La dimension paramilitaire, voire militaire, des formations politiques est une donnée essentielle des luttes de classe en Allemagne après 1918. A l’opposé de la France victorieuse, le pays est marqué par un changement de régime puisque la monarchie s’est effondrée, et doit de très importantes « réparations » de guerre.
Les forces réactionnaires sont très puissantes et tentent des coups d’État, alors que du côté révolutionnaire depuis l’échec de la révolution de 1918, c’est une lente et patiente réorganisation des très larges mouvements de masse qui a lieu, pavant la voie à un puissant Parti Communiste.
Dans ce contexte, Adolf Hitler donna l’ordre de formation de la S.A. dès le 3 août 1921. Depuis ce moment-là, les S.A. se considéreront toujours comme ayant une place à part, et ce même après 1933. Les S.A. se voyaient comme les soldats politiques du national-socialisme ; à leurs yeux, ce n’était pas les élections, mais leur propre mouvement qui avait permis l’avènement du régime hitlérien.
Les S.A., dans leur existence en tant qu’organisation, se définissaient eux-mêmes comme des gens d’une abnégation complète, d’un engagement absolu. Cela sous-tend que pour eux, l’aspect central dans l’Etat nazi après 1933 n’est pas l’État lui-même, mais le « peuple » compris comme unité ethnique, morale, culturelle et « spirituelle ».
L’effet « boule de neige » du recrutement renforça encore plus cette dynamique. Au milieu des années 1920, les S.A. comptaient environ 30 000 membres, et le double environ en 1930. A partir de là et surtout de la crise économique de 1929, la tendance ne cesse plus ; les S.A. sont 100 000 au milieu de l’année 1931 et se retrouvent à 500 000 personnes en 1933.
Les S.A. se considéraient comme l’expression invincible du « peuple » compris racialement, comme une apparition « naturelle » venant de la société elle-même. D’une certaine manière, leur démarche se veut pratiquement apolitique, toutes les tâches sur ce plan étant d’ailleurs laissées au parti nazi existant parallèlement.
Cela formera bien entendu une contradiction dangereuse pour le parti nazi durant tout le temps où le régime se maintiendra. Mais les S.A. ont été organisées dès le départ de manière militaire, avec un encadrement strict, différents statuts de responsables intermédiaires, un règlement intérieur, etc. Or, toute cette tradition militaire sera systématiquement utilisée après 1933 pour appuyer la militarisation de la société.
Les S.A., qui ne sont pas moins de 1,2 millions en 1938, continueront d’avoir leur presse, d’organiser des défilés de type militaire. Ils organiseront des compétitions de sport, des campagnes d’agitation, des meetings. Ils joueront un rôle important dans la prise de contrôle des Sudètes et de l’Autriche. Ils participeront également par la suite à la surveillance des villes, à la capture des parachutistes des forces alliées. Ils iront voir les veuves des S.A. morts et rendront visite dans les hôpitaux aux S.A. blessés.
Ils joueront un grand rôle dans la première formation militaire, notamment le tir, des jeunes hommes qui sont trop âgés pour la jeunesse hitlérienne mais encore trop jeunes pour l’armée. Les S.A. ayant rejoint le front envoyèrent régulièrement des lettres à la presse de leur section locale, présentant évidemment sous un jour favorable la « camaraderie » militaire.
Les S.A. auront donc une continuité pratique, même si bien entendu la guerre les désorganisera pour beaucoup, leur enlevant par définition leur base qui devient soldats. En 1944, 70 % des S.A. sont devenus soldats, et même 86 % de leurs cadres.
Ce qui compte cependant ici est que les S.A. se sont toujours conçus comme les « milices » naturelles du peuple allemand, dans une perspective « organique ». Les S.A. se définiront pratiquement comme ceux qui « servent » le peuple, et cela toujours dans l’action : les S.A. combattront sans cesse les tentatives d’aller dans le sens d’une réflexion, d’une idéologie autre que « l’Allemagne ».
L’Allemagne a servi ici de fantasme communautaire utilisant les forces vives désireuses de rendre service, que ce soit pour enlever la neige ou pratique du sport, et le national-socialisme utilisa cela afin d’encadrer, de militariser et de monter en progression dans le militarisme.