Dans Gargantua de Rabelais, il est un passage où l’on trouve toute une liste de jeux de cartes qui étaient alors pratiqués. Cette démarche pré-encyclopédiste est parfaitement bourgeoise, et on la retrouve chez Pieter Brueghel.
On est ici dans une problématique nationale ; ce qui est montré correspond à une réalité culturelle propre à des Etats constitués et s’identifiant en termes nationaux.
C’est en ce sens qu’il faut comprendre la peinture de Brueghel Les Proverbes flamands. On a ici entre 80 et 120 proverbes de représentés, comme Die de brei gestort heeft kan hem niet geheel oprapen (Celui qui renversa sa panade n’arrive jamais à la ramasser entièrement),
Voici une présentation des proverbes.
Zone supérieure, de gauche à droite
1. Regarder à travers ses doigts
2. Le balai est dehors (Les maris ne sont pas à la maison)
3. Être mariés sous le balai (vivre en concubinage)
4. Rester les sabots aux pieds (Attendre inutilement)
5. Les galettes poussent sur le toit (Vivre dans l’abondance)
6. Tirer une flèche après l’autre (Ne pas être récompensé de ses efforts)
7. Les porcs errent dans le blé (Tout va de travers)
8. II a le feu au derrière (Être pressé)
9. Jouer de la musique sous le carcan (Ne pas se rendre compte de ses propres ridicules),
10. Tourner son manteau selon le vent (Faire la girouette),
11. Rester planté à regarder la cigogne (Laisser échapper la fortune),
12. Jeter les plumes au vent (Perdre le fruit de son propre travail),
13. À son plumage on reconnaît l’oiseau,
14. Tuer deux mouches d’un coup (Faire d’une pierre deux coups),
15. Peu importe à qui est la maison qui brûle pourvu qu’on puisse se chauffer aux tisons,
16. La peur fait trotter la vieille (La peur donne des ailes),
17. Traîner une souche (Traîner un boulet),
18. Un aveugle guide les autres.
19. Crottin de cheval n’est pas figue,
20. Le voyage n’est pas fini parce qu’on aperçoit l’église et le clocher (Ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué),
21. II regarde danser les ours (II est affamé),
22. Surveiller la voile (Faire attention),
23. Avoir le vent en poupe,
24. Chier sous le gibet (Danser sur un volcan),
25. Pourquoi les oies marchent-elles pieds nus ? (Être indifférents à ce qui ne nous regarde pas),
26. Les corbeaux volent où est la charogne (Il n’y a pas de fumée sans feu [?]).
Deuxième zone
1. Chier sur le monde (Se moquer de tout),
2. Le couteau est accroché (il s’agit d’un symbole de défi),
3. Regarder les cartes (Connaître le dessous des cartes ?),
4. Se tenir par le nez (Avoir quelqu’un dans le nez),
5. Les dés sont jetés,
6. Œil pour œil (l’interprétation se fonde sur l’identification d’un œil entre les lames ouvertes des ciseaux, et sur les yeux, ou anneaux de ces ciseaux),
7. Il y a un trou dans son toit (Avoir la tête fêlée),
8. Un vieux toit a toujours besoin de réparations,
9. Avoir la peau épaisse derrière les oreilles (Être un fourbe fieffé),
10. Pisser à la lune (Vouloir l’impossible),
11. II y a des lattes sur le toit (les murs ont des oreilles),
12. Deux fous sous le même manteau (Combiner deux sottises en même temps),
13. Faire la barbe au fou sans savon (Profiter de la sottise d’autrui),
14. Pousse hors de la fenêtre (Ne pas pouvoir se cacher),
15. Tomber du bœuf sur l’âne (Passer du coq à l’âne),
16. Baiser l’anneau (courber l’échine),
17. Pêcher derrière le filet des autres (Se contenter des restes),
18. Se frotter le derrière contre la porte (Manquer de reconnaissance),
19. Le mendiant n’aime pas qu’un autre mendiant s’arrête à la même porte,
20. Réussir à voir à travers une planche de chêne pourvu qu’il y ait un trou dedans (Enfoncer des portes ouvertes),
21. Être suspendu comme chiottes sur un fossé (cette locution désigne peut être une chose usuelle, évidente),
22. Deux qui chient par le même trou (Faire de nécessité vertu),
23. Jeter l’argent dans l’eau (Jeter l’argent par la fenêtre),
24. Un mur fendu est vite abattu,
25. Enrager parce que le soleil se reflète dans l’eau (Entre envieux),
26. II pend sa tunique à la barrière (Jeter son froc aux orties),
27. Nager contre-courant,
28. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse,
29. Dans le cuir d’autrui on taille de belles courroies (Être généreux avec le bien des autres).
Troisième zone
1. Attacher chaque hareng par ses propres ouïes (II faut payer de sa propre bourse),
2. Le monde à l’envers,
3. Que peut la fumée contre le fer ? (La lutte du pot de fer contre le pot de terre [?]),
4. Les fuseaux tombent dans les cendres (Tirer à vide),
5. S’asseoir entre deux chaises, dans la cendre (Désirer trop et ne rien obtenir),
6. Si tu laisses entrer le chien, il va dans l’armoire (Donne un doigt, on te prend le bras),
7. Cela dépend de la manière dont tombent les cartes (Le hasard),
8. Les ciseaux sont pendus dehors (II y a des coupeurs de bourse alentour),
9. Ronger toujours le même os (S’obstiner sans pouvoir conclure),
10. Laisse au moins un œuf dans le nid (Sois discret),
11. Œuf à pondre, poussins incertains (analogue au n. 20),
12. Le pot de chambre est dehors (On ne peut pas cacher une activité honteuse).
13. Parler par deux bouches (Être mauvaise langue),
14. Porter la lumière au jour dans un panier (Divulguer des nouvelles qu’il vaudrait mieux cacher),
15. Faire brûler un cierge pour le diable (Demander des faveurs à ses propres ennemis),
16. Aller se confesser au diable (Faire des confidences à qui peut en user à nos dépens).
17. Souffler à l’oreille (Mettre la puce à l’oreille),
18. À qui sert un beau plat s’il n’y a rien dedans ?,
19. La cigogne reçoit le renard (allusion à la fable d’Ésope),
20. C’est marqué à la craie (Cela ne pourra pas être oublié [?]),
21. Une cuillerée d’écume (Vendre du vent),
22. Pisser sur la broche (Insulter à mort),
23. Les gros poissons mangent les petits,
24. On ne peut pas tourner la broche avec lui (On ne peut pas raisonner avec lui),
25. Être sur des charbons ardents,
26. Attraper l’anguille par la queue (Se tirer d’affaire avec peine[?]),
27. Prendre l’œuf de la poule et laisser échapper celui de l’oie (Pour un petit avantage en perdre un grand),
28. Être suspendu entre ciel et terre (Vivre dans les nuages [?]),
29. Tomber en défonçant le panier (Gâcher ses propres chances).
Quatrième zone
1. Le faux dévot,
2. Ne faire griller le hareng que pour son parfum (analogue au n. 110 [?]),
3. Porter l’eau d’une main et le feu de l’autre (Cancaner ; ou bien : Faire le mal d’un côté et le réparer de l’autre),
4. Le cochon enlève le pointeau (Ne savoir faire que les choses les plus simples),
5. Qui porte une armure, accroche une sonnette au chat (Les armes donnent du courage même aux plus peureux),
6. Digérer même le fer (?),
7. Armé jusqu’aux dents,
8. L’une met sur la quenouille ce que l’autre file (Débiter des médisances [?]),
9. Faire endosser le manteau bleu au mari (Tromper son mari),
10. On saigne le cochon par la panse (analogue au n. 31 [?]),
11. Jeter des roses aux cochons (Donner des perles aux pourceaux),
12. Deux chiens ne s’accordent jamais sur un os (Être comme chien et chat [?]),
13. Faire danser le monde sur son pouce (Tromper tout le monde),
14. Mettre une barbe d’étoupe à Notre-Seigneur (Penser esquiver le châtiment),
15. Aux deux derniers reste un craquelin (gâteau de l’Épiphanie) (Heureux le dernier invité si les autres ont été discrets),
16. Être assis à la lumière (se faire ombre à soi-même),
17. II a les mains liées (?),
18. Bâiller devant le four (N’être bon à rien [?]
Dernière zone
1. La meilleure des femmes lie le Diable au coussin (Les femmes sont plus malines que le Diable [?]),
2. Se cogner la tête contre le mur,
3. Porter l’armure (Enrager [?]),
4. Tonds-la, ne l’écorche pas (Vas-y doucement),
5. L’un tond la brebis, l’autre le porcelet (Ne pas savoir suivre les bons exemples),
6. Doux comme un agneau,
7. Beaucoup de cris et peu de laine (Beaucoup de fumée et peu de rôti),
8. Combler le puits quand le veau est noyé (Fermer l’étable quand les bœufs se sont échappés),
9. II faut savoir plier si l’on veut avancer dans le monde (La vie exige des compromis),
10. Mettre des bâtons dans les roues.
11. Qui a laissé choir la bouillie, ne peut pas la ramasser toute (II faut savoir payer ses fautes [?]),
12. Le manche et la cognée (Tout),
13. Une bêche sans manche (Un objet inutile),
14. II n’arrive pas d’un pain à l’autre (Être empêtré),
15. Chercher la hache la plus petite (Être un ouvrier paresseux).
Voici un exemple avec Pisser à la lune (Vouloir l’impossible)
Il est intéressant de noter la présence d’animaux, encore un témoignage d’une réalité historique liée au mode de production.
Voici un autre tableau appelé Les Jeux d’enfants, où on retrouve le même principe.
Voici la liste des jeux :
1. Jouer à la poupée
2. Jouer à la Messe
3a. Le pistolet à l’eau
3b. L’oiseau (hibou) sur le perchoir
4. Le masque
5. L’escarpolette
6. Grimper par-dessus un clôture
7. Le poirier ou la chandelle
8. Le jeu du nœud
9. Les culbutes ou cumulets
10. À cheval sur la barrière
11. La noce
• La scène du mariage, dans les Jeux d’enfants, se trouve au croisement exact des deux diagonales du tableau, doit-on y voir la dénonciation de ce sacrement ? Ne serait-ce pas, au contraire l’endroit précis, la source même de l’enfant en tant que tel ?
12. Le croc en jambe
• Version jouée de la punition où l’on passait entre deux haies pour se faire battre.
13. Colin-maillard
14. Jeu avec un volatile
15. Les bulles de savon
16. Le moulinet à noix
• Noix qui tourne comme un yo-yo
17a. Le Toton
• Probablement dérivé d’un jeu de la Rome ancienne (totum, tout), – parce que le vainqueur gagnait tout – le toton était connu déjà au seizième siècle en France, la petite fille qui nous tourne le dos sur le tableau tient un Toton dans sa main gauche. Sorte de toupie à quatre côtés, c’est l’ancêtre de la roulette, chaque face ayant une fonction, au départ précisée par une lettre. Chacun mettait sa mise en piécettes dans un « pot » commun.
• Le joueur faisait tourner le Toton : la face qui reste en l’air affichant une lettre :
o P : comme piller ou A du Latin accipe, accepter – le joueur ne reprenait que sa mise.
o N : de l’espagnol nada, rien, ou R : rien – le joueur ne reprenait pas sa mise.
o J : du français du Moyen Âge jocque, jeu – le joueur devait doubler sa mise.
o F : de l’ancien français fors, « dehors », ou T , totum : le joueur gagnait tout le pot et terminait le jeu.
• Il semble qu’il ait évolué vers un toton hexagonal en Angleterre, sous la forme de chiffres comme aux dés. La grandeur du toton du tableau suggère que l’on devait le faire tourner à deux mains. Plus tard, plus petit, on pouvait le lancer à deux doigts.
• Par extension au XIXe siècle ça signifiait simplement une petite toupie.
17b. ’Animal’ (chien) tenu en laisse (?)
• Chien en pierre ou en brique tenu en laisse ?
18. Les osselets
19. Le cortège de baptême
• Jouer au baptême, la marche en canard de la procession des adultes qui ramenait solennellement l’enfant à la maison après son baptême.
• On peut voir chez Brueghel un prétexte à dénoncer la folie humaine : la huque bleue – sorte de capeline – que porte un enfant dans sa parodie de procession du baptême.
• Se couvrir d’une huque bleue signifiait à l’époque de Brueghel l’ancien la couleur du mari trompé. C’est le rappel d’autres tableaux de Pieter Brueghel. La huque apparaît aussi dans le combat de carnaval et de Carême.
20. Pair ou impair
• Devinette avec les doigts : droit ou courbé
21. Le casse-pot
22. Les échasses
23. Saute-mouton
24. Combat équestre
25. La chaise
26. Le cavalier sur son cheval de bois (cheval-bâton)
27. Remuer des excréments avec un bâtonnet
28. Flûte et tambour
29. Le cerceau
30. Crier par la bonde du tonneau
31. Le cerceau à grelots
32. À califourchon sur un tonneau
33. Le jeu des bonnets
34. Enfant avec cramique
• Le pain de Baptême,
Cougnou (latin cuneolus), céramique en forme de bonhomme, offert aussi (plus petit) avec du café après un décès ou à la Noël.
35. La punition ou le tape-cul
36. Marcher avec la vessie
• Ballon en vessie de porc ou de mouton
37. Combien de cornes a le bouc ?
38. Jouer au magasin
38b L’argile rouge
• La fillette qui joue à la marchande, dans le coin inférieur droit, elle gratte une brique rouge afin de préparer les pigments du peintre, et l’artiste a signé au-dessous BRUEGEL 1560.
39. Lancement du couteau
40. Jeu de construction
• Construire un Puits
41. Tirer les cheveux
42. Attraper les insectes (mouches)
• Ancêtre du filet à papillon…
43. Le jeu du fléau
44. La bloquette ou la fossette
44b. Bataille de toupie (66 ?)
45a. Les piécettes
• Les joueurs lancent des piécettes contre un mur, celui qui place sa pièce le plus près du mur a gagné.
45b. Faire tourner le bonnet au bout d’un bâton
46. La procession
47. Jouer au portier
48. Qui a la balle ?
49. À cheval sur les épaules
50. Chanter de porte en porte
51. Feu de la Saint-Jean
52. Chevaucher un balai
53. Se pousser
54. Cachette courir
55. La queue du diable
56. La lutte
57. Le diable enchaîné
58. Courir en sautant vers le haut sur une porte de cave
59. Les quilles
60. Le petit bâton
61. Le jeu des noix
62. Les grandes échasses
63a. La barre-fixe
63b. La roue
64. Tenir le balai en équilibre
65. Cache-cache
66a. La toupie à ficelle
• Deux sortes de toupies étaient en compétition, celle qui était enroulée d’une corde et l’autre qui était relancée par un fouet.
66b. La toupie-fouet
67. Le panier
68. Le ruban
69. Qui vais-je choisir ?
• Version de Maman, maman où est ton enfant
70. Faire pipi
71. Jeu de boules
72. Jeux de robe
73. Grimper sur un arbre
74. La baignade
75. Faire trempette
76. La nage avec des vessies de porc
77. Le roi détrôné
78. Jeu dans le sable
79. Tournoi aux moulinets
80. La crécelle
Voici quelques scènes précises.
On a là une démarche portraitiste – c’est le chemin qui passera par Molière et sa présentation des caractères types et arrivera au réalisme de Balzac.