Les néoplatoniciens n’ont jamais fait que redire ce que Platon avait dit (dans le Timée, entre autres). On sait peu de choses sur les platoniciens suivant l’effondrement d’Athènes, mais il est certain que les néoplatoniciens ne sont ici nullement originaux et n’ont jamais prétendu modifier ou renouveler Platon.
Ce qui justifie d’une certaine manière le terme, c’est qu’ils intègrent dans leur philosophie ce qu’ils pensent être la philosophie d’Aristote, pourtant opposée à celle de Platon. Il y a là un moment complexe, éminemment dialectique.
Les néoplatoniciens savaient, en effet, et en même temps ne savaient pas que la philosophie d’Aristote s’opposait formellement à celle de Platon. La raison en est la suivante.
Déjà, la philosophie de Platon était politique, de type aristocratique-militaire : cet aspect gommé, il ne restait plus que le mysticisme élitiste le justifiant.
Ensuite, Aristote était lui-même un aristocrate. Il assumait la science, et donc le matérialisme, mais il était limité par sa situation historique : il ne pouvait pas comprendre le principe de transformation, propre à la dialectique portée par la classe ouvrière.
Par conséquent, on a chez Aristote un « éternel retour », ainsi qu’un Dieu anonyme et loin servant de « moteur premier », alors qu’il avait bien saisi que les humains ne pensaient pas et que la seule réalité était matérielle.
C’était donc un « matérialisme métaphysique ». Il reconnaissait que le monde était organisé, mais un « Dieu » était nécessaire pour l’explication, même si c’était un Dieu passif, simple « moteur ».
Avec la décadence générale provoquée par l’effondrement du mode de production esclavagiste en Grèce, la dimension matérialiste a été rejetée, et il n’est plus resté que le squelette métaphysique d’explication du monde.
Les néoplatoniciens se sont alors appropriés ce qui restait de la philosophie, dégénérée, d’Aristote. L’Église catholique prolongera cela, donnant naissance à la scolastique, une manière figée et anti-scientifique de comprendre le monde.
Pour cette raison, les penseurs de la bourgeoisie s’opposeront formellement à la scolastique, mais également donc à Aristote : Francis Bacon est ici le champion de l’expérience scientifique, du rejet des dogmes fondés sur la métaphysique. Il pava la voie au matérialisme anglais et au matérialisme français, qui rejetèrent ainsi pareillement Aristote.
C’était là une erreur terrible, que ne firent pas bien sûr Avicenne, Averroès et Spinoza, qui eux défendaient le pré-matérialisme et le matérialisme comme système total.
La conséquence fut que la bourgeoisie « oubliant » Aristote eut et a un mal fou à combattre les systèmes complets idéalistes, justement parce qu’ils sont des systèmes complets, alors que son matérialisme, par ailleurs décadent, est strictement incapable de former un système, par relativisme et libéralisme.
Le matérialisme dialectique est par contre un authentique système complet, le point de départ (et non d’arrivée) de la science authentique.
Ces aléas historiques permirent, donc, au néoplatonisme d’intégrer les restes de l’aristotélisme, qui au fond était une formidable anomalie, un matérialisme permis par l’activité d’une petite élite acceptant de se tourner vers la science plutôt que d’être simplement parasitaire.
Les néoplatoniciens auront plus ou moins conscience de leur intégration de conceptions propres à Aristote, mais jamais ils ne s’en soucieront, et pour cause, seule la dimension métaphysique comptait.
Du côté arabo-persan, Avicenne va le premier re-scinder Platon et Aristote, de manière relative, Averroès le faisant franchement, Spinoza terminant le processus, culminant sa démarche dans un authentique matérialisme, pas encore complètement débarrassé de métaphysique en apparence, mais déjà réellement moniste, entièrement opposé à tout dualisme, et en disant de manière ouverte que « Dieu » n’est en réalité que l’Univers.