La phénoménologie est, au sens strict, la philosophie de la bourgeoisie ayant abandonné les Lumières ; elle est le subjectivisme érigé en vision du mode. Tous les modes de pensée bourgeois, quels qu’ils soient, reviennent à la phénoménologie. Edmund Husserl (1859-1938) est le penseur-clef du relativisme-libéralisme, la figure incontournable de la modernité capitaliste.
La phénoménologie se veut le discours (logos, en grec) sur les phénomènes (phanomeon, en grec) ; Edmund Husserl en parle en 1927 dans la définition faite pour l’Encyclopædia Britannica comme d’une « méthode descriptive d’un nouveau type ».
La phénoménologie cherche en effet à décrire les faits par le prisme subjectif de « l’intention » de la conscience : la conscience, en se tournant vers les faits, les prend d’une certaine manière et pas d’une autre.
Il n’y a plus de vérité unique, de réalité matérielle possédant une dignité en soi. Il y a les consciences saisissant chacune subjectivement des fractions de la réalité, toute différente, alors que la réalité elle-même apparaît comme une abstraction de toutes manières inatteignable.
La phénoménologie est, dans les faits, la transposition de l’idéalisme de l’hindouisme dans le capitalisme développé. L’hindouisme relativise le monde qui n’est qu’une émanation d’un Dieu au-delà de la matière ; chaque personne ne perçoit qu’un aspect de ce Dieu suprême ayant réalisé le monde dans un rêve qu’il fait.
La phénoménologie accepte ce point de vue et valide l’expérience subjective perçue comme authentique. Lorsque Michel Foucault regarde la révolution iranienne de 1979 non pas dans les faits, mais dans le ressenti subjectif des gens, il applique le principe de la phénoménologie.
Henry Corbin, le spécialiste majeur de l’Islam iranien, explique en 1978 dans l’introduction de son œuvre En islam iranien : aspects spirituels et philosophiques :
« Il sera fait ici un usage fréquent du mot phénoménologie. Sans vouloir nous rattacher à quelque courant déterminé de la phénoménologie, nous prenons le terme étymologiquement, comme correspondant à ce que désigne la devise grecque « Sauver les phénomènes », c’est les rencontrer là où ils ont lieu et où ils ont leur lieu.
En sciences religieuses, c’est les rencontrer dans les âmes des croyants, plutôt que dans les monuments d’érudition critique ou dans les enquêtes circonstancielles. Laisser se montrer ce qui s’est montré à eux, car c’est cela le fait religieux.
Il peut s’agir du croyant naïf, comme il peut s’agir du plus profond théosophe mystique. Mollâ Sadrâ lui-même disait que l’ésotériste se sent beaucoup plus proche du croyant naïf que du théologien rationaliste, parce qu’il est en mesure lui, sans faire d’allégories, de « sauver le phénomène », le sens de l’exotérique (zâhir) professé par le croyant naïf.
Dans ces conditions, nous pouvons alors distinguer ce qui est « phénoménologiquement vrai » de ce qui est « historiquement vrai », au sens où l’entend la critique scientifique de nos jours. »
Ce qui compte, ce n’est pas les faits, l’histoire, mais la manière subjective qu’a la conscience de saisir intentionnellement ces faits. C’est cela qui serait vrai, car le monde consiste en des consciences.
La phénoménologie est ainsi la vision du monde la plus pure du subjectivisme bourgeois. Elle valide la conscience non seulement comme ayant le libre-arbitre, capable de choix, en réfutation de tout déterminisme. Mais elle met également en valeur une conscience active, qui saisit la réalité de manière intentionnelle.
Il n’a plus simplement une perception qui peut être trompeuse, comme chez René Descartes. On a une conscience conquérante, prête à engloutir le monde. La phénoménologie est le reflet du subjectivisme se faisant le moyen pour le mode de production capitaliste d’engloutir le monde.