3ème séance, Moscou, 19 juin 1924

milioutine.jpgLa IIe Internationale se disloque sous nos yeux. Cette décomposition affecte tous ses aspects, mais elle trouve son expression la plus complète et la plus frappante dans le déclin et dans la décomposition de l’idéologie social-démocrate. L’idéologie de la IIe Internationale, sa théorie actuelle, sa philosophie, sa propagande et son agitation reflètent sa tendance aux compromis, ses efforts pour couvrir et sauver le capitalisme en ruines. « L’existence conditionne la conscience » − cette vérité marxiste est pleinement justifiée par l’exemple de la IIe Internationale.

L’idéologie marxiste a quitté la IIe Internationale ou, pour parler plus exactement, la IIe Internationale, ses théoriciens et ses praticiens ont trahi le marxisme s’en sont séparés et se sont enlisés dans le marais du révisionnisme, dans l’atmosphère empoisonnée des théories petites-bourgeoises, qui ont remplacé chez eux le marxisme.

Messieurs Kautsky, Hilferding, Kunow et autres conservent encore la phraséologie marxiste, mais de l’essence, de la teneur du marxisme, il ne leur est rien resté.

Il suffit de se rappeler le dernier ouvrage de Kautsky « La révolution prolétarienne et son programme » pour mesurer toute la profondeur de la chute. Le théoricien de la IIe Internationale est tombé dans le révisionnisme.

Premièrement. − Les théoriciens de la 2e Internationale sont morts pour le marxisme.

Par une nécessité historique et toute naturelle, le marxisme révolutionnaire, approfondi et développé par Lénine est devenu l’idéologie de la IIIe Internationale, l’idéologie du mouvement ouvrier contemporain.

Le marxisme, comme théorie, a reçu une nouvelle force, et son application en présence de la révolution sociale en cours a donné de brillants résultats.

Nous le voyons tout d’abord dans les œuvres de Lénine.

Pour Lénine, selon sa propre expression, « la théorie est le fondement de l’action ». Mieux que personne, il savait mettre à profit le marxisme dans la pratique et c’est pourquoi chacun de ses actes était soigneusement pesé au point de vue théorique, toute formule ou conclusion théorique était chez lui éclairée et vérifiée par la pratique.

Nous avons mis à l’ordre du jour l’étude du léninisme. Cette étude doit être indissolublement liée à notre pratique communiste. La IIIe Internationale est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la promotrice du marxisme révolutionnaire et du léninisme. Cela nous oblige tout d’abord à combattre sur le terrain théorique et à démasquer non seulement les théories bourgeoises, mais aussi les théories et les idées souvent défendues par la IIe Internationale marxisme déformé et particulièrement dangereux. Une ligne théorique précise est pour nous de la plus haute importance, et toute hésitation ici doit être proscrite impitoyablement.

Deuxièmement. − Nous avons à élaborer théoriquement la vaste expérience, les faits et les données que nous fournit la vie contemporaine dans les domaines les plus divers. Cela est nécessaire pour échapper au danger de dévier du droit chemin sous l’influence de la simple pratique courante.

Troisièmement. − La propagande du marxisme et du léninisme doit être organisée d’une façon sérieuse. Les idées de Marx, d’Engels, de Lénine doivent le bien commun du prolétariat. Ce n’est que lorsqu’ils seront en possession de ces idées, que le prolétariat et les partis communistes pourront mener leur lutte avec assurance, fermeté, sang-froid et conscience.

Voilà en quoi consistent à l’heure actuelle nos objectifs principaux.

Jusqu’à quel point et dans quelle mesure ce travail est-il réalisé par nos partis communistes d’occident ? Nous sommes forcés de répondre catégoriquement : d’une façon insuffisante.

Jusqu’à présent, l’importance colossale du travail en question a été mal saisie et mal assimilée par nous. (Je ne parle pas naturellement de la Russie soviétiste).

Il est vrai que dans bien des pays, nos partis sont placés de fait hors la loi. Néanmoins, l’organisation insuffisante du travail théorique et de la propagande ne peut pas être expliquée seulement par des conditions extérieures défavorables : il y a eu absence de compréhension et absence d’énergie.

Il faut voir là une trace non encore complètement effacée de notre passé, alors que, pour les dirigeants de la IIe Internationale, la propagande parmi les masses et surtout la propagande du marxisme tenaient une des dernières places et que dominait la conviction que la théorie est pour les intellectuels. Il faut lutter résolument contre cet héritage.

En effet, en parcourant tout ce que nos partis publient, nous constatons d’immenses lacunes dans la réédition des œuvres de Marx et d’Engels, l’insuffisance des éditions de Lénine et le manque de publications de propagande.

Aussi les ouvriers et le parti s’instruisent en grande partie dans les journaux et les revues et ceux qui consultent une littérature plus sérieuse forment l’exception ; il n’y a presque point de pays où nos partis communistes aient des écoles de parti tant soit peu installées, Les écoles peu nombreuses existantes portent la plupart du temps un caractère fortuit.

Seules les écoles du parti peuvent tremper théoriquement nos militants.

Enfin, les cercles de propagande, dans lesquels la masse du parti pourrait acquérir des connaissances réelles en marxisme et en léninisme ne sont pas non plus suffisamment développés. On comprend que notre théorie (surtout au point de vue philosophique) commence à laisser à désirer en Occident et qu’il y ait des cas nettement caractérisés de déviation.

Telle est notre situation. Nous avons devant nous un champ très étendu où le travail vient seulement de commencer. Nous devons nous y mettre avec toute notre énergie et en faisant appel à toutes nos forces.

* * *

Dans ces derniers temps, l’attention du parti s’est tournée de plus en plus de ce côté. Le deuxième numéro de « l’Internationale communiste » nous offre un article du camarade Bela-Kun « La propagande du Léninisme » et dans la Revue « La lutte » de Yougoslavie, a paru un article du camarade Philipovitch sur le même thème. La dernière séance du Comité Exécutif de la Fédération des Balkans a entendu un rapport et adopté une résolution sur l’organisation de la propagande. Enfin cette question est également à l’ordre du jour du Congrès de l’Internationale Communiste. La question fait des progrès décisifs.

Nous sommes complètement d’accord avec les conclusions pratiques exposées par Bela-Kun dans son article. De notre côté, conformément à ce que nous avons dit plus haut, nous ferons les propositions pratiques suivantes :

1. Les éditions actuelles ne répondent pas aux besoins ; en premier lieu, il faut une traduction systématique des discours, articles et autres œuvres de Lénine pour les masses.

2. Il faut organiser partout des écoles du parti. Que chaque parti ait au moins une bonne école. Il faut publier à cet effet des programmes et un guide bibliographique pour chaque contrée en particulier.

3. Organisation de cercles de propagande du léninisme − inférieurs, moyens et supérieurs. Obligation pour chaque Communiste d’y collaborer.

4. Organisation de cours supérieurs do l’Internationale Communiste, au moins pour deux sections dans les premiers temps : allemande et française. Le cours doit durer au maximum 5 mois. Les auditeurs seront des militants provinciaux, qui, après avoir assisté aux cours, retourneront au travail de propagande, Ces cours ressembleront à ceux qui existent à l’Académie Communiste, mais dureront moins longtemps, afin que les militants ne soient pas enlevés trop longtemps à leur propagande locale.

Tels sont, d’après nous, les premiers pas à exécuter et ce n’est qu’en faisant appel à toute notre énergie et à toute notre attention que nous pourrons faire passer dans la pratique ce que disait le camarade Lénine à ce sujet au Congrès précédent de l’I.C.

Nous devons dire à ce sujet non seulement aux camarades russes mais encore aux camarades étrangers que ce qu’il y a de plus important dans la période qui s’ouvre − c’est l’instruction. Nous nous instruisons dans le sens général. Vous devez vous instruire dans le sens spécial, c’est-à-dire vous assimiler l’organisation, la méthode et la teneur du travail révolutionnaire. Si cela se réalise, alors je suis convaincu que les perspectives de la révolution mondiale seront non seulement bonnes mais excellentes…

V. Milioutine.


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