Puisque la guerre n’était portée que par le militarisme, qui lui-même représentait une tendance dans le capitalisme, mais pas le capitalisme en tant que tel, alors il était cohérent de se tourner seulement contre le militarisme, d’appeler à des arbitrages internationaux, à la diplomatie, etc.

La guerre était une possibilité, si elle se déclenchait elle serait de masse, assassine, mais elle n’est qu’une possibilité historique particulière, qui peut être contré en général.

Le bureau socialiste international de Bruxelles organisa ainsi une réunion les 29-30 juillet 1914, soit quelques jours après la remise de l’ultimatum autrichien à la Serbie, le 23 juillet, et la rupture des rapports diplomatiques entre l’Autriche et la Serbie le 25. La déclaration de guerre eut lieu le 28.

Initialement, le Bureau annonça que le congrès de la seconde Internationale devant se tenir à Vienne, en Autriche, fin août, se déroulerait au début du même mois à Paris. La réunion du Bureau du 30 juillet appela alors à se mobiliser, mais sur la base d’un règlement « diplomatique » des conflits :

« À l’unanimité, il fait une obligation aux prolétaires de toutes les nations intéressées, non seulement de poursuivre, mais encore d’intensifier leurs démonstrations contre la guerre, pour la paix et pour le règlement arbitral du conflit austro-serbe. »

Le communiqué demanda que soit exercée une pression sur les gouvernements français et allemand pour qu’ils fassent pression sur la Russie et l’Autriche – une illusion ô combien meurtrière, mais caractéristique.

Jean Jaurès, qui prit la parole le 29 juillet dans le cadre d’un meeting, tint des propos aberrants conformes à cette vision des choses :

« Nous, socialistes français, notre devoir est simple ; nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique.

Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée qui ne faillira jamais, de rapprochement franco-allemand, j’ai le droit de dire qu’à l’heure actuelle le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix.

Le gouvernement français est le meilleur allié de paix de cet admirable gouvernement anglais qui a pris l’initiative de la conciliation. Et il donne à la Russie des conseils de prudence et de patience. »

La position de Jean Jaurès n’est nullement isolée, elle est même caractéristique. Dans le Manifeste publié dans l’Humanité le 28 juillet 1914 et signé par plus de vingt dirigeants du Parti socialiste SFIO, on lit :

« Les socialistes, les travailleurs de France font appel au pays tout entier pour qu’il contribue de toutes ses forces au maintien de la paix.

Ils savent que le gouvernement français dans la crise présente a le souci très net et très sincère d’écarter ou d’atténuer les risques de conflit (…).

À bas la guerre ! Vive la république sociale ! Vive le socialisme international ! »

Dans les rangs du Parti socialiste SFIO, Gustave Hervé était la grande figure du style syndicaliste révolutionnaire ; son journal La guerre sociale était un brûlot anti-militariste.

Voici ce qu’il écrit avec le même aveuglement, le 28 juillet 1914, dans l’article La vérité sur l’attitude de l’Allemagne :

« Que d’insanités, que d’injustices, que d’erreurs dans toute la presse française sur l’attitude de l’Allemagne et de son ambassadeur M. Schoen ! L’Allemagne belliqueuse, menaçante ! Allons donc ! En réalité, l’Allemagne est aussi embarrassée de son allié [= l’Autriche-Hongrie] que nous du nôtre [= la Russie].

Les démarches de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris ont tout juste le sens opposé à celui que lui attribue Clemenceau dont la germanophobie, ces jours derniers, confine à la démence (…).

Si nous échappons cette fois à la catastrophe, la France et l’Allemagne, si elles sont sages, feraient bien, à la prochaine occasion, de lâcher l’une l’alliance russe et l’autre l’alliance autrichienne, pour réaliser cette entente cordiale franco-allemande, qui l’Angleterre et l’Italie aidant, serait le meilleur rempart de la paix européenne et de la civilisation. »

Cette confiance en le gouvernement, même en le régime « républicain » en lui-même, explique beaucoup de choses : on comprend pourquoi il y eut un retournement de situation si facile. Les socialistes et les sociaux-démocrates, tout comme les syndicalistes, appelaient tous à la paix, car ils ne croyaient pas en la guerre.

Ils avaient qui plus est relativement confiance en leur propre gouvernement, qu’ils considéraient comme en quelque sorte raisonnable, dans le cadre d’un régime républicain et donc relativement démocratique en soi, etc.

Cette démarche est quasi systématique dans les Partis de la seconde Internationale. Voilà pourquoi dans leur ensemble, comme pour l’ensemble des syndicats européens, ils réfutaient la guerre dans des communiqués lyriques, pour immédiatement abandonner toute position anti-guerre lorsque celle-ci s’enclencha.


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