Après avoir théorisé la nouvelle situation dans Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon, Mao Zedong analysa ensuite de manière plus générale les Problèmes de la guerre et de la stratégie, ce qui aboutit à l’ouvrage De la guerre prolongée.
C’est ainsi à la suite de la longue marche et dans les conditions de la guerre anti-japonaise que Mao Zedong formula, à travers une série d’écrits, ce qui fut ensuite connu comme la conception de la « guerre populaire », de la « guerre populaire prolongée ».
Mao Zedong analyse en détail la situation chinoise et explique la stratégie à adopter, les tactiques à suivre, l’organisation à développer et l’état d’esprit à adopter. L’avantage essentiel constaté par Mao Zedong est bien sûr le caractère « tellement vaste » du théâtre d’opérations.
Même si le Japon parvenait à occuper une partie de la Chine, il n’aurait jamais les moyens de contrôler l’ensemble du pays et ainsi la résistance est inlassablement victorieuse, dans tous les cas.
« Nous avons ainsi ruiné le plan de l’ennemi qui escomptait une “décision rapide” et l’avons contraint à entreprendre une guerre prolongée.
Ces principes sont inapplicables dans un petit pays et difficilement applicables dans un pays trop arriéré politiquement.
Mais comme la Chine est un grand pays à une époque de progrès, elle peut les appliquer.
Si nous évitons la décision stratégique, nous y perdrons certes une partie de notre territoire, mais, comme dit le proverbe: “La forêt donnera toujours du bois”, nous conserverons un vaste territoire pour manœuvrer, et nous pourrons attendre et faire en sorte qu’avec le temps notre pays progresse, l’aide internationale augmente et la désagrégation intérieure se produise dans le camp de l’ennemi.
C’est là pour nous la meilleure politique à suivre dans la Guerre de Résistance. »
Cela est vrai, bien entendu, à condition de mobiliser toujours davantage les masses. La guerre populaire n’est pas tant un concept que l’expression équivalente à celle de guerre du peuple.
Mao Zedong s’appuie ici sur l’expérience madrilène, lorsque le Parti Communiste d’Espagne a mobilisé massivement en défense de la ville, à un moment clef de la guerre civile.
« Maintenant que la défense de Wouhan et d’autres endroits est devenue un problème si urgent, notre tâche la plus importante, c’est de développer pleinement l’activité de l’armée et du peuple pour soutenir la guerre.
Il n’y a pas de doute, nous devons poser sérieusement le problème de la défense de Wouhan et d’autres endroits et nous mettre sérieusement à la tâche.
Mais la question de savoir si finalement nous réussirons à les défendre dépend non de notre volonté subjective mais des conditions concrètes.
La mobilisation politique de l’armée et du peuple tout entiers pour la lutte est l’une des plus importantes de ces conditions concrètes.
Si nous ne nous employons pas à réaliser toutes les conditions nécessaires, si même une seule de ces conditions fait défaut, il se produira inévitablement ce qui s’est passé à Nankin et en d’autres endroits que nous avons perdus.
Où sera le Madrid chinois ? Il sera là où seront créées les mêmes conditions qu’à Madrid.
Nous n’avons pas eu jusqu’ici un seul Madrid, mais maintenant nous devons en créer plusieurs.
Cependant, la possibilité de le faire dépend entièrement des conditions.
Et la plus fondamentale d’entre elles, c’est une large mobilisation politique de toute l’armée et de tout le peuple. »
Cela amène Mao Zedong à prévoir trois étapes dans une guerre nécessairement prolongée de par les conditions chinoises.
Il parle ainsi de la défensive stratégique, suivie de la préparation de la contre-offensive accompagnée inversement par la consolidation stratégique des positions de l’ennemi, enfin de la contre-offensive stratégique accompagnée par la retraite stratégique de l’ennemi.
La première étape est marquée par la guerre de mouvement, avec de manière auxiliaire la guerre de partisans et la guerre de position.
La seconde étape est marquée par la guerre de partisans, avec de manière auxiliaire la guerre de mouvement.
La troisième étape est marquée par la guerre de mouvement, avec également la guerre de position, combinées en des offensives stratégiques.
Mao Zedong résume cela ainsi :
« Lorsque nous disons que, dans l’ensemble de la guerre, la guerre de mouvement est la forme principale et la guerre de partisans la forme auxiliaire, nous entendons que le sort de la guerre dépend principalement des opérations régulières, et particulièrement de celles menées sous forme de guerre de mouvement, et que la guerre de partisans ne peut assumer la responsabilité principale dans la détermination de l’issue de la guerre.
Mais cela ne veut pas dire que la guerre de partisans ne joue pas un rôle stratégique important dans la Guerre de Résistance.
Dans cette guerre prise dans son ensemble, la guerre de partisans ne le cède en importance stratégique qu’à la guerre de mouvement, car il est impossible de vaincre l’ennemi sans s’appuyer sur les forces des partisans.
Il en découle que nous avons pour tâche stratégique de transformer la guerre de partisans en guerre de mouvement.
Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans ne restera pas ce qu’elle est, mais s’élèvera jusqu’au niveau de la guerre de mouvement.
Elle joue ainsi un double rôle stratégique : d’une part, elle aide aux succès des opérations régulières et, d’autre part, elle se transforme elle-même en guerre régulière (…).
Comme nous l’avons dit plus haut, la Guerre de Résistance prendra, au cours de ses trois étapes stratégiques, les formes suivantes :
Dans la première étape, la forme principale est la guerre de mouvement, les formes auxiliaires la guerre de partisans et la guerre de position.
A la deuxième étape,la guerre de partisans prendra la première place, tandis que la guerre de mouvement et la guerre de position seront les formes auxiliaires.
Dans la troisième étape, la guerre de mouvement redeviendra la forme principale, alors que la guerre de position et la guerre de partisans joueront un rôle auxiliaire.
Mais, dans cette troisième étape, la guerre de mouvement ne sera plus faite seulement par les troupes régulières du début ; elle sera pour une part, et très probablement une part assez importante, assumée par d’anciens détachements de partisans qui auront alors atteint le niveau des troupes régulières.
L’examen de ces trois étapes montre que, dans la Guerre de Résistance menée par la Chine, la guerre de partisans n’est aucunement une chose dont on puisse se passer.
Au contraire, elle est appelée à y jouer un rôle grandiose, encore sans exemple dans l’histoire des guerres de l’humanité.
C’est pourquoi il est absolument indispensable de prélever, sur notre armée régulière de plusieurs millions d’hommes, au moins quelques centaines de milliers d’hommes et de les répartir sur tous les territoires occupés par l’ennemi, où ils appelleront les masses à s’armer et entreprendront avec elles la guerre de partisans.
Les troupes qui auront été détachées à cette fin devront assumer cette tâche sacrée en toute conscience ; elles ne doivent pas penser qu’elles verront leur valeur diminuer parce qu’elles auront moins de grandes batailles à livrer et qu’elles ne pourront, pour un temps, faire figure de héros nationaux.
De telles conceptions sont fausses.
La guerre de partisans n’apporte pas des succès aussi rapides ni une gloire aussi éclatante que la guerre régulière, mais, comme dit le proverbe, “c’est dans un long voyage qu’on voit la force du coursier, et dans une longue épreuve le cœur de l’homme”.
Au cours d’une guerre longue et acharnée, la guerre de partisans apparaîtra dans toute sa puissance; elle n’est certes pas une entreprise ordinaire.
De plus, en éparpillant ses forces, une armée régulière peut entreprendre une guerre de partisans, et en les rassemblant, une guerre de mouvement; ainsi opère la VIIIe Armée de Route.
Le principe adopté par celle-ci est le suivant: “Faire essentiellement une guerre de parti sans, sans se refuser à la guerre de mouvement lorsque les circonstances sont favorables”.
Ce principe est tout à fait juste, alors que les points de vue opposés sont erronés. »
Mao Zedong caractérise ainsi la guerre des partisans :
« Pour que la guerre de partisans soit possible, une seule condition suffit: un vaste territoire. Aussi la guerre de partisans a-t-elle existé même dans les temps anciens.
Cependant, la guerre de partisans ne peut être poursuivie jusqu’au bout que sous la direction du Parti communiste. C’est pourquoi les guerres de partisans dans le passé se sont généralement terminées par la défaite. La guerre de partisans ne peut être victorieuse qu’à notre époque, dans les grands pays où existe un parti communiste, par exemple en Union soviétique à l’époque de la guerre civile, ou en Chine à l’heure actuelle.
Dans la question des opérations militaires, une division du travail entre le Kuomintang et le Parti communiste pendant la Guerre de Résistance, le premier menant de front la guerre tarière et le second les opérations de partisans à l’arrière de l’ennemi, est, dans les conditions actuelles comme dans les conditions générales, nécessaire et tout indiquée; elle répond aux besoins mutuels, assume une coordination des efforts et constitue une entraide.
On comprend dès lors combien est importante et nécessaire la ligne stratégique militaire adoptée par notre Parti, celle du passage des opérations régulières de la deuxième période de la guerre civile aux opérations de partisans de la première période de la Guerre de Résistance.
Les opérations de partisans nous offrent les dix-huit avantages suivants :
1) réduction du territoire occupé par l’ennemi;
2) élargissement des bases d’appui de notre armée;
3) à l’étape de la défensive, coordination avec les opérations régulières menées de front, pour retenir les forces ennemies;
4) à l’étape de stabilisation, possibilité de maintenir fermement les bases d’appui à l’arrière de l’ennemi, afin de favoriser l’entraînement et la réorganisation des troupes régulières qui opèrent de front;
5) à l’étape de la contre-offensive, coordination avec les opérations régulières menées de front, pour recouvrer les territoires perdus;
6) accroissement des effectifs de notre armée avec la rapidité et l’efficacité les plus grandes;
7) développement au maximum du Parti communiste, de sorte que chaque village ait une cellule du Parti;
8) développement le plus large du mouvement de masse, afin que toute la population à l’arrière de l’ennemi, à l’exception de celle de ses points d’appui, puisse s’organiser;
9) possibilité de créer, sur la plus vaste échelle, des organes du pouvoir démocratique antijaponais;
10) développement le plus large de la culture et de l’éducation au service de la Résistance;
11) amélioration des conditions de vie des masses populaires les plus larges;
12) conditions les plus favorables pour désagréger les troupes de l’ennemi;
13) action la plus large et la plus durable sur les sentiments du peuple tout entier et sur le moral de toutes les armées du pays;
14) la plus grande aide possible apportée aux armées et aux partis amis pour les pousser à progresser;
15) adaptation aux conditions dans lesquelles l’ennemi est fort et nous faibles en vue de réduire nos pertes au minimum et de remporter le maximum de victoires;
16) adaptation au fait que la Chine est un grand pays et le Japon un petit pays en vue d’infliger à l’ennemi le maximum de pertes et de réduire ses succès au minimum;
17) formation la plus rapide et la plus efficace d’un grand nombre de cadres dirigeants;
18) conditions les plus favorables pour résoudre les problèmes du ravitaillement.
Il est hors de doute aussi qu’au cours d’une longue lutte les détachements de partisans et la guerre de partisans ne doivent pas se figer sous leur forme initiale et qu’ils doivent se développer pour passer à un niveau supérieur, se transformer peu à peu en armée régulière et en une guerre régulière.
Au cours de la guerre de partisans, nous accumulerons des forces telles que nous deviendrons l’un des facteurs décisifs de l’anéantissement de l’impérialisme japonais. »
Voici enfin comment Mao Zedong synthétisera par la suite les dix principes fondamentaux d’opération.
« 1. Attaquer d’abord les forces ennemies dispersées et isolées, et ensuite les forces ennemies concentrées et puissantes.
2. S’emparer d’abord des villes petites et moyennes et des vastes régions rurales, et ensuite des grandes villes.
3. Se fixer pour objectif principal l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et non pas la défense ou la prise d’une ville ou d’un territoire. La possibilité de garder ou de prendre une ville ou un territoire résulte de l’anéantissement des forces vives de l’ennemi, et souvent une ville ou un territoire ne peut être tenu ou pris définitivement qu’après avoir changé de mains à plusieurs reprises. »
4. A chaque bataille, concentrer des forces d’une supériorité absolue (deux, trois, quatre et parfois même cinq ou six fois celles de l’ennemi), encercler complètement les forces ennemies, s’efforcer de les anéantir totalement, sans leur donner la possibilité de s’échapper du filet.
Dans des cas particuliers, infliger à l’ennemi des coups écrasants, c’est-à-dire concentrer toutes nos forces pour une attaque de front et une attaque sur l’un des flancs de l’ennemi ou sur les deux, afin d’anéantir une partie de ses troupes et mettre l’autre partie en déroute, de sorte que notre armée puisse déplacer rapidement ses forces pour écraser d’autres troupes ennemies.
S’efforcer d’éviter les batailles d’usure dans lesquelles les gains sont inférieurs aux pertes ou les compensent seulement. Ainsi, bien que dans l’ensemble nous soyons (numériquement parlant) en état d’infériorité, nous avons la supériorité absolue dans chaque secteur déterminé, dans chaque bataille, et ceci nous assure la victoire sur le plan opérationnel. Avec le temps, nous obtiendrons la supériorité dans l’ensemble et finalement nous anéantirons toutes les forces ennemies.
5. Ne pas engager de combat sans préparation, ou un combat dont l’issue victorieuse ne soit pas certaine. Faire les plus grands efforts pour se bien préparer à chaque engagement, faire les plus grands efforts pour s’assurer la victoire dans un rapport de conditions donné entre l’ennemi et nous.
6. Mettre pleinement en oeuvre notre style de combat-bravoure, esprit de sacrifice, mépris de la fatigue et ténacité dans les combats continus (c’est-à-dire engagements successifs livrés en un court laps de temps et sans prendre de repos).
7. S’efforcer d’anéantir l’ennemi en recourant à la guerre de mouvement. En même temps, accorder une grande importance à la tactique d’attaque de positions dans le but de s’emparer des points fortifiés et des villes de l’ennemi.
8. En ce qui concerne l’attaque des villes, s’emparer résolument de tous les points fortifiés et de toutes les villes faiblement défendus par l’ennemi. S’emparer au moment propice de tous les points fortifiés et de toutes les villes modérément défendus par l’ennemi, à condition que les circonstances le permettent. Quant aux points fortifiés et villes de l’ennemi puissamment défendus, attendre que les conditions soient mûres, et alors les prendre.
9. Compléter nos forces à l’aide de toutes les armes et de la plus grande partie des effectifs pris à l’ennemi. Les sources principales d’hommes et de matériel pour notre armée sont au front.
10. Savoir mettre à profit l’intervalle entre deux campagnes pour reposer, instruire et consolider nos troupes. Les périodes de repos, d’instruction et de consolidation ne doivent pas, en général, être très longues, et, autant que possible, il ne faut pas laisser à l’ennemi le temps de reprendre haleine. »