La confrontation idéologique sino-soviétique avait été poussée jusqu’à une tentative soviétique d’éjecter Mao Zedong de la direction chinoise, en 1959. À la suite de cet échec, l’URSS décida de la rupture ouverte. Lors du 3e congrès du Parti Ouvrier Roumain, à Bucarest du 20 au 25 juin 1960, Nikita Khrouchtchev dénonça ouvertement la Chine populaire, l’accusant de bellicisme, de gauchisme, de nationalisme, de méthodes trotskystes.
Dans la foulée, l’URSS annonça le 16 juillet qu’elle rapatriait unilatéralement tous ses conseillers et techniciens présents en Chine populaire. Cette dernière avait connu de grandes catastrophes alors, tels des typhons et des inondations.
1390 spécialistes soviétiques actifs dans 250 entreprises quittèrent le pays du jour au lendemain, emportant les plans ; un nombre à peu près équivalent d’étudiants chinois revint au pays. Tous les accords scientifiques et techniques furent unilatéralement rompus par l’URSS (347 contrats et 257 projets) et il n’y eut plus aucun matériel soviétique d’envoyé, rendant impossible le remplacement ou la fin de constructions.
Ce coup de poignard dans le dos par l’URSS s’accompagnait d’un rapprochement toujours plus grand avec l’Inde. Le rapprochement avait été initié dès 1955, l’année d’un tournant, avec l’aide à l’ouverture d’une aciérie à Bhilai, la venue de Nehru à Moscou, la visite de l’Inde par Khrouchtchev et Boulganine.
L’Inde recevait en 1960 trois fois plus de prêts soviétiques que la Chine populaire ; lors de la crise de 1958 en Irak, en Jordanie et au Liban, l’URSS fit une opération diplomatique avec l’Inde, puis même Taïwan, et pas avec la Chine populaire. Lors du conflit frontalier sino-indien de 1959, l’URSS resta « neutre » ce qui revenait ouvertement à soutenir l’Inde, cherchant pourtant à semer le trouble au Tibet avec l’appui de la CIA, avec des parachutages d’armes notamment.
Khrouchtchev fut même en Inde au moment des dix ans du Traité d’amitié sino-soviétique, ce qui fut considéré du côté chinois comme une terrible insulte. Par la suite, en août 1962 un accord sera même signé pour produire des avions de chasse soviétiques de type MIG en Inde. Et en octobre 1962, c’est avec des hélicoptères et des avions de transport soviétiques que l’Inde mobilisa ses troupes à la frontière chinoise, mais la Chine populaire mènera une offensive préventive, écrasant l’armée indienne et se repliant au-delà de sa propre frontière.
Ce rapprochement avec l’Inde était une opération ainsi strictement parallèle au retrait unilatéral des conseillers, techniciens et ingénieurs soviétiques de Chine populaire en 1960. C’était l’annonce d’une rupture ouverte, alors que de part et d’autres il y avait des tentatives d’empêcher celle-ci.
Une conférence de 81 Partis communistes et ouvriers eut lieu à Moscou du 11 au 23 novembre 1960 et un document de compromis relatif fut formulé alors. Ce fut la dernière fois que les uns et les autres acceptèrent de transiger et la scission était de plus en plus ouverte, les Soviétiques approfondissant le processus révisionniste ouvert en 1953 et les Chinois le réfutant toujours plus.
Ce fut le moment du rapprochement sino-albanais, avec en février 1961 un accord sur le commerce et la navigation, un prêt chinois, puis en avril 1961 l’envoi d’équipements et de techniciens chinois, l’achat de blé par la Chine populaire pour être envoyé en Albanie, etc.
L’URSS coupa alors toutes les assistances à l’Albanie en mai et, au 22e congrès en octobre 1961, Nikita Khrouchtchev dénonça nommément l’Albanie, dont les représentants n’avaient même pas été invités.
Cela amena Zhou Enlai, dès le deuxième jour, à prendre la parole pour défendre l’Albanie, à quitter le congrès sans serrer la main à Khrouchtchev, à amener des fleurs le lendemain sur la place rouge sur les tombes de Lénine et Staline, puis à partir pour Pékin le surlendemain, Mao Zedong l’accueillant à l’aéroport.
L’URSS enleva alors immédiatement la tombe de Staline de la place rouge. De son côté, la Chine populaire lança une large polémique anti-révisionniste du 15 décembre 1962 au 8 mars 1963, dans le prolongement du long document publié le 16 avril 1960 dans le Drapeau rouge, Vive le léninisme !, à l’occasion du 90e anniversaire de Lénine.
Il faut cependant bien prendre en compte les contre-tendances révisionnistes. Ainsi, Wang Jiaxiang, à la tête du département international du Parti Communiste de Chine et disposant du soutien de Liu Shaoqi et Deng Xiaoping, lança en février 1962 une campagne pro-révisionniste pour en environnement international « pacifique » aidant à la construction socialiste.