Le congrès socialiste international de Paris se tint du 23 au 27 septembre 1900, dans le contexte de crise, avec d’un côté le révisionnisme s’étant développé en Allemagne, de l’autre côté le ministérialisme en France.
L’ordre du jour était le suivant :
– l’exécution des décisions du congrès ;
– la législation internationale du travail par la limitation de la journée de travail et la possibilité d’un minimum de salaire dans les divers pays ;
– le premier mai ;
– des conditions nécessaires de l’affranchissement du travail (constitution et action du prolétariat organisé en parti de classe, expropriation politique et économique de la bourgeoisie, socialisation des moyens de production) ;
– la conquête des pouvoirs publics et les alliances avec les partis bourgeois ;
– la politique coloniale ;
– la paix internationale, le militarisme, la suppression des armées permanentes ;
– l’organisation des travailleurs maritimes ;
– la lutte pour le suffrage universel et la législation directe par le peuple ;
– le socialisme communal ;
– les trusts ;
– la grève générale.
791 délégués étaient présents, à la salle Wagram, dont 437 Français, 95 Britanniques, 57 Allemands, 37 Belges, 23 Russes, 19 Danois, 14 Italiens, 12 Autrichiens (dont 2 pour les Tchèques), 1 Hongrois. Le scandale à la française eut lieu dès le premier jour, Jules Guesde, Edouard Vaillant et Paul Lafargue quittant la salle en raison de l’appartenance de Jean Jaurès au bureau de présidence du congrès.
La question du ministérialisme fut évidemment brûlante et, dans l’esprit de refus des scissions apparu en Allemagne dans la question du révisionnisme, c’est la résolution « caoutchouc », comme on qualifia pour s’en moquer de celle rédigée par Karl Kautsky, qui l’emporta.
On y lit :
« Le congrès rappelle que la lutte des classes interdit toute espèce d’alliance avec une fraction quelconque de la classe capitaliste (…).
L’entrée d’un socialiste isolé dans un gouvernement bourgeois ne peut pas être considérée comme le commencement normal de la conquête du pouvoir politique, mais seulement comme un expédient forcé, transitoire et exceptionnel. »
Karl Kautsky, l’auteur de la résolution, posa comme gage que cette entrée tactique devait être approuvé par le Parti, que le ministre devait rester sous la supervision du Parti. Mais ce garde-fou n’avait aucun sens alors que des socialistes « indépendants » naviguaient justement entre deux eaux.
Karl Kautsky, parlant de Jean Jaurès en 1934, décrit ainsi cet épisode :
« À l’époque du congrès international de Paris de 1900, nous étions très proches, lui et moi. Le parti venait de s’unifier (depuis 1899, mais une nouvelle scission menaçait.
Alors que le combat pour et contre le révisionnisme de Bernstein échauffait les esprits, une nouvelle controverse fit son apparition : l’entrée de Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau. L’unité était menacée ; on allait à nouveau aboutir à la rupture.
On se contentait d’attendre le congrès international qui devait trancher cette controverse.
La commission du congrès me donna pour mission de rédiger une résolution à ce sujet J’avais refusé l’entrée de Millerand dans le ministère, mais je ne pouvais pas pour autant me résoudre à exprimer une interdiction absolue et pour toujours d’une participation à un gouvernement de coalition. Cela aurait pu nous mener dans une fâcheuse situation.
Ma résolution ne condamna pas une telle participation sans réserve mais seulement sous certaines conditions. J’espérai que ce point de vue était non seulement juste mais permettrait aussi de maintenir en l’état l’unité des camarades français.
En cela je me trompai. Jaurès accepta ma résolution, qui le délivra beaucoup, à l’inverse de mes proches amis français comme Jules Guesde, Lafargue, Vaillant qui la refusèrent.
Au congrès du parti qui suivit le congrès international, on aboutit à la scission. »
En effet, le congrès d’unité socialiste qui se tint du 3 au 8 décembre 1899 du côté français fut un coup d’épée dans l’eau. L’opposition était trop forte entre ceux pour qui les socialistes trouvent en les radicaux des alliés républicains pour ainsi dire naturels, et ceux qui raisonnent en termes de lutte de classe.
Jean Jaurès devient alors la figure principale du premier courant, étant aux côté d’Alexandre Millerand dans la fondation du Parti socialiste français, en 1902. Jules Guesde devient la figure principale du second courant, qui fonde le Parti socialiste de France, fondé en 1901.
Alexandre Millerand profita en fait de l’affaire Dreyfus : refusant de participer à la bataille à l’initiale, alors que Jules Guesde était pour, les rôles s’inversèrent finalement. Alexandre Millerand en profita tout simplement pour relier les socialistes « indépendants » aux radicaux, qui avaient besoin d’un appui face à l’agitation réactionnaire : en juin 1899 avait été élu Emile Loubet, un dreyfusard, comme président de la république.
Lénine critiquera de la manière la plus virulente possible la résolution caoutchouc, qui reflète pour lui le tournant de Karl Kautsky vers le centrisme, l’esprit conciliateur, la capitulation.