L’agronome français René Dumont publia en 1964 un article, Les communes populaires rurales chinoises, où il tente de décrire l’engouement des communes populaires, qui le dépassait alors.
« Quelle était l’ambiance de la nouvelle commune populaire ? Un égalitarisme échevelé. Il s’y introduisait des éléments de communisme.
Une fraction très importante de la récolte de céréales, celle qui est autoconsommée, était distribuée à chacun selon ses besoins.
En d’autres termes, les céréales étaient données gratuitement dans les communes pauvres.
Dans les communes moyennes, on donnait les repas gratuitement. Dans les communes plus riches, on annonçait que toutes les dépenses courantes seraient gratuites : coiffeur, cinéma, jusqu’aux funérailles. Le résultat était une sorte d’allocations familiales.
Le couple sans enfants travaillait pour les huit ou dix enfants du voisin. Ceci était accompagné d’une vie plus collective, pour mobiliser, en faveur de la production, la majorité des femmes.
A cet effet, il fallait les délivrer de leurs tâches domestiques, d’où le réfectoire, les garderies d’enfants, les pouponnières. Et l’on créait des hospices de vieillards sans famille.
Cette forme de vie collective entraînait une certaine résistance de la part des paysans.
Autre caractère de la commune première manière.
L’ensemble des activités était dirigé à partir d’elle sans que pour autant une autonomie suffisante fût accordée aux organes fédérés des anciennes coopératives.
Ceux-ci étaient dorénavant dénommés « brigades » et « équipes » des communes. Les comptes étaient tenus à l’échelon de la commune (comptables, capables de diriger des masses d’ouvriers jusqu’à 9.000 travailleurs).
On a l’impression, en relisant les déclarations de décembre 1958, que les choses n’allaient pas très bien. Le système était trop compliqué pour qu’on pût diriger. Il y avait surcentralisation au sommet, et surinvestissement.
Un tiers de la récolte de 1958 était investie. Pour une très bonne récolte, cela pouvait se faire ; pour les mauvaises récoltes subséquentes, cela devenait impossible.
Quant à la surindustrialisation, jusqu’à l’autarcie, on voulait voir la commune subvenir à ses principaux besoins par ses propres industries.
Quand on constate que le nombre des industries correspond à celui des ouvriers employés dans la commune, on est amené à conclure que ces industries sont des ateliers : un appentis, un hangar, sous lequel on découvre une petite machine et un ouvrier.
On voulait faire de tout, partout, dans l’ambiance du grand bond en avant, sans tenir compte de la rentabilité. Les ordres étaient formels, il fallait foncer dans le brouillard ; dépasser tous les records.
Cette tendance autarcique s’inscrivait dans les perspectives d’une guerre atomique, où la commune survivrait à la destruction des grands centres industriels du pays (…).
En Chine, on laboure les trottoirs des banlieues, les préaux des écoles, les bandes de terrains entre les ateliers d’usines, les bas-côtés des routes, les voies ferrées, les sentiers de diguettes, où l’on avance, un pied devant l’autre, entre deux rangées de haricots. Avec tout cela on réussit seulement à nourrir, au plus juste, et dans les meilleures conditions climatiques, la population chinoise. »
De fait, le Grand Bond en Avant fut marqué par un gigantesque effort d’étude de l’environnement, de compréhension de comment améliorer l’agriculture, de comment mobiliser en ce sens, de comment se relient les questions du climat, des sols et de l’habitat, etc.
C’était une mobilisation se dispersant, mais soucieuse d’appréhender l’ensemble de la situation au niveau d’une commune populaire, pour tous les aspects.
Et l’État lui-même était concerné au premier lieu, puisque en novembre 1957, il y avait ainsi eu une décentralisation significative concernant de nombreux éléments (entrepôts, centres de commerces…).