La pensée s’appuie sur des concepts afin d’appréhender les phénomènes, cependant le matérialisme dialectique souligne que la réalité est en mouvement permanent, en transformation ininterrompue.

Non seulement le cerveau ne fait que saisir des phénomènes extérieurs à lui-même, mais qui plus est il le fait à la fois en retard et de manière partielle. Ce qu’il appréhende est déjà du passé et même ce qu’il saisit n’est pas le phénomène dans son ensemble infiniment complexe avec ses inter-relations, mais une partie, même si significative, de son existence matérielle.

Karl Marx souligne cette dimension dans Le capital. Décrivant l’émergence et le développement du mode de production capitaliste dans son mouvement interne, il précise bien que les différents aspects qu’il présente le sont ceteris paribus, forme raccourcie de ceteris paribus sic stantibus, soit toutes choses étant égales par ailleurs.

Ce dont parle Karl Marx, c’est du mode de production capitaliste dans sa substance, et il sait très bien que, dans les faits, chaque aspect est travaillé par des tendances et des contre-tendances. Ce qu’il aborde dans Le capital est neutralisé, ces tendances et contre-tendances en sont exclues.

Karl Marx est très clair à ce sujet:

« Pour concevoir ces formes à l’état pur, il faut d’abord faire abstraction de toutes les circonstances qui n’ont rien à voir avec le changement de forme et la constitution de forme comme tels.

C’est pourquoi on admet ici non seulement que les marchandises se vendent à leur valeur, mais encore qu’il en va ainsi toutes choses restant égales d’ailleurs.

On fait donc abstraction aussi des variations de valeur qui peuvent intervenir pendant le procès cyclique. »

« Prenons tout d’abord la reproduction simple du capital productif, en supposant comme au chapitre premier que toutes choses restent égales d’ailleurs et que les marchandises sont achetées et vendues à leur valeur.

Toute la plus-value va, dans cette hypothèse, à la consommation personnelle du capitaliste. »

Ce n’est pas tout : non seulement, les aspects expliqués forment des aspects présentés sous un jour substantiel, neutralisé, mais ces aspects ne peuvent jamais se présenter ainsi dans les faits. Il n’existe pas de catégorie pure ou de concept pur qui aurait un sens réel.

Lénine, en 1919, trois ans après avoir écrit L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, précisait bien que :

« Il n’y a jamais eu d’impérialisme pur, sans base capitaliste, il n’y en a jamais eu, il n’y en a nulle part et il n’y en aura jamais. »

Pour cette raison, le matérialisme dialectique place comme aspect principal la dignité du réel. Tout point de vue conceptuel, aussi juste soit-il, est en décalage avec la réalité s’il ne saisit pas de l’intérieur la transformation de celle-ci, sur un mode pratique.

L’humanité fait partie du mouvement général de la matière et pour être en adéquation avec ce mouvement, pour saisir correctement cette transformation, il faut en être partie prenante.

Lénine souligne cela dans Matérialisme et empirio-criticisme en soulignant que l’aspect incomplet de la connaissance ne rend pas celle-ci relative. Bien au contraire, c’est une vérité, mais elle peut être puissamment développée, en la pénétrant davantage en en comprenant davantage les inter-relations avec l’ensemble de la matière.

« Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance. Écartant de son chemin les élucubrations interminables de la scolastique professorale, il mène infailliblement au matérialisme.

Il ne faut certes pas oublier que le critère de la pratique ne peut, au fond, jamais confirmer ou réfuter complètement une représentation humaine, quelle qu’elle soit.

Ce critère est de même assez « vague » pour ne pas permettre aux connaissances de l’homme à se changer en un « absolu » ; d’autre part, il est assez déterminé pour permettre une lutte implacable contre toutes les variétés de l’idéalisme et de l’agnosticisme.

Si ce que confirme notre pratique est une vérité objective unique, finale, il en découle que la seule voie conduisant à cette vérité est celle de la science fondée sur la conception matérialiste.

Ainsi Bogdanov veut bien reconnaître dans la théorie de la circulation monétaire de Marx une vérité objective, mais uniquement « pour notre époque », et il considère comme du « dogmatisme » d’attribuer à cette théorie un caractère de vérité « objective suprahistorique » (Empiriomonisme, livre III, p. VII). C’est de nouveau une confusion.

Aucune circonstance ultérieure ne pourra modifier la conformité de cette théorie avec la pratique pour la simple raison qui fait de cette vérité : Napoléon est mort le 5 mai 1821, une vérité éternelle.

Mais comme le critère de la pratique – c’est-à-dire le cours du développement de tous les pays capitalistes pendant ces dernières décades, – démontre la vérité objective de toute la théorie économique et sociale de Marx en général, et non de telle ou telle de ses parties ou de ses formules, etc., il est clair que parler ici du « dogmatisme » des marxistes, c’est faire une concession impardonnable à l’économie bourgeoise.

La seule conclusion à tirer de l’opinion partagée par les marxistes, que la théorie de Marx est une vérité objective, est celle-ci : en suivant le chemin tracé par la théorie de Marx, nous nous rapprocherons de plus en plus de la vérité objective (sans toutefois l’épuiser jamais) ; quelque autre chemin que nous suivions, nous ne pourrons arriver qu’au mensonge et à la confusion. »

C’est ce qui amenait Lénine, dans Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme, à affirmer que :

« La doctrine de Marx est toute-puissante, parce qu’elle est juste. »

On voit ici qu’il existe une dialectique entre l’absolu et le relatif.

Affirmer que Napoléon est mort le 5 mai 1821 est une vérité éternelle, c’est-à-dire absolue. Elle ne peut pas être remise en cause. En même temps, c’est une vérité relative sur le plan scientifique, car d’innombrables aspects de la mort de Napoléon ne sont pas connus, tel le temps qu’il faisait à ce moment-là, ce qui se passait à Athènes au même moment, à quoi il pensait à son dernier moment de conscience, les causes précises et approfondies de son décès, etc.

Le matérialisme dialectique dit ainsi que toute connaissance est un reflet de la réalité, que la réalité fournit aux idées et aux sensations des images de la réalité qui sont en décalage avec la réalité, car une personne ne peut pas synthétiser à elle-seule l’ensemble de la réalité, et que la réalité est en mouvement ininterrompu qui plus est, ce qui implique un retard dans le reflet.

Cependant, il est possible de formuler la chose de manière lisible en saisissant ce qui suit. Au sens strict, la seule loi absolue est celle de la contradiction. Or, par définition, cette loi s’applique à elle-même. C’est pourquoi il est juste, désormais, de considérer le développement inégal comme un aspect fondamental de la loi de la contradiction.

Imaginons qu’on se place sur le plan de la géométrie et qu’on place deux droites parallèles allant à l’infini, et qu’on s’arrête à cela. En apparence, on peut conceptuellement considérer que ces deux droites sont en opposition, à la manière du Yin et du Yang dans la philosophie antique chinoise.

Or, deux droites parallèles allant à l’infini, comme le Yin et le Yang, sont des équivalents et cela est impossible suivant la loi du développement inégal.

La loi de la contradiction implique que, parmi les multiples aspects, il y ait un aspect principal, suivant la loi du développement inégal.

Mais c’est également vrai pour l’aspect principal, dans la tension entre les deux pôles. Deux pôles qui seraient équivalents, qui s’équivaudraient s’annuleraient comme dans le Yin et le Yang. Il faut une différence dans l’expression de ces deux pôles.

Il faut ici reprendre ce qu’a enseigné Mao Zedong :

« Sans contraste, pas de différenciation. Sans différenciation et sans lutte, pas de développement. »

Et inverser dialectiquement, ce qui donne :

« Sans développement, pas de différenciation et pas de lutte. Sans différenciation, pas de contraste. »

C’est cela, la base de la théorie de la connaissance du matérialisme dialectique. Aucune connaissance ne serait possible s’il n’y avait pas de développement, car c’est par le développement que se pose la différenciation et la lutte, donc le contraste. Aucune connaissance ne serait possible dans un monde éteint.

C’est cela qui explique qu’il faille être partie prenante de la différenciation, de la lutte, pour saisir le développement d’un côté, le contraste de l’autre. L’opposition dialectique entre le développement et le contraste est le noyau dialectique des sciences dans les différents domaines.

Les sciences, dans les différents domaines, montrent les contrastes, mais s’opposent au développement en cours ; il faut alors replonger dans la réalité pour rattraper le développement et rétablir le contraste.

Le contraste, défini au moyen de concepts, est ainsi relatif, le développement seul étant absolu, mais en même temps le contraste défini par des concepts porte l’absolu (car il définit conceptuellement le développement à une étape donnée), car le développement porte le relatif (car on parle ici du développement à une étape donnée).


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