Accueil → Analyse → Culture → L’art contemporain comme subjectivisme
L’art est une forme d’expression où il y a une représentation synthétique réalisée par un artiste capable de jouer le rôle de miroir de la réalité, et sa représentation elle-même miroir de la réalité se reflète dans les esprits des gens qui, pour cette raison, l’apprécient.
L’art authentique n’oppose ainsi pas la forme et le fond, il façonne la matière pour synthétiser la réalité d’une manière particulière, il ajoute pour ainsi dire de la matière à la matière. Il ne prétend pas produire un espace nouveau, il prend pour ainsi dire des photographies de ce qui s’est déroulé dans le temps.
L’art dit contemporain a une démarche totalement différente puisqu’il consiste en l’expansion d’un esprit individuel vivant des « moments » à prétention singulière à travers des formes « conquérant » des espaces.
Le véritable art est une production historique. L’art contemporain, c’est inversement avant tout une appropriation spatiale, de type subjectiviste ; c’est une « création » individuelle, un « élargissement » subjectiviste, une empreinte individualiste.
Que ce soit en emballant un monument, en écrivant un tag sur un mur, en présentant une installation de machines, en utilisant son propre corps… l’art contemporain occupe toujours un espace à partir d’un ressenti momentané de « l’artiste » qui procède ainsi à un étalement subjectiviste qui a plus ou moins de dignité dans son rapport à l’expérience à la matière.
Un exemple emblématique a été l’activité de la Serbe Marina Abramovic et de l’Allemand Ulay, dans les années 1970-1980.
Mouvement consistait à conduire une camionnette tournant en rond pendant des heures, Relation in time à avoir les cheveux attachés l’un à l’autre dos à dos pendant 17 heures, Relation in Space à courir l’un vers l’autre nu pour s’entrechoquer (pendant 58 minutes), Light/Dark à se donner des gifles en cadence pendant vingt minutes sous de puissantes lampes, Breathing In/Breathing Out à respirer par la bouche de l’autre jusqu’à épuisement, Rest Energy à ce que l’un tienne une flèche en tension tandis que l’autre tenant l’arc fasse face à la flèche…
Le couple a, à juste titre, caractérisé une telle approche en présentant comme suit les exigences :
« Pas de lieu fixe, contact direct, prise de risque et mouvement permanent. »
L’art contemporain se veut en effet toujours « performance ». En 2010, Marina Abramovic organisera ainsi également une session de 736 heures et 30 minutes au MoMA (Museum of Modern Art de New York) où pendant soixante secondes quelqu’un pouvait s’asseoir en face d’elle pour la regarder dans les yeux.
L’œuvre de l’art contemporain se veut ainsi toujours affirmative, conquérante, disruptive, interpellante, car happant son entourage, son environnement, comme pour exister de manière autonome en tant que « création ».
Pour cette raison, l’art contemporain n’a, d’ailleurs, pas de définition esthétique. Il repose sur le subjectivisme du consommateur dont la consommation est si « profonde » qu’elle parviendrait à « créer » une œuvre.
De ce fait, absolument tout est matériau pour l’art contemporain, puisque la source créative est dans le subjectivisme de l’artiste qui façonne, tel un Dieu grec façonne une matière brute préexistante, sa propre réalité.
Cela explique l’expansion ininterrompue de ce qu’utilise l’art contemporain. Si initialement il reprenait des matériaux traditionnels de l’art, comme la peinture, le bois, la pierre, le textile, la céramique, le bronze… il a n’a cessé d’élargir son rayon d’action.
Se sont ainsi ajoutés des objets de récupération, des produits industriels, des paysages, des monuments, des corps, et jusqu’au langage présentée comme une « réalité » matérielle.
Cela reflète que l’art contemporain se veut pure individualité, aventure individuelle de dimension spirituelle, à rebours des principes de travail, de production, de norme. L’art contemporain est, avant tout, un rejet de la réalité transformatrice, au nom d’un subjectivisme créateur.
L’art contemporain est ainsi une forme d’expression accompagnant le développement des forces productives dans le capitalisme. Les artistes étaient en effet auparavant liés à des principes et des formes sociales bien déterminées, que ce soit dans le folklore ou dans les académies organisées par les États.
Avec le capitalisme permettant l’accès aux matériaux nécessaires pour une expression artistique, ainsi qu’une autonomie dans la présentation et la promotion, il y a une déconnexion entre l’artiste et la société, celle-ci voyant échapper celui-ci à sa mainmise idéologique et culturelle.
Ce décrochage entre l’artiste et la société ne dure cependant qu’un temps relatif, celui de l’art dit moderne. Une fois le capitalisme développé, l’art contemporain n’a eu de cesse d’être valorisé, dans un processus allant des années 1920 aux années 1960-1970.
S’ensuit, à partir des années 1980, une véritable politique organisée par les entreprises et les États capitalistes pour promouvoir et valoriser l’art contemporain. Les musées qui leur sont consacrés se sont multipliés parallèlement à la généralisation de galeries proposant des œuvres et à la systématisation de sa présence dans l’éducation.
L’art contemporain, anti-institutionnel initialement dans sa prétention, est ainsi entièrement institutionnel par la suite. Il est de fait l’esthétique elle-même du capitalisme développé.