Gonzalo est décédé, à 86 ans, le 11 septembre, la veille du triste 29e anniversaire de son arrestation. Ce qu’il incarnait n’est ainsi plus : la pensée Gonzalo. C’est la fin de toute une époque pour les communistes du Pérou, qui doivent produire de nouveau un grand dirigeant pour les orienter.

Il est vrai que, depuis 29 ans, Gonzalo était en prison et n’était plus capable de donner d’indications concrètes, de par son isolement carcéral. Et on sait à quel point le monde a changé depuis 1992, que ce soit par le développement de la Chine dans le cadre du marché capitaliste mondial, les téléphones portables, les ordinateurs personnels, internet…

Cela a son impact sur le Pérou, forcément, même si ce qui compte le plus, c’est que depuis 1992, le Parti Communiste du Pérou a connu des scissions déchirantes, qu’il y a de puissants mouvements post-maoïstes comme MOVADEF se prétendant dans sa continuité, etc. Si historiquement l’arrestation de Gonzalo a bien été un « détour » pour la révolution, ce détour aura été bien plus long que prévu initialement et, d’ailleurs, on n’en voit pas l’issue.

Cela concerne cependant les communistes du Pérou. C’est leur tâche, après José Carlos Mariategui et Gonzalo, que de produire de nouveau un grand dirigeant capable de synthétiser l’évolution historique et de guider les communistes, pour réaliser la révolution, le socialisme, aller au Communisme.

Naturellement, en synthétisant le maoïsme, Gonzalo n’a toutefois pas que joué un rôle au Pérou, son impact a été mondial. En cela, il aura été un grand contributeur à l’idéologie communiste. Il a joué un rôle fonctionnel important. On peut mentionner d’autres camarades ayant joué un tel rôle : Clara Zetkine, qui a impulsé le féminisme prolétarien, Georgi Dimitrov, qui a conceptualisé le principe du Front populaire, pavant la voie à la Démocratie populaire.

On peut penser également à Charu Mazumdar en Inde, Ibrahim Kaypakkaya en Turquie, Akram Yari en Afghanistan, Alfred Klahr en Autriche, Siraj Siker au Bangladesh… Tous ces grands dirigeants, en faisant avancer le mouvement communiste de leur pays en particulier, ont contribué à la conception générale des communistes. Toutes leurs contributions s’articulent avec l’idéologie façonnée par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

Pourquoi pourtant faire une séparation entre les cinq classiques et les autres, peut-on demander. N’y a-t-il pas une idéologie en général, avec des théoriciens en particulier ? C’est que tout dépend d’une séquence et d’un niveau d’élaboration.

Prenons un exemple par la négative, car « toute détermination est négation » comme l’a souligné Spinoza, une citation très appréciée de Karl Marx. Pourquoi Gonzalo n’est-il pas un classique ?

Il ne l’est pas pour deux raisons, formant deux contraires dialectiquement liés. La première, c’est qu’il a levé un drapeau, celui du maoïsme. Il a affirmé que Mao Zedong avait apporté des éléments formant un troisième moment dans l’idéologie communiste, après le marxisme et le léninisme.

Or, de par l’inévitable développement inégal, Gonzalo a porté l’accent sur le maoïsme aux dépens du marxisme et du léninisme. Les thèmes abordés par Gonzalo sont ceux apportés par Mao Zedong et Gonzalo les connaît scrupuleusement. Son parcours historique – les années 1960-1970 − le coupe cependant tant du mouvement ouvrier de l’époque de Lénine et Staline que celui de l’époque de Karl Marx et Friedrich Engels.

Gonzalo ne connaît pas suffisamment le parcours du mouvement ouvrier en Europe avant les années 1950 pour le synthétiser, il n’aborde pas de manière systématique les thèmes du marxisme et du léninisme. On ne trouvera pas de référence au Capital de Marx ni au réalisme socialiste dans les arts, ni à la démocratie populaire, par exemple.

Cela aboutit à des convergences, mais sans avoir conscience que c’était déjà établi. Gonzalo dit par exemple qu’il faut une construction concentrique (le Parti forme l’armée qui établit le front). C’était déjà la ligne des Fronts populaires après 1945 dans les pays de l’Est européen, ainsi qu’en Grèce lors de la guerre civile après 1945.

On ne peut pas critiquer Gonzalo pour cela : tel n’était pas sa mission que de systématiser le marxisme-léninisme-maoïsme, et même cette systématisation n’est qu’un vaste commentaire en elle-même. Cependant, il faut avoir conscience que Gonzalo parle très bien du maoïsme, mais que son marxisme-léninisme-maoïsme penche du côté du maoïsme.

Une discussion entre le MPP et ce qu’allait devenir le PCF(mlm) est ici exemplaire. Le MPP, Mouvement Populaire Pérou, organisme généré par le Parti Communiste du Pérou pour le travail à l’étranger, disait la chose suivante. Pour comprendre le marxisme, il faut partir du maoïsme, car le maoïsme est le marxisme en plus développé. Du côté du PCF(mlm), l’approche était au contraire de considérer qu’il fallait comprendre le marxisme pour être en mesure d’arriver au maoïsme.

Dialectiquement, les deux sont vraies. Et on peut parler de marxisme-léninisme-maoïsme principalement maoïsme, car le maoïsme porte le marxisme et le léninisme. Au-delà de considérations idéologiques, cela en dit toutefois beaucoup sur l’état d’esprit des communistes péruviens.

Il est évident que le fait de pencher ainsi du côté du maoïsme a produit les mêmes dégâts que chez la Gauche Prolétarienne française, le TKP(ML) en Turquie, le Parti Communiste d’Inde (Marxiste-léniniste), qui après une courte période de grande avancée, se sont enlisés et terriblement divisés. Ces deux derniers exemples fournissant d’ailleurs deux réponses différentes et toutes deux fausses. En Turquie, il y a systématiquement une scission dans les mouvements maoïstes au bout de quelques années ; en Inde, il y a eu unification aux dépens de tout débat idéologique approfondi.

La force du Parti Communiste du Pérou est d’avoir conservé la charge maoïste tout en prolongeant le tir. Le défi qu’a présenté l’arrestation de Gonzalo a par contre montré qu’il manquait la pesanteur « européenne » marxiste et l’opiniâtreté « russe » quant aux formes d’organisation du Parti.

Mais tout cela concerne, encore une fois, les communistes du Pérou. Ce qui compte, c’est que Gonzalo a dit : le maoïsme est la troisième étape après le marxisme et le léninisme, et en a fourni les éléments. Du point de vue mondial, c’est cela l’aspect principal. Et s’il n’y a plus de pensée Gonzalo au Pérou, les contributions de Gonzalo restent ainsi pour les communistes du monde.


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