Les phénomènes obéissent à la dialectique ; c’est une loi universelle. Comme l’humanité a suivi un développement inégal par rapport au reste des animaux, son expérience de sortie de la Nature (et de retour dans le Communisme) est profondément contradictoire.
L’un des aspects clefs de ce parcours spécifique tient au traumatisme psychologique. Le cerveau, qui s’est particulièrement développé, fonctionne comme une caisse de résonance.
Les violences subies, vues, ou ressenties, se répercutent dans le cerveau et fonctionnent en son sein comme un écho.
Or, il est essentiel de voir que les êtres humains prennent les phénomènes comme ils sont, à l’instar des animaux qu’ils sont. Le soleil se lève, puis il se couche ; il arrive qu’il pleuve, mais la pluie s’arrête toujours, etc.
Cela signifie qu’un traumatisme subi possède l’apparence d’un phénomène « normal ».
C’est le paradoxe, car une agression se produit par surprise ; au sens strict, elle est un événement extérieur, qui vient interrompre une situation marquée dans sa durée par l’absence d’une telle agression.
Cependant, au-delà de la surprise, il y a une soumission de l’être humain au phénomène qui « s’impose de lui-même ».
Bien sûr, s’il y a la conscience historique, sociale, culturelle… de la nature d’une agression, il y a plus de distance possible, ce qui ne nie pas l’effet très fort du traumatisme.
Néanmoins, pour qui est totalement surpris et ne comprend pas le sens de l’agression, alors il y a la tendance à « intégrer » le phénomène dans le « cours des choses ».
C’est à la fois une auto-défense visant à relativiser l’agression, mais également un écho de cette agression qui s’impose.
On a d’ailleurs ici la raison pour laquelle les esclaves ont accepté historiquement leur condition : le phénomène a semblé être écrasant, car naturel, obéissant au cours des choses.
Les violences contre les enfants relèvent du même processus, où une agression depuis l’extérieur amène à considérer que cet « extérieur » n’en est finalement pas un, puisqu’il parvient à s’inscrire dans la réalité « intérieure ».
Il y a ici, bien entendu, une multitude de réflexions à faire, ce qui est très difficile et délicat. Toutefois, il faut bien comprendre l’aspect suivant.
Une personne traumatisée considérant comme « naturelle » le processus du traumatisme, c’est-à-dire l’ayant intégré, va fondamentalement se méfier de tout ce qui apparaît ensuite comme « naturel ».
Si, en effet, il a été normal de se faire agresser par surprise, et qu’on a été traumatisé, le fait de ne pas se faire agresser par surprise devient anormal.
En fait, l’esprit fonctionne dialectiquement et, en « acceptant » le traumatisme, il est amené à inverser les situations. Comme le traumatisme fait un écho, des échos dans le cerveau, cela joue à différents niveaux également.
C’est là que joue le fétichisme : le traumatisme est intégré par les échos, et devient un fétiche.
On ne parvient pas à s’en débarrasser, car il vient de l’extérieur mais il faut l’accompagner pour survivre, il faut le forcer à être intérieur malgré sa nature extérieure.
Il y a la nécessité que l’extérieur soit à l’intérieur, et l’intérieur à l’extérieur.
Et dans ce processus où l’esprit est emporté, où le corps est également transporté dans cet élan, le fétiche devient une « valeur » sûre.
Le fétiche est alors répété, amené à se revivre non pas en raison d’un processus qu’on considère (à tort) comme « inconscient », mais au contraire dans une démarche tout à fait consciente, mais dialectique, donc « invisible » pour qui ne comprend pas la dialectique de la matière.
En définitive, ce qui joue, c’est ce qu’on doit appeler le cannibalisme.
On ne saurait sous-estimer la formidable valeur du propos suivant de Staline en 1931 :
« Le chauvinisme national et racial est un vestige des habitudes misanthropiques, caractéristiques de la période de cannibalisme.
L’antisémitisme, en tant que forme extrême de chauvinisme racial, est le vestige le plus dangereux du cannibalisme. »
L’antisémitisme exterminateur est une superstructure idéologique de la logique cannibale.
Mais, en fait, toutes les violences d’une humanité pervertie – viols, tortures, meurtres – sont produites par le fétichisme des traumatismes subis.
Les traumatismes se reproduisent par leur intégration comme fétiches.
Les échos des violences subies dans les esprits et les corps s’imposent car ils revendiquent d’être, en apparence, le produit d’une situation « naturelle ».
Les religions interviennent justement à ce niveau en disant que l’humanité est fondamentalement mauvaise, qu’il faut donc l’encadrer par la loi divine.
Mais pour nous, communistes, l’humanité n’est pas mauvaise : elle est le produit de son époque, elle relève d’une situation où une espèce animale est sortie de la Nature et doit y retourner (c’est le Communisme).
Toutes les violences criminelles et perversions sont le produit des fétiches accumulés au fur et à mesure de l’évolution humaine, à travers les différents modes de production.
C’est pour cela que le saut d’un mode de production à un autre affronte les violences passées, les rejetant idéologiquement.
On peut penser au rejet des sacrifices humains, et auparavant au rejet du cannibalisme.
La reproduction des traumatismes apparaît, en l’absence de saut du mode de production, comme la porte de sortie individuelle « naturelle », car les traumatismes sont produits par des violences qui se sont imposées comme « naturelles ».
C’est bien pour cela que le saut à un mode de production supérieur relève d’un saut de civilisation.