas d’une immense, longue et patiente révolution humaniste qui est en route depuis que l’histoire de l’homme a commencé. Je ne pense pas le moins du monde qu’il y ait lieu d’opposer le marxisme soviétique à l’humanisme et je ne sache pas que Karl Marx ait été autre chose qu’un penseur de l’Occident.»
Le communisme fera la synthèse des acquisitions culturelles des régimes abolis et des nouvelles conquêtes spirituelles de l’humanité libérée de l’exploitation. Tel est l’humanisme prolétarien que salue Paul Nizan.
La culture communiste est à la fois un prolongement et une rupture : elle rompt avec les préjugés religieux et individualistes, mais elle recueille le patrimoine culturel et le fait servir à la réalisation de l’homme intégral. Avec Luppol c’est l’Union soviétique qui prend position dans le débat sur l’héritage culturel.
Dans une intervention d’une grande clarté, il montre la société capitaliste déchirée par la lutte de classes et la littérature, qui la reflète, traversée par des courants contraires. On ne peut juger la littérature de façon abstraite.
Chaque oeuvre participe à une époque donnée, chacune doit être jugée sous l’angle de la perspective historique. Il s’agit de savoir si elle est axée sur l’avenir ou sur le passé.
L’humanisme doit être la mise au service des hommes des progrès de la technique. C’est ce que soutient Luc Durtain, l’auteur de l’Autre Europe. Et il montre le rôle social de la technique qui bouleverse la production et doit améliorer le sort de tous, et non de quelques- uns.
Georges Friedmann développera la même idée quand il proclamera que la machine n’est pas encore libre, qu’elle est encore esclave de l’argent.
Le poète allemand Johannès Becher déclare que la tâche des écrivains est de lutter pour cet humanisme sous le signe duquel s’est réuni le congrès.
L’écrivain américain Waldo Franck montre le désaccord profond que le capitalisme a fait éclater entre l’artiste et le monde réel.
C’est parce que l’art est unité, communion, humanité que l’artiste doit aujourd’hui se rallier à la classe ouvrière qui lui apporte l’amour d’une vie entière et harmonieuse.
Et voici, comme un écho puissant, comme une confirmation éclatante de ces paroles, la grande voix de l’U.R.S.S. qui nous arrive par la bouche des délégués soviétiques : Alexis Tolstoi, Koltzov, Ivanov, Tichonov, Panférov, Pasternak, Ilia Ehrenbourg, Kirchon, admirable pléiade accueillie par de frénétiques acclamations et qui semble apporter avec elle toute l’ardeur, tout l’optimisme rayonnant, toute la volonté créatrice, toute la curiosité de savoir qui soulèvent les masses soviétiques.
Visions grandioses d’une humanité nouvelle, libre et une, délivrée des exploitations et des jougs ancestraux, images frémissantes qui passent en rafales sur l’auditoire.
Brigade de komsomols, étudiantes et étudiants qui travaillent à des rythmes de choc à la construction du métro, turbines du Dniéprostroi, feux pathétiques de l’édification socialiste, bouillonnements lyriques qui se prolongent dans la poésie et, dans la littérature… Koltzov, notamment, a montré la grandeur du rôle de l’écrivain en U.R.S.S. Là-bas l’oeuvre littéraire transforme véritablement la vie, l’écrivain est devenu, selon le mot de Staline, « l’ingénieur des âmes ».
Le grand satirique soviétique cite l’exemple d’un kolkhozien propriétaire d’une grande bibliothèque à qui il demanda un jour pourquoi il gardait chez lui tant de livres. « Parce que, répondit son interlocuteur, ce sont des hommes vivants, j’aime les avoir autour de moi, j’apprends chez eux comment vivre. »
Koltzov parle de la satire soviétique. Ce qui, dit-il, dans notre vie sociale, dans la démocratie prolétarienne, a pris le nom d’autocritique, est devenu satire dans notre littérature.
« Dans les livres et dans les chants naît une nouvelle satire insolente et joyeuse, qui défend la culture et qui combat la honte, la boue et l’esclavage du passé. La classe ouvrière est la dernière classe apparue dans l’histoire, et c’est elle qui rira la dernière. »
Panferov, dans un exposé très nourri, parle du réalisme socialiste. Dans le passé, le divorce avec la vie a fait que l’écrivain s’écartait de la réalité vivante pour se réfugier dans la fiction idéaliste.
Le réalisme critique du dix-huitième siècle, l’une des plus grandes conquêtes de l’humanité, a été incapable d’indiquer au monde l’issue permettant à l’homme de sortir de l’impasse où l’histoire l’avait acculé.
Le réalisme socialiste est la méthode de l’époque prolétarienne. Il exige de l’artiste que celui-ci donne une image conforme à la vérité, une image historique concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire.
Ehrenbourg magnifia la littérature soviétique, jaillie de la joie du travail créateur et faite pour des hommes dont l’individualité peut entièrement s’épanouir.
« Nos hommes sont avant tout des hommes, et ensuite des agronomes, des terrassiers ou des chimistes. La littérature ne touche pas précisément telle ou telle parcelle de leur vie, mais tout leur être. Ils peuvent aimer avec force et passion, mais ce sont des hommes qui aiment et non pas des amants professionnels…»
Alors que dans la société capitaliste la place du poète n’est pas prévue et qu’un abîme sépare les hommes du reste de leur vie quand ils lisent un livre, en U.R.S.S. l’union est étroite entre la littérature et l’immense foule des producteurs.
« Nous sommes venus ici fiers, non pas de nous-mêmes, mais de nos lecteurs… Nous pouvons dire, sans en rougir, que nos livres sont des balbutiements, mais que ce sont les balbutiements d’une nouvelle langue des hommes. »
Le célèbre auteur dramatique Kirchon fait un parallèle saisissant entre la décrépitude où est tombé le théâtre dans les pays capitalistes et l’essor théâtral en U.R.S.S. C’est que là-bas la classe ouvrière a pris en mains la direction et le développement de la culture.
Les magnifiques interventions des écrivains soviétiques ont montré le rôle dévolu à l’écrivain dans la société prolétarienne. Dans la société bourgeoise, et particulièrement dans les États fascistes, l’écrivain doit servir les intérêts de la classe dirigeante.
L’écrivain anglais Aldous Huxley, en parlant des rapports entre écrivains et public, doute de l’influence de la littérature de propagande. L’action exercée par l’écrivain tient moins à ses mérites qu’à un concours de circonstances particulières.
« Voltaire exerça une influence très considérable sur ses contemporains en France et ailleurs; mais cette influence s’exerça en vertu du fait que, grâce à une combinaison particulière de circonstances historiques les classes instruites étaient prêtes à accueillir toutes ses attaques contre la religion organisée et contre les institutions politiques épuisées.»
La littérature de propagande, même quand elle connaît un grand succès, laisse-t-elle des traces durables ?
« Depuis la guerre, deux ouvrages de propagande, bien écrits et sérieux, ont figuré parmi les plus grands succès de vente. Je fais allusion au livre, de Remarque : A l’Ouest, rien de nouveau et à l’Esquisse de l’Histoire, de H.-G. Wells. En Europe et en Amérique, des millions de gens ont lu la dénonciation allemande de la guerre et le plaidoyer anglais en faveur de l’internationalisme. Avec quels résultats ? Encore une fois, c’est assez difficile à dire.»
Sans doute serait-il vain de croire à la toute-puissance de la démonstration littéraire, ce qui fut l’erreur des rationalistes du dix-huitième siècle. Marx a bouleversé le monde non point parce que Lénine a lu Le Capital, mais parce que les lois de la société capitaliste découvertes par Marx devaient nécessairement un jour susciter à la tête du prolétariat révolutionnaire un Lénine.
En ce sens, l’opinion d’Aldous Huxley, à savoir que « le facteur décisif n’est pas constitué par ce qui est écrit », ne fait qu’exprimer une des conceptions essentielles du matérialisme historique.
L’écrivain Jean-Richard Bloch, qui fit l’année dernière un long séjour en U.R.S.S., examine les rapports entre la création littéraire et la société humaine. Il établit d’abord la liaison étroite qui existe entre l’écrivain et son public.
A Moscou. en 1934, au congrès des écrivains soviétiques, Jean-Richard Bloch a insisté sur la liberté dont l’artiste doit jouir et il y a été entendu, ajoute-t-il, au delà de son espérance. A Paris, en 1935, il met en garde l’écrivain contre son penchant à s’attribuer une sorte d’indépendance totale et sans limite. Entre l’écrivain soviétique et la masse, il y a un fluide, il y a une liaison étroite.
En Occident, cette liaison n’exista qu’aux rares moments où la pression des masses obligea les écrivains à renoncer au jeu pur de la technique. Ainsi lors de l’affaire Dreyfus. Il doit en aller de même aujourd’hui, alors que le fascisme menace.
« Nous aspirons désormais, conclut Jean-Richard Bloch, à une alliance durable et permanente, à un accord civilisateur entre le créateur et la masse. »
L’écrivain français Pierre Abraham distingue l’art pour l’art, qui correspondrait selon lui à une société aristocratique, l’art descriptif propre à une société démocratique bourgeoise, l’art de propagande particulier aux périodes de crise. Sans doute pourrait-on observer que l’art pour l’art a exprimé au dix-neuvième siècle une attitude de protestation contre la société bourgeoise avant d’être une idéologie contre-révolutionnaire.
L’art soviétique, selon Pierre Abraham fond ensemble les trois formes d’art qu’il distingue.
L’écrivain, défenseur de la culture, a un rôle social à remplir. La dictature fasciste lui impose des devoirs urgents.
L’écrivain anglais John Strachey déclare que seul le marxisme découvre les vraies raisons de la crise et donne une analyse exacte du fascisme. Marx et Engels ont été les héritiers et les continuateurs de la culture occidentale.
Deux grands écrivains danois, Karin Michaélis et Martin Andersen Nexo, chaleureusement applaudis, exhortent les écrivains à lutter pour la défense des droits de l’homme et pour la dignité humaine.
L’écrivain français Pierre Gérôme dénonce le fascisme qui prétend asservir les hommes et enchaîner les pensées. « Pour résister à ce danger, toutes les alliances sont possibles. »
Le souci de sauver la culture, menacée par le fascisme destructeur, doit unir dans un même front de bataille les écrivains marxistes et non marxistes.
Egon Erwin Kisch stigmatise la bassesse de la littérature confectionnée dans les intérêts de la classe dominante et montre comment le reportage peut devenir, en dépeignant la vie des classes opprimées, une arme de lutte dans le combat révolutionnaire.
L’important rapport d’Henri Barbusse sur la nation et la culture est un des points culminants du congrès. L’auteur du Feu étudie avec une grande profondeur ce sujet si vaste et si important. Dans la société capitaliste qui exacerbe les nationalismes agressifs, « les créateurs artistiques sont domestiqués, et les porteurs de lumière ne sont plus bons qu’à des retraites aux flambeaux ».
A ce nationalisme qui étouffe la pensée et enrégimente l’écrivain, Barbusse, dans un raccourci saisissant. oppose la politique de l’Union soviétique qui abolit définitivement les hostilités de nations et de races.
« Il en résulte un surprenant épanouissement des cultures et leur union harmonique dans un but de perfectionnement et d’émancipation générale. Contenant national, contenu humain. »
Dans une éloquente péroraison, Barbusse appelle les écrivains à défendre, en étroite alliance avec les grandes masses des travailleurs, la culture en se servant de leurs armes spécifiques et sans rien aliéner de leur indépendance d’artistes.
Avec le grand écrivain allemand Henrich Mann, le Congrès entendit un réquisitoire ardent, un réquisitoire sévère contre l’hitlérisme. Henrich Mann dénonce la barbarie et la sottise hitlériennes. Un gouvernement qui persécute les écrivains ne mérite pas qu’on prête foi à ses paroles.
Le grand libéral qu’est Heinrich Mann proclame que Hitler ne réussira pas à anéantir le marxisme en Allemagne et que dans la lutte qu’il a engagée contre le peuple allemand, il finira par succomber.
Et voici les interventions passionnées des écrivains révolutionnaires d’Allemagne, l’admirable Anna Seghers en tête, Brecht, Klaus Mann, Regler et d’autres, qui, tous, dénoncent les innombrables mensonges de l’hitlérisme, ses crimes monstrueux, sa préparation frénétique de la guerre.
« Il faut arracher, dit Anna Seghers. les biens culturels du pays aux oppresseurs incapables de les gérer. »
« La tâche des écrivains antifascistes, déclare Kantorowicz, c’est d’opposer au fantôme sanglant des écrivains nationalistes la réalité, à leur fureur belliqueuse l’élan créateur, à leur communauté populaire la société socialiste, à leurs sous-officiers le brigadier de choc, à leur impasse l’unique issue : la Révolution. »
L’écrivain américain Michael Gold, en des phrases ardentes, parle de la véritable Amérique, non pas celle des banquiers et des politiciens parasites, mais celle des fermiers pauvres, des ouvriers du textile et des métayers nègres.
Il salue le Paris des luttes révolutionnaires où les ouvriers ont été les précurseurs du grand combat qui se poursuit sous nos yeux, Paris qui fut jadis ce qu’est aujourd’hui Moscou.
La tradition nationale n’est pas celle dont parlent les fascistes, c’est la tradition du peuple et de ses batailles. Pour comprendre ce passé, il faut participer au présent. Il termine en saluant dans le prolétariat l’héritier légitime du vieux monde.
« Ceux qui aiment la culture doivent reconnaître que seule la classe ouvrière est capable de la maintenir et de la développer. »
Aragon, dans un discours d’une haute tenue, revient au problème de l’héritage culturel. Qu’y a-t-il de vivant à retenir des œuvres littéraires du passé. C’est ce qu’elles ont contenu de réaliste.
Il faut dégager cette part de réalisme des ténèbres du mysticisme et du mensonge. Seul ce qui exprime la réalité du temps survit.
« Je réclame, s’écrie Aragon, le retour à la réalité, au nom de cette réalité qui s’est levée sur un sixième du globe, au nom de celui qui avait su le premier la prévoir et qui dans le printemps de 1845, à Bruxelles, écrivait : Les philosophes n’ont fait jusqu’ici qu’interpréter le monde de différentes manières. Il s’agit maintenant de le transformer. »
Longuement applaudi, Vaillant-Couturier appelle à élargir encore le front culturel qui s’est ébauché dans le Congrès.
« Les tâches précisées par la résolution finale du Congrès n’auront de valeur réelle que dans la mesure où le rayonnement du Congrès s’étendra largement au-delà des cercles qui y ont participé. Dans le débat entre la barbarie et la culture se pose pour la culture la question de la conquête de la majorité. C’est la tâche que nous devons entreprendre dès demain si nous voulons que notre oeuvre aboutisse à des résultats concrets et durables. Il y va de l’avenir même de la civilisation. »
En phrases passionnées, le grand écrivain André Malraux rappelle que toute oeuvre d’art est une rencontre avec le temps. Tous les vieux rêves humains, tous les chefs-d’oeuvre du passé ont besoin de nous pour revivre.
« Ils ne sont pas là comme les meubles d’un inventaire après décès, mais comme ces ombres qui attendent avidement les vivants dans les enfers antiques… L’héritage ne se transmet pas, il se conquiert. »
La Révolution victorieuse recueillera l’héritage culturel du passé et lui restituera sa véritable signification.
« Camarades soviétiques, vous avez placé votre Congrès de Moscou sous les portraits des plus vieilles gloires, mais ce que nous attendons de votre civilisation qui les a sauvegardées dans le sang, dans le typhus et dans la famine, ce n’est pas qu’elle les respecte, c’est que grâce à vous, leur nouvelle figure leur soit une fois de plus arrachée. »
Tel fut ce Congrès, sur lequel planèrent les grandes ombres de Gorki et de Romain Rolland et qui se déroula dans une atmosphère d’enthousiasme, renforçant les liens étroits qui unissaient déjà entre eux la plupart des écrivains qui y participèrent.
En se séparant le Congrès décida, pour maintenir une union étroite entre les écrivains décidés de lutter contre la guerre, le fascisme et toutes menaces affectant la civilisation, la création d’une « Association internationale des écrivains pour la défense de la culture », dirigée par un bureau international permanent.
Au cours des débats les points de vue exprimés se sont rapprochés. Un sentiment commun, sans cesse plus précis, s’est emparé des délégués des différents pays.
En écoutant les écrivains allemands et les écrivains soviétiques, ils ont vu clairement où était le danger et où était le salut. La culture, attaquée par le fascisme, ne peut être sauvée que par la révolution prolétarienne.
La prise de conscience par les écrivains de la menace fasciste est un des résultats les plus évidents du Congrès, et ceux qui tâtonnaient, qui hésitaient, qui cherchaient leur voie ont compris nettement que leur seule alliée était la classe ouvrière, menacée par le même danger et que l’avenir du monde reposait sur les travailleurs.
Voilà le public que ces écrivains cherchaient, souhaitaient, le public qui mettra fin à leur isolement, le public qui les comprendra. Et là aussi, en attirant l’attention du prolétariat sur les écrivains qui se tournent vers lui, le Congrès aura fait une oeuvre considérable et utile.
Il a été un point de ralliement pour tous les écrivains qui, comme l’a dit Gorki, dans son message au Congrès, « sentent comme une injure personnelle l’avènement du fascisme ». Et tous ont compris vraiment, pour reprendre encore les termes de Gorki, que seul comptait l’humanisme du prolétariat qui poursuit le noble but de changer les bases économiques et sociales du monde.
L’Association née du Congrès continuera son oeuvre : la lutte contre le fascisme, la dénonciation de toutes les formes de l’oppression de la pensée humaine. Elle amplifiera l’action des écrivains révolutionnaires. Et à ceux qu’indigne la barbarie fasciste et qui cherchent leur voie, elle montrera que leur place est aux côtés du prolétariat.