Si on prend les apparences, le judaïsme est un monothéisme, qui puise sa source dans un prophète, Moïse, qui a conduit les Hébreux hors de l’esclavage en Égypte et vers une Terre promise. En réalité, le judaïsme consiste en une « loi orale » qui fournit les principes de la vie quotidienne : ce qu’on appelle la Bible, ou Torah, ne consiste qu’en des textes référentiels.

Cette « loi orale » est récente : elle date de la période de Jésus-Christ. Elle est le fruit d’une tentative de maintenir les fondamentaux d’un royaume juif anéanti, celui de Juda.

Ce royaume a deux particularités : il a duré, sous une forme ou une autre, pendant très longtemps. Il est fondé au 10-9e siècle avant notre ère, sa dernière forme disparaît au 1er siècle avant notre ère.

Et il n’aura pratiquement jamais été indépendant, puisqu’il aura été sous domination assyrienne, babylonienne, perse, grecque séleucide, romaine.

Pièces de monnaie utilisées par les Juifs lors de l’époque de la domination perse

Pièces de monnaie utilisées par les Juifs lors de l’époque de la domination perse

C’est ce parcours historique qui pose problème. Historiquement, on peut voir que le polythéisme a cédé la place au monothéisme. Le monothéisme correspond donc à une avancée historique ; il est autant une avancée qu’il reflète une avancée.

Or, on ne voit pas pourquoi les Juifs s’appuieraient sur le monothéisme alors qu’ils n’ont aucunement un développement particulier. On s’attendrait à une Cité-État triomphante, formant un empire, unifiant les territoires, modifiant les cultes pour les uniformiser et aboutissant par là à un dieu unique.

On n’a rien de tout cela.

Il n’y a alors que deux hypothèses possibles. La première, c’est que Dieu s’est vraiment adressé à Moïse et a sorti les Hébreux d’Égypte, leur confiant la loi pour qu’ils s’établissent dans la Terre promise.

Elle est évidemment fausse. Elle l’est d’autant plus que la Bible oublie une chose : le territoire de la Terre promise était, à l’époque dont il est parlé, une région égyptienne. Comme il n’y a aucune trace chez les Égyptiens d’un esclavage d’Hébreux, alors on comprend que la région a conquis son autonomie et qu’a posteriori, le décrochage vis-à-vis de l’Égypte a été formulé de manière mythique.

Mosaïque de la synagogue antique de Beit Alpha, on notera que les signes du zodiaque ne sont pas correctement disposés par rapport aux saisons

Mosaïque de la synagogue antique de Beit Alpha, on notera que les signes du zodiaque ne sont pas correctement disposés par rapport aux saisons

La seconde hypothèse est la suivante. Puisque ce n’est pas par la progression historique que les Juifs ont développé le monothéisme, alors c’est par la récession historique. Ce n’est pas parce qu’ils ont réussi que les Juifs ont produit le monothéisme, mais parce qu’ils ont échoué.

Si on lit la Bible justement, on peut voir que tant le peuple que les rois juifs sont perpétuellement dénoncés comme incapables de suivre la loi, comme devant être châtiés par Dieu, etc.

Le monothéisme n’est donc pas une expression de force, mais de faiblesse. La valorisation absolue de YHWH exprime le besoin des Juifs d’une force majeure pour les maintenir, pour les sauver.

Mais il y a deux YHWH. C’est ça en fait le paradoxe du judaïsme et toute la substance du judaïsme est là. Absolument toutes les questions internes au judaïsme se résolvent si on le comprend.

Il faut partir du polythéisme. Celui-ci n’est pas un vrai polythéisme, c’est un animisme cosmique. Il y a bien effectivement de très nombreux dieux. Il y a cependant toujours un dieu-univers à l’arrière-plan, sans forme et pure énergie, alimentant le monde, le monde lui-même n’étant qu’un mode d’existence de ce dieu-univers.

On ne prie pas le dieu-univers, car cela ne sert à rien : il est tout. On prie les dieux qui sont des formes spirituelles, magiques, de certains aspects du monde qui nous entoure.

C’est ainsi partout, chez les Chinois, les Indiens, les Babyloniens, les Égyptiens, les Aztèques, etc. C’est donc vrai pour les Juifs.

Les Juifs appelaient ce dieu-univers par un nom. Et, parmi tous les dieux, certains comptaient plus que d’autres. Dans ce passé historique lointain, les gens vivaient comme des chasseurs-cueilleurs, ou bien dans des tribus et des clans allant dans le sens de l’agriculture et de la domestication des animaux.

Lorsque des tribus se fédèrent et parviennent à une domination d’un certain niveau, elles s’unissent comme caste dominante d’une Cité-État. Et chaque Cité-État est sous le patronage d’un dieu. Ur avait le dieu lune, Babylone avait Mardouk, Athènes avait Athéna, Tenochtitlan avait Huitzilopochtli, etc.

Le dieu babylonien Mardouk et le dragon Mušḫuššu

Le dieu babylonien Mardouk et le dragon Mušḫuššu

Jérusalem avait YHWH. Ce même YHWH qui a été assimilé au dieu-univers. Pourquoi ? Non pas parce que YWHW serait monté d’un cran comme on le pense. On s’imagine trop souvent que le monothéisme serait un polythéisme où un dieu a pris le dessus.

Ce n’est pas du tout le cas. Le monothéisme, c’est en fait le dieu-univers qui descend d’un cran. Voilà pourquoi Jésus-Christ, comme fils de dieu, établit réellement le monothéisme. Le dieu-univers devient matériel, au lieu d’être éloigné, inaccessible, impersonnel comme auparavant.

Pourquoi les Juifs ont-ils les premiers fait descendre, relativement, le dieu-univers d’un cran ? Car leur dieu tutélaire avait échoué à les protéger. Le royaume n’avait pas maintenu son indépendance, Jérusalem se faisait en permanence agresser.

Les Juifs existaient encore pourtant. Comme ils voulaient que la situation change, ils se sont adressés au monde lui-même : le dieu-univers. Ils ont assimilé leur dieu tutélaire au dieu-univers.

Tout cela est une construction artificielle et branlante. Cela ne joue cependant strictement aucun rôle, car les Juifs n’ont jamais systématisé leur théologie. Les points de vue théologiques chez les Juifs sont extrêmement divers, voire antagoniques. Ils peuvent être aussi éloignés qu’entre un catholique et un Hindou.

Cela ne compte pas pour les Juifs, car YHWH et la Torah ne forment qu’un arrière-plan virtuel justifiant la « loi orale », qui elle définit totalement la vie quotidienne.

Initialement, c’était pour maintenir une unité juive face aux envahisseurs. Puis, avec la dispersion, c’est devenu une religion en roue libre. Sur le papier, elle est monothéiste. Mais c’est un monothéisme sans substance, purement fonctionnel.

Les Juifs ont ainsi « inventé » le monothéisme, mais il est primitif. C’est pour cela que le christianisme est une production juive : la contradiction interne poussait nécessairement en ce sens.

Il fallait bien que ce dieu parmi les autres ayant acquis des traits du dieu-univers devienne le dieu-univers se faisant dieu parmi les autres – ce qui est une contradiction : d’où le monothéisme complet du christianisme.


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