Expliquons de manière simple pourquoi le PKK, en pratique, a capitulé, ainsi que ce que cela reflète. Imaginez vous dans les années 1970, dans un pays du tiers-monde. La population est en grande partie illettrée, les routes sont mauvaises, les régions isolées.
Si vous attaquez une base militaire, il suffit de couper les réseaux téléphoniques pour vous retrouver seuls face aux militaires, et vos armes, récupérées sur le tas, ne sont pas forcément bien plus mauvaises que celles des militaires.
Tout ça, c’est du passé. Désormais l’illettrisme a grandement reculé, les routes sont bien meilleures et les réseaux téléphoniques ne peuvent pas être coupés. Vous attaquez une base militaire, vous vous retrouvez avec des hélicoptères de l’armée qui auront été appelés, ou bien des renforts terrestres.
Les armes des militaires sont également bien plus complexes. Ceux-ci disposent d’ailleurs en général d’un matériel bien meilleur. Les militaires ont des lunettes pour viser de nuit, ils ont des moyens de communication interne pour agir ensemble, ils sont mieux formés.
Tout cela est simplifié, mais on voit l’idée. Ce n’est toutefois qu’une face du problème, car il y a dialectiquement l’aspect inverse. Pour une guérilla, il faut avoir une base d’appui, d’où partir et d’où se replier.
Durant la révolution chinoise, Mao Zedong a dit : normalement c’est trop compliqué, trop difficile, mais en Chine c’est tellement le chaos qu’on peut établir des bases d’appui, surtout que la lutte armée se développe partout. Il n’y a pas de raison que les communistes ne soient pas de la partie.
Dans les années 1970, des partisans de Mao Zedong ont affirmé qu’il était possible dans leur pays d’établir des bases d’appui. C’est même la base du maoïsme : organiser la révolution anti féodale des paysans, pour former un soulèvement démocratique, qui chasse l’impérialisme.
Dans la plupart des cas, l’établissement de bases d’appui a toutefois échoué, sauf principalement au Pérou, en Inde, aux Philippines. Il y a bien eu des luttes armées concentrées dans certaines zones sympathisantes, comme en Turquie, au Bangladesh, mais ce n’est donc pas au sens strict une guerre populaire avec une base d’appui qui s’agrandit.
C’est pourquoi le Parti Communiste du Pérou distinguait bien la guerre populaire de la lutte armée quand il définissait les actions de guérilla des autres partis maoïstes. Et pourquoi, également, il a souligné l’importance de la zone des Andes pour l’établissement de bases d’appui, de comités populaires « ouverts » comme fondement de la « République Populaire de Nouvelle Démocratie ».
Et c’est là où on en revient au PKK. Le PKK a été une guérilla très puissante dans les années 1990, mais dans les années 2020, il n’était plus présent en Turquie. Pourquoi ? Car avoir une base d’appui, c’est recevoir des missiles, des attaques d’hélicoptères, les assauts de troupes spéciales.
Aujourd’hui, il faut également ajouter les drones, et même si c’est plus difficile aujourd’hui, il y a les déplacements massifs de population. C’est ce qui est arrivé aux Kurdes par le passé, tout comme à toutes les populations du monde où une guérilla s’est développée.
Donc, le PKK avait le choix : soit trouver une nouvelle voie pour la lutte armée, soit dire qu’il fallait abandonner la fiction d’une guérilla, car de toute manière il y avait le repli hors de Turquie et l’incapacité d’agir.
C’est le second choix qui a été fait, ce qui est cohérent : le PKK n’est pas révolutionnaire, il ne vise pas le Communisme, il est nationaliste bourgeois. La lutte armée était un levier, elle n’est plus possible, on passe à autre chose. La vérité est que le PKK n’arrête donc pas vraiment la guérilla, car l’arrêt était déjà effectif.
Nous, communistes, nous voulons par contre la révolution, nous voulons l’océan des masses en arme. Nous devons comprendre ce qui se passe sur ce plan.
En pratique, le tiers-monde s’est tellement modernisé dans la période 1989-2020 qu’il n’est plus possible de former une base d’appui : la répression militaire est quasi immédiate.
On peut bien entendu retourner les choses dans tous les sens et dire que des exceptions sont possibles. Qu’on puisse établir une base d’appui en Birmanie, c’est vrai. Qu’on puisse maintenir en activité des guérillas en Colombie, c’est vrai également.
Cependant, ce n’est pas le cas dans la quasi totalité des pays du monde et la vérité, c’est que la majorité de la population mondiale est urbaine, que les campagnes sont liées aux villes, et même que les villes et les campagnes sont à la fois toujours plus différentes et toujours plus reliées.
C’est la dialectique villes-campagnes qui modifie les traits de la guerre populaire. On sait que dans les pays capitalistes impérialistes, il y a de vastes zones rurbaines, à la fois rurales et urbaines, et en même temps ne relevant ni des campagnes, ni des villes.
Ce No Man’s Land anonymisé, bétonné, glacé… correspond à l’aliénation du capitalisme développé, tout comme inversement il y a les immenses métropoles du tiers-monde : 28 millions d’habitants à Delhi, 21 millions à São Paulo et autant à Mexico, 20 millions au Caire et autant à Bombay, 19,5 millions à Dacca, 15 millions à Karachi, 10 millions à Bogota, 8,8 millions à Téhéran, 7 millions à Luanda, 6 millions à Bagdad et autant à Dar es Salam.
Cet étalement des masses des zones capitalistes impérialistes et cette concentration des masses dans le tiers-monde modifient nécessairement les principes opérationnels de la guerre révolutionnaire, de la bataille pour la prise du pouvoir.
Naturellement, il faut pour comprendre cela être sérieux. Quand on voit qu’il existe en Italie un « parti communiste maoïste » qui existe depuis cinquante ans et qui dans les années 1970-1980 rejetait avec véhémence la plus grande expérience de guérilla urbaine dans un pays capitaliste impérialiste, on ne peut que rire de sa prétention à vouloir mener la guerre populaire.
Et il faut bien le dire : la grande majorité des mouvements maoïstes dans le monde, surtout dans les pays capitalistes impérialistes, ne sont que des syndicalistes révolutionnaires masquant le mythe de la « grève générale » derrière celui de la « guerre populaire ». C’est du théâtre.
Mais revenons à notre sujet. On voit de ce constat que la guerre populaire dans le tiers-monde, même si elle vise à détruire les structures féodales, ne saurait consister en l’établissement de bases d’appui, ces bases étant immédiatement une cible et, de par les capacités modernes, la défaite serait quasiment assuré.
L’exemple du PKK le montre, mais aussi celui des Tigres Tamouls au Sri Lanka en 2009 ; même si vous avez de grandes masses sympathisantes, toute concentration de forces, à l’époque moderne, implique une répression ciblée directe et massive.
On dira qu’inversement la guerre populaire au Népal a été victorieuse, avant la capitulation par la direction révisionniste du Parti maoïste de ce pays devant l’épineuse question des villes. Mais c’est justement simplement une contre-tendance à une vérité forcément relative.
Toute guerre présuppose, en effet, des modifications de situation et si une base d’appui n’est pas réalisable initialement, elle peut le devenir après. Cela dépend du cours de la révolution.
Par contre, si on pose la question suivante : est-il possible d’établir dès le départ des bases d’appui, ou d’avoir en tête de les former ? La réponse est non. On ne peut plus, à l’époque des missiles précis, des photos satellites, des téléphones portables, des moyens de communication moderne et évidemment des drones, rassembler des forces dans un endroit pour lancer des actions.
C’est terminé – terminé relativement, c’est vrai. Mais c’est terminé tout de même. Ce qui se passe dans le tiers-monde est désormais similaire à ce qui est la situation dans les pays capitalistes impérialistes : la ville a trop avancé et ôte le terrain pour une base d’appui.
Tout rassemblement de troupes aboutit à la même défaite que celle qu’ont connu les maquis en France pendant la seconde guerre mondiale. Trop d’isolement par rapport aux masses, trop de dimension statique qui aboutit à ce qu’on devienne une vraie cible.
Néanmoins, on dira ici : la guerre populaire ne consiste pas un rassemblement de révolutionnaires armés dans une zone séparée. La guerre populaire, c’est la guerre du peuple, c’est le peuple qui porte la guerre à partir de sa propre réalité.
Le peuple n’est pas un levier pour la guérilla, comme le pensent de manière erronée les guévaristes. Le peuple est la guérilla, ou bien il n’y a pas de guérilla. Il ne s’agit pas de faire du substitutisme, ni pour autant d’abandonner le principe selon lequel le pouvoir est au bout du fusil.
Voilà pourquoi les communistes se retrouvent avec une nouvelle question, au 21e siècle ; là où le PKK ne peut pas répondre, les communistes doivent le faire. Comment va naître l’océan des masses armées dans un pays, pour démolir l’ancien Etat et établir le nouveau pouvoir ?
On connaît l’ancienne opposition, fictive en fait, entre l’insurrection d’Octobre 1917 en Russie et la guerre populaire prolongée en Chine, qui triomphe en 1949.
En réalité, l’insurrection d’Octobre 1917 a été suivi d’une longue guerre civile, c’était également une guerre populaire, celle-ci étant la stratégie du prolétariat et de valeur universelle.
Cela est bien connu et il existe une très vaste littérature au sujet de la question de la guerre révolutionnaire, soit qu’on la voit comme un processus prolongé au développement inégal, soit comme une insurrection organisée.
Car, au fond, ce qui décide de la révolution, c’est le parcours historique propre à un pays donné, avec le parti révolutionnaire qui agit conformément aux exigences du processus.
Le Parti de la révolution guide la révolution, mais encore faut-il qu’il y en ait une, alors il pousse les choses en ce sens, il fait une proposition stratégique, afin d’être prêt à jouer sa propre composition pour la fusionner avec la mélodie populaire de la révolte.
C’est pourquoi la capitulation du PKK n’est pas, si on y regarde bien, une capitulation sur le plan militaire. C’est une reddition mentale, psychologique.
L’ex-PKK dit qu’il veut promouvoir la lutte, mais la lutte ce n’est pas l’affirmation de nuances : c’est la revendication de la différence, en la portant jusqu’au bout, jusqu’à l’antagonisme.
L’idéologie doit être bien sûr au poste de commandement, toutefois c’est une question de mental qui joue, une question de position de classe. Des petits-bourgeois qui adopteraient le maoïsme, comme il y a régulièrement dans tel ou tel pays des étudiants pour le faire, n’ont pas le mental, pas la psychologie, pas la réalité sociale qu’il faut pour assumer la révolution.
On ne parle pas ici de position de classe comme simple réalité sociologique, ou comme dimension symbolique. On parle du vécu, de l’engagement, de la subjectivité révolutionnaire. Cela n’a rien à voir avec un élan psychologique, une sorte de vitalisme à la Bergson (qui fascine tellement les islamistes et les fascistes).
Ce dont il s’agit, c’est du vécu humain. Les communistes sont des êtres humains affrontant les contradictions propres à une société, et ce dans tous les domaines, ils se mettent à niveau de l’Histoire, ils connaissent les différents domaines de la reproduction de la vie réelle dans le cadre d’un mode de production.
C’est là qu’ils découvrent la guerre du peuple qui naît et ils cherchent à la développer. La guerre populaire suit le principe : les masses font l’Histoire, le Parti les dirige.