On voit aisément dans quel terrible imbroglio se retrouve Hegel. Pour lui, de manière juste, une chose, prise en elle-même, est en effet la négation du fait d’être en rapport avec autre chose, et inversement dans son rapport avec autre chose, la chose est alors négation d’être simplement elle-même, les choses extérieures faisant intervenir un rapport de négation de la négation.

D’ailleurs, si la finitude était simplement elle-même, sans lien avec l’infini, avec le fini irait au fini et il n’y aurait plus rien, on en arriverait au néant complet, qui est une abstraction. Ce n’est pas le cas, car la finitude porte en elle la finitude de la finitude.

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Seulement, comme il n’y a pas la matière chez Hegel, il n’y a rien pour porter cet infini, à part l’infini lui-même. Pour lui, l’infini consiste en la négation de la négation comme forme générale de l’existence, alors que la négation de la négation est déjà en soi présente par le fait que la matière existe (dans son rapport fini/infini).

De là un idéalisme de l’infini, qui ne saisit pas que ce qui porte l’infini, à savoir la matière, de là l’infini comme manière d’avancer et donc d’exister, de là une sorte d’idée suprême expliquant l’être.

Il va de soi que, si on en restait là, alors l’infini se maintient en tant que tel, comme principe de la détermination positive, affirmée, et on ne peut rien dire d’autre. Il ne reste plus que la soumission devant ce qui dépasse, la fascination mystique pour une quête éperdue de l’infini comme absolu.

Surtout que, si l’on regarde bien cela de manière matérialiste historique, les religions s’appuient justement sur les notions de création, de qualitatif, d’absolu.

Or, Hegel entend formuler la possibilité de la connaissance et de la science elle-même.

Il va donc s’y prendre de la manière suivante : puisque l’infini s’exprime par la qualité, qualité sans laquelle l’infini ne serait qu’un horizon jamais atteint, alors il est possible de distinguer trois déterminations aux choses.

Lorsqu’une chose est déterminée en tant que telle, c’est la qualité. La qualité est le point de départ de la logique, car elle est le mouvement.

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Si cette détermination est dépassée, alors on a la taille, la quantité. La quantité est la qualité devenue négative. C’est, on l’a compris, le niveau où peuvent opérer les mathématiques ; on est ici plus face à la qualité et au mouvement, mais à leur contraire, la quantité et le non-mouvement. On n’est plus dans le vivant, mais dans le mort.

Enfin, si on définit cette quantité qualitativement, alors on aurait la mesure. C’est absurde, mais Hegel n’avait pas le choix pour maintenir la justification d’un discours possible, censé être la logique. Cette notion de mesure est absolument centrale dans La science de la logique ; elle est, si l’on veut, la tentative pour Hegel de stabiliser son système, étant donné qu’il n’allait pas au matérialisme dialectique.

Voici comment il procède.

Prenons un exemple de la quête de l’infini de Hegel, qui s’associe à sa considération comme quoi les mathématiques sont un outil formel seulement. Si l’on prend par exemple 4/2 et 4/3, les mathématiques s’intéressent au résultat. Or, Hegel va s’intéresser non pas aux 4, au 2 et au 3, qui sont interchangeables, ni à un résultat plus qu’un autre, bien que l’un ait l’air fini, l’autre pas (4/2 = 2, 4/3 = 1,333333…).

Hegel dit ainsi à ce sujet :

« Dans la mesure donc où la fraction est quelque chose de fini, c’est-à-dire un quantum déterminé, la série infinie l’est également et encore plus qu’elle.

Mais dans la mesure où la fraction est infinie, et infinie en elle-même au sens véritable, parce qu’elle a en elle-même l’au-delà négatif, la série infinie est affectée d’un manque, et n’a l’infini que comme un au-delà en dehors d’elle. »

Ce qui l’interpelle plutôt, c’est la division elle-même, qui est une connexion entre les deux nombres, et qui par conséquent porte en elle l’infini. Dans 4/2, ce qui l’intéresse, c’est le /.

C’est évidemment un décrochage. Le matérialisme dialectique est d’accord avec Hegel pour que les mathématiques aient une place secondaire, mais elles sont utiles comme modélisation, une fois qu’on a établi de manière matérialiste le 4 et le 2 de l’opération, et qu’on maintienne le cap en se focalisant avant tout sur le saut qualitatif, que les mathématiques ne peuvent pas découvrir, mais modéliser.

Chez Hegel, par contre, le qualitatif est pris en soit ; il est le grand prêtre de l’infini, il est le Jésus-Christ de l’infini divin père de toute choses.

Cela aboutit à la survalorisation de la mesure, qu’il présente donc comme la définition qualitative de la quantité, le véritable Saint-Esprit permettant d’appréhender la réalité.

La mesure est vue par Hegel comme unité de la quantité et de la qualité, unité du moment et de la connexion, en liaison tant avec la négation de toutes les autres mesures qu’avec la négation du principe de mesure lui-même. Toutes les valeurs (poids, masse, vitesse, mouvement, fonction, etc.) se retrouvent dans la mesure.

C’est là évidemment une conséquence inévitable du positionnement de Hegel comme quoi la logique prime : il fallait bien que la logique fournisse une réalité matérielle. La mesure est en quelque sorte la tri-dimensionnalisation de la thèse de Hegel sur l’infini. C’est pourquoi il peut dire :

« Tout ce qui est là, a une mesure. Tout être existant a une taille, et cette taille appartient à la nature de quelque chose en tant que tel ; elle fait une nature particulière et sa nature interne pour soi-même. »


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