Comenius est l’auteur d’un ouvrage intitulé La grande didactique présenté de la manière suivante :

« La grande didactique

comenius-21.jpgTraité de l’art universel d’enseigner tout à tous

ou

le moyen sûr et soigneusement établi d’instituer dans toutes les communes, dans toutes les villes et dans tous les villages de n’importe quel pays chrétien, des écoles telles que toute la jeunesse des deux sexes, sans excepter personne nulle part, puisse être formée aux belles lettres et aux sciences,

façonnée aux bonnes mœurs, imprégnée de piété et par ce moyen être instruite, en son jeune âge, de tout ce qui sert à sa vie présente et future :

cela

avec économie de temps et de fatigue
avec joie et solidité

Ouvrage

où les raisons de tout ce qui est recommandé sont tirées de la nature des choses elles-mêmes et leur vérité démontrée par des exemples empruntés aux arts mécaniques ; où le cours des études est divisé en années, en mois, en jours et en heures ; où enfin est indiquée la voie facile et sûre de mettre le tout en pratique. »

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On reconnaît les valeurs portées par la bourgeoisie à l’époque : sens pratique et universalisme. Il est difficile de comprendre la dimension révolutionnaire de cet appel démocratique pour l’éducation des masses, puisqu’entre-temps celle-ci s’est réalisée, même si sur le plan du contenu la bourgeoisie devenue réactionnaire a bien sûr imposé ce dont elle avait besoin.

Cette combinaison d’esprit démocratique absolu et de sens pratique est précisément ce qui fournit à Comenius sa dimension historique. Il assume l’humanisme et ne laisse strictement personne derrière, et en même temps il affirme qu’un rythme éducatif est possible pour tous et toutes, un rythme amenant une harmonie intellectuelle en suivant des formes appropriées. La lassitude ne peut tout simplement pas exister quand on apprend, si l’enseignement est adéquat.

Dans l’Avertissement aux lecteurs au début de cette œuvre, Comenius précise de la manière suivante son intention :

« Mais j’ose promettre, moi, une grande didactique, c’est-à-dire un art universel qui permet d’enseigner tout à tous avec un résultat infaillible ; d’enseigner vite, sans lassitude ni ennui chez les élèves et chez les maîtres, mais au contraire dans le plus vif plaisir ; de donner un enseignement solide, surtout pas superficiel ou formel, en amenant les élèves à la vraie science, à des mœurs aimables et à la piété de cœur.

Enfin, je démontre tout cela a priori, c’est-à-dire en le tirant de la nature immuable des choses ; comme d’une source vive coulent sans cesse des ruisseaux qui s’unissent finalement en un seul fleuve, j’établis une technique universelle qui permet de fonder des écoles universelles. »

Comenius n’a cessé de donner des indications pratiques dans ses ouvrages, fonctionnant en quelque sorte comme un système éducatif clef en main. Voici les conseils que donne Comenius sur le plan pratique pour l’enseignant:

« Faire en sorte que les tout soit facile à apprendre. Tu y arriveras si tu observes les conseils suivants :

comenius-23.jpg1. En ce qui regarde le temps

1. Commence de bonne heure.
2. N’interromps pas ton enseignement.
3. Agrémente la pratique scolaire de choses agréables.

2. En ce qui concerne les moyens d’instruction :

1. Que tout soit préparé d’avance.
2. Que tout soit prêt à servir immédiatement.
3. Que tout soit aussi simple et aussi direct que possible.

3. Pour ce qui est des objets :

1. Adresse-toi, en premier lieu, aux sens qui saisissent la réalité.
2. Éprouve les choses par la pratique.
3. La discussion des choses ne doit venir qu’après.

4. Pour ce qui est de la manière de procéder :

1. Présente d’abord une vue d’ensemble de ton sujet ; esquisse-le dans ses grandes lignes, d’une façon sommaire.
2. Après, tu le traiteras plus à fond, dans chacune de ses parties.
3. Enfin, tu en feras l’analyse exacte et minutieuse. »

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Comenius insiste sur l’aspect principal : le reflet dans le cerveau de ce qui est enseigné, et le message ne doit pas être parasité. Chercher des ouvrages alors qu’on est en pleine explication ne relève pas ici tant de la perte du temps que de la perte d’attention. Il faut bien souligner ici que chez Comenius, tout comme auparavant chez Averroès, Avicenne, Aristote, l’esprit humain est fait de manière adéquate pour réceptionner les reflets de la réalité.

C’est la thèse matérialiste selon laquelle l’être humain ne pense pas, mais reflète, et selon laquelle c’est là sa nature même, et son bonheur. De la même manière qu’on doit jouer aux échecs et non aux dés, car le cerveau joue alors et ne laisse rien à l’absurde hasard. Il y a une joie dans le processus même de réflexion, dans son adéquation à la réalité. Comenius expose ainsi cette thèse :

« La jouissance qui vient de nous-mêmes consiste dans le doux plaisir qu’éprouve un homme vertueux à voir qu’il est toujours prêt, grâce à son esprit et son caractère bien ordonnés, à suivre les règles de la justice. Cette joie est bien supérieure à celle que nous avons mentionnée plus haut [la jouissance qui provient des choses elles-mêmes], et elle est attestée par le proverbe qui dit : bonne conscience est un festin continuel. »

Comenius ne pouvait bien entendu réaliser son projet ; il fera tout pour tenter de profiter des forces progressistes : ayant failli travailler pour le cardinal de Richelieu, il préférera se tourner vers les forces protestantes ou s’en rapprochant, comme la Suède ou l’Angleterre, et lui-même exilé finira sa vie à Amsterdam, dans la Hollande bastion du progressisme alors.

Il basculera également parfois, par dépit, dans le mysticisme, espérant une fin des temps pour balayer les forces de la réaction catholique et féodale. C’est un aspect inévitable de par le manque de maturité de son époque.

Toutefois, Comenius avait contribué de manière formidable à l’éducation et au matérialisme, et ses écrits jouent un rôle de très grande importance sur le plan éducatif dans toute l’époque qui suit en Europe.


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