Il existe une contradiction dans la société soviétique, qui n’a pas été vue par le PCUS(b). Celle-ci ne tient pas seulement aux restes idéologiques de la bourgeoisie, mais à l’arriération de l’agriculture. C’est d’ailleurs cette arriération qui empêche la liquidation complète des restes idéologiques du passé.
Ainsi, en 1931, une loi organisa l’établissement de « zones de culture de forêts » et appela le Commissariat au peuple à l’agriculture à empêcher les sécheresses par une ceinture de forêts, en formulant bien que cela devait être réalisé sur le terrain de l’État et celui des fermes collectives.
C’est là reconnaître une contradiction sociale, implicitement ; le problème qui sera évident lors de la formation de ces ceintures, y compris dans les années 1950, est l’indifférence totale des fermes collectives à ce sujet, leur non participation. Il n’y a pas eu d’engouement des masses, ni de mobilisation par le PCUS(b), à part idéologiquement et symboliquement au niveau de l’État.
Cela tient à une erreur de positionnement du PCUS(b) sur la question de la Nature.
En 1932, 40 000 hectares de ceinture de forêts sont formés et 350 000 au total de 1933 à 1936. De ce point de vue, c’est un succès et en 1936 est également formé la GLO, l’organisme central de protection des forêts et de boisement. La GLO dispose également d’une revue, au titre parfaitement évocateur : Za zashchitu lesa, « En défense de la forêt ».
Toutefois, en 1947 la GLO devient le Ministère de la Gestion de la Forêt et la GUPL fut formée, un organisme directement dédié à la formation de la ceinture de protection. Cela révèle un glissement dans la démarche soviétique, reflétant le positionnement quant à la nature.
Le problème qui se posa fut celui des zapovedniks. Il s’agit de vastes parcs naturels, ayant cependant le statut de sanctuaires. La Nature y est absolument sauvage et y pénétrer est strictement interdit, sauf pour des scientifiques triés sur le volet, dans des conditions bien spécifiques, etc.
Le processus commença avant 1917, mais dès 1919 Lénine donne une base légale aux zapovedniks, qui furent érigés au fur et à mesure.
Celui de l’Astrakhan fut fondé en 1919, celui d’Ilmen en 1920, celui du Caucase et celui de Galichya Gora, ainsi que celui de Kedrovaya Pad et celui de Stolby, en 1925, celui de Voronezh en 1927, celui de Bashkirsky et celui de Pechoro-Ilych en 1930, celui de Kivach en 1931, celui de l’Altaï et celui de Kandalaksha furent fondés en 1932, celui de Belogorye et celui du Tsernozemsky central, ainsi que celui de Khopyor, celui de Mordovski, celui de Sikhote-Alin et celui d’Oka, en 1935, celui de Teberda en 1936, celui de Polistovsky en 1944, celui de Prioksko-Terrasny en 1945.
Deux raisons historiques sont à l’origine des zapovedniks, qui ont de fait une même base. Dans la culture russe, la forêt se voit attribuée une grande valeur culturelle et à ce titre dispose d’un large respect.
C’est cela qui a aidé à la formation de perspectives scientifiques particulières, notamment celle de Vassili Dokoutchaïev (1846-1903), le fondateur de la pédologie (la science des sols) et qui a joué un grand rôle pour la naissance des zapovedniks.
Vassili Dokoutchaïev est aux sols ce que Vladimir Vernadsky est à la géologie, Vladimir Vernadsky sera d’ailleurs un de ses élèves. Il a compris qu’il existait des interactions, que les sols relevaient d’un ensemble, lié aux roches d’un côté et lié à la vie de l’autre côté, c’est-à-dire connaissant une évolution en propre et ne relevant pas simplement de la géographie, mais également de la climatologie, de la chimie, de la biologie, de la physique, de la minéralogie, etc.
Voici comment Vassili Dokoutchaïev avait formulé, initialement, au début du XXe siècle, sa demande de formation d’un zapovednik :
« Afin de restaurer la steppe, si possible dans un état parfait… pour témoigner cette influence puissante de la couverture herbacée vierge sur la vie et la qualité du sol et de la surface de l’eau… afin de prévenir finalement de la destruction des steppes… afin de préserver ce remarquable monde de la steppe pour nos descendants, pour toujours… afin de le préserver pour des objectifs scientifiques (et pratiques)…. afin de prévenir de la part de toute une série d’organismes particuliers, animaux et végétaux, de la steppe, dans sa lutte avec l’humanité… l’État devrait placer sous protection permanente une étendue plus ou moins large dans le Sud de la Russie et la placer à la disposition de ces organismes primordiaux, et maintenant disparaissant.
Et si une station de recherche permanente est établie dans un tel endroit, il n’y a pas de doute que les dépenses reviendront rapidement et pleinement en retour. »
Ivan Borodine (1847-1930) contribua également à avoir une vue d’ensemble des zapovedniks, en les formant non plus selon les occasions mais comme représentatifs des différents types propres à la nature russe. Le groupe de travail fondé par Vassili Dokoutchaïev fut intégré en 1919 par Féodor Loewinson-Lessing dans une Commission pour l’étude des forces productives naturelles, qui devint en avril 1927 l’Institut d’études des sols Dokoutchaïev, basé à Léningrad puis Moscou.
Le problème se posa alors : comment fallait-il considérer les zapovedniks, alors que la planification se renforçait toujours davantage ?